Allocution du Président de la République à l'occasion du dîner d'État offert par M. Thomas KLESTIL, Président d'Autriche.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du dîner d'État offert en son honneur par M. Thomas KLESTIL Président de la République fédérale d'Autriche.

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Palais de la Hofburg, Vienne, Autriche, le mercredi 11 février 1998

Monsieur le Président,

Monsieur le Chancelier,

Mesdames et Messieurs,

N'ayant pas la culture du Président autrichien, je ne pourrai pas, comme lui, m'exprimer successivement en français, dans sa langue natale, puis en français. Je suis obligé de me limiter à la seule langue que je possède réellement.

Néanmoins, c'est de tout coeur que je voudrais vous remercier, Monsieur le Président, mon cher Thomas, pour votre invitation et pour votre accueil. Vos paroles pleines de chaleur, pleines d'amitié m'ont profondément touché. Ma délégation et moi-même y avons été d'autant plus sensibles qu'elles ont été tenues ici, à la Hofburg, dans ce palais présidentiel, probablement le plus beau d'Europe et vraisemblablement le plus beau du monde, au coeur de l'Autriche et de son histoire.

Grande histoire d'un peuple dont la volonté, le génie, le destin ont profondément marqué notre continent. Un grand peuple qui parle à l'âme et au coeur des Français.

Il y a plus de trente ans, le Général de GAULLE, recevant à Paris le Chancelier d'Autriche, évoquait cette attirance et cette affinité profonde entre nos deux pays. Il disait, je le cite, " Il y a beaucoup de siècles que ce qui est autrichien intéresse et touche vivement la France ; que votre pays et le mien se connaissent et s'estiment mais aussi qu'ils se plaisent, ce qui est plus rare et plus précieux encore ". Il y a longtemps, en effet, que les Français se passionnent pour l'Autriche, sa vie intellectuelle, artistique, l'intense et brillant foisonnement créatif, l'esprit précurseur qu'incarne Vienne depuis toujours ou depuis si longtemps.

Mais je n'oublie pas non plus, Monsieur le Président, que souvent l'Histoire opposa nos deux peuples. Rivalité ancienne, qui fit s'affronter les armées de Charles Quint et celles de François Ier, puis celles de leurs successeurs, jusqu'aux guerres de la Révolution française et du 1er Empire, et jusqu'aux deux grands conflits fratricides et absurdes qui ensanglantèrent notre siècle.

C'est dire, Monsieur le Président, le prix terrible que nous avons payé aux luttes de puissance et d'influence en Europe. C'est dire combien le projet européen et son rêve de paix tiennent au coeur de l'Autriche, je le sais, et de la France. C'est dire combien nous devons nous mobiliser pour faire progresser une Europe démocratique, prospère et pacifique.

L'idée des pères de l'Europe était humble et ambitieuse. Humble, leur projet d'union douanière et commerciale, à six d'abord. Mais ambitieuse, leur volonté de nouer pas à pas une solidarité, de bâtir une communauté de destins, de sans cesse l'élargir, de réaliser enfin l'union de tous nos pays. Il s'agissait d'ancrer patiemment l'Europe dans les esprits et dans les coeurs, après tant et tant de déchirements et de souffrances.

De grandes échéances nous attendent pour consolider l'Europe, pour l'approfondir, pour l'élargir, pour en faire un acteur de premier plan sur la scène internationale, pour promouvoir dans le monde cette conception de l'homme, de l'humanisme qui nous rassemble.

Consolider, approfondir l'Europe, c'est réussir le passage à la monnaie unique et opérer par la même un rapprochement sans précédent de nos économies.

Consolider et approfondir l'Europe, c'est la mettre au service de nos concitoyens, c'est faire en sorte qu'ils s'y reconnaissent, c'est défendre ensemble le modèle social européen auquel Autrichiens et Français sommes attachés. Je sais, en effet, cet attachement que portent ce modèle social les Autrichiens grâce à ce " partenariat social " qui fait leur force.

Bientôt, l'Europe va s'élargir. Le mois prochain, nous engagerons les négociations d'adhésion avec de nouveaux pays européens.

La chute du mur de Berlin a donné le signal de la liberté à l'Est de notre continent. Dans cette accélération de l'Histoire, qui a vu, en quelques semaines, la moitié d'un continent renaître à la démocratie, les peuples ont identifié leur liberté retrouvée avec l'appartenance à l'Union européenne. Nous n'avons pas le droit de les décevoir. Et vous Autrichiens, qui partagez avec certains de ces peuples une longue histoire commune, y êtes particulièrement attentifs.

Le processus d'élargissement sera difficile, l'effort d'adaptation de ces pays est immense. Nous les y aiderons. Mais nous, pays membres, devons aussi nous adapter, notamment en réformant les institutions européennes, ce qui est un préalable indispensable à l'élargissement si nous voulons que la communauté continue de fonctionner.

Ce besoin d'Europe ne s'exprime pas seulement à l'Est, il s'exprime partout, notamment au Sud. Cette attente, ne la décevons pas. C'est aussi la vocation de l'Europe de favoriser l'émergence d'un monde multipolaire, un monde harmonieux et en paix.

A quelques mois de la Présidence autrichienne de l'Union, l'Europe se souvient qu'à Vienne, au tournant du siècle, Otto WAGNER inventait la ville de l'avenir, KLIMT rompait avec la tradition, SCHÖNBERG bouleversait le langage musical, FREUD libérait l'inconscient. Vienne exprimait alors, mieux que partout en Europe, les rêves universels. Rêves fracassés par la guerre, la longue guerre fratricide ouverte en 1914 et qui s'est poursuivie jusqu'à la guerre froide.

Aujourd'hui, à l'aube d'un nouveau siècle, l'Europe doit rompre avec son passé, son cortège de violence et de souffrances, ses rêves avortés. Elle doit résolument aller de l'avant, se renforcer, se rassembler. Nous, Autrichiens et Français, partageons une même vision de ce que doit être l'Europe, une Union au service des hommes, une Europe puissante au service de la paix.

Au-delà, c'est ensemble que nous devons aborder les grands problèmes de notre temps. Depuis plus d'un demi-siècle, Vienne accueille de nombreuses organisations internationales. Elle est devenue l'une des grandes capitales de la paix, de la sécurité, du développement, autant de questions qui mobilisent la France. Voilà pourquoi, Monsieur le Président, Autrichiens et Français doivent là encore se retrouver.

Mais développer une vision commune, c'est d'abord se rencontrer, se connaître, apprendre à travailler ensemble. Donnons une impulsion nouvelle à notre coopération. Renforçons le rôle et les moyens des institutions qui nous réunissent. Je pense en particulier au Centre franco-autrichien qui, depuis vingt ans, fait progresser le dialogue entre nos deux pays. Soyons ambitieux pour notre relation ! Nous venons d'élaborer un plan d'action. Allons plus loin de façon pragmatique mais volontaire ! Multiplions les projets communs, industriels, scientifiques, universitaires, culturels, sportifs.

Ce sont là quelques exemples de ce qu'Autrichiens et Français peuvent accomplir ensemble. Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, nous aurons demain l'occasion de nous entretenir plus longuement de ces projets d'avenir. Des projets qui sont aussi de la responsabilité de nos communautés d'affaires. C'est le sens du message que, demain matin, je leur adresserai.

Oui, Monsieur le Président, faisons de cette année 1998 le point de départ d'un nouveau partenariat moderne et efficace. Partenariat ambitieux, à la mesure de tout ce qui nous rapproche, de nos affinités profondes, de nos responsabilités au regard de l'Histoire, de ce que représentent, en Europe, l'Autriche et la France.

C'est fort de cette volonté que je vais maintenant lever mon verre. Je le lève, Monsieur le Président, en votre honneur. Je le lève en l'honneur du Chancelier KLIMA et des hautes personnalités autrichiennes et françaises qui nous font l'amitié de leur présence ce soir. Je bois à la prospérité et au bonheur du peuple autrichien, ami du peuple français. Je bois à l'amitié entre l'Autriche et la France. Et je bois, Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, aux succès, dont je ne doute pas, de votre future Présidence européenne et à l'Europe.





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