Intervention du Président de la République devant la XXe session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies.

Intervention de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant la XXe session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies.

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New York, États Unis d'Amérique, le lundi 8 juin 1998

Monsieur le Président,

Monsieur le Secrétaire Général,

Mesdames, Messieurs,

J'attends de notre session extraordinaire qu'elle donne une impulsion nouvelle et mondiale à la lutte contre la drogue. L'évolution du fléau est alarmante. Une vraie prise de conscience est indispensable. Une offensive globale s'impose.

La drogue corrompt. La drogue tue. Nous savons tous les ravages qu'elle provoque, en particulier sur la jeunesse. Elle choisit ses premières victimes au sortir de l'enfance, parmi les adolescents les plus vulnérables. Quand elle les tient, elle les conduit sur des sentiers de mort. Elle ne les libère qu'au prix des souffrances les plus violentes, après les avoir exposées aux risques du sida ou d'autres maladies infectieuses. Elle provoque des tragédies dans les familles. Elle nourrit la délinquance, la violence et le crime. Elle génère dans tous nos pays une économie de corruption, une économie mafieuse, qui croît et qui se fortifie.

L'action internationale progresse, mais le fléau progresse plus rapidement encore. La consommation d'opiacés a augmenté de 20 % en 10 ans. Les drogues se diversifient. Le phénomène se mondialise. La drogue touche une population de plus en plus nombreuse et de plus en plus jeune.

La production augmente et s'étend à des régions nouvelles. Les laboratoires se dispersent, leur taille se réduit, leur mobilité s'accroît. Dans certaines régions du monde, les grands séismes politiques et la déstructuration des économies ont entraîné la prolifération d'unités clandestines pour la fabrication des nouvelles drogues de synthèse.

L'économie de la drogue se renforce. Dans les pays de culture, elle exploite la vulnérabilité économique des paysans. Des régions entières sont placées sous la coupe de trafiquants organisés en mafias. Les réseaux de la drogue prennent ensuite appui sur des places financières extra-territoriales et les systèmes bancaires de pays intermédiaires, suffisamment développés pour permettre le blanchiment de l'argent sale, mais pas assez réglementés et contrôlés pour l'empêcher. Dans les pays développés, l'argent de la drogue gangrène la vie économique et sociale des zones urbaines les plus sensibles.

Derrière cette corrosion de l'ordre social, il y a bien sûr une criminalité puissante, organisée au plan mondial, qui maîtrise les technologies les plus avancées et qui se moque des frontières.

Elle entretient des réseaux planétaires, des gangs et même des armées. Elle corrompt des entreprises, des gouvernements, des économies tout entières. Elle utilise ses profits colossaux - plus importants que le produit intérieur brut de toute l'Afrique, dit-on -, pour étendre les cultures illicites, lancer sur le marché de nouvelles substances chimiques, mais aussi contrôler d'autres activités criminelles ou terroristes.


Devant ce fléau d'ampleur planétaire, le temps est venu de démontrer la détermination de nos pays. Il faut qu'on sache partout dans le monde que, face à la drogue, les Nations Unies sont mobilisées.

Nous devons contre-attaquer sur tous les fronts : celui de la production de substances illicites, celui du trafic et des profits de la drogue, celui enfin de la misère humaine sur laquelle prospèrent les trafiquants. Notre stratégie doit être fondée sur des principes clairs.

Le premier, c'est la coresponsabilité. Le mal est planétaire. L'élimination de la drogue ne peut être l'affaire d'une seule catégorie de pays, qu'il s'agisse des producteurs ou des consommateurs. Nous devons réduire en même temps l'offre et la demande. Pour évaluer la situation et assurer le suivi de nos décisions, je propose que nous nous dotions d'un outil d'observation impartial et universel. Les Nations Unies sont le lieu de la légitimité internationale. C'est auprès d'elles, dans le cadre des institutions existantes, que nous devons mettre au point cet instrument nécessaire.

Le deuxième principe, c'est la solidarité. Solidarité entre nos nations d'abord, car aucun pays ne peut prétendre se libérer isolément du fléau de la drogue.

Il faut mobiliser les financements bilatéraux et multilatéraux pour aider les pays producteurs à s'engager sur la voie d'un véritable développement alternatif. Les primes à l'arrachage sont insuffisantes. Des programmes cohérents, à l'échelle de régions entières, sont nécessaires.

Mais bien sûr, cette solidarité doit s'exercer aussi à l'intérieur de nos sociétés, à l'égard des toxicomanes eux-mêmes. Beaucoup d'entre eux cherchent à sortir de l'enfer. Ils ont besoin d'entendre un langage qui ne soit pas seulement celui de la répression, mais un langage d'attention humaine. Ils ont besoin d'être accompagnés, guidés, accueillis. Ils ont besoin de trouver un chemin pour changer de vie, s'insérer, pouvoir créer de nouveaux liens affectifs et sociaux. Cette dimension de la solidarité ne doit pas être oubliée. Elle demande que les moyens nécessaires soient réunis et que de nouvelles méthodes soient développées.

Le troisième principe, c'est la fermeté. Fermeté dans l'action de la justice, de la police et de la douane, au plan national comme au plan international, dans le respect des droits de la personne. Il ne doit pas y avoir d'îlot de sécurité pour les organisations criminelles. Les efforts conduits sur chacun de nos territoires ne doivent pas être annulés par le laxisme de certains Etats. Les législations anti-drogue doivent être harmonisées partout dans le monde. Nous devons renforcer et moderniser nos dispositifs de coopération judiciaire et policière.

Fermeté aussi dans le contrôle des institutions financières et des centres "off shore", qui facilitent le blanchiment. Dans trop de pays, la réglementation reste insuffisante, et insuffisamment appliquée.

Fermeté, enfin, dans le refus de la banalisation des drogues. La question d'une plus grande tolérance à l'égard de drogues qu'on a tort de qualifier de "douces" est une question que l'on pose parfois. On va jusqu'à présenter sous un jour favorable les propriétés de tel ou tel psychotrope. Nous devons dire la vérité aux jeunes. Même quand une drogue n'induit pas par elle-même de réelle dépendance physique, elle crée le risque d'une dépendance psychique qui n'est pas moins grave. Elle altère la personnalité, elle livre l'individu à une obsession. Elle atteint la capacité de vivre, d'agir, de construire, de créer des liens avec autrui. Elle éloigne, elle isole, elle marginalise. Elle conduit aux lisières de la délinquance. Elle enferme peu à peu dans un monde de silence et de souffrance. Elle expose à des formes de dépendance de plus en plus violentes.

Face à de tels dangers, je crois à la valeur et à l'efficacité d'interdits adaptés à la gravité des situations qu'ils visent. L'Etat doit exercer sa fonction d'autorité pour les faire respecter. Et nous devons faire comprendre aux jeunes qu'en matière de drogue, transgresser l'interdit n'est pas une victoire sur la société mais une défaite sur eux-mêmes.


Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, Mesdames, Messieurs,

Cette session doit être le point de départ d'une action internationale plus globale et plus vigoureuse. La France s'engage aux côtés des Nations Unies pour donner à la lutte mondiale contre la drogue une envergure et une efficacité à la mesure des forces hostiles que nous devons combattre.

L'histoire devra retenir que c'est d'ici, à New York, qu'est partie la grande croisade des Nations contre la drogue, une croisade qui ne devra plus cesser tant que nous n'en aurons pas fini avec ce cancer qui ronge nos sociétés.

Nos peuples doivent savoir que nous irons jusqu'au bout de ce combat pour la vie et que rien ne nous arrêtera. Je vous remercie.





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