Voeux aux corréziens.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République : Voeux aux Corréziens.

Imprimer

Tulle, Corrèze, le samedi 10 janvier 1998

Mes Chers Amis,

C'est une grande joie pour moi d'être parmi vous. Mes racines, celles de ma famille, plongent dans cette terre, et je me sens lié à tous ses habitants.

Une terre, pour un homme, ce sont bien ses racines. C'est aussi un attachement, c'est une culture, ce sont des convictions.

En novembre dernier, j'étais à une réception officielle au Vietnam, à Ho Chi Minh Ville, et à cette occasion on avait fait un spectacle et un acteur de talent nous chantait un poème millénaire vietnamien. Et il disait, on me l'a traduit naturellement, : " Qui ne se souvient pas de son pays natal ne pourra jamais devenir un homme ". Sagesse orientale, mais vérité humaine. C'est parce que je me souviens que je suis heureux d'être ici, avec vous, et de vous présenter, au nom de ma femme Bernadette, votre élue, devenue au fil des ans ma conscience corrézienne, et en mon nom personnel, mes meilleurs voeux de bonne et heureuse année.




1997 a été une année contrastée, avec son lot de tragédies, je pense en particulier aux massacres perpétrés en Algérie, mais aussi avec ses heures d'espérance, je songe aux accords d'Ottawa et de Kyoto. Interdire les mines anti-personnel, c'est sauver des centaines de milliers de personnes. Réduire les émissions de gaz à effet de serre, c'est naturellement travailler pour les générations à venir.

En France, une nouvelle majorité a été élue. Conformément à nos institutions, le Gouvernement issu de cette majorité applique sa politique. J'assume toutes les responsabilités qui sont les miennes. Gardien des valeurs de la République, je suis aussi le garant de l'avenir de la Nation. Je dis et je continuerai à dire aux Français ce que je crois et ce que je veux pour notre pays.

Nous vivons une période de changements forts. 1998 sera l'année de l'entrée dans l'Euro, et chacun sent bien qu'au-delà des conséquences économiques et financières de la monnaie unique, c'est un paysage différent qui se met en place, où chaque femme, chaque homme, et surtout chaque jeune, sera un peu plus européen, ce qui ne veut pas dire, un peu moins Français. Chacun sera plus assuré, c'est cela le fond des choses, de vivre sur un continent en paix et aussi un continent se donnant les moyens d'un progrès social et économique mieux partagé.

Oui, les mentalités, les politiques évoluent très vite. Les nouvelles technologies s'installent chez nous à un rythme soutenu, entraînant de nouvelles habitudes, de nouvelles relations entre les êtres, de nouveaux métiers. Tout cela suscite l'enthousiasme et parfois l'inquiétude. Il ne s'agit pas de différer des changements inéluctables. L'enjeu, c'est, au contraire, de les assumer pleinement et surtout d'en tirer profit pour tous. Pour cela, nous devons les aborder en acceptant les changements mais en tenant ferme sur les valeurs qui fondent notre identité et qui font notre force.


La première de ces valeurs, c'est l'unité de la Nation. Bien sûr, en Corrèze, pour avoir affronté côte à côte les rudesses d'une terre aussi attachante qu'exigeante, vous avez, peut-être plus que d'autres, le sentiment d'appartenir à une même collectivité. Ce sentiment, les Français doivent le vivre et les jeunes Français doivent l'apprendre. L'école de la République a un rôle essentiel à jouer comme lieu d'apprentissage du civisme et de la citoyenneté.

Pour ceux qui, en situation régulière, vivent en France et pour leurs enfants nés dans notre pays, qui ont vocation à être Français, nous devons réinventer les voies d'une intégration, qui se fait de plus en plus mal alors qu'elle est l'un des fondements même de notre République.

Cela suppose d'abord que nous ne transigions pas sur nos principes. Nous avons une certaine conception de la dignité de la personne humaine, des droits des hommes et des femmes, mais aussi de la laïcité. Cette conception s'impose à tous ceux qui vivent en France, et qui doivent en accepter les lois et les moeurs. Je l'ai dit : notre pays ne sera jamais l'addition de communautés juxtaposées. Le communautarisme et ses dérives sont le contraire de l'union et du sentiment d'appartenance à une même nation, sentiment qui est la clef de voûte de notre conception commune de la République.

La famille est naturellement au coeur de ce sentiment d'appartenance, parce que c'est là que se font les apprentissages majeurs : transmission des principes essentiels et art de vivre ensemble. Nous savons qu'il n'y a rien de plus solide, de plus rassurant pour faire face aux aléas de la vie. La famille, c'est une solidarité naturelle, plus nécessaire que jamais. La France doit s'appuyer sur ses familles, les aider, les encourager. Tout ce qui est fait pour la famille est fait pour le pays. Notre démographie en dépend, c'est-à-dire notre avenir.

Le propre de la vie en collectivité, c'est la communication et le dialogue. Je souhaite que les Français se connaissent et se comprennent davantage.

Une société moderne n'a pas vocation à être divisée en groupes antagonistes, s'ignorant les uns les autres. Elle a vocation, au contraire, à organiser le dialogue, et notamment le dialogue social, afin d'anticiper les changements nécessaires. Nous ne le faisons pas assez. La société française, même si elle ne cesse d'évoluer en profondeur, parfois d'ailleurs à son insu, connaît toujours des à-coups, des crises, faute de savoir identifier les problèmes, déceler les attentes, dénouer les blocages, analyser avec clairvoyance de quelle manière elle doit se transformer. Et cela, c'est notamment le rôle des partenaires sociaux dont je souhaite qu'ils soient à la fois plus forts et plus responsables.

En ce début d'année, chacun doit porter un regard lucide sur nos pratiques sociales, sur les résultats obtenus. Chacun doit se demander tout simplement ce qui est bon et utile pour les Français, pour notre pays. Il est temps que le dialogue social, souvent vanté mais insuffisamment mis en oeuvre, trouve vraiment droit de cité en France. Il est temps que le contrat soit préféré au décret, le bon accord à la loi, la confiance et le dialogue aux décisions générales. C'est cela le chemin du progrès.

Le sens de la responsabilité est une autre valeur importante. En Corrèze, je le sais depuis longtemps, chacun a conscience de ses droits mais aussi de ses devoirs, et sans doute davantage de ses devoirs que de ses droits. Chacun sait où s'arrête la défense légitime de ses intérêts, et où commence le préjudice que l'on cause à autrui. Mais cette morale, élémentaire, est de moins en moins partagée. Chaque jour, la violence sous toutes ses formes fait la une de l'actualité, violence dans les écoles, dans les rues, dans les quartiers. Pour nombre de nos compatriotes, l'insécurité est devenue une obsession quotidienne.

Parce que la sécurité est la première des libertés, celle d'aller et de venir à sa guise, de conserver ce que l'on a durement gagné, l'ordre doit être assuré. J'appelle chacun à prendre ses responsabilités, les jeunes, les familles, les pouvoirs publics. Notre société doit garder ses références, références à la loi et au droit, qui seules peuvent fonder la sécurité et la liberté.

Le sens de la responsabilité doit aller de pair avec le sens du travail et de l'effort.

Au fil des siècles, le temps de travail est allé diminuant, et avoir du temps pour soi est une aspiration tout à fait naturelle. Il est normal, et conforme au cours des choses, que la réduction du temps de travail fasse partie des discussions sur l'organisation du travail. Mais, je dirai, sous réserve d'une condition et aussi d'une question.

La condition, c'est le dialogue, seul moteur d'une démocratie moderne et dynamique. Comment imaginer, aujourd'hui, que ce qui concerne la vie des entreprises ne soit pas discuté et négocié entre partenaires sociaux, au sein de l'entreprise, jusqu'à ce que chacun y trouve son avantage ? Qui ne voit le danger, dans ce domaine, de méthodes qui imposeraient des solutions uniformes sans tenir compte des différences dans un monde de plus en plus concurrentiel ?

La question est celle-ci. La France peut-elle être le pays où l'on entre, parmi les grands pays industrialisés, le plus tard sur le marché du travail, où l'on en sort le plus tôt, où l'on travaille le moins, alors que la durée de la vie ne cesse de s'allonger ? A cette interrogation de fond, le simple bon sens apporte sa réponse.

Les Français le savent bien, qui, dans leur immense majorité, ne croient pas que réduire le temps de travail qui est par ailleurs une évolution naturelle et légitime, réduira le chômage. Notre problème, aujourd'hui, c'est de créer du travail par plus de croissance et plus d'activité. C'est facile à concevoir, plus difficile à mettre en oeuvre, mais c'est là que réside le fond des choses.

Créer les conditions de l'activité et du développement, tel est donc pour nous l'enjeu. Combien êtes-vous, en Corrèze, paysans, commerçants, artisans, patrons et salariés de petites et moyennes entreprises, qui vous battez chaque jour pour satisfaire les clients, aller au devant de la demande, innover, inventer des produits compétitifs et de qualité ? Combien êtes-vous à mener le combat de la croissance et de l'emploi ? Beaucoup.

Les obstacles que vous devez affronter sont connus. Les remèdes le sont aussi , même s'ils sont parfois difficiles à mettre en oeuvre : baisser les charges, diminuer les impôts, introduire davantage de souplesse dans l'organisation du travail.

Cela suppose qu'un meilleur équilibre soit trouvé dans notre pays entre le secteur public et le secteur privé. Nous avons naturellement besoin d'emplois publics. La santé, l'éducation, la justice, la police, pour ne prendre que quelques exemples, nécessitent des fonctionnaires en nombre suffisant, compétents, dévoués. Mais est-il raisonnable que nous soyons le pays où l'emploi public a le plus progressé au cours des vingt dernières années, alors que les créations d'emplois dans le secteur privé étaient les moins nombreuses ? Pouvons-nous avoir 25 % de notre population active dans le secteur public, contre 15 % en Allemagne ou en Angleterre ? Qui ne voit que la masse considérable des dépenses de l'Etat et des collectivités locales pèse directement sur le développement de l'activité, et donc de l'emploi, à force de taxes et d'impôts ? Il y a là un cercle vicieux qui doit être brisé.

C'est une question de volonté politique. Examiner chaque dépense. Veiller à ce que chaque franc d'argent public dépensé soit utile à la collectivité. Poursuivre résolument la réforme d'un Etat aujourd'hui menacé d'impuissance à force de gigantisme. Autant d'exigences qui ne peuvent plus être éludées. C'est ainsi que nous pourrons alléger le fardeau de ceux qui entreprennent, qui créent, qui se battent sur les marchés et qui donnent l'emploi. C'est ainsi et seulement ainsi que nous marquerons des points contre le chômage.

Il n'y a pas d'exception française qui nous dispenserait des efforts que consentent les autres, des règles qui s'imposent aux autres. Mais je crois à une ambition française que nous pouvons tous collectivement porter. Elle consiste à libérer toute l'énergie, toute la force créatrice, tout le dynamisme que notre peuple peut donner, que nos jeunes peuvent exprimer, afin que la France, allante et prospère, ne laisse personne au bord du chemin. Le progrès et la richesse doivent être fraternellement partagés. Mais donnons-nous d'abord les moyens de créer la richesse et le progrès. Pour cela, faisons davantage confiance aux français.


Voilà, mes Chers compatriotes, ce que je voulais vous dire en ce début d'année, et qui est fondé sur la profonde confiance que m'inspirent notre peuple et notre pays. Je vous le dis : nous avons toutes les raisons d'être fiers de notre passé. Il ne tient qu'à nous d'être assurés de notre avenir, un avenir qui s'imagine et se construit aujourd'hui. Chers compatriotes, à chacune et à chacun d'entre vous, au nom de ma femme et en mon nom, je souhaite très amicalement et très chaleureusement une bonne et heureuse année, des voeux que j'adresse également au CA Brive-Corrèze pour qu'il soit à nouveau champion d'Europe le 31 janvier.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2005-01-24 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité