Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC président de la République à l'occasion de l'inauguration du Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme (Paris)

Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de l'inauguration du Musée d'Art et d'Histoire du judaïsme.

Imprimer

Paris le lundi 30 novembre 1998.


Monsieur le Président, mon Cher Claude-Gérard MARCUS,

Madame la Ministre,

Monsieur le Maire de Paris,

Monsieur le Grand Rabbin,

Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs,

Rien n'est plus fort que de voir se réaliser un grand projet porteur de sens. En inaugurant aujourd'hui ce Musée d'art et d'histoire du Judaïsme, qui invente sa route entre Histoire et avenir, joie et douleur, mémoire et espérance, nous vivons ensemble l'un de ces moments, moment d'union, de plénitude et aussi d'émotion partagée.

Pour beaucoup d'entre vous, c'est un rêve devenu vrai et la première page d'un nouveau livre. Pour moi, c'est l'aboutissement d'une idée née il y a bientôt vingt ans, idée qui me tenait profondément à coeur, et aussi le résultat d'un chantier lancé en 1986, lorsque j'étais Maire de Paris.

Bien des exigences en forme d'ambitions ont porté ce projet.

Il fallait d'abord donner un espace digne d'elles à la très belle donation Strauss-Rothschild, faite à l'État en 1890 par la baronne Nathaniel de Rothschild et déposée au Musée du Moyen-Age de Cluny, mais aussi aux étonnantes collections réunies depuis 1948 par le Musée d'Art Juif, sous l'impulsion de survivants de l'holocauste.

Dès 1980, l'idée s'est imposée d'un grand musée qui présenterait, dans un cadre prestigieux, ces deux ensembles ainsi que les plus belles pièces provenant d'autres grands musées français et étrangers.

Ce cadre prestigieux, ce fut cet imposant Hôtel de Saint-Aignan, mis à disposition par la Ville de Paris.

Commença alors une belle aventure. Grâce à l'État et à la Ville, partenaires des institutions de la Communauté juive de France, l'Hôtel de Saint-Aignan, magnifiquement restauré sous la responsabilité de Monsieur FONQUERNIE, architecte en chef des monuments historiques, entreprit alors son réaménagement. Je voudrais féliciter les architectes Catherine BIZOUARD et François PIN qui ont accompli un travail très remarquable.

Des solutions audacieuses ont été retenues pour concilier le passé et la modernité, le lieu tel qu'il fut, dans toute sa noblesse et sa grandeur, et les techniques muséographiques les plus avancées. L'imagination, l'inspiration furent au rendez-vous. Lorsque, au cours des travaux, des trésors, éléments de décors, plafonds sculptés, fresques, furent découverts, ils furent conservés et mis en valeur. Tandis que le parti pris d'ensemble était celui de la transparence et de la lumière.

C'est un lieu impressionnant, mais en même temps vivant et convivial, qui nous accueille aujourd'hui. A côté des expositions permanentes, du Musée proprement dit, de multiples activités vont attirer le public : bibliothèques et fonds documentaires ; expositions temporaires ouvertes à l'art contemporain ; auditorium accueillant concerts et récitals de musique traditionnelle ; projections de films et conférences ; ateliers pour les jeunes.

Les jeunes, précisément, auxquels ce musée doit et veut d'abord s'adresser, pour leur raconter le Judaïsme en France et en Europe. C'est une autre exigence en forme d'ambition, la plus importante. Désormais, au coeur de Paris, dans ce vieux quartier du Marais où s'est installée depuis les temps les plus anciens la communauté juive, dans ce quartier qui vit les persécutions et les rafles, le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme témoigne des grandes heures et des heures sombres.

Les grandes et riches heures d'une communauté qui, partout où elle s'est établie, a irrigué la culture et l'esprit. Nous venons de parcourir ensemble les collections et les trésors de ce Musée. Quel raffinement et quelle force ! La force de la foi. La force de l'attachement à la mémoire, à l'identité, à l'écrit, aux traditions et aux rites. La force d'une histoire et d'un destin uniques. La force de valeurs généreuses qui fondent une civilisation. La force du Livre, l'évidence de l'écrit comme composante essentielle d'une relation au monde.

Et quelle émotion ! Quel prodigieux voyage dans l'espace et le temps, parmi des communautés jadis florissantes, heureuses, dont certaines, celles notamment d'Europe Centrale et Orientale, ont depuis tragiquement disparu.

Les grandes heures de la création. Le Judaïsme, parce qu'il oblige à la réflexion, à l'étude et à la connaissance des Textes, à la critique de celui qui se sait sous le regard de son Créateur, est une école d'exigence et de pensée. Le Judaïsme, parce qu'il offre un espoir, une consolation, une joie à celles et ceux qui se sentent loin de leur terre, de leurs racines, est une école de sagesse. Le Judaïsme, parce qu'il fait si souvent appel au rêve, aux contes et aux légendes, est une école de l'imagination et de l'art. Ici, l'on mesure combien le judaïsme a enrichi la vie culturelle des sociétés qui l'ont accueilli. Ici, chacun comprend tout ce que notre pays doit aux Juifs de France.

Les grandes heures de la Révolution et de l'émancipation. La citoyenneté enfin acquise, après des siècles d'ignorance et, si souvent, de mépris de la part des autres Français. Les grandes heures du combat pour la République dans lequel s'engagent tant de Juifs, parce qu'en vertu d'un passé douloureux, ils ont, plus que d'autres, le sens de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, de la laïcité.

Oui, les grandes heures du Judaïsme furent aussi des heures sombres. Celles, millénaires, de l'exil. Les heures vécues dans la nostalgie douloureuse de Jérusalem et dans l'espoir du retour à la Terre Promise. Les heures d'épreuves, pour une communauté qui devra trop souvent vivre et survivre dans la peur, durement exposée à la haine de l'Autre et de sa différence.

Les heures sombres des persécutions, des ghettos et des expulsions. Celles de la fuite incessante pour les communautés chassées de leurs nouveaux foyers par l'intolérance. Ce sont les Juifs d'Espagne et du Portugal qui, fuyant l'Inquisition, trouveront refuge dans les grandes villes européennes qui sont aussi des capitales de la tolérance : Londres, Amsterdam, Bordeaux et quelques autres.

Les heures sombres de l'Affaire Dreyfus qui marque un moment de la conscience du monde. C'est à cette époque que s'impose l'idée d'une nation et d'un État hébreux où chaque Juif soit chez lui, parmi les siens, dans la paix.

Les heures noires de la Shoah. Parmi les oeuvres exposées dans ce musée, il en est qui furent volées à des familles qui ne sont jamais revenues de leur long chemin de souffrance. La place de ces oeuvres était naturellement ici. Aujourd'hui, je pense aux millions d'hommes, de femmes et d'enfants, victimes dans toute l'Europe de la folie meurtrière des nazis et de leurs complices. La question de la réparation, oui ,c'est vrai, se pose désormais avec force.

" Souviens-toi que tu fus un étranger et un esclave en terre de Pharaon " dit la Torah. C'est bien cela que les fondateurs du Musée d'art et d'histoire du Judaïsme avaient au coeur. Survivants de l'Holocauste, ils ont voulu témoigner pour les familles et les communautés dévastées, et parfois éteintes. Ils ont voulu rappeler l'extraordinaire richesse, intellectuelle, spirituelle, artistique, du judaïsme, son apport inestimable aux sociétés qui l'ont accueilli. Ils ont voulu que tant de trésors, sauvés de l'anéantissement, vivent à jamais.

Avec Léon Frenkiel, André Bernheim, Léon Meiss, Monsieur Schieber a été de ces gardiens de la mémoire. Il est des nôtres aujourd'hui. Et je tiens à lui exprimer notre gratitude et notre émotion, en notre nom à tous.

Ma gratitude va aussi à Claude-Gérard Marcus qui nous accueille et qui a mis dans ce grand projet tout son coeur et toute son énergie, toute sa foi. Avec l'appui des ministres de la Culture successifs, de la Municipalité de Paris unanime et des dirigeants des instances communautaires, il a su triompher de tous les obstacles qui ne manquent jamais de naître dès que se dessine une grande ambition. Je voudrais enfin remercier Laurence Sigal, conservateur du Musée, qui a quelque peu délaissé la philosophie pure pour consacrer à la muséographie son intelligence et sa culture, une culture au service d'un sens.

Et à l'issue de cette visite, je comprends mieux son itinéraire.

Que toutes et tous soient remerciés.

*

Mesdames et Messieurs, depuis tant et tant d'années, nous rêvions d'un grand Musée du Judaïsme qui ne serait pas seulement le conservatoire du passé mais aussi le creuset d'une société fraternelle, où chacun puisse s'épanouir et vivre heureux, sans distinction d'origine, de race, de religion, de croyance.

Nous rêvions d'un lieu où s'enseignent la tolérance, le dialogue, la diversité, la grandeur et la richesse des sociétés qui reconnaissent le meilleur de chacun. Un lieu d'une telle puissance évocatrice qu'il fasse tout naturellement reculer les démons du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie. Un lieu où s'impose l'acceptation de l'Autre, où sa différence ne serait pas perçue comme une menace mais comme une chance.

Ce lieu, nous l'avons aujourd'hui avec notre Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme. Souhaitons-lui plein succès.

Je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2005-12-30 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité