Discours du Président de la République à l'occasion du bicentenaire de la réunion de Mulhouse à la République française.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du bicentenaire de la réunion de Mulhouse à la République française.

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Mulhouse, le jeudi 29 janvier 1998

Monsieur le Député-Maire,

Messieurs les Parlementaires,

Mesdames, Messieurs les Elus,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis de Mulhouse,

"Qu’il vive éternellement dans notre souvenir cet heureux passage de votre République dans les bras de la France."

C’est sur ces mots forts et émouvants que Jean-Ulrich Metzger, chargé, au nom du Directoire, de la négociation du traité de réunion, saluait le 29 janvier 1798 la décision des Mulhousiens de rejoindre la République Française.

Aujourd’hui, fidèles à cette invitation, nous commémorons ensemble, sur cette place de la Réunion qui en fut le théâtre, le bicentenaire d’un événement majeur pour l’histoire de la ville de Mulhouse, comme l’a fort bien rappelé à l’instant le Maire de cette belle cité, et aussi pour la France.

Majeur parce qu’il parachève, démocratiquement, le rattachement de l’Alsace à la France, entamé au XVIIème siècle dans le fracas des armes.

Majeur parce qu’il préfigure l’importance qu’allait prendre votre région dans notre imaginaire collectif. Car l’Alsace, bien que située aux confins de ce que l’on n’appelait pas encore l’hexagone, allait conquérir la première place dans le coeur de nos compatriotes. Elle allait devenir la plus française de toutes les régions françaises parce que la plus espérée et toujours la plus attendue.

Majeur parce que la démarche des Mulhousiens a, plus que jamais, valeur d’exemple. Elle nous rappelle que l’appartenance à la nation française ce n’est pas seulement un héritage de l’histoire. C’est avant tout un acte du coeur et de la volonté. Un choix librement consenti. L’adhésion aux valeurs de la République qu’évoquait tout à l’heure Monsieur le Maire.

Ce sont ces valeurs qui ont inspiré les habitants de Mulhouse en 1798. Elles n’ont rien perdu de leur force. Ce sont elles qui fondent, aujourd’hui encore, le pacte qui nous unit. Ce sont elles qui donnent à la France son visage, sa culture, son identité.


La réunion de Mulhouse à la France ne s’est pas faite en un jour. Les négociations, entamées dès les premiers mois de la Révolution, furent longues et elles furent parfois difficiles.

Certes, il y eut des réticences à l’intégration d’une commune florissante et dynamique. En outre certaines grandes familles mulhousiennes, tournées par tradition vers la Suisse toute proche, hésitaient à rejoindre la nation française.

Pourtant, en 1798, tout va très vite. Le 4 janvier, les autorités de la ville se prononcent à une très large majorité en faveur du rattachement à la France. Le 28 janvier, c’est l’ensemble des bourgeois de la cité qui approuve ce choix. Le traité de réunion, négocié par trois hommes décidés, Nicolas Thierry, Jean-François Reubell et Jean-Ulrich Metzger, est ratifié le 1er mars 1798.

Pourquoi les Mulhousiens renoncent-ils ainsi à une indépendance parfois tumultueuse, chèrement acquise et si souvent défendue ? Une indépendance qui a permis à " la cité du BOLLWERK " de traverser sans heurts les nombreux conflits qui ont secoué la plaine du Rhin au cours des siècles et de jeter les bases d’un essor industriel prometteur ?

Ne nous y trompons pas : il entre dans le choix fait par les habitants de Mulhouse une part d’intérêts bien compris. Depuis 1792, la ville est soumise à un blocus douanier qui compromet son développement économique. Le rattachement à la France permet de sortir de cette impasse. Il favorise la prospérité de la ville qui va confirmer au siècle suivant sa vocation de centre industriel majeur.

Mais ce serait méconnaître la portée réelle de l'événement que d’expliquer la réunion de Mulhouse à la République par de seules considérations d’ordre commercial.

Les raisons sont, avant tout, d’ordre politique et philosophique.

Fidèle à sa tradition d’ouverture et de progrès, Mulhouse n’est pas restée indifférente à l’effervescence qui agite notre pays en cette fin de siècle. Là comme ailleurs, les idées nouvelles gagnent les esprits. Des sociétés révolutionnaires se créent. Les habitants, et notamment les plus jeunes d’entre eux, sont séduits par l’idéal de liberté, d’égalité et de fraternité que porte notre République française.

La réunion de Mulhouse à la France, c’est d’abord un acte de foi politique et humaniste. Cet acte de foi et d’adhésion s’accomplit sans que Mulhouse renonce en rien à son originalité et à sa liberté. Bien au contraire, les Mulhousiens se donnent, pour reprendre les termes de Jean-Ulrich Metzger, "une liberté plus étendue" au sein de la nation française.

Une telle démarche témoigne de façon exemplaire de la manière dont s’est constitué notre pays au fil des siècles.

Votre ville a su prendre toute sa place au sein de la France, sans pour autant renier sa personnalité. Sans pour autant renoncer à sa tradition d’échange et d’ouverture.

La Nation est l’une des formes essentielles de notre identité, mais c’est une réalité évolutive. Aujourd'hui, elle repose certes sur notre rapport à l’Etat mais aussi sur une communauté de valeurs partagées. C'est pour cela que l'idée de Nation, à l'heure de l'Europe, reste une idée résolument moderne. On peut à la fois être membre à part entière d'une communauté et s'insérer dans un ensemble plus vaste. On peut être ouvert sur le monde sans mettre en péril sa propre identité.


Parce que la réunion de Mulhouse à la France, c’est d'abord une adhésion aux valeurs de la République, le bicentenaire que nous célébrons nous invite à prendre conscience de la modernité de ces valeurs. Certains leur trouvent un parfum suranné. J’ai, au contraire, la conviction que l’héritage de 1789 demeure, plus que jamais, au coeur de notre pacte républicain.

Parmi les principes qui ont inspiré la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et qui figurent en tête de notre Constitution, trois me semblent aujourd’hui particulièrement essentiels : l’unité, l’égalité et la fraternité.

L’unité, tout d’abord. La France est une république indivisible. Ce principe conserve en cette fin de siècle toute sa force.

Bien sûr, notre pays est fort de ses diversités. Ainsi l’Alsace a su conserver vivants sa langue, ses usages, ses règles, sa culture, tout ce qui lui confère sa personnalité si attachante. L’identité nationale ne se nourrit pas de l’identique. Elle naît de la variété des expériences et des tempéraments. Elle résulte de différences comprises et acceptées.

Mais l'acceptation des différences n’est pas la désagrégation de la cohésion sociale. La France n’est pas, et ne sera jamais une mosaïque de communautés juxtaposées, le champ clos de groupes qui s’ignorent ou qui s’affrontent. Notre pays est un. Le communautarisme n’y a pas sa place.

Notre tradition juridique fait de l’individu, et non de la collectivité à laquelle il s’identifie, un sujet de droit. Il s’agit là pour chaque citoyen d’une garantie de liberté et de tolérance. C’est pour cela que l’unité de la Nation et ses corollaires, la laïcité, l’impartialité de l’Etat, sont des principes fondamentaux.

Notre pays s’est toujours efforcé au fil des siècles d’intégrer plutôt que de séparer. De créer des liens plutôt que de dresser des barrières. Cette volonté d’intégration a permis de faire de la France une nation unie, au-delà de la diversité des habitants qui la composent.

Nous avons aujourd’hui le sentiment que les voies de l'intégration, qui ont si bien fonctionné par le passé, donnent des signes de faiblesse. Les raisons en sont multiples ; elles tiennent aux difficultés économiques et sociales, aux ravages du chômage et de la précarité, à une immigration mal maîtrisée et qui a changé de nature, à l’apparition de phénomènes nouveaux comme l’intégrisme, et plus largement aux évolutions du monde.

C’est vrai : les choses sont moins faciles aujourd’hui que durant les trente glorieuses. Pour autant, nous ne devons pas baisser les bras, nous ne devons pas accepter que soit remis en cause, insidieusement, l’un des fondements de notre pacte social.

L’intégration reste une priorité. Il faut donner à toutes celles et tous ceux qui, en situation régulière, ont vocation à devenir Français, parce qu’ils sont nés sur notre territoire ou parce qu’ils y demeurent depuis longtemps, les moyens de trouver leur place dans la communauté nationale. Plus généralement nous devons aider tous nos enfants à s’approprier les valeurs et les principes qui forment la clef de voûte de notre système politique et social.

Au-delà de l’actualité, il est urgent de redéfinir ensemble les voies d’une intégration réussie.

Mais la cohésion, l’unité nationale, c’est aussi la paix publique et l’ordre républicain.

La Déclaration de 1789 inscrit la sûreté au nombre des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. La Nation ne peut être une que si elle est en paix avec elle-même.

La sécurité est la première des libertés. C’est elle qui permet l’exercice de toutes les autres. Celle d’aller et de venir à sa guise. Celle de conserver ce que l’on a acquis, parfois difficilement.

Si l’ordre public n’est pas garanti partout, c’est la peur, c’est le doute qui s’installent dans les esprits. C’est la démocratie qui est en péril. Il faut que la loi et le droit soient respectés sur l’ensemble de notre territoire.


Le deuxième des principes que nous ont transmis les hommes de 1789, c’est l’égalité. Et nous n’avons cessé de nous battre pour une conception toujours plus moderne de l’égalité, aujourd’hui l’égalité des chances.

La force de l’idéal républicain est là, dans la conviction que chaque citoyen doit pouvoir, à condition de le vouloir, être l’acteur de sa propre vie. Agir plutôt que subir.

Il s’agit de donner à chaque enfant un ensemble de connaissances de base, un bagage pour la vie qui lui permettra d’en affronter les aléas. Il s’agit d’assurer à chacun une véritable formation. Il s’agit de récompenser à leur juste valeur le mérite et l’effort.

Depuis plus d’un siècle, l’école est le lieu des apprentissages fondamentaux. Et elle doit le rester. Apprentissage du savoir, bien sûr, mais aussi du civisme, de la citoyenneté et des règles de la vie en commun.

C’est l’école qui pose des jalons, qui indique les repères, qui fixe les limites, sans lesquelles il n’est pas de vie en société possible.

C'est l'école qui a la mission éminente de préparer nos enfants à leur avenir, de les ouvrir sur le monde tel qu'il est et tel qu'il devient, de les initier aux nouveaux savoirs, aux nouvelles technologies.

Parce que l’école est en première ligne, parce que les missions qui lui sont imparties sont aussi ambitieuses que difficiles, il faut lui donner les moyens d’agir et de faire face, les moyens d'évoluer et de s'adapter dans ses rythmes comme dans ses pratiques pour devenir l'école du XXIème siècle.


La troisième des valeurs qui fondent le pacte social dans notre pays, c'est la fraternité. La fraternité, c'est-à-dire la solidarité.

Il ne s’agit pas là d’un vain mot dans une région dotée avant l’heure - les vicissitudes de l’histoire n’y sont pas étrangères - d’un système de protection sociale efficace.

Il y a dans notre pays une véritable souffrance sociale. Son aggravation est liée, bien sûr, au chômage de longue durée, qui n’a cessé de s’étendre. Malgré l’instauration du revenu minimum d’insertion, notre système de protection sociale s’est trouvé largement démuni devant cette réalité nouvelle. Il ne s’agit plus seulement aujourd’hui d’indemniser le chômage, d’assurer un revenu aux travailleurs âgés, de garantir l’accès de tous aux soins, de compléter les ressources des familles ou de faciliter leur logement. Il faut désormais apprendre à retisser le lien social en ramenant vers l’emploi des hommes et des femmes dans la force de l’âge, souvent chargés de famille, qui perdent progressivement estime de soi, espoir et confiance.

La solidarité que nous leur devons est une solidarité digne et respectueuse.

Ces femmes et ces hommes que les mutations de l’économie ont parfois rejetés aux confins extrêmes de notre société, ce n’est pas seulement une assistance financière qu’ils réclament même si elle est nécessaire. Ce qu’ils veulent vraiment, au plus profond d’eux-mêmes, c’est réintégrer cette France active, dynamique, dont la santé économique s’est affirmée au cours des années récentes, qui a recommencé depuis 1994 à créer des emplois, et qui les laisse, hélas, sur le bas côté de la route. Ce qu’ils veulent, c’est participer eux aussi à la création des richesses, être de nouveau reconnus pour leur contribution à la vie de notre société. Ils y ont toute leur place pourvu qu’on sache leur tendre la main, qu’on accompagne pas à pas leur retour vers l’emploi et qu’on explore tous les chemins de la réinsertion professionnelle.

L’emploi reste le meilleur gage d’intégration. Il constitue le remède le plus sûr au délitement des liens sociaux. Il constitue, en définitive, la vraie, la seule réponse au défi de l’exclusion.


Monsieur le Maire,

Mesdames, Messieurs,

Mes chers Amis,

Il y a de cela deux siècles, Mulhouse préférait l’union à l’isolement. Elle préférait les promesses de l’avenir aux certitudes rassurantes du passé.

C’est en réalité le même choix qui s’offre aujourd’hui à la France. Forts de notre histoire et de notre identité, faisons, une fois encore, les choix de l’avenir. Le choix de l’initiative, de l’audace créatrice, de l’esprit de conquête. Le choix de la confiance, de l’intégration, de la cohésion nationale. Le choix de l’Europe, de la France dans l’Europe, c’est-à-dire le choix du progrès et de la paix.

Mais cela suppose avant tout que, rassemblés autour des valeurs de la République, nous retrouvions son inspiration, son souffle profond et surtout, mes chers Amis, son exigence morale.

Vive Mulhouse,

Vive la République,

Vive la France.





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