Discours du Président de la République à la chambre économique fédérale d'Autriche.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la chambre économique fédérale d'Autriche.

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Vienne, Autriche, le jeudi 12 février 1998

Monsieur le Président de la Chambre Economique Fédérale d'Autriche,

Mesdames et Messieurs les Chefs d'entreprise,

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi de le dire, compte tenu des sentiments d'estime et d'amitié profonds et anciens que j'éprouve pour votre grand et beau pays,

Mes chers Amis,

Je suis heureux, Monsieur le Président, de me trouver aujourd'hui parmi vous, à l'occasion de cette visite officielle en Autriche, et de pouvoir rencontrer les responsables économiques, les représentants des milieux d'affaires et aussi les chefs d'entreprise de nos deux pays.

Monsieur le Président, je vous remercie de votre accueil. Je vous remercie de vos paroles amicales de bienvenue. Je vous remercie de m'offrir cette occasion d'aborder ensemble les relations économiques et d'envisager ce que nous pouvons faire, les uns et les autres, pour davantage encore développer ces relations économiques.

Mes remerciements vont également à toutes celles et à tous ceux qui ont bien voulu animer et participer à ce séminaire et qui oeuvrent au renforcement des relations entre nos deux pays.




Comme nos relations politiques et culturelles, nos relations économiques et commerciales sont anciennes mais les vicissitudes de l'Histoire ont fait qu'elles n'ont pas prospéré comme nous aurions pu le souhaiter. Elles ne sont pas encore, vous l'avez évoqué à l'instant, Monsieur le Président, à la hauteur de nos ambitions.

En concertation avec le Chancelier Klima, nous avions pris une initiative pragmatique, qui a consisté à demander à nos deux ambassadeurs, il y a de cela un an et demi, d'élaborer un plan d'action qui nous permette d'engager un renforcement de nos relations dans tous les domaines, politique, culturel mais également économique avec l'esprit de renforcer nos liens, ce qui est légitime pour deux vieilles nations et pour deux membres de l'Union européenne que beaucoup, beaucoup de choses réunissent et peu de choses séparent.

Sur le plan commercial, nos échanges, c'est vrai, sont en progrès. Je m'en félicite. Déjà, vous l'avez rappelé tout à l'heure, Monsieur le Président, la France est un fournisseur important de l'Autriche, certes loin derrière l'Allemagne et l'Italie, mais en progression.

Les points forts de nos échanges sont connus : l'industrie automobile, l'électronique, les télécommunications et les composants. Dans le secteur agro-alimentaire, nos échanges progressent aussi, notamment depuis votre entrée, en 1995, dans l'Union européenne ; il en est de même des biens de consommation.

Mais nous pouvons faire mieux, beaucoup mieux. Je crois que c'est notre intérêt réciproque.

Pour de nombreux secteurs de votre économie, il existe une offre française compétitive, naturellement la réciproque est vraie, mais pour m'en tenir à l'offre française, je voudrais rappeler l'agro-alimentaire où notre savoir-faire et notre expérience sont reconnus, je crois que l'on peut le dire, partout dans le monde. Dans le secteur des télécommunications, où l'ensemble de nos entreprises redouble d'efforts pour s'adapter à un marché qui se libéralise au profit des utilisateurs. Dans l'informatique de logiciels et de systèmes, où nos entreprises ont beaucoup d'atouts à faire valoir, plus généralement dans le domaine des services où la France est aujourd'hui le deuxième exportateur mondial comme, d'ailleurs, dans le domaine de l'agriculture.

La liste est longue de nos intérêts mutuels et de nos coopérations potentielles.

L'Union européenne est un facteur puissant de dynamisme et de progrès, malgré les difficultés auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés. Pour ma part, j'encourage les entreprises françaises à faire preuve d'initiative, d'esprit de conquête et, tout en respectant leur indépendance, je les invite à nouer avec les entreprises autrichiennes une coopération sans cesse plus forte et sans cesse plus étroite.

Nous avons besoin de développer notre commerce mais aussi nos investissements. La France n'est encore que le septième investisseur dans votre pays. Certes, il y a une base solide. Il existe en Autriche quelque 170 filiales de sociétés françaises qui emploient plus de 20 000 travailleurs. Nos grandes sociétés de l'industrie, de la finance sont désormais, pour la plupart, installées en Autriche.

Mais nous devons et nous pouvons, là-aussi, aller plus loin. Aux représentants de toutes les entreprises françaises, celles qui sont déjà implantées et celles qui n'ont pas encore fait ce choix, je demande plus de dynamisme pour nouer un véritable partenariat en répondant aux besoins en biens, en équipements, en technologies, en services qui s'expriment en Autriche.

Des programmes de coopération existent déjà dans le secteur automobile où les grands constructeurs français et les sociétés autrichiennes chevronnées ont développé des projets communs. Il en est de même dans le secteur de l'aéronautique, dans celui de l'énergie. Ce mouvement peut et doit s'amplifier.

Nous pouvons bâtir un partenariat fort et dynamique, un partenariat équilibré et confiant. Cette ambition, c'est d'abord vous, les chefs d'entreprise et les responsables économiques, autrichiens et français, qui devez la porter.

Aux hommes d'affaires autrichiens, j'adresse une chaleureuse invitation à investir en France. Le marché français vous est ouvert, largement ouvert et il le sera plus encore lorsque nous partagerons la même monnaie.




Dans moins d'un an, en effet, l'Union européenne disposera de sa monnaie unique, l'euro, qui deviendra l'autre grande devise du monde.

La création de l'euro est un événement historique pour l'ensemble de nos économies et, d'ailleurs, de nos concitoyens. L'euro, cela signifie d'abord la fin des dévaluations compétitives en Europe, et chacun sait les conséquences dommageables que ces mouvements monétaires ont pu avoir pour les pays qui les subissaient. L'euro doit être une monnaie solide, une monnaie forte car c'est un atout pour l'investissement, pour la croissance et donc pour l'emploi dans nos pays. Vous savez combien la France et l'Allemagne, aussi d'ailleurs, sont sensibles à ce problème d'emploi. Mais l'euro, c'est aussi une Europe qui exercera, face au dollar, une puissance monétaire à la mesure de son économie, une économie qui, ne l'oublions pas, est déjà la première du monde.

L'euro va modifier profondément la vie de nos concitoyens et aussi de nos entreprises. Il va définitivement unifier le grand marché européen. Nous devons nous y préparer activement. Nous devons faciliter son introduction et donner pleinement confiance à tous les Européens qui en bénéficieront, confiance dans cette nouvelle monnaie, dans leur nouvelle monnaie.

Nos deux pays, l'Autriche et la France, sont déterminés à réaliser l'union économique et monétaire. Ils ont tous les deux oeuvré avec conviction pour la réalisation de ce projet. En particulier, les mesures très significatives de remise en ordre des finances publiques prises depuis 1995, tant en Autriche qu'en France, traduisent cette forte volonté. Le redressement des comptes publics ne nous est pas imposé par l'Europe, comme certains voudraient le faire croire pour des raisons purement polémiques. Ce redressement des comptes publics est tout simplement une exigence parce que nous savons, d'expérience, que laisser filer les déficits c'est affaiblir nos pays et compromettre l'avenir.

Mais ne nous trompons pas. L'euro ne nous exonérera pas d'entreprendre les réformes, notamment les réformes de structures, dont tous nos pays ont besoin. Et, ce n'est pas une tâche facile, notamment politiquement, parce que les conservatismes restent très forts, mais l'adaptation est indispensable pour réussir l'Europe de demain et donner à nos économies des chances nouvelles de croissance.

Nos deux pays partagent le même souci dans beaucoup de domaines et, notamment, celui de favoriser une meilleure coordination des politiques économiques au sein de la future zone euro, sans toutefois bien sûr porter atteinte à l'indépendance de la Banque centrale européenne. Des progrès importants ont été accomplis dans ce domaine. Il s'agit maintenant et concrètement de faire vivre une coordination efficace et indispensable des politiques économiques.

L'Autriche va exercer une responsabilité considérable dans la deuxième partie de l'année 1998 puisqu'elle assumera la présidence de l'Union européenne dans la phase ultime qui précédera l'arrivée de l'euro.

Elle sera également confrontée aux problèmes des réformes liées à l'élargissement ou à l'ensemble des problèmes posés par l'agenda 2000. Mais je sais que nous pourrons tous, Européens, compter sur l'Autriche, sur un pays déterminé, sur un pays compétent pour assurer une introduction réussie de la monnaie unique et un progrès substantiel vers la construction de l'Europe de demain. Et je fais toute confiance, pour cela, naturellement, à l'Autriche.

L'Autriche et la France partagent le même attachement aussi à la dimension sociale de l'Union. C'est un élément essentiel de la construction européenne.

Le Conseil européen extraordinaire sur l'emploi, qui s'est tenu en novembre dernier à Luxembourg et à la préparation duquel l'Autriche et la France ont très, très activement contribué, a permis de mobiliser encore davantage les énergies autour de cet objectif, qui doit être placé au coeur de la construction européenne. L'Europe que nous voulons construire, ce n'est pas une Europe désincarnée, c'est une Europe au service de l'homme.




Dans les années à venir, l'édification européenne s'opérera par une intégration accrue. Je ne donne pas à ce mot un sens politique. Elle s'effectuera aussi à travers l'élargissement que j'évoquais tout à l'heure.

Cet élargissement de l'Europe, de l'Union européenne a une dimension historique : nous ne pouvons pas bien sûr laisser à l'écart nos voisins européens qui ont recouvré la liberté. Mais cet élargissement, il faut en être conscient, implique une réforme institutionnelle préalable et d'importants efforts d'adaptation de la part des nouveaux candidats à l'adhésion. Mais, je ne suis pas inquiet sur ce point et convaincu que l'on ne peut pas conserver un système qui avait bien fonctionné pour six Etats, mais qui était déjà épuisé pour quinze et qui ne peut pas fonctionner au-delà de ce nombre. Je suis convaincu que, notamment, grâce à une bonne concertation entre l'Autriche et la France, nous pourrons trouver les éléments d'une réforme qui répondent aussi bien à l'efficacité nécessaire de la gestion de l'Europe de demain et, bien entendu, à la défense des intérêts légitimes de chacune des nations qui compose cette Europe.

L'intégration se fera. Un marché de près de 500 millions de consommateurs s'ouvrira peu à peu à toutes nos entreprises.

Dans cette perspective, l'Autriche jouera, comme elle le fait depuis la chute du mur de Berlin, un rôle de premier plan, notamment dans le domaine économique. L'histoire et la géographie ont déjà contribué à tisser des liens très étroits entre votre pays et ses voisins d'Europe centrale. A l'évidence, ces liens vont s'amplifier avec l'élargissement.

L'Autriche est aussi, pour nous Français, une porte d'entrée des pays d'Europe centrale et orientale. Les entreprises françaises sont nombreuses à l'avoir déjà compris.

Là encore, je vous incite tous à développer des partenariats prometteurs compte tenu des perspectives favorables offertes par les candidats à l'adhésion et qui seront bientôt membres à part entière de l'Union européenne.

Mesdames et Messieurs, vous allez explorer les moyens de développer les relations économiques et commerciales entre nos deux pays. Il n'y a pas de contentieux entre l'Autriche et la France. Il y a, sans aucun doute, un sentiment d'estime réciproque fort. Il y a, aujourd'hui aussi, un sentiment d'amitié et donc nous pouvons parler facilement dans la mesure également où beaucoup de nos objectifs, pour ce qui concerne la vision de l'Europe de demain, sont des objectifs communs.

Alors, soyons audacieux !

Il s'agit de notre amitié. Il s'agit du développement de nos entreprises. Il s'agit de la prospérité de nos économies. Au-delà, il s'agit de l'Europe, de cette solidarité que nous devons faire vivre et grandir au service de la paix, de la démocratie et du développement. Elle repose sur vous, chefs d'entreprise pour une large part, qui devez apprendre à travailler et à progresser sans cesse davantage ensemble. C'est vous qui démontrez jour après jour que rassemblés on est meilleur, meilleur et plus fort que divisé, et qu'ensemble on peut gagner.

Mesdames et Messieurs, Monsieur le Président, je vous remercie.




QUESTION - Les entreprises françaises ne sont pas encore suffisamment représentées en Autriche. Pensez-vous que nous devrions renforcer le rôle de nos sociétés autrichiennes et notamment de la place de Vienne comme point de départ vers ces pays d'Europe centrale ? Notamment en y créant des filiales ou en achetant des sociétés locales ?

LE PRÉSIDENT - Il va de soi que c'est notre intérêt. Il y a déjà un peu plus de vingt ans, j'étais alors Premier ministre et le Chancelier autrichien était Monsieur KREISKY, nous avions créé le Centre franco-autrichien avec précisément pour objectif de travailler, de partager une expérience en ce qui concerne les pays de l'Est.

Cette expérience a été positive et je souhaite que ce centre continue avec dynamisme à se développer. C'est vrai que nous avons intérêt à nous associer pour rechercher les investissements et les échanges possibles avec l'Est de l'Europe.

QUESTION - J'essaie d'intéresser les entreprises de sous-traitance françaises à vendre directement leurs produits en Autriche et le message que j'aimerais faire passer c'est que nous sommes maintenant dans une Europe des régions et que les PME françaises devraient s'intéresser directement à leurs clients autrichiens sans être obligé de passer par des organisations ou d'être portées, ou d'être aidées par qui que ce soit, elles devraient se déplacer volontairement et sans aucune contrainte pour venir voir leurs clients autrichiens essayer de leur vendre quelque chose. Le besoin est assez grand.

LE PRÉSIDENT - Et réciproquement.

Oui, c'est tout à fait évident mais l'expérience prouve que, hélas, tout le monde n'a pas la compétence, l'idée, le dynamisme suffisant lorsqu'on est notamment une petite ou une moyenne entreprise pour s'engager dans les incertitudes de l'exportation et donc il faut tout de même des organisations qui permettent d'aider, de fédérer, d'apporter à ceux qui ont l'idée et la volonté d'aller vers l'extérieur, les aides nécessaires pour leur permettre de le faire.




Monsieur le Président, vous avez tout à l'heure, et cela m'a beaucoup touché, dit que j'aimais votre pays. Cela m'a fait plaisir que vous l'ayiez remarqué parce que c'est vrai, et c'est vrai depuis longtemps.

Je parlais, il y a peu de temps, avec les autorités autrichiennes du problème de la réforme des institutions et vous me faisiez remarquer que cette réforme, naturellement, se heurte à des problèmes posés par ce que l'on appelle les pays moins peuplés et les pays peu peuplés que l'on a l'habitude d'appeler les petits et les grands pays. Je n'ai jamais compris pourquoi d'ailleurs, parce qu'il n'y a pas de petits et de grands pays, mais enfin, c'est ainsi que le veut la tradition.

Je comprends parfaitement qu'il puisse y avoir des intérêts qui s'opposent lorsqu'il s'agit de prendre les grandes décisions. Mais je crois que de ce point de vue, l'Autriche a une situation tout à fait particulière et qui lui permettra, j'en suis sûr, de jouer un rôle décisif, surtout si elle en prend vraiment conscience.

L'Autriche est un petit pays, si l'on compte le nombre d'habitants, et l'Autriche est un grand pays si l'on pense à sa puissance politique, à ce qu'elle représente dans l'Europe de demain, la puissance de sa capitale, de ses grandes villes, sur le plan culturel, sur le plan international avec l'ensemble des grands organismes où se prennent des décisions essentielles pour la vie de la planète.

L'Autriche est donc un pays à part qui est à la fois un petit et un grand pays et, à ce titre, elle a compte tenu de son histoire notamment, de sa culture, de son aptitude à la modernité qu'elle a toujours incarnée, elle a la possibilité d'apporter ce génie nécessaire pour trouver des solutions aux problèmes qui peuvent paraître délicats.

Je disais, hier soir au Président et au Chancelier, que dans ce problème difficile mais nécessaire, dont la solution est nécessaire, qui est celui de la réforme institutionnelle, je pensais que ce double aspect de l'Autriche et l'autorité morale que l'histoire, la culture, son peuple, donne à votre pays devraient lui permettre de jouer un rôle essentiel dans l'élaboration de cette réforme, essentielle.

L'Autriche a une grande ambition dans l'Europe de demain et elle a les moyens culturels, intellectuels, économiques de cette ambition et donc politiques, internationaux également et je souhaiterais beaucoup dans ce contexte qu'entre l'Autriche et la France -que rien ne sépare, je l'ai déjà dit, notamment dans la vision de l'Europe de demain, qu'il s'agisse du modèle social, qu'il s'agisse de Schengen, qu'il s'agisse des directives financières, qu'il s'agisse de la politique agricole, qu'il s'agisse naturellement de la monnaie unique, toutes nos approches, toutes notre vision des choses est commune- s'établisse un lien fort, amical, je dirais affectif entre nos deux vieux et grands pays, même s'ils ne se sont pas toujours bien entendus dans l'histoire, la page est tournée, l'Europe a apporté la sérénité et la paix nécessaire au bon développement de nos relations. Je crois qu'une forte relation entre l'Autriche et la France, cette confiance que permet normalement le fait que nous avons la même approche des choses, devrait nous permettre de jouer un rôle important ensemble, avec nos partenaires naturellement, mais un rôle important dans la construction de l'Europe de demain. C'est au fond ce message que je suis venu surtout porter. Un message de confiance et d'amitié au service d'une Europe en développement, d'une Europe pacifique bien entendu, démocratique, mais d'une Europe en développement et de ce point de vue, le rôle de nos échanges politiques et culturels que nous allons amplifier et le rôle de nos échanges économiques, et donc l'action des chefs d'entreprise que vous êtes, est absolument déterminante. C'est pourquoi, je disais tout à l'heure que rien ne nous sépare et que tout doit nous conduire à nous unir, ce qui suppose d'abord que l'on se connaisse mieux et que l'on renforce nos liens.

C'est dans cet esprit que j'étais heureux, Monsieur le Président, de participer à votre séance de travail et je vous remercie de grand coeur de votre accueil.





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