Discours du Président de la République lors de l'assemblée générale de l'Union nationale des Associations familiales.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République à l'occasion de l'assemblée générale de l'Union nationale des Associations familiales.

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Perpignan, Pyrénées-Orientales, le samedi 20 juin 1998

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Je souhaitais, vous le savez Monsieur le Président, depuis longtemps pouvoir m'exprimer sur la famille, m'adresser au mouvement familial et, à travers lui, à l'ensemble des familles de notre pays. Je vous remercie, M. le Président, de m'en avoir donné l'occasion en m'invitant à l'ouverture de vos travaux.

Le mouvement familial n'est pas une réalité exclusivement française, mais c'est dans notre pays qu'il s'est affirmé avec le plus de force et le plus de vitalité. C'est même l'une des marques de notre vie sociale et de notre culture, l'une et l'autre profondément ancrées dans les valeurs de la famille.

Ces valeurs, nous les avons héritées de nos aïeux, pères et fils rivés au travail de la terre. Mais elles demeurent plus que jamais d'actualité dans la France industrielle et urbaine de la fin de ce siècle. Malgré les épreuves et les évolutions qu'elle a subies, la famille, vous l'avez dit à juste titre Monsieur le Président, lieu d'amour, de dialogue et d'épanouissement personnel reste le principal refuge face aux difficultés de la vie. Elle témoigne chaque jour de sa vigueur. C'est vrai depuis l'aube des temps et quelles que soient les civilisations.

Près de 8 000 associations familiales, plus de 900 000 familles adhérentes, 150 000 bénévoles. Une présence active partout où les familles ont besoin d'aide. Un rôle essentiel pour venir au secours des enfants sans parents, notamment par l'exercice de la tutelle. Une action vigilante contre la maltraitance. Un engagement résolu en faveur de l'insertion des jeunes. Un partenariat incontournable avec les pouvoirs publics : vous venez encore d'en démontrer l'efficacité pour faire respecter l'universalité des prestations familiales... C'est tout cela l'UNAF, un mouvement fort, dynamique, uni par des valeurs auxquelles nos compatriotes demeurent, quoi qu'on en dise, profondément attachés. Un mouvement qui démontre que les Français croient encore à l'engagement civique. Un mouvement pluraliste, qui sait faire entendre sa diversité dans les grandes occasions, parce que personne, aucune fédération, aucune famille de pensée, aucun gouvernement bien sûr, ne peut à lui seul s'approprier la famille.

La famille, elle appartient à tous les Français. Ils ne la voient pas tous de la même façon. Ils n'en font pas tous la même expérience. A côté des joies qu'ils en attendent, ils en appréhendent différemment les difficultés, les contraintes et les déceptions. Ils en connaissent inégalement les échecs, échecs toujours douloureux, parfois bouleversants. Pourtant, bien rares sont ceux qui ne poursuivent pas ou n'ont pas poursuivi l'espérance d'une vraie famille. Une famille qui grandisse et change au rythme des événements de la vie, dans la stabilité de liens profonds et durables. Une famille traversant, toujours plus forte, les différents âges de l'existence.

Même s'il n'est pas facile d'atteindre cet idéal, beaucoup ont pu l'approcher. De toutes les aventures humaines, aucune sans doute n'est plus belle, plus personnelle, plus universelle, plus accessible aussi, que celle qui engage hommes et femmes à parier contre vents et marées sur la famille. Je ne crois pas que les moeurs contemporaines, qui révèlent de nouvelles approches et de nouvelles démarches pour construire ou pour recréer la famille, démentent cette observation. L'homme ne veut pas vivre seul ; l'individu a plus que jamais besoin de la famille.

Lieu de l'intimité et de la vie privée par excellence, la famille doit se créer, vivre et se développer librement.

Elle doit être soigneusement préservée des ingérences de l'Etat. Il n'y a pas de démocratie sans libertés familiales, liberté de vivre en couple, liberté de se marier, liberté d'avoir des enfants. Ces libertés sont des droits universels, imprescriptibles et inaliénables.

Pour autant, la famille a également besoin d'être soutenue par des lois qui lui soient favorables, des lois qui soient les mêmes pour toutes les familles. Et elle a aussi besoin d'être aidée par une politique familiale sincère et authentique, qui ne soit pas une politique en trompe-l'oeil.

La politique familiale ne saurait être "de droite", ou "de gauche". Elle doit être "familiale". Elle n'existe pas quand elle a pour effet de diminuer le revenu relatif des familles. Elle cesse d'être vraiment familiale quand elle commence à dépendre d'une redistribution entre familles. Et elle redevient familiale quand elle fait appel à la solidarité nationale.

Le critère est donc simple, il est objectif, il est sans appel. Les familles de notre pays savent bien, quand vient l'heure des comptes, impôts et prestations mis ensemble, de quel côté la balance a finalement penché. Elles savent bien si l'équité a été respectée ou non entre ceux qui ont charge d'enfants, dont dépend le renouvellement des générations et donc l'avenir de notre pays, et les autres.





Au-delà des chiffres, l'important est d'abord de percevoir et de reconnaître, dans un monde où s'estompent les repères, la fonction vitale de la famille au coeur de la société. L'important, c'est aussi de lui permettre de remplir ce rôle, en sachant bien que partout où se distend le lien familial, et toute l'histoire des civilisations le démontre, c'est le repli sur soi, la solitude et l'exclusion qui gagnent du terrain.

La collectivité n'a jamais pu et ne pourra jamais remplacer la famille auprès de l'individu, c'est la vie. Aussi perfectionné que puisse être notre système éducatif, aussi développée que soit notre protection sociale, aussi favorable à l'emploi que devienne notre économie, jamais la société n'approchera la puissance d'intégration de la famille comme lieu de formation et d'expression du lien social.

Elle a vocation à apporter à l'enfant la sécurité matérielle et affective indispensable à son épanouissement. A l'aider à grandir, à prendre confiance, à s'affirmer et à construire sa personnalité. A lui ouvrir les sentiers de la vie, à le tenir à l'écart des chemins de traverse. A lui faire faire l'apprentissage du partage, à l'initier au service et à l'écoute des autres. A l'aider à éviter ou à surmonter les épreuves. Face à la drogue ou à la délinquance, elle peut beaucoup quand d'autres n'obtiennent rien.

A condition que les parents ne se dérobent pas à l'exercice d'une autorité acceptée, qui énonce les interdits et sait les faire observer, elle est également le lieu de la transmission des valeurs, la première école de la vie en société, du civisme et de la citoyenneté.

Quand les parents n'arrivent plus à assumer leurs responsabilités vis-à-vis des enfants, quand la famille se défait, c'est, à l'épicentre de la fracture sociale, l'équilibre même de la société qui est atteint. On le voit partout où progresse la violence, l'insécurité, l'esprit de clan. La vie en bande n'est pas un palliatif à l'effacement de la famille. C'est, au contraire, la marque d'une déstructuration qui ferme les chemins de l'intégration républicaine. Le communautarisme, l'ethnocentrisme, le fanatisme religieux parfois, sont autant de symptômes de ce mal, qui doit être combattu à la racine, en aidant les adultes à tenir leur place auprès des jeunes.

Comment le feraient-ils quand le fardeau du chômage de longue durée vient s'ajouter aux autres difficultés de la vie ? Ceux qui perdent jusqu'à l'espoir de retrouver du travail et s'installent dans une existence dont l'inactivité et l'assistance sont les seuls horizons, ont du mal à exercer l'autorité dont leurs enfants ont besoin pour grandir. C'est pourquoi il est si nécessaire aujourd'hui de ne pas se tromper de priorités. Pour aider les jeunes, il faut d'abord organiser le retour des adultes vers le travail.

Alors que depuis plus d'un an, les créations d'emplois ont repris, alors que le chômage des jeunes diminue fortement grâce à la croissance économique dont ils sont les premiers bénéficiaires, les indicateurs du chômage de longue durée ont continué à se dégrader.

Il est temps qu'une action énergique se déploie, une action fondée sur une approche nouvelle des relations entre assistance et travail. Il faut qu'à la solidarité de celui qui donne corresponde désormais la responsabilité de celui qui reçoit, dans une relation qui ne doit plus être administrative mais personnelle. Il faut que la solidarité prenne enfin un visage, celui de citoyens engagés venant au secours d'autres citoyens, ce visage que vos bénévoles incarnent si souvent. Il faut qu'à l'assistance offerte par la communauté répondent les engagements pris par ceux qui sollicitent son aide ; qu'aux droits reconnus viennent correspondre des devoirs acceptés.





En préservant la famille partout où elle est menacée, on lui permettra aussi de mieux remplir sa fonction sociale.

Face aux accidents de la vie, la famille s'est affirmée comme l'acteur d'une solidarité plus engagée, plus efficace, plus puissante et plus généreuse que toute autre, parce qu'elle repose sur le plus indestructible des liens personnels. C'est la supériorité de la famille sur toutes les autres formes de solidarité, y compris les formes les plus achevées et les plus nécessaires de la solidarité collective, parce que celles-ci sont le plus souvent des solidarités anonymes, des solidarités de guichet.

Tous, nous savons bien que notre société n'aurait pu résister aux agressions de l'exclusion sans la solidité de l'institution familiale, sans l'aide apportée aux plus jeunes par leurs aînés, une aide évaluée à plus de 100 milliards de francs par an, expression vivante et personnelle de la solidarité entre les générations. Cette solidarité ne joue pas à sens unique, bien sûr, et on ne compte pas les parents qui, à l'approche de la soixantaine, continuent à aider leurs enfants adultes tout en prenant en charge la vieillesse de leurs propres parents devenus dépendants.

Telles sont aujourd'hui les réalités de l'entraide familiale, que les pouvoirs publics, année après année, ont raison de vouloir mieux prendre en compte. C'est une nécessité primordiale !





Mais la mission de la famille ne saurait se réduire à cette fonction de solidarité entre les générations. Elle ne remplira durablement son rôle que si elle assure d'abord le renouvellement des générations. Elle ne le fait plus aujourd'hui.

Pour qu'elle puisse de nouveau le faire, il faut qu'elle reprenne suffisamment confiance en elle-même et en son avenir, qu'elle soit assez optimiste pour appeler la vie, qu'elle se tourne plus résolument vers l'enfant, qu'elle soit capable de lui transmettre cette joie, cet élan, cette ambition qui lui sont indispensables pour partir à la conquête de son avenir.

Si les démographes mesurent mal l'effet de la politique familiale sur la natalité, ils s'accordent généralement à lui reconnaître un rôle important. Encore faut-il offrir à la famille un cadre stable et des conditions propres à son développement, en s'attachant notamment à promouvoir les mécanismes fiscaux et les prestations qui préservent son niveau de vie.

Il faut comprendre aussi que ce n'est pas en dissuadant les femmes de continuer leur activité professionnelle qu'on redressera la natalité, mais au contraire en leur garantissant la possibilité de continuer à exercer, si elles le souhaitent, une activité salariée, tout en bénéficiant de souplesses d'emploi du temps et de conditions de garde qui permettent aux parents de bien concilier le travail et les enfants.

Mais il faut aussi que les salaires féminins cessent d'être en moyenne inférieurs de 25 % aux salaires masculins. La France enregistre dans ce domaine un retard qui cadre mal avec la place qu'ont pris les Françaises dans la vie économique et sociale de notre pays. Plus que n'importe quelles prestations additionnelles, l'égalité des salaires est aujourd'hui l'une des conditions d'une vie familiale plus favorable à l'accueil des enfants parce que matériellement mieux assurée. C'est aussi la condition d'une pleine reconnaissance de la place des femmes dans notre société, que les réformes politiques ne suffiront pas à garantir, même si elles sont nécessaires. Mais cela ne dispense pas de préserver le libre choix des femmes qui préfèrent se consacrer à l'éducation de leurs enfants. Vous le savez, l'allocation parentale d'éducation a profité l'an dernier a plus de 500 000 familles grâce à la réforme de 1994. Ce sont des acquis que nous devons absolument conserver. Il ne faut culpabiliser ni les mères de famille qui ont ou souhaitent avoir une activité professionnelle, ni celles qui restent ou souhaitent rester au foyer.





Il n'y a pas d'aspiration plus universelle, plus forte, moins datée, que l'aspiration à fonder une famille. Il n'y a rien de moins culturel, de moins contingent ni de moins relatif à l'histoire comme aux lieux, que la volonté d'une femme et d'un homme de construire ensemble leur avenir.

Les formes de la famille diffèrent d'un continent à l'autre ; à l'intérieur même de nos sociétés la famille évolue, s'adapte. Ici, elle s'enrichit ; là, elle régresse. Beaucoup de changements, réels, profonds, sont encore trop récents à l'échelle de l'histoire de la famille pour leur prêter la valeur de normes culturelles définitivement acquises.

Le propre des moeurs est de changer ; le propre des lois est de durer, surtout quand elles touchent au coeur de la vie personnelle de la femme, de l'homme et de l'enfant. On n'est jamais trop prudent quand on aborde ces matières, qui engagent l'avenir au plus profond des rapports humains.

Tous les choix de vie sont respectables, pourvu qu'ils ne portent pas atteinte aux libertés et aux droits qui fondent notre société. La loi n'est pas faite pour condamner les moeurs ; elle n'est pas faite non plus pour les légitimer, ni pour les faire changer en imposant arbitrairement de nouveaux modèles.

Mais il n'y a pas de République sans un certain nombre de valeurs que la loi a pour mission de défendre.

Si le mariage a toujours été protégé par notre code civil, c'est parce qu'il repose sur un engagement réciproque qui vaut en principe pour toute la durée de la vie.

C'est également parce qu'il est le meilleur instrument de la protection juridique des intérêts de l'enfant, et souvent aussi de sa mère.

Et c'est enfin parce qu'il demeure le cadre le plus propice au développement de la famille que la société a le devoir de défendre.

Quand chacun préfère garder sa liberté, le contexte de la vie commune, tel qu'il a été choisi par le couple lui-même, diffère. On ne peut lui attacher les mêmes conséquences de droit que le mariage sans exiger les mêmes engagements et les mêmes responsabilités réciproques.

Et quand le don de la vie est exclu, pourquoi le législateur irait-il étendre des règles qui n'ont en réalité été posées que dans l'intérêt de l'enfant

?

Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas prendre en compte les situations humaines qui sont parfois douloureuses. Elles peuvent être traitées autrement que par imitation des règles du mariage, sans affaiblir la loi commune. Dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, il convient de n'avancer qu'avec pragmatisme et discernement, en conciliant la liberté de l'individu et les droits de sa famille.





Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Faisons confiance à la famille ! Elle ne manque pas de ressources pour s'adapter aux changements du monde, elle l'a toujours fait. On a vu diminuer le nombre des mariages, et se réduire celui des naissances ; on a vu progresser les divorces, se développer les familles mono-parentales ; quelle que soit sa forme la famille tient bon, les enfants en constituent plus que jamais l'arceau indestructible, et 85 % d'entre eux vivent aujourd'hui avec leurs deux parents sous le même toit : un chiffre qui ne doit pas être très différent des chiffres d'autrefois.

Défendez sans complexe vos convictions : elles sont, croyez-moi, partagées par le plus grand nombre. Affirmez vos valeurs : ce sont des valeurs modernes. Poursuivez votre action : elle est efficace, vous l'avez démontré ! Vous détenez ensemble l'une des clés de notre avenir : à la source de l'identité personnelle de chacun d'entre nous, il y a toujours eu et il y aura toujours la famille.

Je vous remercie.





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