Allocution du Président de la République lors du dîner d'État offert en l'honneur du Président de Turquie.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors du dîner d'État offert en l'honneur de son excellence M. Suleyman DEMIREL, Président de la République de Turquie.

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Palais de l'Elysée, le jeudi 19 février 1998

Monsieur le Président,

C’est un grand honneur, c’est une grande joie pour la France d’accueillir, en votre personne, un homme d’Etat, un homme de conviction, un homme d’engagement, un homme qui a marqué l’histoire de la République turque. Un ami de la France aussi, soucieux, comme nous-mêmes, de donner une dimension nouvelle à l’entente, vous me le rappeliez ce matin, cinq fois centenaire entre nos deux pays.

Longue histoire commune que la nôtre, Monsieur le Président, au cours de laquelle s’est forgée, plus qu’une estime, plus qu’une amitié, une profonde intelligence entre nos peuples.

Turcs et Français partagent aujourd’hui la même volonté de progresser ensemble, la même volonté d’accorder leurs politiques comme les ont jadis accordées vos sultans et nos souverains, Süleyman et François 1er, Selim et Napoléon, Abdul-Aziz et Napoléon III, puis, dans un élan naturel, votre République et la nôtre. Il était naturel en effet que la France, la première, dès 1921, en écho à l’appel de Mustapha Kemal, ait reconnu le fait national turc et l’avènement d’un " Etat démocratique, laïc et social, soumis à la règle de la Loi ", selon les termes de votre Constitution. Un Etat dont vous êtes aujourd’hui, Monsieur le Président, le garant.



Voilà pourquoi la France demeure le plus ferme soutien de la Turquie dans son désir d’Europe.

Je mesure et je comprends la déception de votre pays au lendemain du Conseil européen de Luxembourg. Mais, pour avoir moi-même plaidé auprès de mes collègues européens pour que la vocation européenne de la Turquie soit pleinement reconnue, je souhaite vous convaincre, Monsieur le Président, qu’à Luxembourg, ce n’est pas un coup d’arrêt qui a été donné aux aspirations légitimes de la Turquie.

Au contraire, lorsque les réactions émotionnelles, bien naturelles, auront cédé le pas à une réflexion sereine, chacun conviendra que Luxembourg aura été une étape dans l’ancrage nécessaire de la Turquie à l’Europe. En effet, il a été dit et écrit que la Turquie faisait partie du processus d’élargissement.

La Conférence européenne sera convoquée à Londres le mois prochain. L’invitation qui vous a été faite illustre notre volonté d’inclure votre pays dans la famille européenne et dans le processus d’élargissement de l’Union.

Votre décision est souveraine et, quelle qu’elle soit, nous serons à vos côtés. En tant que vieil ami de votre pays, permettez-moi cependant de vous dire simplement ce que je crois : l’intérêt de la Turquie est d’être présente. La Conférence européenne est porteuse d’une dynamique. Plus qu’un simple espace de dialogue politique, elle sera l’enceinte où se définira l’architecture de l’Europe de demain. Dans ce cadre de coopération et de dialogue, la Turquie pourrait faire valoir ses intérêts et aussi sa volonté de remplir les critères politiques et économiques attendus de tous les candidats.

Parmi ceux-ci, figurent les exigences de la démocratie et nous suivons avec attention les progrès accomplis par votre pays, tout en mesurant pleinement le prix que paie la Turquie dans son combat contre le terrorisme. Pays puissant et respecté, la Turquie dispose de tous les atouts pour relever ces défis, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Le rétablissement des relations de bon voisinage avec la Grèce nous tient particulièrement à coeur et c’est avec inquiétude que nous voyons croître la tension en mer Egée. Au nom de l’amitié qui lie la France à la Turquie, comme à la Grèce, je lance un appel aux deux parties. Appel au dialogue, quelles que soient les voies retenues, directes ou indirectes. Appel à retrouver l’esprit de Madrid, en exprimant votre volonté conjointe d’apurer les contentieux bilatéraux et de recourir aux instruments de règlement des différends, y compris la Cour internationale de justice. La Turquie en a d’ailleurs accepté le principe.

J’en appelle au même esprit de sagesse et de retenue concernant le lancinant problème de Chypre.



Partenaires dans la construction de l’Europe, la Turquie et la France contribuent depuis longtemps à écrire l’Histoire du monde.

Solidaires depuis cinquante ans dans l’Alliance atlantique, pour la défense de la démocratie et de la liberté, nos deux armées se sont retrouvées côte à côte au service de la communauté des nations en Somalie puis en Bosnie. Cette fraternité d’armes nous invite à resserrer notre dialogue stratégique et à développer nos coopérations opérationnelles et industrielles.

Nombreux sont les autres enjeux internationaux auxquels sont confrontés nos deux pays et sur lesquels nous nous rejoignons. Je pense en particulier à l’Irak dont nous avons longuement parlé. Ces convergences politiques confèrent à la relation franco-turque une densité qui n’a d’égale que le dynamisme de notre coopération économique et de nos échanges culturels.

Bâtissons entre nos deux pays un partenariat ambitieux ! C’est tout le sens du plan d’action pour l’an 2000 que nous venons d’adopter et qui sera signé demain à l’hôtel Matignon.

Déjà premier investisseur étranger, la France, avec 200 entreprises installées, a confiance, grande confiance dans l’avenir de la Turquie. Nous voulons aller encore plus loin. Forgeons entre nos entreprises de nouvelles alliances, nous en avons longuement parlé ! Partons ensemble à la conquête de marchés tiers !

Nos échanges culturels ont accompagné la modernisation de votre pays. Au temps des réformes -les tanzimats-, votre pays s’est tourné vers la France. La relation privilégiée nouée à cette époque a créé, entre nous, une proximité intellectuelle que symbolise depuis plus de cent ans le lycée de Galatasaray. Aujourd’hui, c’est l’université du même nom qui s’installe progressivement dans le premier cercle des universités turques.

Poursuivons ce grand oeuvre ! Nourrissons le dialogue entre nos deux peuples ! Faisons leur découvrir nos patrimoines respectifs ! Bientôt, la France accueillera la grande exposition des " Trésors de Topkapi ". Nous pouvons déjà lui prédire un grand succès, à l’instar de celui rencontré, il y a quelques années, par l’exposition consacrée à " Soliman le Magnifique ".



Monsieur le Président, il y a tout juste trente ans, vous étiez Premier ministre et le Général de GAULLE était l’invité de votre pays. Il avait alors évoqué, je le cite : " la Turquie, maîtresse des détroits entre l’Europe et l’Asie, au contact de trois continents, gardienne de plusieurs des portes par où, dans cette région de la terre, passe la paix ou peut passer la guerre. La France, ouverte sur l’Atlantique, les mers du Nord et la Méditerranée, centre d’un Occident que forment avec elle les pays du Rhin et du Danube, les Iles britanniques, les péninsules italienne et ibérique. La Turquie et la France, investies toutes deux, par la nature et par l’Histoire, de tant de responsabilités quant au destin de tant d’hommes ".

Oui, au-delà de l’Europe, c’est le monde et ce sont les grandes questions de notre temps qui nous mobilisent.

Aujourd’hui, Monsieur le Président, à travers votre visite, nous témoignons de la volonté de nos deux pays de lier durablement leurs destins dans cette Europe où s’inscrit leur histoire, et d’agir ensemble pour la sécurité et pour la paix.

C’est fort de cette volonté et confiant dans nos succès que je vais maintenant lever mon verre. Je le lève, Monsieur le Président, en votre honneur. Je le lève en l’honneur des hautes personnalités turques et françaises qui nous font l’amitié de leur présence ce soir. Je bois à la prospérité et au bonheur du peuple turc, ami et allié du peuple français. Je bois à la Turquie vers qui la France porte, plus que jamais, sa confiance et son amitié.





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