Allocution du Président de la République lors de l'inauguration du monument à la mémoire des victimes du terrorisme.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, inauguration du monument à la mémoire des victimes du terrorisme.

Imprimer

Hôtel des Invalides, Paris, le jeudi 3 décembre 1998

Monsieur le Premier Ministre,

Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Maire,

Monsieur le Gouverneur,

Madame,

Parole, témoignage, douleur, l'espoir ! S'il est une lâcheté, une abjection, un crime auquel nous ne devons jamais céder, et qui doit être combattu sans faiblesse, c'est bien le terrorisme.

Nous sommes aujourd'hui réunis dans ce jardin de l'Intendant, à votre initiative Madame, pour inaugurer un Mémorial à ses victimes. Cette sculpture, née de l'inspiration de l'artiste Nicolas Alquin et intitulée " Parole portée ", symbolise l'horreur de la violence aveugle, le drame de ceux qu'elle a frappés, mais aussi leur courage et leur espérance.

Je tiens à remercier toutes celles et tous ceux qui ont porté, dans leur coeur, l'édification de ce monument, les victimes et leurs familles naturellement, l'association SOS Attentats, l'ensemble des mécènes, publics et privés, et bien sûr, au premier rang, vous-même, Madame Rudetzki.

Cette sentinelle de bronze témoigne de votre action à la tête d'une association militante exemplaire. SOS-Attentats, née il y a douze ans, s'illustre par sa volonté farouche de rendre impossible l'oubli, de faire entendre la voix des victimes, de leur apporter aide et réconfort matériels, mais aussi psychologiques, et d'accomplir un indispensable travail d'écoute. Vous avez été, Madame, aux yeux des Français, un porte-parole éloquent des victimes auprès de l'Etat, qui leur doit, et leur exprime, sa solidarité.

Nous avons parcouru une grande partie de ce chemin ensemble. J'ai été votre interlocuteur dans des moments très douloureux, de par les responsabilités qui étaient alors les miennes.

Ces images de bruit et de fureur, de larmes et de sang, sont gravées dans nos mémoires. Je voudrais m'arrêter un instant sur la souffrance des victimes, sur leur douleur souvent muette, sur le désarroi des proches qui perdent des êtres aimés, sur la mutilation des corps et des âmes de ceux qui restent. L'émotion qui a été celle de tous les Français face à ces attaques meurtrières, lâches, aveugles, demeure bien vivante.

Notre société a été marquée par le traumatisme des attentats. Elle possède dorénavant un lieu de mémoire pour accomplir le travail de deuil et de souvenir, pour exprimer sa pleine et entière solidarité. Quel plus beau symbole d'espoir et de vie que l'eau qui jaillit de cette fontaine ?

Si l'action associative occupe une place importante dans la sensibilisation de l'opinion aux drames causés par le terrorisme, il revient aux pouvoirs publics de prendre toutes leurs responsabilités dans ce combat. Il ne faut pas s'y tromper, le terrorisme vise directement la démocratie et cherche à porter atteinte à notre République, fondée sur l'Etat de droit.

Depuis plus de dix ans, la France s'est dotée d'un arsenal juridique étendu, qui tend à concilier une lutte efficace contre la menace terroriste et le respect des libertés individuelles.

En 1986, s'est constitué un dispositif législatif perfectionné et adapté en permanence à l'évolution de la menace. Les lois de septembre et décembre 1986 furent la première réponse de la France à la vague de terreur développée alors sur son sol. Pour la première fois, la notion d'acte terroriste fut définie. La législation instaura des règles de procédures particulières afin de renforcer l'efficacité de la justice : la 14e section du Parquet de Paris, dédiée exclusivement à la lutte antiterroriste, fut créée. Des juges d'instruction spécialisés furent mis en place. La notion d'acte terroriste fut ensuite enrichie et étendue avec l'application du nouveau Code pénal. Dorénavant ces actions devenaient des infractions distinctes et autonomes. Un an plus tard, la loi allongeait les délais de prescription de l'action de l'Etat envers les terroristes, ainsi que les peines applicables.

L'année 1996 vit également l'adoption de deux lois. La première renforçait la lutte antiterroriste. Elle permettait la saisine de la justice plus large, plus rapide, à partir de la constatation d'infractions révélatrices de l'activité d'un groupe ou d'une action terroriste. La seconde tirait les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les procédures judiciaires antiterroristes. Force reste donc à l'Etat de droit dans la lutte antiterroriste.

Dotée d'outils législatifs efficaces de répression qui doivent être connus, la France poursuit donc une politique active de vigilance et de démantèlement de toute structure à vocation terroriste implantée sur son territoire. La lutte est et demeurera sans merci.

Je tiens ici à saluer la détermination, la constance et le courage des forces de sécurité - policiers, gendarmes, militaires, services de renseignements - qui ont fait la preuve de leur efficacité et, aujourd'hui encore, appliquent avec conscience le dispositif Vigipirate. Ils témoignent de la volonté de l'Etat d'assurer la protection de chacun sur l'ensemble du territoire. Chaque jour, ces hommes et ces femmes remplissent leur mission de surveillance, de prévention et d'aide. Leur vigilance contribue à rendre notre pays plus sûr ou moins vulnérable.

L'Etat défend, l'Etat protège, l'Etat sanctionne, mais l'Etat apporte aussi aux victimes une reconnaissance en leur attribuant le statut de victimes de guerre. Cette mesure, inscrite dans la loi du 23 janvier 1990, s'applique de façon rétroactive à tous ceux qui ont été frappés par la violence sur notre territoire depuis 1982. L'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre est, au sein du secrétariat d'Etat aux Anciens combattants, votre interlocuteur privilégié. A l'égal des autres victimes de guerre, les victimes d'attentats y trouvent accueil, information, assistance et solidarité. SOS Attentats est dorénavant implantée dans les locaux de ce ministère, au coeur de l'Hôtel national des Invalides.

Cette conjonction de volontés, privées et publiques, est nécessaire à l'heure où le terrorisme change d'aspect et de dimension pour devenir de plus en plus meurtrier, de plus en plus diffus dans ses revendications, ses modes de fonctionnement et ses actions. Nous luttons aujourd'hui contre un phénomène mondial, aux motivations non seulement politiques mais aussi, de plus en plus, religieuses ou pseudo-religieuses, voire sectaires. Nous luttons contre un terrorisme lié aux mafias, au trafic de drogue, et qui utilise les technologies modernes pour se financer, s'organiser, se cacher, communiquer.

Il faut nous adapter à cette nouvelle réalité, et construire un système international de lutte contre les réseaux terroristes. Nous avons beaucoup avancé ces dernières années, nous continuons à avancer et la France n'y est pas étrangère.

Il est désormais universellement admis qu'aucun motif, pas même le combat pour la liberté, ne peut justifier le recours au terrorisme. Cette condamnation de principe ne suffit pas pour éradiquer le fléau. Il faut se donner les moyens de prévenir, de poursuivre, de punir ceux qui s'y livrent où qu'ils se trouvent.

Les Nations Unies ont marqué leur détermination à le faire en sanctionnant durement les Etats qui refusent de coopérer. Mais au-delà de telles réactions au cas par cas, nous devons compléter, voire édifier, le droit international. Il faut que les services de police et de justice des pays victimes d'actes terroristes soient dotés des moyens d'enquêter, de juger, de condamner, de faire exécuter les peines partout dans le monde.

Déjà, nous disposons de onze conventions pour réprimer les diverses modalités du terrorisme : attentats à l'explosif, attentats aériens ou maritimes, prises d'otages. La France vient de déposer un nouveau projet destiné à contrer le terrorisme en le privant de son financement.

Avec ses partenaires du G8, la France a adopté en 1996, lors du Sommet de Lyon, vingt-cinq recommandations pour lutter contre le terrorisme. Ensemble nous mettons au point, sur cette base, une coopération judiciaire et policière étroite. Les dispositions prises par le G8 ont eu un impact direct sur les négociations menées au sein des Nations Unies, et ont poussé à l'universalisation des conventions existantes.

Enfin, l'ouverture des frontières à l'intérieur de l'Europe nous fait une obligation d'accélérer la construction de l'Europe judiciaire et la réalisation d'une coopération policière étroite entre les membres de l'Union européenne. Le Traité d'Amsterdam y concourt.

Echanges d'informations et de savoir-faire entre services répressifs, montée en puissance d'EUROPOL, création d'un véritable espace judiciaire européen homogène, mise en oeuvre effective des dispositions européennes répressives des accords de Schengen, telles sont nos priorités. Il ne doit pas y avoir de havre de paix pour les terroristes dans le monde.





Mesdames, Messieurs, il y a trois siècles, Louis XIV élevait ce bâtiment pour accueillir les soldats blessés qu'il avait menés au combat. Aujourd'hui, celles et ceux qui tombent sous les coups du terrorisme sont les victimes d'une nouvelle forme de guerre, une guerre au visage particulièrement hideux qui se livre dans l'ensemble du monde.

Soyez assurés, vous qui souffrez dans votre corps, dans votre âme, dans vos affections, familles, amis, proches, de la détermination de l'Etat et de la solidarité de la Nation.

Je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2005-01-24 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité