Allocution prononcée par M. Jacques Chirac Président de la République lors de la remise du prix Cino-del-Duca à M. Vaclav HAVEL Président de la République tchèque (Palais de l'Elysée)

Allocution prononcée par M. Jacques Chirac, Président de la République, lors de la remise du prix Cino-del-Duca à M. Vaclav HAVEL Président de la République tchèque (Palais de l'Elysée)

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Palais de l'Élysée - jeudi 9 octobre 1997

Monsieur le Président, Cher Vaclav Havel,

Madame,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

C'est pour moi une très grande joie et je tiens à remercier Madame Cino Del Duca et aussi un honneur de vous recevoir, Monsieur le Président, ici pour vous remettre le prix mondial Cino Del Duca.

Cette distinction a été créée en 1969 par Madame Simone Del Duca selon le voeu de son mari qui, toute sa vie, au prix de grands risques et aussi de grands sacrifices, est resté fidèle à son idéal d'humanité, de solidarité et de liberté. Attribué chaque année pour saluer une oeuvre qui apporte au monde un message d'humanisme moderne, le prix Cino Del Duca a déjà récompensé d'illustres écrivains, comme Jorge Luis Borgès, Jean Anouilh, Jorge Amado, Léopold Sédar Senghor, Ismail Kadaré, mais aussi, en 1974, le grand physicien russe Andrei Sakharov.

Cette année, ce prix mondial vous est décerné à vous, Vaclav Havel pour votre oeuvre de dramaturge. Mais au-delà, il rend également hommage au courage, à l'intelligence et à la force d'âme dont vous avez constamment fait preuve pour tenir en éveil la conscience de votre peuple.

" J'ai choisi délibérément de mener une existence mouvementée ", avez-vous dit à ce propos. " Je sème le trouble, poursuiviez-vous, mais en même temps je n'aspire qu'au calme. J'adore par-dessus tout l'harmonie, la paix, l'entente, la compréhension, l'indulgence des uns pour les autres ". N'est-ce pas là en effet le sens profond du combat que les signataires de la " Charte 77 " et

vous-même, l'un de ses trois premiers porte-parole, avez mené pour appeler vos concitoyens à refuser le mensonge et à reconquérir leur liberté et leur dignité ?

Fidèle à la devise " La vérité vaincra " et parce que vous êtes convaincu que " les droits qui doivent être conquis ne tomberont pas du ciel ", comme vous l'écriviez déjà au Printemps de 1968, c'est toute votre vie que vous allez placer sous le signe de la " résistance ".

En raison de vos origines bourgeoises, l'accès à l'université vous était interdit. Vous réussirez cependant, en suivant des cours du soir, à étudier l'économie à l'université technique de Prague, mais vous n'avez pas le droit d'entreprendre des études littéraires : d'autres chemins vous mèneront donc à l'écriture.

C'est après votre service militaire que vous débutez au théâtre ABC comme machiniste. En 1956, vous écrivez en collaboration votre première pièce, " Une Soirée en famille ". Puis, à partir de 1960 et pendant huit années, vous exercez au théâtre de la Balustrade les fonctions les plus diverses : vous serez tour à tour ou tout à la fois technicien, administrateur, acteur, coauteur.

Ce même théâtre accueillera les trois premières pièces que vous avez écrites seul, " La Fête en plein air ", " Avis " et " Il devient plus difficile de se concentrer ". Ce n'est pas un hasard si ces trois pièces se rattachent au théâtre de l'Absurde : vous admirez Kafka et Ionesco. Vous le soulignez d'ailleurs : " C'est le phénomène le plus important de la culture théâtrale du vingtième siècle, écrivez-vous, car il montre la crise de l'homme d'aujourd'hui. L'homme qui a perdu sa sécurité métaphysique, son expérience de l'absolu, son rapport au concret, au sens profond des choses. Autrement dit, l'homme qui a perdu la terre ferme sous ses pieds ". Dès lors, les dés sont jetés : écriture et action politique peuvent se rejoindre, non par une quelconque fatalité, mais par un choix libre qui exprime votre révolte.

En 1968, ce que vous appelez vous-même vos activités " extra-théâtrales " vous conduisent à quitter le théâtre de la Balustrade. A la suite de quoi votre engagement dans le réformisme des années soixante et votre contribution à la création de la " Charte 77 " vous valent de connaître la prison. Vos pièces sont censurées en Tchécoslovaquie, mais elles sont jouées dans le monde entier.

Les emprisonnements et les libérations qui se succèdent, ainsi que la hantise d'une confiscation de vos manuscrits, confèrent désormais un caractère autobiographique à votre oeuvre. Dès 1975, pris dans un tourbillon de non-sens, les personnages de vos pièces deviennent les victimes de la société répressive. " Vernissage ", " Audience ", " Pétition ", vos oeuvres s'ordonnent autour du thème de la perte d'identité et de la lutte pour sa reconquête. C'est dans un état de " névrose obsessionnelle ", pour reprendre votre expression, qu'en 1984, vous écrivez en quatre jours " Largo desolato "

les personnages de vos pièces deviennent les victimes de la société répressive. " Vernissage ", " Audience ", " Pétition ", vos oeuvres s'ordonnent autour du thème de la perte d'identité et de la lutte pour sa reconquête. C'est dans un état de " névrose obsessionnelle ", pour reprendre votre propre expression, qu'en 1984, vous écrivez en quatre jours " Largo desolato " et en dix nuits " Les Tentations ", un an après. De cette première pièce vous dites, et je vous cite, qu'elle " se veut parabole de l'homme, de l'homme en soi. Peu importe dans quelle mesure elle a été inspirée par mes expériences personnelles, l'essentiel est ce qu'elle dit aux gens sur leurs propres expériences, plus profondes et plus douloureuses encore ". En 1988, enfin, vous goûtez à la satire politique avec " Assainissement ".

Dans " Les Héros de notre temps ", Jan Patocka rappelle ce que disait Nietzsche de " ces grands changements qui arrivent sur des pieds de colombe ". C'est ainsi qu'après de longues années de solitude où vous ont soutenu votre immense force morale et aussi celle d'Olga, constamment présente à vos côtés dans l'épreuve, vous deviendrez, le moment venu, l'acteur principal de la Révolution de velours. Et tout naturellement, en 1989, vous serez porté à la plus haute charge de votre pays.

Quatre années plus tard, et à votre grand regret, la Tchécoslovaquie s'est scindée en deux, la République Tchèque et la Slovaquie. Vous êtes, une fois de plus, celui qui règlera ce divorce à l'amiable, sans que la situation ne dégénère " à la yougoslave ". Aujourd'hui, alors que vous menez votre pays vers l'Alliance Atlantique et vers l'Union européenne, d'autres combats ne vous détournent pas -et c'est tant mieux- de votre devoir.

Je me souviens avec émotion, Monsieur le Président, Cher Vaclav Havel, de votre première visite d'État en France, en 1990. J'ai eu l'honneur et le plaisir de vous accueillir alors à l'Hôtel de Ville. C'était un an après la chute du mur de Berlin, un an après la Révolution de velours et la libération de votre pays. Face à ces bouleversements, mon épouse créait une association, le Pont-Neuf, dans le but de tisser de nouveaux liens de coopération et d'amitié entre la France et les pays d'Europe centrale, tout particulièrement la Tchécoslovaquie. Et je me rappelle la conversation que nous avions eue ensemble dans mon bureau de l'Hôtel de Ville, sur les grands axes à donner à cette fondation.

Huit ans après la fin de la grande glaciation qui avait si longtemps saisi votre pays, nous gardons tous à l'esprit ces images très fortes de novembre 1989, des images qui appartiennent désormais à la mémoire de Prague, à la mémoire de l'Europe. Elles nous montraient, sur la place Venceslas et sur l'esplanade de Letna, " le pouvoir des sans-pouvoir " ; elles nous montraient un peuple en marche et en fête, qui scandait à l'unisson son espérance : " C'est déjà là ", en faisant tinter des milliers de clés, symboles de la libération.

" Chacun de nous peut changer le monde s'il le veut " souteniez-vous lorsque vous avez reçu le Prix Erasme. En novembre 1989, il ne s'agissait plus d'un rêve, mais bien, pour tout un peuple, de la restauration de son identité, du retour à la dignité et au respect de soi. L'année 1990 devint alors pour nous celle des retrouvailles, nos retrouvailles avec l'Europe du Centre, cette autre moitié de nous-mêmes dont l'Histoire nous avait trop longtemps séparés.

C'est pourquoi, aujourd'hui plus que jamais, à l'heure où la République Tchèque a repris en main son destin et prépare son entrée dans l'Union européenne, il appartient à tous les Européens et aux Français en particulier, d'accompagner votre pays dans cette nouvelle étape.

Les Français, Cher Vaclav Havel, croyez-le bien, le feront très volontiers. Car si la coupure de l'Europe, entérinée à Yalta, a constitué pour vous et vos compatriotes une terrible épreuve, elle représentait pour nous, les Européens de l'Ouest, un vrai scandale historique que le Général de Gaulle ne s'est jamais lassé de dénoncer. Nos retrouvailles mettent fin à cette choquante anomalie.

Elles ouvriront, je n'en doute pas, la voie à une multitude d'échanges d'influences et d'enrichissements mutuels. Peut-être avez-vous besoin de nos capitaux, de nos savoir-faire techniques ou organisationnels, de notre vitalité scientifique et culturelle. Nous, nous avons soif de votre expérience, de votre sagesse, de la différence de vos points de vue, que l'originalité de votre parcours nous rend si précieuse.

Je sais que vous avez lancé à Prague, sous le nom de " Forum 2000 ", une série de rencontres annuelles destinées à poursuivre et enrichir la réflexion internationale sur notre avenir commun à nous, hommes de bonne volonté de cette planète.

De la sorte, en restant fidèle à vous-même et en poursuivant votre quête de vérité sous d'autres formes, c'est toujours un profond message d'humanisme que vous ne cessez de nous apporter.

J'en veux pour preuve, parmi beaucoup d'autres, votre dernier ouvrage paru cette année dans votre pays et qui devrait être tout prochainement édité en France sous le beau titre de : " Il est permis d'espérer ". J'ai eu accès aux épreuves de ce livre et j'ai été frappé d'y trouver de magnifiques méditations sur les thèmes de l'espérance, de la valeur du sacrifice, de l'interdépendance des civilisations, des responsabilités de l'Occident...

J'en veux pour preuve, parmi beaucoup d'autres, votre dernier ouvrage paru cette année dans votre pays et qui devrait être tout prochainement édité en France sous le beau titre de : " Il est permis d'espérer ". J'ai eu accès aux épreuves de ce livre et j'ai été frappé d'y trouver de magnifiques méditations sur les thèmes de l'espérance, de la valeur du sacrifice, de l'interdépendance des civilisations, des responsabilités de l'Occident...

En vous décernant son prix mondial pour 1997, ce que va faire maintenant Madame Cino Del Duca, la Fondation sa Fondation a décidément fait un choix inspiré : Monsieur le Président, cher Vaclav HAVEL, je me réjouis profondément de vous adresser, à cette occasion, mes félicitations les plus vives et les plus chaleureuses et d'adresser à votre épouse qui nous a reçus récemment avec tant de grâce et de gentillesse, mes hommages très affectueux.





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