Discours à l'occasion de la réouverture officielle de la Résidence des Pins.

Discours de M Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la réouverture officielle de la Résidence des Pins.

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Beyrouth, Liban, le samedi 30 mai 1998

Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Président de la Chambre des Députés,
Monsieur le Président du Conseil des Ministres,
Excellences,
Messieurs les Ministres,
Mes chers amis,
Mes chers compatriotes,

Il y a un peu plus de deux ans, je recevais ici les Français du Liban et aussi des personnalités libanaises amies de la France. Je les recevais dans ce parc magnifique, autour d'une Résidence qui était alors, en plein travaux. Aujourd'hui, c'est avec une très grande joie que je vous accueille, avec mon épouse, en présence de notre Ministre des Affaires étrangères, M. VEDRINE, dans cette Résidence des Pins qui redevient ce soir la Résidence de France.

Je remercie toutes les hautes personnalités présentes, civiles, militaires et religieuses. Je salue nos amis libanais, qui nous ont fait la joie de leur présence. Je souhaite également la bienvenue à tous mes compatriotes du Liban qui sont, je le sais, émus, comme je le suis moi-même, de se retrouver ici dans ce qui est depuis si longtemps, au Liban, la maison de la France, des Français et aussi de tous les Libanais.

Cette troisième visite en deux ans est celle de l'amitié, de la confiance, de la fidélité. Une fidélité qu'évoque avec tant de force cette Résidence des Pins qui a joué un si grand rôle dans notre longue histoire faite de passions mais aussi parfois de confrontations. Cette Résidence des Pins qui appartient à notre mémoire. Et c'est d'ici que le Général de GAULLE adressa, le 14 août 1941, un message à la France libre. Il disait : " Notre force et notre grandeur consistent uniquement dans l'intransigeance en ce qui concerne les droits de la France. Nous en avons besoin jusqu'au Rhin inclusivement ".

C'est ici qu'est né le Liban moderne. A la fin de la première guerre mondiale, lorsqu'on envisagea l'avenir de ce qui avait été l'Empire ottoman, la France se fit l'avocat d'un grand Liban uni, puissant, moderne et en paix. C'est ici que le Général GOURAUD, alors Haut Commissaire, proclama le 1er septembre 1920, devant toutes les hautes personnalités libanaises, le Liban tel qu'il est aujourd'hui.

C'est ici que naquirent l'Etat libanais et ses institutions. La Résidence des Pins se trouva d'emblée au coeur de la relation entre nos deux pays. C'est à cette époque que séjourna pour la première fois, à Beyrouth, un jeune officier français, affecté aux Forces françaises du Levant : Charles de GAULLE.

Après la période du mandat, à partir de l'indépendance, la Résidence des Pins devint celle de nos ambassadeurs, où tous les Libanais savaient qu'ils étaient chez eux et qu'ils pouvaient s'y rencontrer.

Puis, ce furent les journées noires de 1975, l'embrasement et le terrible déchirement du Liban et, pour le peuple libanais, ces longues et cruelles années d'épreuves que partagèrent aussi mes compatriotes demeurés ici pour servir la France et maintenir, coûte que coûte, le lien précieux entre nos deux pays.

Ce soir, je tiens à rendre hommage aux fonctionnaires, aux militaires français, qui ont fait, dans leur mission, pour la France, pour notre relation, pour le Liban et pour la paix de son peuple, le sacrifice de leur vie. Je salue nos ambassadeurs qui continuèrent, dans un contexte toujours plus lourd, dans les épreuves toujours plus difficiles, de faire briller la flamme de notre amitié.

Et vous le comprendrez, j'ai une pensée particulière pour notre ambassadeur, Louis DELAMARE. Je pense également au général GOUTTIERE, attaché de défense. Leurs lâches assassinats hantent évidemment nos mémoires. Je ne peux pas oublier aussi la mort tragique de Michel SEURAT, chercheur de renom, qui voua sa vie à l'amitié franco-arabe.

Et puis, il y eut ce jour de 1982, ce jour de tristesse où la violence des bombardements ne nous laissa d'autre choix que de quitter la Résidence des Pins, d'amener nos couleurs mais en nous jurant, le coeur serré, d'y revenir un jour. Ce soir, sont présents à mes côtés trois Français, un policier, un gendarme, un officier parachutiste qui était alors sergent, qui ont vécu ces heures difficiles et qui témoignent de l'engagement de leurs camarades. Nos hommes, qui servirent avec courage, et dont beaucoup furent tués ou blessés en s'efforçant de maintenir la présence de la France ici, dans cette maison devenue rapidement la cible des combats.

Le 14 juillet 1990, c'est à la Résidence des Pins que, pour la première fois depuis de longues années, les Libanais de toutes confessions et de toutes origines se retrouvèrent avec émotion, franchissant la séparation qui divisait encore Beyrouth. La Résidence des Pins rejouait son rôle au service de tous les Libanais.

Enfin, après tant d'années de luttes fratricides, la paix revint. On commença à reconstruire Beyrouth martyre. Bientôt, la France décida de relever la Résidence des Pins très gravement endommagée. Décision que je confirmai dès mon élection à la Présidence de la République française. Sa renaissance symbolise la paix et la vie retrouvées, et aussi le soutien indéfectible de la France.

Oui, la France se tient à vos côtés. Elle partage vos efforts. La reconstruction est un long chemin, difficile. Mais sur ce chemin, vous pouvez compter sur notre amitié.

J'ai confiance, j'ai une grande confiance dans l'avenir du Liban. Nous connaissons l'énergie, le talent, le goût et la volonté de réussir du peuple libanais. Et les progrès du Liban sont spectaculaires. En parcourant aujourd'hui le centre de Beyrouth, j'ai mesuré combien les choses ont changé depuis ma dernière visite. C'est une nouvelle ville qui voit le jour. Partout, de nouveaux chantiers. Partout, de nouveaux projets. Partout, la vie, les échanges, l'activité reviennent, les difficultés subsistent, mais le peuple libanais a la volonté, j'en suis sûr, et en tous les cas la capacité de les surmonter. Et j'ai pensé, en regardant tout cela, à la force pacifique des Libanais, à leur force créatrice, à leur volonté de ne plus penser qu'à l'avenir et aux promesses de l'avenir. J'ai pensé à Beyrouth, "mille fois morte, mille fois revécue", comme l'a si bien écrit Nadia TUENI.

Et j'ai pensé à notre amitié, à l'engagement de la France, notamment à son soutien pour votre reconstruction. Ensemble, nous réhabilitons un certain nombre d'infrastructures, nous vous aidons à amener l'eau qui rend la vie, nous bâtissons de grands équipements, nous participons à l'effort, et nous sommes heureux de le faire.

C'est toute la France qui s'est engagée et qui continuera de le faire, avec les moyens nouveaux de l'Agence française de développement, à travers aussi ses protocoles financiers. C'est toute la France qui veut vous aider à rebâtir ce Liban uni, ce Liban rassemblé, ce Liban réconcilié, ce Liban fort, libre, pleinement souverain, que nous aimons et que nous voulons.

C'est toute la France qui veut aider à bâtir une société donnant à chacun les mêmes chances dans la vie. Je pense en particulier à tous ceux qui ont souffert de la guerre, aux déplacés et aux plus démunis. Cette dimension sociale est une dimension essentielle de la reconstruction. Après un démarrage réussi, il faut saisir cette chance de construire une société nouvelle, juste, solidaire, meilleure. Les Libanais ont cette volonté, leurs dirigeants aussi. Je salue ce soir tous ceux qui ont créé ou qui animent tant de projets privés, et souvent bénévoles, dans les domaines de l'éducation, de la formation, de la santé.

C'est toute la France qui veut vous aider à poursuivre la reconstruction de votre Etat. Un Etat d'autant plus respecté qu'il se met au service des citoyens, de leur liberté, de leur dignité. Un Etat doté d'institutions solides, garantes de l'indépendance, de la stabilité et de la solidarité du pays. C'est pourquoi nous sommes à vos côtés pour moderniser les services publics. C'est pourquoi nous sommes à vos côtés pour consolider l'Etat de droit et renforcer, chaque fois que nécessaire, la démocratie et les libertés publiques auxquelles, nous, Libanais et Français, quelles que soient les difficultés que nous avons à surmonter selon les périodes ou les circonstances, nous sommes profondément attachés.

Là encore, je mesure le chemin parcouru depuis ma dernière visite au Liban. Des élections législatives se sont déroulées. La volonté des Libanais d'être plus étroitement associés à la vie publique s'exprime en ce moment même à l'occasion des élections municipales, les premières depuis 35 ans. Demain, des milliers d'élus locaux feront vivre et respirer la démocratie.

Je suis le Président d'un pays où, depuis plus d'un siècle, les municipalités forment le socle de la vie politique, et je sais quelles responsabilités reposeront demain, sur les épaules des nouveaux élus. Je leur souhaite beaucoup de succès dans leur mandat. Et parce que la démocratie locale est l'école du civisme et de la responsabilité, ces élections sont une chance pour le Liban, pour son avenir démocratique, pour sa jeunesse, pour l'apprentissage de l'art toujours difficile de vivre ensemble.

Le Liban redevient cette terre de tolérance, de convivialité qu'il était avant la guerre et qui est sa vocation. Une terre de paix.

La paix qui est ici le maître-mot, qui est la première préoccupation des Libanais. La paix, c'est le sens de l'histoire. C'est l'intérêt de tous. Et croyez-moi, elle finira par l'emporter.

Car sans paix, il ne peut y avoir, ni de sécurité pour personne, ni développement. Sans paix, le risque de la violence et du terrorisme demeure ou resurgit. Ce soir, le sud de votre pays et une partie de la Beqaa sont toujours occupés. Tous les jours, des combats se déroulent sur votre territoire, et des innocents meurent, malgré le Groupe de Surveillance dont la France avait proposé la création après la tragédie de Cana, en avril 1996. Malgré aussi la FINUL, et sa composante française, qui accomplit, au Liban, au nom de la communauté des nations, un travail que je tiens à souligner et auquel je rends hommage.

Nous savons bien que la condition de la paix et de la sécurité au Liban, c'est que toute la région, jusqu'au Golfe, retrouve la stabilité.

La France ne cesse de plaider pour le respect du droit, pour le respect des engagements pris, pour la justice. Le Président Hosni MOUBARAK et moi-même venons de lancer à Paris un appel à la relance du processus de paix, avec l'idée d'exploiter toutes les initiatives, d'explorer toutes les perspectives, en concertation avec l'ensemble des pays concernés, en clair, de ne laisser perdre aucune chance.

La France et l'Europe, en liaison avec les Etats-Unis, continueront d'être les militants inlassables de la paix. Il s'agit aujourd'hui d'enrayer l'enchaînement délétère des provocations, des abandons, du désespoir. Il s'agit d'entretenir la flamme allumée à Madrid ; il s'agit de tenir les engagements pris ; il s'agit de faire en sorte que cette flamme, celle de la dignité, de la paix, que j'évoquais à l'instant, ne s'éteigne pas. Nous ne nous résignons pas à la mort annoncée ou programmée du processus de paix !

Je sais la crainte de beaucoup d'entre vous qu'une paix élaborée ailleurs, décide du sort de votre pays et lui interdise de recouvrer sa pleine souveraineté. Toute paix à laquelle les Libanais n'auraient pas pleinement adhéré serait naturellement une mauvaise paix, une paix fragile. S'agissant du Liban et de la Syrie, ma conviction est que la paix ne peut être fondée que sur un accord global. Israël doit se retirer du Liban conformément à la résolution 425 et sans aucune condition. Quant à la Syrie, elle est en droit de se voir restituer le plateau du Golan. En retour, Israël, comme tous les Etats de la région, a droit à sa sécurité pleine et entière. Mais Israël doit savoir qu'il n'y aura pas, pour son peuple, de sécurité s'il n'y a pas la paix.

Le Liban a droit à sa pleine indépendance, à sa sécurité et à sa souveraineté recouvrée sur l'ensemble de son territoire.

Ici même, à Beyrouth, en 1942, au coeur de la tourmente et des efforts pour la reconquête de notre pays, la France, le Général de GAULLE saluait l'indépendance du Liban, évoquant les " nobles mais dures obligations de la liberté et de la souveraineté ". " La liberté d'une nation, disait-il, tout comme celle d'un homme, est un bien précieux mais coûteux, qui ne s'obtient et ne se garde que par une grande et continuelle dépense de courage et de sagesse. Du moins ajoutait-il, le Liban peut-il compter sur l'appui résolu de la France pour organiser et faire vivre son indépendance ". Et l'engagement du Général de GAULLE nous lie à jamais.

Et la France est disposée, si les parties concernées le lui demandent, à participer, avec d'autres, à la garantie de vos frontières. A mon sens, l'armée libanaise, comme les forces de sécurité intérieure, devront être, lorsqu'interviendra le retrait israélien dans le cadre d'une paix globale, les seuls garants de l'autorité de l'Etat sur tout votre territoire. Ce sera là un défi formidable pour votre pays. J'ai la conviction que cette nouvelle situation permettra alors aux forces syriennes, une fois la paix pleinement rétablie, la justice revenue, de se retirer.

Mais au-delà de la France, le Liban peut compter sur toute notre famille francophone. Une famille qui s'affirme comme un nouvel acteur, à part entière des relations internationales, un promoteur de la paix, de la liberté, de la libre détermination des peuples dans le monde.

La francophonie fait partie du patrimoine libanais. Elle n'a cessé d'être maintenue en dépit des épreuves. La francophonie est un atout formidable. Pour le Liban et pour la société libanaise, c'est appartenir à un espace de solidarité fort de 52 pays et rassemblant plus 500 millions de femmes et d'hommes. C'est l'opportunité, pour les Libanais, de faire rayonner davantage encore cette grande culture arabe qui est la leur. Pour la francophonie, pour ses membres, le Liban, c'est la porte d'entrée vers cette grande et belle région.

Et le Liban multiplie les projets francophones. Il y a deux ans, nous avons lancé notre projet d'une Ecole supérieure des affaires à Beyrouth. J'ai pu ce matin la visiter car, là aussi, les choses sont allées très vite. Nous relançons notre coopération universitaire et scientifique, à travers notamment notre partenariat avec plusieurs universités libanaises de grand renom. Avec aussi l'ouverture, en octobre dernier, du lycée de Nabatieh Habbouche.

Enfin, Beyrouth s'affirme comme une grande capitale francophone. En mars dernier, elle accueillait les journalistes arabes francophones, en avril, les recteurs et présidents des universités francophones. Aujourd'hui, ce sont les maires de l'AIMF, de l'Association des Maires qui partagent le français qui tiennent à Beyrouth leur assemblée générale et permettez-moi de les saluer très cordialement ici, mes anciens collègues et toujours mes amis. Et surtout, Beyrouth accueillera en 2001, grâce aux initiatives prises par le Premier ministre, le premier Sommet francophone du troisième millénaire, et notre premier sommet dans un pays arabe.

*

Mais c'est d'abord sur lui-même que compte le Liban. C'est en lui, c'est en sa jeunesse qu'il trouve les forces de l'avenir.

A cette jeunesse, je voudrais dire une nouvelle fois mon amitié et ma confiance.

Jeunes Libanais, vous qui êtes la relève, vous qui portez l'avenir, vous qui incarnez l'espoir du Liban, soyez fidèles à sa tradition de tolérance, de respect de l'autre et d'ouverture ! Faites vivre chez vous ces valeurs, cette idée de l'homme auxquelles le Liban et la France sont attachées ! Dans votre travail, autour de vous, dans votre désir de réussir, gardez toujours à l'esprit et faites vivre les idéaux de liberté, de solidarité, de justice, de fraternité, de patrie aussi, qui sont le sel de l'humanité.

Avec l'enthousiasme, avec le coeur, la solidarité de la jeunesse, avec votre soif de réussir et de gagner, avec cette belle confiance que l'on a toujours à votre âge, demandez-vous chaque jour ce que vous pouvez faire pour votre pays et pour son avenir. Participez à la construction d'un Etat moderne, garant de vos aspirations ! Engagez-vous dans la vie publique !

Et n'oubliez jamais, jeunes Libanais que la France vous aime et aimera toujours le Liban, l'un des plus beaux pays du monde. L'un des plus émouvants aussi.

Vive le Liban !

Vive la France !





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