Discours du Président de la République à la mairie de Mantes-la-Jolie.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République : Mairie de Mantes-la-Jolie.

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Mantes-la-Jolie, Yvelines, le jeudi 15 janvier 1998

Monsieur le Maire,

Monsieur le Président du Conseil Général,

Monsieur le Préfet,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs les Elus,

Mesdames, Messieurs,

Je tiens tout d'abord à vous dire combien je suis sensible à votre accueil. Je suis heureux de me trouver à Mantes-la-Jolie, ville pétrie d'histoire, comme vous l’a rappelé tout à l’heure Pierre BEDIER, ville fière de son passé, mais aussi, c’est vrai, confrontée, et parfois violemment confrontée, aux défis du présent.

Avant-hier, vous êtes venus me voir, Monsieur le Maire, avec onze de vos collègues de toutes sensibilités politiques, pour que nous réfléchissions et que nous avancions ensemble sur la question de plus en plus cruciale de la sécurité et je me suis réjoui de l’esprit positif dans lequel nous avons travaillé.

Vous avez, Monsieur le Maire, à l’instant même poussé un cri du coeur : "Ras le bol de ce sentiment d'impuissance", avez-vous dit. C'est vrai, la sécurité des personnes et des biens est actuellement, avec le chômage, la première préoccupation de nos concitoyens. Je voudrais vous dire ce que je pense de ce sujet.


Un sentiment d'insécurité pèse sur la société française, sur bien d’autres aussi. Il trouve d'abord sa source dans une inquiétude, un désarroi. Inquiétude face à l'emploi naturellement. Inquiétude face à un monde qui change de plus en plus vite. Inquiétude face à la vie moderne, à ses réalités économiques, à la mondialisation. Inquiétude face aux avancées scientifiques parfois lourdes d'interrogations et de menaces.

Mais au-delà de cette inquiétude diffuse qui s'insinue dans les esprits chaque fois que la société est dans une phase d'évolution rapide qu'elle a le sentiment de ne pas maîtriser, ce qui angoisse les Français, à l'heure actuelle, c'est évidemment la violence. Une insécurité bien concrète née de la violence. Une violence au quotidien, dans les écoles, dans les transports, dans les quartiers. Une violence qui, au-delà des personnes et des biens, met en péril le lien social.

Les causes de cette violence sont multiples. Certaines sont anciennes. Je ne citerai que l'urbanisme, je pèse le mot, irresponsable des années 60, qui a commis la faute majeure de séparer artificiellement les différents lieux de vie et les différentes fonctions de la cité, comme si l'on ne devait pas habiter, travailler, se rencontrer et se distraire au même endroit. Ce fut l'origine des cités-dortoirs devenues parfois de véritables cités-ghettos.

Mais il y a des causes plus récentes. Certaines sont évidentes. D’abord, et c'est sans doute la plus grave, le développement du chômage de longue durée, vécu, dans une même famille, par plusieurs générations. C'est un drame, un véritable drame, parce qu'au-delà d'un certain temps, chacun sait que le chômage change de nature et conduit à l'exclusion avec tout ce que cela comporte de conséquences matérielles et psychologiques. Mais c'est aussi un drame parce qu'un enfant qui aura toujours vu ses parents au chômage vivra dans un monde où l'exemple disparaît, où l'autorité se dilue, où les contraintes s'estompent, laissant place à une autre logique, à une autre culture.

Ensuite, l'explosion du trafic de drogue, source principale d'une véritable économie mafieuse. C'est un fait majeur. Quand on peut gagner, en quelques minutes, en trafiquant, ce que d'autres mettent un mois ou plus à gagner en travaillant, c'est un autre type de société, une société de délinquance, qui s’installe.

Egalement les difficultés que connaît l’intégration. La France, et nous en sommes fiers, a, depuis toujours, un idéal d'intégration. C’est une des valeurs fortes de la République. Un idéal qui fait sa force et qui fait sa richesse. Aujourd'hui cette intégration, c'est peu de le dire, connaît des "ratés". Elle est parfois remise en cause dans son principe même. C'est l'une des raisons des violences. C'est la source de dérives communautaristes, qu'elles soient ethniques ou religieuses, que l'on peut observer ici ou là : une autre loi, un autre ordre sont revendiqués.

Je viens de citer certaines causes. Il y en a, bien sûr, beaucoup d’autres, plus difficiles à cerner, d’ordre culturel, psychologique, sociologique et que nous devons essayer d’identifier et de comprendre toujours mieux.

Mais le résultat de tout cela, c'est un phénomène très grave que vous connaissez bien et que vous vivez chaque jour : une perte de sens, de repères, de valeurs, qui explique sans doute les formes nouvelles que prend la violence, les incivilités de toutes sortes qui se développent, violences commises par des jeunes de plus en jeunes, violences qui prennent pour cibles des services jusque là intouchables, comme les pompiers ou les secours d'urgence.

L'on voit bien qui sont les principales victimes de l'insécurité. Ce sont évidemment les plus exposés, les plus faibles d'entre nous. L'insécurité crée de nouvelles inégalités, selon le quartier où l'on habite, selon l'école que l'on fréquente, selon les transports que l'on prend.

L'on voit bien ce qui est en cause avec l'insécurité. Ce n'est rien d'autre que la sauvegarde de certaines libertés essentielles, liberté d'aller et venir à sa guise, liberté de conserver ce que l'on a durement gagné. Ce n'est rien d'autre que la cohésion nationale et le Pacte républicain.

Quel paradoxe que cette société traversée de courants contradictoires, crispation et éclatement mêlés, alors que le monde s’ouvre et que les barrières s’estompent comme jamais !


Face à l'insécurité, à la violence, dangers auxquels sont confrontées toutes nos sociétés modernes, la réponse doit être globale. Il faut à la fois s'attaquer aux racines du mal et combattre ses manifestations. Et, me semble-t-il, trois impératifs en tout cas s'imposent à nous.

Le premier, c'est bien sûr la création d'emplois et de richesses. Le chômage est à la source de tout car le facteur essentiel de l’intégration d’un jeune dans la société, c’est le fait d’avoir un travail. L’emploi, c’est une évidence, est le remède le plus sûr au délitement des liens sociaux, aux maux dont souffrent nos cités. Quel meilleur vecteur d’insertion que le bulletin de paye ?

C’est pourquoi nous devons d’abord attirer l'activité ou la réintroduire dans les quartiers difficiles. Loin de laisser s'installer une culture d’assistance, nous devons y développer l’esprit d’entreprise.

Les emplois de proximité, en permettant à des jeunes issus de ces quartiers de répondre à des besoins collectifs non satisfaits, notamment dans le domaine social ou dans celui de la sécurité, ont leur place dans cette politique. Mais l’emploi privé y a aussi toute sa place, comme le montre, notamment, l’expérience des zones franches. Cette idée a été mise en oeuvre ici, à Mantes, au Val Fourré. Eh bien, le bilan est tout à fait positif puisque, vous l’avez rappelé, Monsieur le Maire, 37 entreprises se sont implantées dans la zone franche, ce qui a permis la création de quelque 200 emplois. Et sur le plan national, le bilan de la quarantaine de zones franches urbaines qui ont été créées est également positif puisqu’elles ont permis à plus de 2 000 entreprises de créer plus de 6 000 emplois. La clause d’embauche des habitants du quartier fonctionne bien. Mieux : plusieurs centaines d’entre eux ont pu créer leur propre emploi en ouvrant, qui un commerce, qui une petite activité artisanale ou de service. Cela montre l’intérêt des dispositifs ciblés sur ceux qui en ont le plus besoin. Cela montre que l'on peut réintroduire l'emploi et l'activité si l'on s'en donne les moyens.

Deuxième impératif : développer une culture de responsabilité. L'autorité ne peut se fonder exclusivement sur la loi et le décret. Nous avons trop tendance, dans notre pays, à croire qu'il suffit de modifier un texte, une loi ou un règlement pour résoudre un problème, alors que les solutions sont pour une bonne part dans les mains des citoyens eux-mêmes.

Ce que nous devons faire comprendre ou apprendre aux plus jeunes, c'est que chacun est responsable, non seulement de lui-même, mais aussi de l'harmonie et du bon fonctionnement de notre société. C'est pourquoi, j'appelle chacun à prendre ses responsabilités.

Les jeunes d'abord, ceux qui risquent de se laisser enfermer dans la spirale de la violence. L'avenir leur est ouvert, pour peu qu’ils saisissent la formidable chance que l’école est pour eux, au lieu parfois de l'ignorer. Nous connaissons tous des jeunes, nombreux, qui ont fait leur chemin dans la vie, témoignant qu’il n’y a pas de fatalité, et cela malgré des familles éclatées, des difficultés multiples, une vie quotidienne chahutée de toutes les manières. Je souhaite qu'on voie davantage tous ces jeunes, qu'on les entende, qu'on les écoute, car c'est l'exemple qui emporte la conviction. Ils montrent que rien n'est joué, pour peu que l’on ne sorte pas volontairement du jeu.

Les familles, ensuite, qui doivent assumer leur rôle éducatif. Ainsi, quand les familles participent à la vie des écoles, se rendent, par exemple, aux réunions organisées en début d'année, afin d'expliquer le règlement de l'école et son projet éducatif, alors la violence régresse, parce que chacun, élèves et parents, se sent un peu impliqué. En revanche, quand les familles ne répondent plus, ceci parfois, hélas, à force de détresse et d'exclusion, et qu’elles sont insuffisamment aidées, alors les institutions sont démunies. Je veux donc dire à tous les parents qu'ils ont un rôle très important à jouer, quelle que soit leur situation personnelle. Il leur appartient d'inculquer à leurs enfants les règles de base de la vie en société, le respect de l'autre et le respect de la règle, de la loi. Le regard que leurs enfants portent sur leur avenir dépend pour une large part de ce qu'ils vivent et de ce qu'ils entendent dans leur foyer. Il faut reconstruire l’autorité et la responsabilité parentales. Dans cette tâche essentielle, les familles doivent être aidées, notamment les plus éprouvées, elles doivent être accompagnées, notamment celles qui sont confrontées au plus grand nombre de problèmes, et elles doivent être incitées chaque fois que cela est nécessaire.

L'école. Plus que jamais, l’école est un lieu d’apprentissage, de tous les apprentissages. Celui des savoirs, bien sûr. La première mission de l'école, c'est d'assurer l'égalité des chances. Il faut lui en donner les moyens et c'est tout l'objectif des Zones d'Education Prioritaire, dont vous avez été, ici à Mantes, les pionniers.

Mais apprentissage aussi du vivre ensemble. L'école n'a pas vocation à se substituer aux familles et aux travailleurs sociaux -si essentiels et hélas encore trop peu nombreux-, mais elle a vocation à enseigner les principes élémentaires de la morale, les règles de la citoyenneté avec l'instruction civique, les valeurs essentielles de la République, parmi lesquelles la dignité des femmes et des hommes, la laïcité, la solidarité.

Les associations participent également de cet apprentissage de la responsabilité et de cette mise en oeuvre de la solidarité. Les clubs sportifs, les clubs de prévention, les ateliers de toutes sortes, les mouvements de jeunesse, innombrables sont les initiatives qui tissent le lien social, en rassemblant les habitants, et se révèlent souvent la voie la plus efficace d'une intégration réussie.

J'en appelle aussi aux élus, parce que les maires, vous le savez ici mieux que personne, sont au plus près de la population, au plus près de ses attentes et de ses besoins. Grands témoins des difficultés de la société, ils ont une compétence générale, qui touche tous les domaines de la vie quotidienne. Encore faut-il vous donner les moyens d'exercer pleinement cette responsabilité de plus en plus exigeante. Cela ne passe pas probablement par de nouvelles compétences mais par une meilleure répartition des moyens et par une plus grande souplesse dans leur utilisation, donc par une plus grande déconcentration.

Enfin, c’est l’essentiel peut-être, l'Etat. Vous avez justement souligné, Monsieur le Maire, que sa responsabilité était éminente. Il ne faut pas, nous ont dit vos collègues, et je crois à juste titre, plus d’Etat, il faut " mieux d'Etat ". L’Etat, c'est d'abord le service public sous toutes ses formes, l'école, l'hôpital, la poste. Il a vocation à être présent sur l'ensemble du territoire national, et notamment dans les endroits qui en ont le plus besoin, dans les campagnes comme dans les quartiers en difficulté.

Mais l'Etat, c'est d'abord et avant tout la paix publique, l'ordre républicain.

Le troisième impératif qui s'impose à nous, c'est d'assurer précisément la paix publique.

Cela implique en premier lieu le maintien de l'ordre et de la sécurité.

La police nationale et la gendarmerie font à cet égard, et dans des conditions difficiles, un travail auquel il convient de rendre hommage. Leurs effectifs, c’est l’évidence, doivent être mieux répartis sur le territoire et leurs tâches mieux hiérarchisées pour répondre aux besoins des citoyens, notamment par l’îlotage. Si la sécurité est d’abord une compétence de l’Etat, cela n’exclut pas les polices municipales, dont la création relève de la seule appréciation des maires, et qui peuvent jouer un rôle utile. Encore faut-il naturellement, partout où elles existent, qu’elles disposent des moyens réels et précisément définis d’exercer leurs missions.

La justice, quant à elle, doit sanctionner sans défaillance les infractions commises. Trop souvent aujourd'hui la petite et moyenne délinquance échappe à toute sanction, au point que les victimes de vol et de déprédations ne les déclarent plus que pour se faire indemniser. Or, la sanction constitue un repère essentiel dans toute société. Elle marque tout simplement la frontière entre le bien et le mal. A chaque fois qu’il y a une faute et dès la première faute, il faut une sanction appropriée, pénale ou non. Et surtout, surtout, une sanction rapide, car, dans ce domaine, il y a aussi une pédagogie du temps.

C'est pourquoi, il faut aménager les pratiques, les procédures et dégager les moyens nécessaires pour donner une suite rapide et efficace aux infractions pénales. C’est l’un des enjeux essentiels de la réforme de la justice que j’ai engagée. Le développement de la conciliation et de la médiation, la création de la réparation pénale, de procédures de comparution à délai rapproché constituent des mesures qui vont dans le bon sens. Elles doivent être poursuivies et amplifiées.

S’agissant de la délinquance des mineurs, je rappelle qu’en France l’enfant en danger et l’enfant délinquant bénéficient traditionnellement d’une protection, d’un droit et d’une juridiction spécifiques. Cette tradition humaniste fondée sur le principe d’éducabilité, c’est-à-dire sur la confiance en réalité en l’homme, en sa capacité à s’améliorer, cette conception, cette tradition ne doit pas être remise en cause. Faut-il avoir recours à une grande réforme législative, tentation récurrente dans notre pays ? Je ne le crois pas, même s'il ne faut pas exclure des adaptations. En revanche, il reste beaucoup à faire pour rendre effectif le dispositif existant.

Les éducateurs, je l’ai dit, sont trop peu nombreux et chacun d’entre eux est en charge d’un trop grand nombre de jeunes. Maintes régions manquent de places en foyer. Les quartiers des mineurs de nos prisons exigent une profonde réforme. Le tutorat éducatif des mineurs condamnés doit être mis en place.

Les mineurs multirécidivistes posent bien sûr un problème particulier. Chacun s’accorde à reconnaître qu’ils doivent être éloignés du lieu de leurs méfaits. L’expérience des unités à encadrement éducatif renforcé mérite d’être poursuivie et développée. Même si elle est encore limitée et inégale, cette expérience a confirmé en effet le bien-fondé et l'efficacité des formules de prise en charge intensive et individualisée pour les cas les plus graves. Il s’agit d’une réponse bien adaptée à un problème particulièrement difficile auquel nous devons donner la priorité dans l’action de l’Etat. Là, comme ailleurs, la justice ne doit pas hésiter à explorer des voies nouvelles.

Et puis il faut, parce que c'est l’essentiel, que tous les services de l'Etat se mobilisent ensemble. Education Nationale, Services Sociaux, Police, Justice, tous doivent apprendre à travailler encore mieux en commun, partager leurs informations pour déceler les situations à risque, identifier, le plus en amont possible, les jeunes en danger de déviance, prévenir ce qui peut l'être, intervenir au plus vite et punir quand il le faut. Cela doit se faire, avec les représentants de l’Etat, sous l’égide des Maires qui sont les mieux à même d’assurer cette coordination pour recréer un lien social, civil et civique.




Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire aujourd'hui à ce stade de notre réflexion. C'est un appel à la mobilisation, un appel à l'action, car aucun d’entre nous, quelle que soit sa sensibilité politique ou sociale, n’accepte la banalisation ou la résignation, mais c'est aussi un message d'espoir. Nous ne sommes pas le seul pays confronté à l'insécurité et à la violence. Mais nous sommes peut-être l'un de ceux qui est le mieux armé, culturellement, pour en venir à bout. Précisément parce que nous croyons aux valeurs de la République et que nous croyons à l'idéal d'intégration. Les problèmes sont immenses, mais des solutions existent, comme le montrent certains exemples en France ou ailleurs.

Elles passent par la libération des énergies de notre peuple.

Elles passent par l'activité et la création de richesses.

Elles passent par la volonté et la responsabilité de chacun. Elles passent par le développement des liens contractuels entre tous les partenaires.

Elles passent enfin par l'exercice par l'Etat de ses missions d’autorité.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.





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