Discours du Président de la République devant le congrès de l'Union mexicaine à Mexico, Mexique.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le congrès de l'Union mexicaine.

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Mexico, Mexique, le jeudi 12 novembre 1998

Monsieur le Président du Congrès de l'Union,

Monsieur le Président de la Commission Interne et de Concertation politique de la Chambre des Députés,

Madame la Présidente de la Grande Commission du Sénat,

Messieurs les Coordonnateurs des groupes parlementaires du Sénat et de l'Assemblée,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Mesdames et Messieurs

Il y a 35 ans, le Général de Gaulle était reçu par votre Assemblée. Il était le premier chef d'Etat français à venir en visite au Mexique et à s'exprimer devant les deux Chambres réunies du Congrès de l'Union.

Je mesure tout l'honneur qui m'est fait en étant invité - privilège rare - à m'adresser à travers vous au peuple mexicain tout entier.

Par ma voix, c'est la France qui apporte son amical salut au Mexique, un pays qui compte dans le monde, et son amical salut à son grand peuple, " un peuple libre, fier et ardent " pour reprendre les mots du Général de Gaulle.

C'est la France républicaine, la France des Droits de l'Homme qui salue en vous les fils de la Charte mexicaine de 1814, née des idées des Lumières : la liberté, l'indépendance, la justice et la dignité de chaque homme. Je salue en vous les descendants des constituants républicains de 1857, les héritiers de la Constitution de 1917 issue de la révolution mexicaine.

Je salue en vous les représentants du peuple mexicain d'aujourd'hui, les dépositaires du pouvoir législatif, les hommes et les femmes qui incarnent la force et la vitalité de la démocratie mexicaine, engagée avec succès dans la construction d'une société moderne.

Oui, je salue à travers vous la démocratie mexicaine ! Qu'elle s'affermisse chaque jour dans la vigueur de vos débats et par la sagesse de vos lois !

J'ai tenu à être accompagné de représentants de notre Parlement. Présidents de commissions et de groupes d'amitié, députés et sénateurs, leur présence illustre la concertation qui s'est instaurée entre nous, et aussi l'intensité de notre dialogue politique. La relation entre les nations est l'affaire de tous. En particulier, celle des Assemblées parlementaires qui enracinent, par leurs échanges, les valeurs qui les fondent.

Ce dialogue entre nos peuples, leurs élus, nos gouvernements doit porter en priorité sur les grandes questions dont dépend notre avenir et celui du monde.




Aujourd'hui, ensemble, nous devons apporter notre contribution à la reconstruction de l'ordre mondial. Nous partageons les mêmes valeurs, nous faisons les mêmes analyses et nous avons une même volonté.

Nous vivons un vrai changement d'époque. L'ordre bipolaire a disparu. Le monde s'ouvre, mais il redevient incertain et instable, comme il le fut si souvent dans l'Histoire.

Souvenons-nous des civilisations passées. Souvenons-nous de cette immense Mésoamérique dont l'histoire fut longue et prestigieuse. Souvenons-nous des anciens Aztèques, descendus, selon Jacques Soustelle, "dans un univers fragile, soumis à un devenir cyclique, chaque cycle s'achevant dans un bouleversement".

Il y a une sagesse éternelle des peuples. Par-delà le temps, les sociétés humaines, hantées par leur devenir, partagent une même aspiration à l'équilibre et à l'harmonie.

Cet équilibre, nous l'établirons demain en organisant un monde multipolaire. En nouant de nouvelles relations entre les grandes régions, entre puissances installées et puissances émergentes. En élaborant ensemble des règles communes contre l'arbitraire et la loi du plus fort. Nous connaissons tous en France le mot de Benito Juarez, inscrit au fronton de votre hémicycle : " la paix, c'est la reconnaissance du droit de l'autre ". C'est vrai à l'intérieur des Etats. Unissons nos efforts pour que cela soit vrai, aussi, dans les relations entre les Etats.

Avec le Mexique, la France milite sans relâche pour le renforcement des institutions et des instruments de maintien de la paix, et pour le règlement politique des contentieux et des conflits.

Elle veut renforcer le rôle de l'Organisation des Nations Unies. Seule l'ONU dispose de la légitimité pour parler et pour agir au nom de tous. Mais il faut rénover notre Organisation et notamment le Conseil de sécurité dont la composition, fixée au lendemain de la deuxième guerre mondiale, ne reflète plus la réalité d'aujourd'hui.

La France apporte tout son soutien aux mécanismes régionaux de prévention des conflits et de règlement des crises. C'est entre pays partageant les mêmes préoccupations, parlant le même langage, que peuvent être élaborées les meilleures solutions. Le Mexique partage cette vision et la France applaudit la contribution de votre pays au retour de la paix civile chez vos voisins.


L'exigence de règles s'impose aussi dans le domaine économique.

La mondialisation est une chance. Elle a favorisé l'émergence de nombreux pays. Elle a permis l'accès de centaines de millions d'hommes et de femmes au mieux-vivre. Mais la mondialisation comporte aussi des risques graves. Le premier, le Mexique a été durement frappé, il y a quatre ans. Avec l'aide de la communauté internationale, et notamment du Fonds monétaire international, il a réussi un rétablissement spectaculaire. Mais le peuple mexicain tout entier a dû payer le prix fort. Aujourd'hui, ce sont les nations d'Asie qui souffrent. D'autres régions, à commencer par l'Amérique latine, vivent dans l'expectative. Nous ne pouvons accepter cette situation et en particulier les conséquences sociales qu'elle implique. Tous ensemble nous devons agir !

Depuis le Sommet du G7 de Lyon, tenu sous la présidence française, des réformes considérables ont été engagées. Pour améliorer la transparence. Pour aider les pays émergents à mieux gérer la liberté des mouvements internationaux de capitaux et à consolider leurs systèmes financiers nationaux. Pour s'assurer que le secteur privé assume la responsabilité des décisions qu'il prend en matière de prêts. Pour accroître, enfin, le rôle des institutions financières internationales et la coopération entre elles.

Mais nous devons aller plus loin pour maîtriser la mondialisation. La France développe à ce sujet un dialogue régulier avec le Mexique, et je m'en suis entretenu, aujourd'hui encore, avec le Président Zedillo. Je lui ai proposé que, le moment venu, un Sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement rassemble les pays membres du Comité intérimaire du Fonds monétaire international pour adopter solennellement toutes les réformes en préparation, et notamment celle du Fonds monétaire international.

Ce nouveau " Bretton Woods " devra aussi se fixer pour objectif la stabilisation des relations de change entre les trois principales monnaies du monde. Le 1er janvier prochain, l'Union européenne se dotera de sa monnaie unique, l'euro. Ce sera un événement majeur pour tous les Européens, mais aussi pour l'économie mondiale. Monnaie de la première puissance économique du monde, l'euro sera, à l'égal du dollar, l'autre grande monnaie du commerce international. Nous avons tous intérêt à assurer une relation stable entre les principales devises.

Voilà, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, les propositions de la France en accord étroit avec le Mexique pour doter l'économie mondiale des règles indispensables à sa stabilité et à sa prospérité.


L'évolution du monde abolit l'espace. Elle rapproche les hommes et c'est heureux. Mais elle porte en elle-même ses propres dérives. Les atteintes à l'environnement, les mafias et la drogue, le terrorisme ignorent désormais les frontières.

Face à ces fléaux de notre temps, nous devons organiser la gestion planétaire des risques globaux. Mexicains et Français, nous devons mobiliser nos compétences et nos volontés pour civiliser la mondialisation. Nous devons imaginer un mode de développement respectueux de la nature. Nous devons lutter efficacement contre les trafics de stupéfiants, le blanchiment d'argent sale et la criminalité organisée.

Nous devons préserver aussi, à l'heure de la société de l'information, cette diversité culturelle qui fait la richesse du monde. Nos deux peuples sont fiers d'être les héritiers de civilisations brillantes. Ils sont fiers des valeurs que portent leurs langues et leurs cultures. Ensemble, ils doivent se battre pour les défendre et les affirmer notamment sur les grands réseaux de communication. Le danger, c'est l'uniformisation. C'est l'asphyxie de nos identités. C'est la perte de la mémoire. C'est l'extinction du dialogue. C'est le déclin des civilisations. Ensemble, menons le combat pour la diversité culturelle du monde ! C'est tout le sens de la déclaration solennelle que nous avons signée aujourd'hui.




Organiser l'avenir, réussir la mondialisation au bénéfice de tous, c'est enfin rapprocher les grands acteurs du monde de demain.

Le Mexique et la France partagent l'essentiel. La même vision de l'homme et du monde. Notre latinité. Une amitié qui les pousse l'un vers l'autre. Une histoire assumée, avec ses bons moments et ses moments plus difficiles. Oui, Mexicains et Français ont la sympathie spontanée, l'entendement aisé, la collaboration naturelle. Vous et nous formons deux grandes nations modernes, relevant les mêmes défis. Vous et nous devons parler et agir ensemble.

A la faveur de ma visite, nos gouvernements, nos administrations, nos universités, nos entreprises multiplient les accords et nourrissent notre relation de projets ambitieux.

Avec la rencontre de plus d'une centaine de nos universités et de nos centres de recherche, des passerelles intellectuelles et scientifiques vont être jetées de part et d'autre de l'Atlantique, des passerelles riches de promesses d'échanges et d'amitié entre nos jeunes.

Avec notre Accord de protection réciproque des investissements, nos entreprises seront encouragées à travailler davantage ensemble. A Texcoco, une école franco-mexicaine assurera la formation aux métiers de l'eau. Avec notre Accord de coopération policière et judiciaire nous pourrons lutter plus efficacement contre le crime organisé et ses ramifications.

Ce ne sont là que quelques exemples. Mais ils montrent la solidarité croissante du Mexique et de la France. Leur volonté de préparer ensemble leur avenir.


Organiser l'avenir, c'est aussi rapprocher les puissances de demain et les nouveaux ensembles régionaux.

La France et ses quatorze partenaires de l'Union sont engagés dans l'aventure sans précédent de la construction européenne. Sur notre vieux continent, trempé du sang de tant de guerres, voici que, pour la première fois, les peuples s'unissent dans un mouvement volontaire. Nos Etats-nations séculaires s'assemblent et font destin commun. Avec l'Union, c'est la paix, c'est la démocratie, c'est la prospérité qui s'enracinent en Europe. Et qui s'élargissent au-delà de ce qui fut, pendant 50 ans, le rideau de fer.

Le Mexique a noué avec l'Union européenne un partenariat exemplaire. Partenariat économique mais aussi politique, culturel, scientifique, universitaire. Partenariat essentiel, qui va réunir la première puissance économique du monde et la première puissance commerciale d'Amérique latine. Partenariat différent, mais aussi ambitieux que le Traité de libéralisation commerciale qui vous unit déjà aux Etats-Unis et au Canada. C'est l'esprit de la déclaration franco-mexicaine signée ce matin à l'issue de mes entretiens avec le Président Zedillo. Oui, la France vous aidera sur le chemin de l'Europe.

Par-delà les distances, le Mexique, grande nation latine, revient aux sources. Il est d'Amérique par la géographie, par les solidarités du voisinage. Il l'est par le souvenir si vif des brillantes civilisations passées, par la force des traditions de l'ancienne Amérique. Mais il est aussi d'Europe par ses racines, par sa culture, par son histoire.

Et voilà pourquoi nos deux pays militent pour qu'un lien nouveau s'établisse, de part et d'autre de l'Océan, entre nos deux continents. Il y a un an et demi, j'ai proposé la tenue d'un grand sommet, le premier de l'Histoire, réunissant les chefs d'Etat et de Gouvernement d'Europe, d'Amérique latine et des Caraïbes. Ce projet a reçu l'accord immédiat du Président Zedillo, lorsque j'eus l'honneur de le recevoir en France l'année dernière.

Et c'est votre Président, à la tête du Groupe de Rio, qui assurera la co-présidence de ce grand rendez-vous en juin prochain. Ce rendez-vous, il faut le réussir. Et pour cela, nous devons le préparer ensemble. Soyons ambitieux ! Dans sept mois, c'est une pierre d'angle de l'ordre multipolaire du XXIe siècle que nous poserons ensemble.


Mesdames et Messieurs, cette visite d'Etat est, pour moi, un moment exceptionnel. Exceptionnel, par l'accueil du Mexique, par l'accueil de ses dirigeants, de son peuple. Exceptionnel, par la réunion de vos deux chambres en session solennelle auquel je suis si sensible. Exceptionnel, par l'amitié entre nos deux pays. Et c'est pour répondre à votre accueil et à notre amitié que j'ai souhaité marquer ma visite du sceau de l'ambition.

L'ambition qu'appellent l'ampleur et la réussite spectaculaire des transformations politiques et économiques du Mexique. L'ambition qu'exigent la construction et le rapprochement de nos ensembles régionaux. L'ambition que nous partageons de bâtir un monde plus soucieux du bonheur des hommes.

Unis, nous sommes plus forts.

Et nous, Français, nous sommes heureux d'avancer avec votre fière nation, jalouse comme la nôtre de son identité, de son indépendance, et en même temps tolérante et accueillante. Le Mexique, qui vibre d'une formidable énergie. Le Mexique, terre d'ancienne et grande civilisation. Mais le Mexique, nation jeune et entreprenante. Le Mexique qui réussit. Le Mexique, notre ami.

Viva Mexico !

Viva Francia !

Viva la amistad franco-mexicana !





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