Discours du Président de la République à l'occasion de la visite officielle en Bosnie-Herzégovine.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de sa visite officielle en Bosnie-Herzégovine.

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Théatre national, Sarajevo, Bosnie-Herzegovine, le mardi 7 avril 1998

Messieurs les membres de la Présidence de Bosnie-Herzégovine, Madame la Présidente de la Republika Srpska, Monsieur le Président de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, Messieurs les Premiers ministres, Messieurs les Présidents des Assemblées parlementaires, Monsieur le Haut Représentant, Monsieur le Recteur, Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie, M. le Recteur, pour votre accueil. Je vous remercie pour vos propos. Ils m'ont beaucoup touché et ils étaient porteurs d'un message pour ce qui est l'essentiel, c'est-à-dire l'avenir de la jeunesse de ce pays, une jeunesse dont je voudrais saluer aussi les représentants aujourd'hui.

Je suis très heureux, je suis un peu ému aussi, d'être aujourd'hui à Sarajevo, dans une ville où l'histoire fut si longue et parfois heurtée au centre d'une terre de vieille culture et un endroit qui a toujours été proche du coeur des Français, un endroit un peu symbolique pour la France.

Je remercie très chaleureusement la Présidence de Bosnie-Herzégovine de m'avoir invité ici, en ce lieu si représentatif de l'âme de votre cité, et de m'avoir invité à m'adresser aux responsables de votre pays et à sa jeunesse. Cette jeunesse qui incarne la diversité et qui porte l'espérance d'une Bosnie-Herzégovine réconciliée.

Je remercie enfin, M. Srdjan DIZDAREVIC, Président du Comité d'Helsinki pour les droits de l'Homme en Bosnie, d'avoir gentiment accepté d'assurer, avec toute sa qualité, l'interprétation de mon discours.

Il existe entre nos deux pays, je l'évoquais tout à l'heure, une affinité profonde, une affinité forgée dans l'épreuve et inscrite dans la durée. Tous mes compatriotes ont ressenti, dans leur coeur et dans leur esprit, l'insupportable déchirure bosniaque.

L'engagement de la France en Bosnie fut d'abord, et il reste aujourd'hui, un engagement pour la défense des valeurs qui fondent notre civilisation : le refus des haines ethniques et religieuses, le respect profond de l'autre, la primauté du droit sur la force, et une primauté du droit assuré, s'il le faut, par la force. En un mot une conception exigeante de l'humanisme et de la tolérance. Ce qui était en jeu, ce qui reste en jeu en Bosnie, ce sont ces valeurs sans lesquelles nous ne serions plus nous-mêmes.

Au service de ces valeurs, la Nation française, avec d'autres, s'est mobilisée tout entière.

Les soldats français, aux côtés de ceux des autres pays présents sur le terrain, sont nombreux, le Président IZETBEGOVIC l'a rappelé ce matin, à avoir payé de leur vie cet engagement. Ils s'honorent d'avoir contribué, avec leurs partenaires britanniques et néerlandais de la Force de réaction rapide, à tracer le chemin de la paix.

Ce chemin est fréquemment passé par Paris, de la signature des accords négociés à Dayton à l'adoption des principes directeurs du " plan de consolidation ", qui constituent les deux pierres d'angle de la paix en Bosnie, c'était à Paris. L'amitié constamment exprimée par le peuple de France envers la Bosnie, le travail exemplaire de ses organisations humanitaires, l'engagement de ses intellectuels et de ses artistes marquent une mobilisation qui est sans doute sans équivalent dans le monde occidental.

Cet engagement de la France est guidé par une vision claire de l'objectif à atteindre : une Bosnie-Herzégovine unie, multi-culturelle, démocratique, pleinement intégrée dans la communauté des nations, occupant toute sa place dans une région stabilisée à laquelle l'Europe doit tendre, et tend déjà la main. Cet objectif trace le seul chemin possible vers une paix durable, conforme à l'exigence morale qui nous anime et à l'idée que nous nous faisons de l'Europe.

Les progrès importants accomplis au cours de ces derniers mois démontrent que cette ambition est à notre portée, malgré toutes les blessures du passé et les obstacles qui se dressent encore sur notre route.

Les institutions communes de la Bosnie-Herzégovine sont en place. Elles commencent à fonctionner. Sous l'impulsion des Hauts Représentants, MM. Carl BILDT et Carlos WESTENDORP, auxquels j'exprime mon estime et ma reconnaissance, des décisions essentielles ont été prises pour la création d'une citoyenneté, d'une monnaie, d'un passeport et d'un drapeau communs.

Les structures de l'État de Bosnie-Herzégovine et les instruments de la souveraineté, se trouvent progressivement établis et consolidés.

Dans ce cadre, les deux entités qui composent la Bosnie peuvent s'épanouir, se développer et développer également leur coopération. La Fédération de Bosnie-Herzégovine organise progressivement l'union des peuples qui la composent. La République serbe de Bosnie s'ouvre et se réforme, comme en témoignent l'action entreprise par sa Présidente et son nouveau Premier ministre, ainsi que le transfert du siège de son Gouvernement de Pale à Banja Luka.

Chacun mesure néanmoins l'ampleur du chemin qu'il reste à parcourir pour enraciner la paix dans les esprits et peut-être surtout dans les coeurs. Pour faire vivre les institutions communes, pour en assurer le fonctionnement quotidien. Pour permettre aux réfugiés et aux personnes déplacées qui le souhaitent de retrouver leurs foyers. Pour répondre à l'obligation morale mais aussi politique de juger les criminels de guerre, car la paix, pour être durable, doit reposer sur la justice.

La ommunauté internationale, vous le savez, est déterminée à vous accompagner dans cette voie exigeante.

La France a plaidé avec vigueur pour le maintien en Bosnie, après le mois de juin 1998, d'une force internationale de paix. Elle en restera, avec des effectifs comparables à ceux d'aujourd'hui, l'un des principaux pays contributeurs.

Elle pèsera de tout son poids pour que se poursuive le programme d'aide à la reconstruction économique qui a été engagé. Ce programme, d'une ampleur sans précédent pour l'Europe, doit encourager tous ceux qui participent à la pleine mise en oeuvre des accords de paix. Il doit aider chacun à trouver ou retrouver un logement, un travail, des conditions de vie normales.

Mais l'avenir de la Bosnie est d'abord entre vos mains. Alors qu'un immense espoir se lève aujourd'hui sur votre pays, j'en appelle amicalement aux femmes et aux hommes de bonne volonté qui veulent tourner définitivement la page de la guerre, de la haine pour ouvrir le nouveau chapitre celui de la réconciliation. J'en appelle aux responsables de la Bosnie, j'en appelle tout particulièrement, bien sûr, à sa jeunesse porteuse de la force vive du pays.

Vous, les jeunes, ne cédez pas au découragement et au renoncement. Croyez en vous-mêmes, en votre pays et en son avenir. Vous êtes une vieille nation, une vieille culture, et votre avenir est devant vous. Il vous appartient, aujourd'hui, de le construire, et pour cela, croyez en la fraternité -ce beau mot qui figure dans la devise de la République française-.

Vous avez vocation à construire un pays exemplaire, dont les peuples doivent réapprendre à vivre ensemble, dans le respect de leurs différences mais avec estime et amitié. Où les citoyens de toutes origines, de toutes confessions, doivent pouvoir s'exprimer librement, c'est bien normal, dans le cadre d'institutions démocratiques et républicaines qui permettent cette expression.

Une Bosnie-Herzégovine enfin réconciliée, respectée à l'intérieur comme à l'extérieur, forte de sa diversité, unie par un même idéal de paix et de tolérance.

En cette année du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, montrez à l'Europe et au monde que la garantie des libertés publiques, la dignité de la personne humaine, le respect des croyances de chacun constituent le ciment et l'ambition de votre pays et de vos peuples. Soyez des patriotes de la tolérance. Donnez-vous la main.

Voici le projet que je suis venu vous proposer aujourd'hui, parce que ce projet, c'est celui de l'Europe.

Votre histoire, votre destin, sont ancrés dans l'histoire et le destin de l'Europe. Vous êtes Européens. Tous les peuples européens portent dans leur chair la blessure des générations sacrifiées par les guerres si nombreuses qui nous ont ensanglantés. Tous portent, au plus profond d'eux-mêmes, l'espoir d'une réconciliation dans l'Europe et pour l'Europe. Je vous invite à faire vôtre cette grande ambition européenne, pour qu'elle devienne l'objectif commun de tous les peuples de la Bosnie et aussi l'élément fédérateur de leurs efforts, comme elle est devenue l'objectif commun de tous les peuples de l'Union européenne.

Au lendemain du dernier conflit mondial, deux hommes d'exception, deux visionnaires, le chancelier allemand Konrad ADENAUER et le général de GAULLE, ont décidé de changer le cours de l'histoire. De réconcilier deux peuples si longtemps entretenus dans la haine l'un de l'autre.

Parce qu'ils ont compris que la fidélité à la mémoire des morts, et la reconnaissance de leur sacrifice, ne consistaient pas à les venger dans l'engrenage sans fin de la violence, mais consistaient à permettre à leurs frères, à leurs enfants de construire ensemble un avenir partagé, un avenir heureux. Parce qu'ils ont compris que la vocation historique de l'Europe, c'est d'abord de bâtir la paix et de garantir la paix aux générations futures.

J'appelle tous les responsables, j'appelle amicalement tous les responsables de la Bosnie d'aujourd'hui et tous les jeunes qui forgent et forgeront la Bosnie de demain, à s'inspirer de cet exemple de courage et de lucidité que ces deux hommes nous ont donné. Je les invite à refuser la fatalité de la guerre, à construire un destin commun, à faire le choix de la réconciliation et aussi celui de l'Europe.

L'Europe vous tend la main. Les Européens assurent déjà, et de loin, l'essentiel de l'aide à la reconstruction. Ils fournissent la plus grande part des contingents de la SFOR. Comme je l'ai proposé le 7 janvier dernier, le Corps européen participera à la future force internationale de paix. Cet engagement du Corps européen, le premier depuis sa création, illustre la volonté commune de la France et de l'Allemagne d'agir ensemble, avec leurs partenaires, pour l'enracinement de la paix en Bosnie.

Mais l'essentiel est ailleurs. Vous avez vocation à rejoindre demain la grande famille européenne, car cette famille, je le répète, c'est la vôtre, comme elle est celle de tous les peuples de l'ancienne Yougoslavie.

L'âme de l'Europe, les valeurs qu'elle porte, sont autant à Sarajevo, Banja Luka ou Mostar qu'à Paris, Londres ou Berlin. Vous avez beaucoup à apporter à l'Europe, dont l'ambition, comme la vôtre, est de faire de la diversité un atout et une richesse. Vous pouvez, par la force de votre volonté, devenir, pour tous les Européens, un symbole de tolérance et de fraternité.

La France a toujours refusé les barrières dressées au coeur de notre continent. L'acte fondateur entre l'OTAN et la Russie nous a permis d'effacer l'indigne fracture de Yalta qui a opposé l'est et l'ouest pendant plus d'un demi-siècle.

Ne laissons pas s'ériger une nouvelle muraille entre le nord et le sud de notre continent. Située au carrefour des mondes byzantin et latin, de la Chrétienté et de l'Islam, la Bosnie-Herzégovine a vocation à être un trait d'union entre ces ensembles et non pas le lieu de leur affrontement.

Ce qui se joue en Bosnie, c'est la réconciliation de la grande famille européenne et l'existence d'un Islam ouvert et tolérant sur notre continent.

En ce jour où la communauté musulmane commémore le sacrifice offert jadis à Dieu par Abraham, je suis heureux de souhaiter une bonne fête aux musulmans et de me trouver avec vous sur cette terre de Bosnie qui réunit, dans une même descendance spirituelle, les trois religions du Livre. C'est l'occasion pour moi d'appeler tous les enfants d'Abraham, partout où ils se trouvent et notamment en Bosnie, à s'unir pour bâtir ensemble une civilisation digne de leur héritage commun.

Réconciliée, la Bosnie-Herzégovine contribuera à faire de l'ensemble du sud-est de l'Europe un espace de paix et de bonheur. Mais la stabilisation de cette région suppose aussi l'apaisement des autres foyers de tension qui demeurent.

Je pense bien sûr au Kosovo. L'expérience si douloureuse de la Bosnie nous enseigne que seule une action forte et convergente de la communauté internationale peut éviter un nouveau déchaînement de la haine ethnique sur notre continent.

Quoi d'ailleurs de plus absurde qu'une haine fondée sur l'origine de l'homme.

Je renouvelle ici l'appel que j'ai lancé le 8 mars dernier. La France fera tout, avec ses partenaires, pour briser l'engrenage de la guerre et promouvoir un règlement politique équitable pour tous, dans le prolongement de l'initiative commune qu'elle a présentée avec l'Allemagne dès le mois de novembre dernier.

La stabilisation durable du sud-est de l'Europe suppose aussi le développement de relations confiantes entre les pays de cette région, dans le respect de la souveraineté et des intérêts de chacun.

Je pense au règlement de la succession de l'ancienne Yougoslavie, auquel la France souhaite donner une nouvelle impulsion. Je pense à la pleine normalisation des relations entre tous les États de la région, dans le prolongement de l'accord signé à Paris en octobre 1996 entre la Bosnie-Herzégovine et la République fédérale de Yougoslavie.

Je pense au développement des mesures de confiance et de maîtrise des armements à l'échelle de l'ensemble du sud-est européen. La France se réjouit des négociations engagées par l'OSCE sous la coordination d'Henry JACOLIN, ancien Ambassadeur de France à Sarajevo où il a été, à certaines des heures les plus sombres de la guerre, le seul Ambassadeur occidental présent à vos côtés. Je rends hommage à son action comme à celle de son successeur, notre ambassadeur Monsieur Yves GAUDEUL.


Chers amis, Jeunes de Bosnie,

Votre avenir et celui de votre pays vous appartiennent. En le construisant, vous contribuerez à façonner le nouveau visage de toute cette région et donc celui de l'Europe.

Comme l'écrivait André MALRAUX, " il n'est qu'un acte sur lequel ne prévale ni la négligence des constellations ni le murmure éternel des fleuves : c'est l'acte par lequel l'homme arrache quelque chose à la mort ". Il ajoutait qu'" entre toutes les valeurs de l'esprit, les plus fécondes sont celles qui naissent de la communion et du courage ".

Ce message, c'est celui que la France vous adresse jour après jour, à travers l'action de ses représentants, de ses soldats, de ses ONG et de son Centre culturel André MALRAUX. C'est ce message que je suis venu, au nom de mon pays et aussi de l'Europe, vous porter aujourd'hui et vous le porter avec mon coeur.

Vive la Bosnie-Herzégovine, Vive sa jeunesse, et vive la paix.





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