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Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant les communautés d'affaires russe et française à Moscou.

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Moscou, Russie, le vendredi 26 septembre 1997

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi d'abord de vous dire ma joie d'être ici, à Moscou, avec vous à l'occasion de ce voyage qui est celui de la confiance et de l'amitié entre deux grands peuples, le peuple russe et le peuple français.

Je voudrais saluer chacune et chacun d'entre vous et dire, en particulier au Premier Vice-Premier Ministre, mon ami Anatoli TCHOUBAIS, avec lequel nous travaillons depuis longtemps, toute ma reconnaissance pour être présent puisqu'il arrive juste de Hongkong. Il a donc beaucoup de mérite d'être avec nous et je lui dis, une fois de plus, toute ma gratitude, toute mon amitié et toute mon estime aussi.

Je voudrais saluer les ministres français présents, M. ALLEGRE, le ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, beaucoup de liens entre la Russie et la France passent par lui ; M. MOSCOVICI, ministre délégué chargé des Affaires européennes et là aussi, c'est extrêmement important pour nos relations et M. DONDOUX, le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur qui persiste à regretter que nos échanges ne soient pas encore ce qu'ils devraient être entre nos deux pays, mais qui est bien déterminé à faire en sorte que les choses s'améliorent sensiblement.

Mesdames, Messieurs,

Je suis, je vous le disais, heureux d'être parmi vous parce que vous représentez les forces vives de la Russie et de la France. Vous êtes les acteurs essentiels de la croissance. Vous êtes donc au coeur de ce grand partenariat que nos deux pays souhaitent développer et dont nous avons longuement parlé ce matin, d'abord avec le Premier ministre puis avec le Président de la Fédération de Russie.

Je crois, je crois sans aucun doute en l’avenir de la Russie. D'une Russie qui a entrepris d’immenses et profondes réformes pour être un grand Etat moderne et qui sera l’un des grands pôles industriels, technologiques, scientifiques, culturels et donc politiques de demain. Notre amitié et notre intérêt commun justifient, dans le domaine économique, et plus particulièrement le vôtre, de grandes, de très grandes ambitions.

C’est pourquoi j’ai souhaité que viennent des hommes d’affaires français avec moi, représentant nos plus grands groupes industriels et financiers mais aussi, et Dieu sait qu'aujourd'hui, on sait que c'est essentiel, nos petites et moyennes entreprises. Je les salue amicalement et je les remercie. Et je suis heureux que ce déjeuner soit pour eux, peut-être, l’occasion de renforcer leurs relations avec leurs homologues russes.

La Russie est et sera l’un des grands, des très grands acteurs de l’économie mondiale. Cela ne fait aucun doute.

Elle l’est par sa géographie. Elle l’est par son voisinage avec l’Union européenne, qui est aujourd'hui le plus grand marché du monde et aussi le plus ouvert. Elle l'est par son voisinage avec trois très grandes puissances qui sont aussi trois grands marchés d'aujourd'hui mais surtout de demain : le Japon, la Chine, l'Inde.

Elle l’est par la richesse de ses ressources naturelles. La Russie alimente l’Europe en gaz. Ses réserves d’hydrocarbures et de minerais sont encore largement inexploitées. Elles ont néanmoins permis de bâtir un outil industriel puissant et de développer un savoir-faire technologique qui placent la Russie parmi les toutes premières puissances du monde.

Elle l’est aussi par sa population, la sixième du monde et, sans aucun doute, l’une des mieux formées. C’est une condition essentielle du succès dans la grande compétition où nous sommes tous engagés. C’est pourquoi la France aide aussi vos jeunes à se former aux méthodes de gestion modernes. Et c’est pourquoi elle a créé, au sein de vos universités et de vos écoles, des filières de formation communes d’où sont déjà sortis de nombreux jeunes cadres russes. Elle va, à la demande du Président ELTSINE, accroître encore son effort. C'est pourquoi, nous avons ce matin envisagé, et les discussions ont commencé entre les deux ministres de l'Education nationale, le projet d'une grande université russo-française.

Enfin, la Russie change. En seulement quelques années, et je dirais presque en quelques mois, elle a fait la plus grande partie du chemin qui conduit à la modernité, à l’ouverture, à l’économie de marché et à la croissance. Et vous, les hommes d’affaires, vous êtes à l’avant-garde de ces transformations. C’est en grande partie sur vous, sur votre capacité à investir, sur votre foi dans l'avenir, que vous soyez Russes ou Français, c'est en grande partie sur vous que repose leur succès.

Il est frappant de voir à quel rythme s’opèrent les mutations en cours, avec quelle détermination vos dirigeants modernisent votre pays, l’adaptent aux règles de l’économie de marché, créent les conditions de la libre entreprise et celle de l’investissement.

Libération des prix, création d’un droit économique moderne, privatisations, ouverture aux échanges internationaux, réforme monétaire : jamais, jamais un pays de l’importance de la Russie n’avait autant progressé en si peu de temps. L’impulsion nouvelle donnée aux réformes en cours par le Président ELTSINE et l'équipe qu'il a su constituer autour de lui montre que la Russie maintient le cap, qu'elle a confiance et qu'elle gagnera.

Selon la Banque mondiale, la Russie sera en 2020, c'est-à-dire demain, l’un des cinq pays qui, dans le monde, auront le plus profité de l’ouverture et du développement des échanges.

Cette transition, cette intégration de la Russie dans l’économie mondiale, la France lui apporte tout son soutien amical. Elle le fait dans le cadre des institutions internationales : le Fond monétaire international, la Banque mondiale, le Club de Paris que la Russie vient de rejoindre comme Etat créancier.

Elle le fait en soutenant son adhésion aux grandes institutions de coopération économique internationale : l’OCDE et l’OMC qui assurent le respect de bonnes et saines règles dans les relations commerciales internationales. Déjà, l’an dernier, la France, qui présidait le G7 devenu depuis, heureusement, le G8, a plaidé avec succès pour l’entrée de la Russie dans le groupe des pays les plus industrialisés.

Enfin, la France soutient résolument le rapprochement de la Russie et de l’Union européenne et elle veillera à ce que l’accord de coopération et de partenariat qui les lie depuis 1994 soit pleinement exploité et évolue le plus rapidement possible vers une complète zone de libre échange.

La France elle aussi s’adapte. Elle veut être toujours plus compétitive.

Elle a les entreprises, les hommes, le savoir-faire. En témoignent ses sociétés industrielles, ses sociétés de service, ses banques qui sont présentes partout dans le monde. Ses réussites aussi : le train à grande vitesse, la fusée ARIANE qui vient de faire son centième lancement, AIRBUS et bien d'autres encore. Sa recherche figure parmi les plus performantes du monde. Son agriculture et son industrie agro-alimentaire arrivent parmi les premières. Et les résultats de notre commerce extérieur confirment l’excellence de nos produits et de nos services.

Ces atouts, la France les met naturellement au service de la coopération entre nos deux pays.

Il y a bientôt deux ans, le Président ELTSINE et moi-même avons créé une commission économique dont le rôle est précisément de développer notre partenariat. Instituée à l'échelon des Premiers ministres, comme elle existe aussi entre la Russie et les Etats-Unis, cette commission tiendra sa prochaine session à Moscou au niveau des deux Premiers ministres, le 30 octobre prochain.

Des succès ont d’ores et déjà été enregistrés. Je pense à l’énergie et notamment au secteur pétrolier où ELF et TOTAL ont réalisé d’importants projets dans le nord de la Russie. Je pense à l’énergie et à la sûreté nucléaires, domaine dans lequel Electricité de France et ses partenaires ont su conjuguer le savoir-faire de nos deux pays.

Je pense à l’espace où, au-delà de notre coopération traditionnelle, nous développons conjointement d’ambitieux projets industriels : dans le domaine notamment des lanceurs, avec la société commune STARSEM, dans celui des satellites de communication et demain dans le domaine de la navigation satellitaire.

Je pense à l’aéronautique, au succès de notre avion AIRBUS qui équipe d’ores et déjà la compagnie AEROFLOT, à la livraison d’équipements français de navigation aérienne, à notre coopération en vue notamment de la conception et de la fabrication d’un avion militaire d’entraînement franco-russe, le MIG-AT. Je pense à l’automobile, avec le partenariat qui s’instaure entre AZLK et RENAULT. Je pense aux technologies liées à la maîtrise du développement urbain : le traitement des eaux usées, celui des ordures ménagères, la distribution du gaz où nos entreprises, là aussi, développent avec les vôtres de grands projets.

Nous sommes partenaires dans le domaine agricole, au sein notamment de la filière sucrière.

Mais nous devons aller plus loin. La France possède une expérience internationalement reconnue dans bien d’autres domaines, tels que la santé, les services, le tourisme. Là aussi, elle doit pouvoir répondre aux besoins de l’économie et de la société russes.

La France a mobilisé d’importants concours financiers au service de cette coopération. J'ai demandé au Gouvernement, qui en est tout à fait d'accord, de poursuivre ses efforts.

Au-delà des grands projets, nos échanges courants ne cessent de s’intensifier. Le montant de nos exportations vers la Russie a presque doublé en deux ans, passant de six à dix milliards de francs. Nos produits sont largement présents dans les secteurs touchant au mieux-vivre des ménages : l’agroalimentaire, la pharmacie, la parfumerie, les cosmétiques, les équipements ménagers. Leur succès populaire témoigne en outre de l’émergence en Russie d’une classe moyenne, classe moyenne qui est l'assise indispensable des réformes économiques en cours. Mais ces résultats ne sont pas, ils ne sont pas à la mesure des possibilités et des intérêts de nos deux pays. Nous devons faire beaucoup mieux. C'est dans cet esprit que j'ai souhaité l’organisation à Moscou, à l’automne 1998, de la première grande exposition qui présentera, dans le complexe moscovite d’" Expocentre ", l’industrie française et ses produits dans les secteurs liés notamment à la consommation.

Je me félicite du développement en retour des exportations russes vers la France, dans le secteur énergétique en particulier. J’invite cordialement les hommes d’affaires et les industriels russes à venir nombreux en France pour y découvrir le marché français, un marché qui leur est ouvert.

La France est aussi l’un des tout premiers pays du monde pour l’investissement direct à l’étranger. Celui-ci est encore trop limité en Russie où la France ne vient qu’en quatrième position avec un stock d’investissements beaucoup trop modeste. Là encore, nous pouvons faire beaucoup mieux. A côté de groupes pionniers tels que DANONE, LAFARGE, RHONE-POULENC, d’autres investisseurs français doivent s’engager en Russie, c'est leur intérêt et ils peuvent avoir confiance. Le Club France, qui vient de se créer à Moscou, facilitera désormais les rencontres entre hommes d’affaires russes et français.

Mais pour que les investisseurs français fassent le choix de la Russie, ce qui est leur intérêt, celle-ci doit leur permettre de développer leurs activités. Elle doit leur offrir la stabilité et la clarté juridiques et fiscales, la transparence dans la passation des marchés, la sécurité des biens et des personnes qui sont nécessaires à l’épanouissement de l’initiative. Je voudrais saluer les efforts menés dans ce sens par les autorités de la Russie, par le Gouvernement, par le Président lui-même, notamment pour lutter contre toutes les formes de corruption.

Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, c’est maintenant à vous, les hommes d'affaires, ceux qui peuvent travailler, créer, investir, de construire ce grand partenariat économique entre la Russie et la France. Un partenariat à la mesure de l’Histoire mais aussi de l’amitié qui nous unit depuis si longtemps. A la mesure des extraordinaires et irréversibles changements de la Russie qui ouvrent d’immenses perspectives à la coopération entre nos entreprises et entre nos investisseurs. Un partenariat à la mesure des formidables ressources, naturelles, humaines, technologiques, scientifiques, industrielles de nos deux grandes nations.

Comment ne pas voir tout ce qu’il nous est possible d’accomplir pour peu que nous sachions nous associer et aborder l’avenir ensemble ? Voilà, les objectifs que je souhaitais développer à l'occasion de ce voyage dans un pays que j'aime et que je respecte.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie et je suis prêt à répondre à vos questions.

QUESTION - Monsieur le Président, les 150 chefs d'entreprise français que je représente à Moscou, un pays en plein développement, plein d'avenir, notent cependant tous les jours, à chacun de nos retours en France, une certaine peur de la Russie et du marché russe de la part des chefs d'entreprise, et des Français en général. Comment, selon vous, l'image du marché russe pourrait-elle changer en France ?

LE PRÉSIDENT - Il est certain que d'abord l'une des caractéristiques des producteurs, des investisseurs français, est de privilégier leur environnement traditionnel, je dirais l'Union européenne, et qu'ils ont plus de difficultés à comprendre l'intérêt qui peut y avoir au-delà d'une heure d'avion.

Mais ceci évolue, car nos industriels ou nos producteurs de services, et on en a le témoignage avec les résultats du commerce extérieur, s'investissent aujourd'hui de plus en plus loin. Ils ont compris que l'Asie, l'Amérique du Sud, l'Afrique étaient des continents prometteurs et naturellement la Russie, et plus généralement l'Europe de l'Est.

Alors, je crois que c'est un problème d'explication. C'est vrai que, parmi les grands pays industriels modernes, nous sommes les plus timorés. Je pense qu'il appartient au Club France, à ses membres, au-delà, à toutes celles et à tous ceux qui peuvent s'adresser aux chefs d'entreprise français, de dire que naturellement rien n'est jamais parfait dans aucun pays.

Mais les progrès engagés, ici, sur le plan des réformes, sur le plan de la sécurité des investissements, sur le plan du développement, justifient que l'on prenne un minimum de risques et que l'on fasse confiance dans une économie et un pays qui sont, indiscutablement, une économie et un pays d'avenir. Et bien que chacun fasse état de sa propre expérience, et un niveau courant se créera, je le souhaite, entre la France et la Russie.

QUESTION - Monsieur le Président, la peur de l'investissement en Russie pourrait être dissipée par des garanties d'Etat. A l'époque de l'URSS, la COFACE donnait des garanties importantes à l'Union soviétique. A l'heure actuelle, votre ministère des Finances est beaucoup plus prudent, s'agissant de la croissance de la dette extérieure, et n'accorde pas de garantie équivalente. Quelles sont les perspectives d'octroi de garantie de la COFACE pour des garanties croisées des banques russes ?

LE PRÉSIDENT - Il s'agit là du rang de la Russie dans les garanties COFACE et l'intervenant se plaint que ce rang ne soit pas suffisamment favorable. Il a probablement raison. A juste titre, nos financiers et notre ministère des Finances sont des gens prudents. Je reconnais qu'il y a un problème et je ne manquerai pas de faire état de votre suggestion, qui n'est pas la première, auprès du ministre de l'Economie et des Finances.

QUESTION - Monsieur le Président, la première question qui vous a été posée était orientée autour des entreprises françaises et de leur comportement en Russie. Vous savez qu'au plan politique, vous le savez mieux que quiconque, la France a aidé la Russie moderne à renouer avec le concert des nations modernes. Est-ce qu'au plan économique, vous ne pensez pas que vous aimeriez entendre, en retour, certains messages forts de la Russie pour améliorer les relations économiques entre nos deux pays ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, je ne vois pas à quoi vous faites expressément allusion, vous m'avez dit que vous apparteniez à ELF, ELF et TOTAL sont deux partenaires de la Russie actifs et qui ont fait des choses importantes ensemble. Pour le reste, je ne vois pas de signaux négatifs émis par la Russie, bien au contraire, chaque mois qui passe, j'observe des signaux positifs. Je les ai encore observés ce matin lors de nos réunions de travail. Je ne vois pas à quel signal vous pouvez faire allusion, moi je vous encouragerai surtout à donner vous-même le signal du dynamisme et d'ouverture en Russie, ce que d'ailleurs vous faites et je m'en réjouis.

Je terminerai simplement ce propos en exprimant à chacun ici ma reconnaissance pour être venu à la rencontre les uns des autres avec le Premier Vice-Premier ministre, les ministres français et les industriels ou les chefs d'entreprise de nos deux pays.

Je forme vraiment un voeu très fort, c'est que la perspective décidée et annoncée ce matin par le Président ELTSINE d'un doublement, je dirais, aussi rapidement que possible, il avait évoqué en une année, de nos échanges, que cette perspective réussisse, soit atteinte. Cela repose exclusivement sur vous. Et pour ma part, je vous engage et j'engage les entreprises françaises à faire confiance à la Russie, un pays qui est en train de gagner.

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