Discours prononcé par M. Jacques CHIRAC président de la République devant les jeunesses mexicaine et latino-américaine (Mexico)

DISCOURS PRONONCE PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, DEVANT LES JEUNESSES MEXICAINE ET LATINO-AMERICAINE

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Mexique - World Trade Center de Mexico -Vendredi 13 novembre 1998

Messieurs les Ministres,

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Mes chers Amis,

Pouvoir m'adresser à vous, dans le cadre de ce salon Edufrance 98, est pour moi une joie et un privilège.

Joie de partager avec vous des idées qui me tiennent à coeur. Privilège de m'adresser aux jeunes mexicains et, par-delà, à toute la jeunesse du Mexique et plus généralement de l'Amérique latine.

Le grand romancier allemand Thomas Mann écrivait, dans le Docteur Faust, je le cite : " Être jeune, c'est rester proche des sources de la vie, pouvoir se dresser et secouer les chaînes d'une civilisation périmée, oser ce que d'autres n'ont pas eu le courage d'entreprendre ".

C'est une belle définition en forme d'ambition !

En effet, la jeunesse d'Amérique latine, particulièrement nombreuse, est forte de son extrême diversité culturelle, de sa vitalité, de son audace. Je dirais qu'elle est presque plus jeune qu'ailleurs, plus porteuse d'espérance, plus apte à dessiner les contours d'un monde généreux, respectueux du droit à la différence tel que le souhaitait Simon BOLIVAR.

Je ne vous parlerai pas de vous, car il est toujours périlleux pour un adulte d'évoquer ce que les jeunes pensent et croient, a fortiori ce qu'ils doivent penser et croire. Je vous ferai part, simplement, de quelques réflexions que m'inspirent la situation actuelle, ses évolutions et le rôle essentiel qui peut et doit être le vôtre pour construire, non pas "Le meilleur des mondes", mais tout simplement et c'est déjà une grande ambition un monde meilleur.

D'abord, de quel monde parlons-nous ? Est-ce de celui où l'homme n'a jamais vécu aussi longtemps, jamais maîtrisé autant les instruments de son propre destin ? Ou bien est-ce que nous parlons du monde des génocides, du Sida, de l'exclusion et de l'environnement menacé ?

D'un côté tant de chances et de progrès. De l'autre, tant de régressions, d'injustices et de violences. Et entre les deux, beaucoup de confusion, d'incertitudes et d'interrogations.

Pourtant, dans cet univers aux lignes déplacées, tout est ouvert, tout est possible. C'est cela que vous devez avoir dans la tête et dans le coeur.

C'est vrai, le monde que nous connaissons est moins facile à comprendre que celui que nous avons connu dans le passé.

La fin de la guerre froide, qui a bouleversé le paysage géopolitique, n'a pas sonné le glas des conflits et des tensions sur notre planète. En ce moment même, plus d'une trentaine de conflits mettent aux prises plus de quarante pays et concernent directement plusieurs dizaines de millions de femmes et d'hommes qui souffrent et qui souvent meurent. Le fanatisme et son corollaire, le terrorisme, font peser une menace permanente sur la démocratie.

Le dérèglement des marchés financiers affecte l'ensemble de l'économie mondiale, et tout spécialement les pays émergents dont les structures sont fragiles. Chaque jour, 1 600 milliards de dollars s'échangent sur les marchés de la planète. Il suffit parfois de quelques jours pour mettre à bas des années d'effort de développement.

Et que dire du chômage qui mine gravement la santé de nos sociétés ? En excluant des millions de jeunes ou de moins jeunes de l'activité économique, le chômage est source de tensions et de crispations qui nourrissent les démons du racisme et de la xénophobie. Le risque est grand d'une société à deux vitesses, une partie de la population qui affronte avec profit la compétition mondiale, et l'autre, laissée pour compte, plus au moins assistée ou plus ou moins abandonnée.

Oui, nous vivons dans un monde incertain et nos repères habituels ont souvent disparu. En même temps, tout est ouvert, tout est à construire, tout est à imaginer.

Oubliés le prêt-à-penser des idéologies, le monde figé dans son affrontement bipolaire. De nouvelles lignes de force s'affirment, parfois pour le pire quand les luttes deviennent identitaires, fondées sur des déchirements religieux ou ethniques. Mais aussi pour le meilleur quand se dessinent de nouveaux rassemblements, de nouvelles coalitions d'intérêts. Des Etats se regroupent, ils s'organisent en ensembles régionaux, en Europe, en Asie, en Amérique du Nord, et bien sûr en Amérique latine. Le MERCOSUR, l'ALENA, le Groupe Amérique centrale et des Caraïbes sont des forces naissantes pleines de promesses. Les frontières s'effacent, la mondialisation devient une réalité, donnant vie au rêve du village planétaire que Mac Luhan entrevoyait depuis sa retraite de Cuernavaca, il y a maintenant trente ans. La mondialisation avec ses dangers. Mais également la mondialisation avec l'extraordinaire développement des échanges, une information sans limites, les bouleversements de l'espace et du temps liés aux technologies nouvelles, le grand mouvement des hommes, des idées, des marchandises, des capitaux.

C'est dans ce monde fluctuant mais plein de promesses et de possibles que vous allez construire votre vie.

Vous devez d'abord être optimistes et conscients de votre chance.

Quand je rencontre des jeunes Français, des jeunes Européens, ce qui m'arrive souvent, je leur rappelle que rien n'est évident, que rien n'est définitivement acquis. Ainsi, la paix en Europe, si simple, si naturelle, est une conquête récente qui fait suite aux deux guerres mondiales qui ont ensanglanté le siècle.

Je leur dis aussi, et je vous dis aujourd'hui, que rien n'est gagné. Tout doit se conquérir, tout doit se défendre. Les libertés. Le respect des Droits de l'Homme et de la dignité humaine. Le droit au savoir et à la formation. L'accès à la santé. Tout cela ne va pas de soi. Il faut se battre pour tout et à chaque instant.

Vous êtes jeunes. Vous suivez des études supérieures. Dans votre coeur et dans votre vie, la confiance et l'enthousiasme l'emportent sur le doute. Je le sais et je m'en réjouis car le monde a besoin de votre allant.

Nombreux sont les combats qui requièrent votre vigilance, votre générosité, votre force et vos convictions.

Combats pour les Droits de l'Homme, pour la tolérance, pour l'éducation, pour la justice, pour l'environnement.

Combat d'abord pour les Droits de l'Homme et la démocratie. Vous savez combien la France, la France des Lumières et de la Révolution, la France de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, est attachée aux idéaux de la République et de la démocratie. Ces idéaux qu'ont portés les Pères fondateurs du Mexique et les grands héros de l'indépendance des pays d'Amérique Latine.

La conquête des Droits de l'Homme et de la démocratie est un combat de tous les jours. Sur votre continent, comme dans de nombreux pays du monde, la démocratie s'enracine, avec la liberté d'opinion et d'expression, la liberté de la presse, le pluralisme politique, les élections et le respect du suffrage universel. C'est le bien le plus précieux. C'est la clé qui commande tout, la paix et d'abord la paix civile, la sécurité et la justice, mais aussi le développement, la confiance internationale et celle des investisseurs, donc la croissance, et par conséquent l'emploi et le mieux vivre.

Certains d'entre vous viennent de démocraties anciennes, d'autres viennent de pays qui font l'apprentissage de la liberté et du droit. Tous, je vous appelle à protéger et à défendre, de toute votre âme, la démocratie et les Droits de l'Homme, à l'intérieur comme à l'extérieur de vos frontières.

Certes, le droit international a fait d'énormes progrès qui restent à consolider. Tous les Etats doivent accepter le devoir de transparence dans le domaine des Droits de l'Homme. C'est l'enjeu, cette année, de l'adoption de la Déclaration sur la protection des défenseurs de ces droits. Il faut lutter contre l'impunité des grands criminels, et c'est la tâche de la Cour pénale internationale chargée de juger les auteurs de génocides et de crimes contre l'humanité. Mais rien ne vaut les garanties qu'apportent dans un pays une démocratie vivante, une société vigilante, une jeunesse mobilisée.

Combat pour la tolérance. C'est un mouvement naturel de la jeunesse que d'être en quête de l'autre. Il faut sans cesse le renforcer. Les hommes ont reçu le don de la parole pour échanger, pour dialoguer, donc pour se respecter.

Le pire, c'est la crispation, c'est le repli. C'est la certitude d'avoir raison contre l'autre, de détenir seul la vérité. Que d'horreurs accomplies au nom de cette vérité ! N'oubliez jamais que le doute, la recherche, sont les meilleurs alliés des convictions fortes.

Combat pour l'éducation, une éducation ouverte sur le monde. Que signifie la liberté pour qui n'a pas accès au savoir ? Comment penser et maîtriser sa propre vie ? Ce n'est pas un hasard si les dictatures détestent les disciplines qui sollicitent le jugement et éveillent l'intelligence critique. Les écoles, les universités sont le lieu de tous les apprentissages et de tous les échanges. Ce salon EDUFRANCE témoigne de ce que l'on peut faire pour organiser entre les facultés, les professeurs, les étudiants des rencontres fructueuses parce qu'amicales. Je me réjouis de l'ampleur de cette manifestation. Plus d'une centaine d'établissements d'enseignement supérieur français sont représentés aux côtés d'un nombre équivalent d'universités mexicaines. Plus de deux cents universitaires français ont fait le voyage. Pendant quatre jours, ils seront à l'écoute de dizaines de milliers d'étudiants mexicains, candidats éventuels à des études en France. Equivalences de diplômes, échanges d'étudiants et de professeurs, accords sur l'enseignement à distance et les téléconférences qui abolissent l'Atlantique entre nous. Voilà dans quelles directions nous devons et nous allons progresser.

C'est dans cet esprit que les ministres français des Affaires étrangères et de l'Education nationale, ici présents, viennent de créer " l'Agence EDUFRANCE " dont la mission sera, en particulier, de veiller à l'accueil et au suivi des étudiants mexicains dans les universités et les écoles françaises.

Cela suppose bien sûr que tombe la barrière des langues. Après l'anglais, l'espagnol est la seconde langue étrangère enseignée en France. Je m'en réjouis, comme je me réjouis de voir que l'enseignement du français, après avoir reculé depuis trente ans au Mexique, entame une vigoureuse remontée. Vous êtes toujours plus nombreux à vous inscrire dans les 44 Alliances françaises, toujours plus nombreux à vouloir étudier notre langue dans l'enseignement secondaire et dans l'enseignement supérieur.

Je suis sûr que le Mexique viendra à l'apprentissage obligatoire de deux langues étrangères dès le secondaire. Certaines institutions mexicaines le proposent déjà, donnant ainsi de nouvelles chances au français. Je les en félicite parce que c'est la meilleure façon d'ouvrir votre pays sur l'Europe.

Il faut bien comprendre que c'est en s'ouvrant résolument sur les autres, en renforçant la connaissance d'autres cultures et le dialogue entre ces cultures que l'on défend le mieux son identité et sa propre culture.

Le Mexique et la France ont une longue tradition d'échanges et d'enrichissement mutuels. D'Alfonso Reyes à Valéry Larbaud, d'André Breton à Octavio Paz, de Cézanne à Siqueiros, de Luis Bunuel à Arturo Ripstein, nombreux sont les créateurs qui donnèrent vie à notre complicité culturelle.

Il faut maintenant inventer de nouveaux creusets franco-mexicains. Dans cet esprit, je souhaite que vous fassiez de la "Casa de Francia", que j'ai inaugurée hier, votre maison. Je souhaite également que vous participiez nombreux au prochain Festival du Cinéma franco-mexicain d'Acapulco.

C'est ainsi, en défendant nos cultures et en faisant en sorte qu'elles s'exportent loin de nos frontières, que nous lutterons contre l'uniformisation, la standardisation du monde. C'est ainsi que nous éviterons l'appauvrissement culturel qui pourrait être, si l'on n'y prenait garde, la face cachée de la mondialisation.

Là encore, la France mène une croisade. Croisade, avec désormais le soutien du Mexique, pour le respect de la diversité culturelle dans les négociations mondiales sur la libéralisation des échanges. Croisade pour que toutes les familles linguistiques, hispanophones mais aussi lusophones et francophones, avec tant d'autres, soient présentes sur les réseaux de l'information, sur les médias, dans les programmes audiovisuels. Croisade pour que le monde de demain se nourrisse, comme hier, du grand dialogue des civilisations et du choc fructueux des cultures. Vous devez être, vous, jeunes Mexicains aux avant-postes de cette action, l'histoire vous a confié ce droit.

Combat pour plus de justice, un combat qui n'a pas de frontière et qui parle aux jeunes de tous les pays parce qu'il est celui du coeur. Les richesses de la planète sont inégalement réparties. La pauvreté s'accroît dans bien des régions et l'information instantanée qui caractérise le monde moderne la rend encore plus insupportable. De grandes famines continuent à ravager certaines régions du globe. Situation inadmissible qui souligne l'erreur commise par ceux qui prétendent que l'encouragement au commerce doit se substituer à l'aide au développement. Plus que jamais, l'aide publique au développement est nécessaire pour donner aux peuples pauvres les infrastructures économiques et sociales dont ils ont besoin, depuis les routes jusqu'aux écoles en passant par les hôpitaux. C'est à partir de là qu'ils pourront accéder au développement par le commerce. La France est fière d'être le second donneur d'aides publiques au développement dans le monde, après le Japon. C'est un devoir moral. Reste, bien sûr, à en assurer la meilleure efficacité, à éviter les détournements si fréquents et à appuyer le développement durable. Au nom de la solidarité, les jeunes doivent se mobiliser pour soutenir cet effort contre la misère, pour exiger davantage de moyens de ceux qui peuvent les donner.

De même, et c'est une autre injustice, il n'y a pas d'égalité face à la maladie, face aux grands fléaux comme le Sida. Dans les pays développés, de nouvelles thérapies parviennent à enrayer le mal. Dans des nations en voie de développement, rien, faute de moyens, ne vient ralentir la maladie ni soulager le malade. C'est un autre devoir moral que de partager avec ceux qui en ont besoin les fruits de notre recherche scientifique et médicale. La France s'est résolument engagée dans cette voie, notamment en Afrique. Tous les jeunes qui ont la chance, comme vous, d'être conscients et informés doivent se mobiliser contre ce fléau.

Enfin, le combat pour l'environnement, pour préserver et transmettre notre patrimoine naturel.

C'est une lutte qui ne fait que commencer alors même que les atteintes à l'environnement hypothèquent déjà gravement l'avenir. De grands rendez-vous ont eu lieu, le dernier à Buenos-Aires. Les nations partagent le même diagnostic. Maintenant il faut agir et le faire avec courage. Qu'il s'agisse de la forêt, des océans, de l'eau, de l'air, du réchauffement de notre planète, l'urgence est là. C'est une responsabilité collective et d'abord la vôtre.

Tout le monde connaît la belle phrase de SAINT-EXUPERY qui disait : " Nous n'héritons pas la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants ". Ne dilapidons pas leur capital. Acceptons les disciplines, limitons nos égoïsmes. Vous devez être les gardiens vigilants, je dirais les gendarmes de la planète, les promoteurs intransigeants du développement durable.

Voilà, mes chers Amis, quelques réflexions que je souhaitais faire aujourd'hui devant vous. En vous , en qui j'ai la plus grande des confiances.

Je vous fais profondément confiance pour construire un monde plus fraternel. Je vous fais confiance pour donner à la paix ses fondements les plus solides : le dialogue, la tolérance, la connaissance et le respect de l'autre.

Je vous fais confiance pour défendre les valeurs humanistes, ces valeurs qui fondent les relations de la France avec l'Amérique latine, et notamment avec le Mexique, et qui donnent son sens à notre action commune.

Alors bonne chance à chacune et à chacun d'entre vous !

Et vive la jeunesse mexicaine !

Et vive l'amitié entre le Mexique et la France !

Je vous remercie.





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