Discours du Président de la République devant le Conseil régional de Bretagne.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République devant le Conseil régional de Bretagne.

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Rennes, Ille-et-Vilaine, le vendredi 4 décembre 1998

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames, Messieurs

Si j'ai tenu à répondre aujourd'hui à l'invitation de votre assemblée, c'est parce qu'à mes yeux, la Bretagne est le creuset d'une véritable entité régionale en même temps qu'un exemple de modernité.

Je voudrais remercier votre président, M. Josselin de Rohan, de son accueil chaleureux et du souvenir qu'il me laissera. J'ai entendu vos préoccupations, qui sont celles des Bretons. Je comprends vos attentes à l'égard de l'Etat. Les projets de votre région sont cohérents et ambitieux. Il est d'intérêt général que vous puissiez les mener à bien.

Je souhaite que ma présence au sein de votre conseil puisse être le signe d'une approche nouvelle des relations entre fait national et fait régional. A travers votre région, c'est aussi de la France que je suis venu vous entretenir, de notre République, de l'évolution de notre démocratie.





Il a fallu longtemps pour que la Nation française s'assemble, qu'elle se dégage d'une féodalité déjà vaincue par le pouvoir royal, et qu'elle prenne enfin conscience d'elle-même. Nos grands rois l'ont façonnée, mais elle n'a pris vie, elle ne s'est pleinement reconnue, elle n'a été tout à fait constituée qu'avec la Révolution puis la République, quand le peuple français s'est rendu maître de la souveraineté.

Précédée de peu par la Normandie, la Guyenne et la Bourgogne, la Bretagne s'est définitivement unie à la France à l'aube de la Renaissance.

Même préparés par des siècles d'échanges et de destins entremêlés, de tels événements ne pouvaient pas se produire sans qu'une volonté force le cours des choses. Le mariage d'Anne de Bretagne avec Charles VIII était largement contraint. Le Duché de Bretagne en souffrit. Mais quand Anne, très tôt veuve, épouse Louis XII, c'est à un compagnon d'armes des Bretons que s'unit finalement la couronne ducale.

Depuis cette union, dont nous célébrerons l'an prochain le 500ème anniversaire, la Bretagne n'a jamais cessé d'être passionnément française, tout en demeurant fidèle à son caractère, à ses coutumes, à sa langue et à son passé.

Ainsi a grandi notre Nation.



Héritage de l'histoire, l'identité bretonne est d'abord fondée sur la géographie. La péninsule armoricaine s'est trouvée à l'écart de la plupart des invasions venues du centre de l'Europe. Ainsi, de génération en génération, l'esprit celte a survécu, un esprit de courage, de conquête, d'innovation, qui explique que la Bretagne moderne soit une terre de nouvelles technologies. Un esprit d'obstination et de résistance aussi, qui a permis aux Bretons de traverser les siècles, riches de leur seul travail, en restant fidèles à leurs convictions.

La langue bretonne continue à porter témoignage d'une culture vivante. Elle n'est plus la langue maternelle des Bretons mais, après avoir été considérée comme un obstacle à la promotion sociale, elle a reconquis aujourd'hui ses lettres de noblesse. De grands écrivains comme Per Jakez Helias ont contribué à ce renouveau. L'enseignement doit y concourir pour ceux qui le souhaitent. Il a d'ailleurs commencé à le faire. Votre assemblée facilite cette évolution et je m'en réjouis.

L'identité bretonne est aussi fondée sur l'unité que vous avez su réaliser entre vous. Non pas que la Bretagne ait renoncé aux débats républicains et aux affrontements politiques qui, partout en France, sont le sel même de la démocratie. Mais vous savez aussi vous rassembler quand l'intérêt supérieur des Bretons doit être défendu ! Vous l'avez souvent démontré depuis la création du comité de liaison des intérêts bretons autour du Président René Pléven.

C'est par cette unité que la Bretagne a pu entrer, depuis le début des années soixante, dans une révolution permanente, celle de la modernisation à laquelle l'ensemble du pays est aujourd'hui appelé.



La Bretagne se vidait lentement de sa population. Elle souffrait de son enclavement. Elle était pénalisée par une agriculture dont les structures demeuraient archaïques. Elle craignait le déclin de la pêche et des métiers de la mer, des métiers pourtant synonymes d'aventure, d'audace et de courage. L'enseignement et la recherche accusaient de sérieux retards. Les infrastructures touristiques n'étaient pas adaptées à une demande toujours plus exigeante.

Sur tous ces plans, la tendance a heureusement été renversée, grâce au travail des Bretons d'abord, mais aussi grâce à la conjugaison des efforts de l'Etat et des collectivités territoriales.

La Bretagne n'a pas été épargnée par le chômage, mais son dynamisme lui a permis de garder ses enfants sur son sol. Elle a réussi la réforme de son agriculture. Elle a développé un pôle agro-alimentaire puissant. Elle s'est industrialisée autour de plusieurs grands groupes, notamment dans l'automobile, mais aussi en développant un tissu très dense de PME. Elle s'est fortement investie dans l'essor des télécommunications, auquel contribuent aujourd'hui quelques 4 000 chercheurs. Elle a donné la priorité à la formation, avec le souci exemplaire d'y engager ses entreprises pour faciliter l'insertion des jeunes. Sa pêche est aujourd'hui la plus active de France.

Bien sûr, ces succès n'effacent pas les difficultés de l'heure, mais la Bretagne saura, comme toujours, les surmonter.

S'agissant de la restructuration des industries de défense, elle exige un accompagnement fort. Il passe par le développement de l'activité dans des secteurs comme les chantiers navals civils, l'industrie de l'offshore, les matériaux composites, les systèmes électroniques, les télécommunications ou les systèmes mécaniques.

La crise grave résultant de l'effondrement des cours du porc rend nécessaire la mise en place, sur le plan européen, d'un système de gestion plus efficace des marchés : elle ne pourra se faire sans la coopération des producteurs bretons.

Votre agriculture doit apporter chaque jour davantage, et elle le fait, la preuve de sa capacité à concilier compétitivité et préservation du cadre de vie en luttant contre les pollutions.

L'armement naval sur la Manche fait l'objet d'une forte mobilisation des régions concernées. Rien ne saurait justifier sa disparition quand le commerce international par voie de mer continue à progresser fortement. J'ai souhaité depuis des années que la France se dote d'une ambition maritime qui lui permette de tirer les bénéfices économiques de sa situation géographique. Une telle politique ne portera ses fruits que si elle est conduite avec constance et vigueur.

De tous les obstacles qu'elle rencontre, la Bretagne fera une force si elle continue à mettre la démocratie locale au service de son développement.

Le champ d'action est immense. L'Etat doit vous aider à l'investir pleinement. A la suite du plan routier breton, trois générations de contrats de plan ont démontré combien l'action conjointe de l'Etat, de la région et de son réseau de villes pouvait être source de dynamisme.

Il est indispensable que la politique contractuelle soit poursuivie. Il faut que l'Etat continue à apporter son aide aux régions. Il doit le faire avec impartialité, dans le souci de cohérence globale qui est le sien, en fonction des besoins et des efforts de chaque région. C'est la condition d'une politique moderne d'aménagement du territoire.

Ainsi, forte de son identité et de son unité régionale, la Bretagne pourra continuer à faire les paris de l'avenir, avec l'appui de la Nation.



Elle tirera aussi avantage des progrès de l'Europe. Ces progrès, pour ma part, j'y travaille sans relâche.

Mais je tiens à dissiper toute ambiguïté. D'aucuns imaginent une sorte d'effacement des Etats au profit de grandes régions regroupées dans l'ensemble européen.

Je rejette cette vision des choses. Ce n'est pas une vision française. Notre modèle national est une chance pour la France et pour ses régions. Il doit être préservé. C'est un modèle de cohésion qui n'a pas d'équivalent en Europe.

Ce n'est pas l'alliance des provinces françaises qui fonde notre Nation, c'est l'union indissoluble de tout un peuple. L'unité nationale donne à notre pays une capacité exceptionnelle à affronter l'avenir en étant parfaitement assuré de lui-même.

Si certains pays, même en Europe, s'interrogent sur les formes que prendra leur avenir national, la France, au contraire, sait qu'elle restera ce qu'elle est, forte de ce "vouloir vivre ensemble" qui caractérise notre Nation.

Souvent, le fait national divise ; en France, il unit.

La Nation, c'est une communauté de mémoire et de destin, c'est la République, ce sont les droits de l'homme et la liberté, c'est notre langue, c'est l'école, la même loi pour tous, la justice, la garantie de l'ordre et de la sécurité, un haut niveau de protection sociale. Et c'est aussi la paix, cette paix qui s'enracine jour après jour dans l'union de l'Europe où se joue l'avenir aujourd'hui de la France.

Les Bretons y ont depuis longtemps ouvert les voies de leur développement économique dans cette Europe de demain. Pour soutenir leur effort, le Gouvernement de la Nation a le devoir de peser de tout le poids de la France à chaque fois que se joue le sort de l'agriculture et de la pêche, ou quand il s'agit d'orienter les aides communautaires vers le développement régional.

Que deviendraient nos régions si elles étaient abandonnées à un tête-à-tête, forcément déséquilibré, avec l'Union européenne ?



Mais si la Nation doit conserver sa prééminence, elle ne doit pas s'inquiéter de l'affirmation du fait régional. Le national et le régional ne doivent plus être opposés.

Là où s'affermit localement une démocratie capable d'aller concrètement au devant des besoins de nos compatriotes, une démocratie qui donne envie à chacun d'assumer sa citoyenneté, la République s'enrichit de cet apprentissage et se consolide. L'Etat retrouve ainsi la juste place qui doit être la sienne, aux côtés des élus et non pas contre eux, et la Nation, libérée des contraintes d'une administration pesante et lointaine, retrouve vigueur et ambition pour construire son avenir.

Pour moi, plus le fait régional, local, est vivant, plus le fait national l'est aussi. Aujourd'hui, chacun est de plus en plus de sa région sans pour autant être moins Français. Ce que nous devons inventer, c'est un nouvel équilibre fondé sur la capacité de l'Etat à assumer pleinement ses devoirs, et sur la capacité des collectivités locales à développer une véritable démocratie de proximité.

La recherche de cet équilibre ne va pas de soi. La volonté de répondre toujours plus efficacement aux attentes des Français doit nous servir de boussole.





La première vertu de la démocratie, à tous les échelons, est de chercher à répondre ensemble aux préoccupations des citoyens. elle devient vulnérable quand elle se montre impuissante à le faire.

En France, aujourd'hui, ces grandes préoccupations ont pour nom chômage, insécurité, exclusion, des fléaux auxquels on n'apportera pas de solution durable sans mener à leur terme de profondes réformes et en ouvrant les yeux sur les réalités.

Notre société est marquée par l'inquiétude face à l'avenir. Les Français regardent avec autant d'appréhension que d'espoir l'évolution d'un monde qui demeure insuffisamment organisé, un monde troublé, où se jouent chaque jour davantage leur emploi, leur avenir, celui de leurs enfants.

B,eaucoup de nos concitoyens ne se reconnaissent plus dans le débat démocratique. il faut les écouter. il faut répondre à leur exigence d'honnêteté et de responsabilité, à leur soif de proximité, de vérité et de clarté.

Ce qui est en jeu, c'est d'abord la citoyenneté. Il est urgent de trouver des remèdes à la crise que nous traversons, sous peine de voir se déliter peu à peu le pacte républicain qui donne à notre pays sa cohésion et son unité.

Malgré l'enracinement des principes républicains, rien n'est écrit pour toujours quand il s'agit de la citoyenneté et de la liberté. La liberté se conquiert, les Français le savent bien, ils l'ont assez démontré dans leur histoire ; mais la liberté se défend aussi et nul ne doit l'oublier.

C'est pourquoi, j'ai appelé de mes voeux une modernisation profonde de la vie publique de notre pays.





J'ai consulté l'ensemble des forces politiques. Je m'en suis entretenu avec le Premier Ministre. J'ai écouté les présidents de nos deux assemblées. J'ai entendu des constitutionnalistes, des philosophes, des sociologues. J'ai rencontré des jeunes, des femmes, pour les interroger sur leur place dans la vie politique. J'ai reçu les responsables de nos organisations syndicales et professionnelles, les représentants des collectivités locales, des élus de terrain et des dirigeants du monde associatif.

Cela m'a confirmé dans le sentiment que nous changeons d'époque.

Si les Français ne se reconnaissent plus assez dans leurs responsables politiques, s'ils s'interrogent parfois sur leur intégrité, s'ils estiment qu'ils ne répondent pas suffisamment à leurs besoins, il n'y a pas pour autant de fatalité. Des changements profonds peuvent et doivent avoir lieu pour redonner tout son sens au politique, pour rendre leur vraie place, leurs vraies missions, à la politique, à l'action publique, au service public. Libérer les nouvelles énergies démocratiques de notre pays, c'est accomplir la démocratie, toute la démocratie. C'est répondre à des aspirations et à des inquiétudes qui montent et je souhaite ouvrir la voie à des changements indispensables pour notre pays. Ma démarche, avec pour seule préoccupation l'intérêt général, suppose que toutes les forces de notre pays conjuguent leurs volontés pour mener à bien cette immense tâche : Gouvernement, Parlement, bien sûr, mais aussi élus locaux, forces politiques et sociales, et surtout l'ensemble des citoyens, guidés par un seul souci : relever l'un des grands défis de notre génération.





Ma première conviction est qu'un souffle nouveau doit être donné à notre démocratie locale.

Pour que les Français reprennent confiance dans leur vie publique, nous devons construire une véritable démocratie de proximité, à l'écoute des citoyens, à la mesure de leurs talents, au service de leurs projets.

Il faut partir très concrètement des besoins des gens, donner aux élus les moyens d'y répondre, leur permettre d'obtenir rapidement des résultats. Sur les champs d'action où se jouent les principales préoccupations de nos compatriotes, les solutions ne viendront pas seulement des politiques nationales, mais aussi, et surtout, d'une libération des initiatives et des énergies locales.

Par exemple la sécurité. Il est évident que les situations très graves qui se développent dans bien des lieux en France supposent que l'Etat prenne toutes ses responsabilités, fasse preuve d'imagination et de fermeté, aille jusqu'au bout de la prévention mais aussi de la sanction.

Mais il est tout aussi clair que l'insécurité ne sera combattue avec succès que si les maires se voient reconnaître de nouveaux pouvoirs.

Nous avons longtemps été trop frileux dans ce domaine et je souhaite que cette question soit de nouveau examinée, sans parti pris.

Autre exemple, l'éducation. Il est évident que de profondes réformes doivent être menées au plan national. L'avenir de nos enfants ne peut s'accommoder d'un système centralisé et ankylosé, incapable d'assumer la diversité.

Mais il est tout aussi clair qu'il faut accroître résolument les responsabilités des collectivités territoriales. Sans remettre en cause le caractère national des diplômes et l'unicité des programmes, elles doivent jouer un rôle important dans l'aménagement des rythmes scolaires, l'enseignement professionnel et l'enseignement supérieur. C'est ainsi que l'on mettra le mieux l'accent sur les formations qui conduisent le plus sûrement vers un travail.

Cette intervention forte des pouvoirs locaux est encore plus nécessaire en matière d'emploi et de lutte contre l'exclusion. Au sein des bassins d'emploi, les élus doivent pouvoir rapprocher, au plus près des situations individuelles, l'offre et la demande d'emploi, favoriser la création d'entreprises, développer l'activité.

Les systèmes nationaux de solidarité n'ont pas réussi à régler les problèmes de la fracture sociale. Une nouvelle conception de la solidarité et de la responsabilité doit être mise en oeuvre sur les lieux de vie. A l'assistance offerte par la communauté devraient répondre les engagements, adaptés à leur situation, naturellement de ceux qui demandent son aide. Les droits reconnus renverraient ainsi à des devoirs acceptés.

Les situations individuelles devraient être régulièrement réexaminées, avec le souci prioritaire d'orienter plus efficacement vers un travail les chômeurs de longue durée.

Ainsi, sur les sujets les plus sensibles pour l'avenir des Français, la démocratie locale va être confrontée à des attentes croissantes. Il faut la mettre le plus vite possible en capacité d'y répondre.





Ma deuxième conviction c'est que les collectivités territoriales ne pourront accroître leurs responsabilités sans renforcer leur armature et modifier leur organisation.

Aujourd'hui, les responsabilités sont trop diffuses, les collectivités s'enchevêtrent et la démocratie locale s'éloigne des citoyens. La confusion des pouvoirs et des compétences est telle que même les élus peinent à s'y retrouver.

Il est temps d'établir plus de clarté et de cohérence dans notre organisation. Sont en cause la vitalité de notre démocratie, la compétitivité de nos territoires en Europe, les frais généraux de la maison France et l'efficacité de nos collectivités dans le service rendu aux citoyens.

Bien sûr, depuis la création des régions en 1972, depuis la décentralisation engagée en 1982, un profond rééquilibrage a été opéré entre l'Etat et les exécutifs locaux. Parallèlement, de réels efforts de déconcentration ont été accomplis.

Grâce au formidable essor de l'intercommunalité, notre organisation territoriale a changé elle aussi, démontrant que notre démocratie locale demeure bien vivante. Mais cette évolution s'est faite sans vue d'ensemble ni clarté, en superposant les centres de décision et en les éloignant du citoyen.

Bien des municipalités ont désormais définitivement perdu l'essentiel de leur substance. D'autres n'ont préservé leurs capacités d'action qu'au travers des multiples structures où se diluent aujourd'hui les responsabilités locales.

Une distance excessive s'est créé entre citoyens et décideurs. Synonyme d'écoute et de proximité, l'institution du maire est l'une de nos principales réussites républicaines. Aujourd'hui, chacun connaît son maire, mais qui peut dire le nom des présidents des syndicats chargés de l'éclairage public, de l'eau ou des transports ?

Les Français aspirent à plus de visibilité. Ils veulent savoir où sont prises les décisions qui les concernent, comment sont dépensés les prélèvements dont ils s'acquittent. Ils veulent savoir à qui demander des comptes.

La démocratie n'a plus de sens quand l'imbrication des pouvoirs rend impossible l'identification des responsables, et quand l'impôt varie au sein d'une même agglomération ou d'un même bassin de vie.

Il faut maintenant nous tourner vers l'avenir et engager un puissant mouvement de simplification et de démocratisation. Le territoire français n'est plus habité ni exploité de la même façon qu'au siècle dernier. La France urbaine du XXIème siècle ne pourra vivre très longtemps dans les vieux habits d'une France rurale, celle du XIXème.

Il est temps de donner leur expression démocratique aux communautés de vie qui se sont formées, dans les agglomérations comme dans les pays ruraux, en poursuivant et en maîtrisant la mue d'une organisation que nous avons héritée du passé. Il faut partir des acquis de l'intercommunalité, avec l'objectif de donner à la démocratie locale plus de vitalité et de transparence, sans créer, bien sûr, un nouvel échelon.

L'avenir sera à des agglomérations et à des communautés rurales, constituées volontairement et sans aucune contrainte, et administrées par des conseils élus au suffrage universel direct. Les nouvelles collectivités devraient pouvoir être librement constituées à partir des communes qui le veulent et de leurs groupements, en conservant une vie municipale pour les services les plus directement au contact du public.

Cet objectif s'inscrit dans la continuité d'une évolution depuis longtemps engagée. Nos traditions étant ce qu'elles sont, il ne pourra être atteint que progressivement, et surtout, par une démarche volontaire. Il ne saurait être question de forcer le passage. Mais si demain le législateur offre aux communes la faculté de faire évoluer notre organisation sur ces bases nouvelles, avec toutes les garanties et les incitations nécessaires, vous verrez qu'à la demande des Français et de leurs élus, les vocations se multiplieront, emportant les conservatismes et les craintes.

Plutôt que d'imposer d'emblée, par voie d'autorité, un cadre uniforme défini par l'Etat, la loi devra forger les instruments juridiques et financiers qui permettront aux acteurs locaux de prendre eux-mêmes l'initiative de ce mouvement, et ceci en avançant à leur rythme.

Parce qu'il n'y a pas d'organisation territoriale idéale et parce que notre pays est heureusement marqué par sa diversité, il est temps, il est grand temps de reconnaître que des formes d'organisation différentes doivent pouvoir coexister. Il est temps d'admettre que la cohésion nationale et l'unité du pays ne supposent pas obligatoirement l'uniformité et la négation des différences.

Nos départements et nos régions doivent eux aussi prendre leur part de cette modernisation de notre démocratie locale.

Enraciné dans notre organisation territoriale, le département conserve tout son avenir comme lieu de coordination et de synthèse des politiques locales et comme circonscription pertinente de l'action de l'Etat. De plus en plus de services, des transports scolaires au traitement des déchets, s'organisent aujourd'hui à l'échelon départemental. Entre communes, conseils d'agglomération ou de communauté rurale et conseils généraux, il faudra, dans chaque département, déterminer de façon évolutive la meilleure répartition des responsabilités, en fonction des besoins et des réalités locales.

Parce qu'elle est la plus grande de nos collectivités territoriales, la Région doit voir consacrée sa mission pour l'aménagement du territoire et le développement économique. Mais il faut d'abord que les Régions soient gouvernables. Et cela suppose l'émergence de majorités régionales grâce à une réforme du mode de scrutin qui doit exclure, toute manoeuvre ou arrière-pensée politiciennes.

Comprenons bien ce qui est en train de se passer dans notre Europe, aux frontières désormais ouvertes! Avec l'euro, où les entreprises, c'est-à-dire l'emploi, s'installeront-elles ? Où créeront-elles des emplois, si ce n'est dans les régions où elles trouveront des interlocuteurs publics pleinement responsables, les meilleurs services et une fiscalité attractive ?

La compétition des territoires est commencée. Quand un investisseur veut s'établir en Catalogne, il trouve face à lui le président d'une région qui détient les principales clés de la décision publique. En France, il devra rencontrer nombre d'interlocuteurs, élus et fonctionnaires, pour pouvoir régler un à un chacun des problèmes qu'il rencontre. C'est pourquoi, il me paraît indispensable de conforter la Région dans son rôle de planification, d'aménagement du territoire et d'animation économique.

Et puis les relations de l'administration avec les élus doivent évoluer. L'Etat demeure trop souvent un censeur, par exemple à travers le contrôle de légalité, au lieu d'être, comme il le devrait, un facilitateur de projets. Les élus sont de plus en plus souvent jugés responsables du respect de règles qu'ils ne peuvent ni connaître ni maîtriser.

La décentralisation a fait faire de grands progrès à la démocratie locale, mais force est de constater que l'Etat a constamment cherché, et souvent avec succès, à reprendre d'une main ce qu'il avait donné de l'autre. Il a transféré des pouvoirs importants aux collectivités locales. Mais il n'a eu de cesse d'encadrer ces pouvoirs par des réglementations qui entravent leur action.

Il en va de même en matière financière. Faute d'avoir su moderniser la fiscalité locale, l'Etat a placé les collectivités territoriales sous la dépendance croissante de ses dotations budgétaires et la situation risque de s'aggraver encore l'année prochaine.

Il faut inverser la tendance et donner aux élus cette liberté sans laquelle il n'y aurait plus de responsabilité politique. Les exécutifs locaux doivent être jugés d'abord sur la réalisation de leurs objectifs.

Pour faciliter leur tâche, il serait bon que les élus puissent avoir accès à une expertise indépendante. L'administration et les chambres régionales des comptes, dans la plus parfaite impartialité, devraient à l'avenir développer des services de conseil et d'audit et les mettre à la disposition des collectivités, en fonction des besoins de celles-ci.

Mais surtout, une place plus grande doit être faite à la créativité et à l'innovation, non plus dans la suspicion, mais avec un parti pris de confiance. Il est temps de créer un véritable droit à l'expérimentation, par exemple pour l'emploi, pour la création d'activités, ou pour l'insertion des jeunes. Depuis longtemps, je le sais, les élus de Bretagne le revendiquent justement. Ils le font à juste titre.

La modernité ne consiste pas à appliquer partout et autoritairement les mêmes solutions. Elle consiste à faire confiance à la démocratie locale pour saisir les chances de renouveau qui lui seront offertes. Il faut adapter nos structures et nos procédures aux réalités et non l'inverse.





Ma troisième conviction c'est qu'il faut rendre tout son sens au service public en réaffirmant des principes essentiels : la responsabilité, la continuité et le principe d'adaptation.

Il s'agit d'abord de retrouver un vrai civisme de responsabilité. Présente dans toutes les sphères de la vie nationale, la responsabilité est au coeur de l'activité des entreprises : on s'engage sur des objectifs, on est jugé sur des résultats ; la sanction de l'échec est le plus souvent prompte et objective.

Les Français s'étonnent que cette démarche soit si souvent absente de l'action publique. Il faut clarifier les responsabilités de chacun et restaurer l'esprit de service public. Déjà l'article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen affirmait le droit de la société à "demander compte à tout agent public de son administration". Ce droit est plus que jamais d'actualité.

Il n'est pas acceptable, dans une démocratie moderne, que les services publics aient le triste monopole de grèves qui paralysent en quelques heures toute l'activité d'une agglomération, quand elles n'affectent pas la France tout entière. C'est le symptôme des défaillances de notre dialogue social. C'est aussi, bien souvent, l'aveu d'une démission de l'Etat. La grève est un droit, mais il est essentiel que les entreprises de service public s'accordent avec leur personnel sur des procédures efficaces de prévention des grèves et sur l'organisation concertée d'un service minimum. A défaut d'entente, des règles communes à tous les services publics devraient pouvoir s'appliquer.

Enfin, il faut rendre toute sa portée au principe d'adaptation. Les besoins de nos compatriotes évoluent ; les services publics ne peuvent rester figés. Comme dans le secteur tertiaire - je pense notamment aux banques -, il faut faire évoluer les horaires d'ouverture en fonction de la disponibilité des usagers. Il faut intégrer la préoccupation de la sécurité dans l'action de tous les services. Il faut également réfléchir aux missions nouvelles qui pourraient leur être confiées pour répondre aux problèmes particuliers des quartiers en difficulté et des zones rurales en voie de désertification.

Pour que l'Etat soit utilement présent là ou l'on a besoin de lui, il faut savoir mettre fin aux procédures et aux activités devenues manifestement inutiles. Il est vital que les services publics retrouvent ainsi une respiration qui ne se fait plus naturellement aujourd'hui. Les Français subissent des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés du monde, des prélèvements beaucoup trop lourds. Ils ont droit à des services publics accueillants et performants.

Votre région a donné un bon exemple de ce qu'il faut faire avec l'opération "cybercommunes", qui rendra les nouveaux outils de communication multimédias progressivement accessibles au plus grand nombre.

Cette rénovation des principes du service public est l'une des conditions de la réconciliation des Français avec la chose publique. On ne peut en faire l'économie.





Il reste enfin, et c'est ma quatrième conviction, à transformer, en s'inspirant des mêmes exigences, les conditions d'exercice des responsabilités politiques proprement dites.

La représentation des Français doit être à l'image de la France. Ce n'est pas le cas aujourd'hui et un profond renouvellement s'impose.

Ouvrir la vie politique est l'une des grandes nécessités de notre temps.

Ouverture aux femmes, bien sûr ; je souhaite que la révision constitutionnelle qui favorisera l'accès des femmes aux responsabilités, notamment, politiques aboutisse le plus vite possible.

Ouverture aussi aux professionnels de tous les secteurs de l'activité nationale, pour que la représentation s'élargisse, qu'elle soit fidèle à la diversité de talents et d'expériences qui font la richesse et le dynamisme de notre société.

Aucune catégorie de Français ne doit plus être privilégiée par rapport aux autres pour l'exercice de mandats électifs. Je souhaite que les chances de chacun soient rendues égales devant le suffrage universel. Les fonctionnaires ne doivent plus être les seuls à pouvoir conserver indéfiniment le privilège de réintégrer leur emploi à l'issue de mandats électifs. Le statut de l'élu doit fixer des règles et des limites pour répondre à cette exigence. Nous devons aussi faire en sorte que les élus, dans les collectivités d'une certaine importance, puissent se consacrer à temps plein à leur tâche, et qu'ils acquièrent des droits sociaux correspondant à leurs responsabilités.

Ouverture à de nouvelles générations, enfin. Les règles qui vont être posées pour limiter le cumul des mandats y contribueront sans aucun doute. Vous le savez, j'estime que les fonctions gouvernementales doivent être prises en compte dans cette limitation. Elle perdrait son sens si les mandats les plus importants en étaient exclus.

La refondation de la morale publique correspond, enfin, à une attente très profonde de nos compatriotes.

Il n'est pas de morale publique sans devoirs reconnus et acceptés. Le premier d'entre eux est de respecter la Constitution et son Préambule, dans tous les principes qu'ils comportent. Je propose que tout élu souscrive solennellement cette obligation républicaine au moment de son entrée en fonctions.

Au-delà de la nécessaire clarté des conditions de financement de la vie politique, il est indispensable d'assurer un meilleur contrôle des situations personnelles, pas seulement celles des élus, mais aussi celles de l'ensemble des responsables publics. On ne peut laisser peser sur eux une sorte de suspicion permanente. Les cas d'enrichissement personnel sont heureusement très exceptionnels. Ils doivent être punis sévèrement. Soyons fermes et vigilants mais prenons soin d'éviter une "judiciarisation" de la démocratie qui finirait par atteindre l'esprit d'initiative et le sens des responsabilités !

En outre, il serait juste d'instaurer une responsabilité des partis politiques qui contreviendraient aux règles légales de financement, en leur imposant de reverser l'intégralité des avantages qu'ils auraient indûment perçus. Ce serait une sanction à la fois dissuasive, efficace et appropriée.

Il est vrai cependant que l'action politique exige des moyens, pas seulement des moyens financiers, mais aussi des moyens intellectuels et humains. Parce que le Gouvernement dispose d'une information abondante et objective, la majorité, quelle qu'elle soit, a toujours accès à des analyses pertinentes, fondées sur des données complètes, et à des propositions argumentées.

Il n'en va pas de même de l'opposition, placée dans une situation d'infériorité d'autant plus préjudiciable à l'intérêt général qu'un jour ou l'autre, devenue majorité, elle a vocation à exercer à son tour le pouvoir.

La difficulté n'est pas insoluble. Le débat démocratique entre la majorité et l'opposition s'enrichirait sans aucun doute de la création de fondations d'un type nouveau qui associeraient dans une réflexion commune politiques, universitaires et professionnels pour développer des recherches, construire des projets, élaborer des réformes et des plans d'action. De telles structures constitueraient un cadre plus varié, plus riche d'expériences et plus au fait des réalités de l'économie et de la société. On permettrait ainsi aux futurs gouvernants d'être mieux préparés à leur charge, aux programmes politiques d'être mieux adaptés aux réalités, et on donnerait à l'opposition parlementaire les moyens de mieux remplir sa double fonction de contrôle du Gouvernement et d'élaboration d'une politique alternative.





Vous le voyez, l'oeuvre à accomplir est immense.

Les Français ne veulent pas d'une démocratie reposant sur le seul consentement d'une majorité silencieuse. Ils veulent qu'on leur donne les moyens de s'épanouir dans une démocratie d'engagement et d'adhésion, fondée sur une citoyenneté revivifiée.

Nous avons la chance d'avoir une bonne Constitution.

Elle a maintenant 40 ans. Elle est inscrite dans la durée. Elle est pleinement devenue, à l'épreuve du temps, la Constitution de la France, dans sa permanence et dans son mouvement.

Ce n'est pas la Constitution d'une Nation immobile. Elle a constamment su évoluer. Demain encore elle y parviendra. Elle n'est jamais plus fidèle à sa vocation que lorsqu'elle s'adapte aux exigences de notre époque, celles de la démocratie et de la justice, celles de l'Europe, celles des grands changements de la société ou de la vie économique.

Mais la vie politique d'une grande démocratie ne repose pas seulement sur sa Constitution.

Je vous ai dit ce que je croyais bon pour la République.

Il faut revenir au souffle originel de la démocratie en s'appuyant sur les besoins et sur les aspirations qui partout aujourd'hui s'expriment.

C'est en libérant et en valorisant les nouvelles énergies démocratiques que nous pourrons dessiner le visage de la France de demain.

Vive la République !

Vive la France !





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