Séance de questions-réponses avec les membres du Keidanren à l'issue du discours du Président de la République à Tokyo.

Séance de questions-réponses avec les membres du Keidanren à l'issue du discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République.

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Tokyo, Japon, le lundi 27 avril 1998

QUESTION - Tout d'abord, Monsieur le Président, je voudrais vous remercier pour vos propos. C'était un exposé qui m'a énormément impressionné car vous connaissez bien la situation économique japonaise et vous connaissez aussi bien tout ce qui s'est passé en Asie durant la crise financière. Avec toutes ces connaissances, vous nous avez bien encouragés et vous nous avez bien montré le chemin que nous devons suivre. Il faut garder confiance. Il ne faut pas être pessimiste. D'autre part, vous avez aussi reconnu la capacité exceptionnelle des pays asiatiques, c'était cela votre message. Je pense que ceci va énormément nous encourager et va donc nous redonner confiance.

Il y a un an et demi, en novembre 1996, vous nous avez donné une conférence comme aujourd'hui et, à cette occasion là, j'ai eu le plaisir de vous poser une question. Je vous demandais : "est-ce que la majorité des gens était encore sceptique quant à l'euro pour le 1er janvier 1999 ?". Mais les Français et les Européens ont fait énormément d'efforts et, aujourd'hui, vous êtes vraiment à 100 % sûrs du démarrage de l'euro le 1er janvier.

Vous avez évoqué la situation qui nous entoure, qui est très difficile, non seulement depuis la crise asiatique. Il y a des flux qui sont partis de l'Asie, le taux de change chute et nous avons beaucoup de dommages dans le domaine économique. La Thaïlande et l'Indonésie sont des exemples notables, et c'est dans ce contexte que je voudrais vous poser cette question.

Est-ce que l'euro va devenir une devise de référence ? D'ailleurs, je sais que vous faites des efforts pour que l'euro devienne une devise forte. Justement le problème c'est de savoir quel sera le rapport entre cet euro et le dollar. Quelle sera la parité ? Quel sera le taux de change de l'euro et du dollar ?

Vous avez, en Europe, le système monétaire européen. Vous avez jusqu'ici contrôlé les fluctuations dans certains marchés. Avec le système vous n'aurez plus de fluctuation à l'intérieur de l'Union mais par rapport au dollar. L'euro va coexister avec le dollar américain, entre ces deux devises, quelle sera la parité et quel sera le taux de change ? Il faudra que cette parité soit stable, même si le Président l'a bien mentionnée Il y aura le Sommet de Birmingham au mois de mai prochain, de quelle manière allez-vous discuter ces problèmes de parité ? Voilà ma première question.

Deuxième question, il y a l'euro et le dollar, deux monnaies de référence, face à cela, il y a l'Asie avec le yen. Bien sûr certains disent qu'il faut que le yen soit la monnaie de référence dans cette zone, et c'est vrai que certains font des efforts dans ce sens, mais ce n'est pas encore évident et là le problème est le suivant : en Asie quelle devrait être la devise asiatique ? Le système monétaire asiatique pourra-t-il être constitué et dans ce cas-là de quelle manière ? Vous qui avez déjà l'expérience du système monétaire européen, quelles seront les suggestions que vous allez pouvoir nous donner, à nous les Asiatiques, quant à l'éventuel système monétaire asiatique ?

Je crois qu'il faut aussi penser à établir le système monétaire global mondial et, dans ce cadre, peut-être pourra-t-on penser à des fluctuations de taux de change pour le XXIème siècle. Je me demande si ces systèmes monétaires ne seront pas plus cruciaux sur le plan politique, économique et social. La stabilité des devises sera essentielle, c'est donc dans ce sens que je voudrais vous poser la seconde question.

Quelles sont vos suggestions par rapport à un éventuel système monétaire asiatique ?

LE PRÉSIDENT - Vous avez d'abord évoqué l'euro. Les doutes, que l'on a pu avoir dans le passé sur la capacité des Européens à faire cette grande réforme, je crois, ont disparu et que l'euro est déjà un élément de stabilité. Vous aurez observé que la crise asiatique, contrairement à ce qui aurait dû se produire, n'a pas eu de conséquence en Europe, pourquoi ?

Tout simplement parce que les marchés ont anticipé l'existence de l'euro, ce qui leur a donné confiance et ce qui a permis à l'Europe de ne pas être bousculée par la crise asiatique. J'ajoute que le fait de ne pas avoir été frappé par cette crise a permis à l'Europe, grâce à l'euro, d'apporter, du côté du Japon, une contribution importante pour la maîtrise de la crise asiatique. Contribution qu'elle n'aurait pas pu apporter si elle avait été elle-même touchée par cette crise.

Donc, déjà, la seule perception de l'arrivée de l'euro est, à l'évidence, un élément de stabilité. Ceci va naturellement se confirmer. Pour nous c'est un élément de stabilité interne qui est également très important. Nous avons beaucoup souffert des crises de change à l'intérieur de l'Europe et de leurs conséquences économiques et sociales.

Vous dites la parité entre l'euro et le dollar. Nous aurons à en discuter. Les choses se passeront en fonction de la confiance que ces monnaies, et notamment l'euro, inspireront. Je crois qu'une monnaie doit être forte pour être crédible, pour ne pas être vulnérable et pour participer réellement à la stabilité du système monétaire international, elle ne doit pas être trop forte mais elle doit être crédible.

Pour ce qui concerne le système asiatique, je n'ai jamais pensé que l'Europe avait vocation à donner des leçons à l'Asie en matière économique ou financière, et d'ailleurs dans tous les autres domaines aussi.

L'Asie comprend les plus anciennes civilisations du monde. L'Asie a fait l'histoire du monde pour une large part, sa culture, sa sagesse, son dynamisme économique, ses résultats exceptionnels. Le Japon est la deuxième puissance économique du monde. Les pays asiatiques, malgré la crise, représentent, sans aucun doute, un élément essentiel de la croissance du monde de demain. Tout cela fait qu'il faut faire confiance à l'Asie. Moi, je n'ai rien à lui conseiller, je conseille simplement à tout le monde d'être optimiste et non pas pessimiste.

Il appartient donc à l'Asie de s'organiser sur le plan monétaire. Le yen, et, je dirai, un yen qui ne se déprécie pas, est un élément important de la stabilité monétaire du monde. Le yen joue, à l'évidence, un rôle pilote essentiel dans le système monétaire asiatique et dans le système monétaire mondial. Je souhaite que ce rôle continue à être joué. Il s'appuie sur une puissance économique, une épargne, des réserves, des actifs qui sont considérables et donc on ne peut pas être réellement ou sérieusement pessimiste.

Je souligne d'ailleurs le danger du pessimisme parce que nous sommes dans un monde où les marchés sont extrêmement susceptibles, où leurs décisions ne sont pas toujours fondées sur les réalités. Ces décisions sont fondées sur la perception qu'ils ont de la réalité. Une perception qui n'est pas toujours conforme à cette réalité si bien que les jugements pessimistes, qui peuvent être portés ici ou là en Europe, en Amérique, en Asie, ont immédiatement une influence et une mauvaise influence. Donc, je crois que tout le monde doit être conscient, lorsqu'il s'exprime, du tort qu'il peut faire, notamment à la croissance, en affichant un pessimisme qui n'est pas justifié. Il faut affirmer clairement la confiance.

Lorsque nous étions au Sommet de Londres, je le disais tout à l'heure, ce qui a été le plus clair dans les conclusions de ce Sommet qui comprenait les quinze chefs d'Etat et de Gouvernement européens et dix chefs d'Etat et de

Gouvernement asiatiques, la conclusion essentielle du sommet a été le témoignage de confiance de l'Europe pour l'Asie, le témoignage de solidarité de l'Europe à l'égard de l'Asie et réciproquement.

Je rappelle également que l'une des conclusions du sommet a été un message de confiance à l'égard du Japon. Ce n'était pas un geste diplomatique, c'était l'expression de la conviction de l'Europe qui a confiance dans le Japon, même si celui-ci, comme tout autre pays, peut avoir telle ou telle difficulté.

Voilà, Monsieur le Président, mes commentaires.

QUESTION - Vous venez de nous parler de l'euro. Monsieur le Président, vous venez de dire qu'il faut que ce soit une devise solide et stable et vous nous avez donné des explications très détaillées.

Pour ma part, quel que soit le pays, pour que la monnaie soit stable, il faut que la Banque centrale du pays en question soit bien forte. Dans ce sens, l'euro de la Banque centrale européenne sera essentiel et c'est sous cet angle que je voudrais vous poser une question, Monsieur le Président : quel sera, d'après vous, le rôle de la Banque centrale européenne ? Quelles sont vos idées et quelles seront les moyens pour renforcer cette Banque centrale ?

LE PRÉSIDENT - La Banque centrale européenne aura pour l'Europe les missions que les Banques centrales nationales ont, aujourd'hui, dans la plupart des pays européens.

Il y a eu une grande évolution depuis dix ans dans les principaux pays européens. Cette évolution s'est faite dans le sens de l'indépendance croissante et, aujourd'hui, complète des instituts d'émission.

La Banque centrale, la Banque de France, la Bundesbank, sont des organismes indépendants et le pouvoir politique n'a pas d'influence sur elle. Elles ont pour vocation la gestion de la monnaie et la fixation des taux d'intérêt, pas de la valeur de la monnaie qui reste une compétence des Etats, mais des taux d'intérêt. Elles ont pour vocation de fixer librement les taux d'intérêt, pas la valeur de la monnaie mais les taux d'intérêt.

La Banque centrale européenne aura la même mission. Alors, nous avons eu un grand débat en Europe parce que beaucoup se sont inquiétés du caractère technocratique de la Banque centrale et se sont demandés si ce système, si puissant de gestion d'une monnaie aussi importante, ne pourrait pas être trop indépendant par rapport à la vie économique, sociale des pays et de l'Europe.

C'est la raison pour laquelle, notamment à l'initiative de la France, il a été décidé de créer une structure économique face à la Banque centrale et l'obligation pour la Banque centrale de dire ce qu'elle fera, tout en lui laissant naturellement une très grande indépendance. Mais il est normal qu'un dialogue soit organisé et que la Banque centrale puisse connaître les préoccupations, notamment dans le domaine social, qui sont celles des Gouvernements des autorités politiques.

Je pense que la Banque centrale, qui sera naturellement une banque totalement indépendante, exercera normalement cette fonction. Je ne suis pas, sur ce plan, inquiet mais j'insiste sur le fait que la Banque centrale sera une banque totalement indépendante.





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