Discours du Président de la République lors du VIIème sommet de la Francophonie à Hanoï.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République à l'occasion de la VIIème Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le français en partage.

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Hanoï (Vietnam), le vendredi 14 novembre 1997.

Monsieur le Président de la République Socialiste du Vietnam,
Cher Hôte et cher Ami,
Cher Mathieu Kerekou, Président sortant, qui remet aujourd'hui le flambeau de la Francophonie, et, c'est vrai, qu'il y a quelque chose d'émouvant dans le fait qu'un Africain remette ce flambeau à un Asiatique,
Mesdames et messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement,
Mesdames et messieurs les chefs de délégation,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs,
Mes chers Amis,

Pour les Français, ce premier Sommet en Asie revêt une signification forte. Le Vietnam, Hanoï : autant de noms qui résonnent dans nos coeurs. Autant de noms habités par l'Histoire et le souvenir.

Les Français viennent de plus en plus nombreux au Vietnam. Beaucoup le découvrent. Certains le retrouvent. Aucun n'y arrive sans émotion. Aucun n'en revient déçu. Plus que d'autres peut-être, ils ressentent et mesurent la volonté acharnée historique d'un peuple qui s'est toujours battu pour être pleinement maître de son destin.

Nos liens, noués jadis par la passion et par la douleur, s'épanouissent aujourd'hui dans un dialogue riche et confiant. J'en suis heureux, et je tiens à remercier, en notre nom à tous, les hautes autorités vietnamiennes, qui ont si bien organisé ce Sommet. Cette réunion historique, qui ouvre une ère nouvelle à la Francophonie, est aussi un moment fort d'amitié.

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Notre présence à tous dans ce Vietnam bi-millénaire, dont l'influence progresse dans toute cette région du monde , prend valeur de symbole. Elle confirme la dimension universelle de la Francophonie. Elle traduit notre volonté d'être davantage présents sur le continent asiatique à l'aube du XXIème siècle.

L'Asie, pôle majeur de développement et des échanges économiques mondiaux, acquerra demain un poids politique à la mesure de ses civilisations anciennes et brillantes, de son dynamisme et de sa puissance. Or la Francophonie y dispose d'un socle historique, dans la péninsule indochinoise, comme d'ailleurs un peu plus loin dans le Pacifique Sud.

Certes, l'usage de la langue française s'est érodé au Vietnam, au Cambodge et au Laos. Il reste embryonnaire dans les autres pays asiatiques. Mais les initiatives prises par le Vietnam ces dernières années éclairent notre horizon et justifient notre optimisme : l'enseignement du français progresse ici, les classes bilingues y sont perçues comme des lieux d'excellence. Vous en avez eu tout à l'heure un témoignage avec ces enfants qui sont venus nous dire leur espoir, leur amour de la vie et de tous les petits-enfants du monde francophone et d'ailleurs. Et je voudrais avoir une pensée particulière pour ces enfants qui nous ont salués et qui ont chanté parce qu'ils étaient pour nous l'image même de ce que nous souhaitons, c'est-à-dire un monde chaleureux, fraternel et solidaire.

Au Japon, en Corée, en Thaïlande se renforce aussi le désir d'apprendre le français, et le succès du récent congrès à Tokyo de l'Association Internationale des Professeurs de Français augure bien de l'avenir. Nos civilisations souhaitent plus que jamais confronter leurs cultures, leurs arts de vivre, leurs expériences, leurs capacités de création. Cette attirance vers l'autre, cette quête incessante de

l'Orient et de l'Occident qu'évoquait si bien Rabindranath Tagore, ouvrent des perspectives d'épanouissement à la Francophonie, notamment dans ce continent asiatique. Notre présence doit s'y affirmer. C'est une question de volonté politique. Cette volonté, tous, ici, nous l'avons !

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Osons le dire, la Francophonie est une entreprise résolument politique. Une entreprise patiente dans son cheminement, mais ambitieuse dans sa vision et fidèle à l'esprit de ses pionniers. Je pense aujourd'hui à Léopold Sedar Senghor, à Habib Bourguiba, à Hamani Diori, à Jean-Marc Léger, à Norodom Sihanouk auxquels je souhaite rendre ici un hommage particulier, à toutes celles et à tous ceux qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour donner un véritable sens à la Francophonie et je voudrais saluer le docteur Emile Zinsou qui a présidé avec talent le Conseil Permanent de la Francophonie.

Je pense aussi avec gratitude à tous les militants qui ont façonné les outils de la Francophonie : l'Agence, l'AUPELF-UREF, l'AIPLF, TV5, l'AIMF.

Je pense enfin aux collectivités locales et aux ONG qui multiplient les actions de coopération, les échanges culturels, les jumelages et qui créent ainsi un réseau fort de solidarité.

C'est la somme de ces dévouements, ce sont les succès de nos opérateurs, qui nous ont décidés, il y a deux ans, à Cotonou, à couronner l'édifice institutionnel de la Francophonie. Nous avons voulu donner à notre solidarité une traduction politique, au sens le plus noble du terme, forte. Nous avons adopté une charte qui complète le Traité de Niamey. La Conférence ministérielle qui a préparé notre Sommet, nous a adressé des messages importants. La France est attentive au

rôle de la Conférence Ministérielle pour le bon équilibre de nos institutions. Dans le meilleur esprit de dialogue qui enrichit notre communauté nous apporterons ensemble des précisions répondant aux préoccupations qui ont été exprimées par les ministres. Dans ce contexte, ici, à Hanoï, nous allons élire le premier Secrétaire général de la Francophonie.

Chacun perçoit la portée historique de cet acte. Désormais la Francophonie aura une voix et un visage. Nous attendons de notre Secrétaire général qu'il porte haut et loin notre idéal et les conceptions qui sont les nôtres, avec l'autorité que lui confèrent la charte et son prestige personnel.

Certes il lui reviendra aussi de coordonner et de contrôler les activités de coopération linguistique, économique, scientifique, culturelle et médiatique.

Il lui incombera d'intervenir pour la consolidation de l'état de Droit, dans l'esprit d'entraide fraternelle qui nous anime et dans le strict respect de la souveraineté de chacun des pays qui composent notre communauté.

La Francophonie doit se garder de toute ingérence, de toute leçon de morale, de tout anathème. Nos diversités sont l'essentiel de notre force.

En cas de crise frappant un ou plusieurs de nos pays membres, le Secrétaire général de la Francophonie interviendra à la demande des parties concernées, avec pour seul souci d'aider au rétablissement de la paix et de porter secours aux populations qui en ont besoin. Il le fera en concertation, si nécessaire, avec les Nations Unies ou avec les grandes organisations régionales qui sont responsables des différentes parties du monde.

Un adage dit qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Il reviendra donc à notre Secrétaire général de consolider, à la place qui est la sienne, la démocratie et la bonne gouvernance en développant, à la demande des gouvernements, les instruments de formation juridique, d'observation d'élections, de prévention des conflits.

La démocratie répond à une exigence universelle des peuples. Chacun peut légitimement se réclamer de telle ou telle tradition politique, de telle ou telle pratique sociale. Nul n'a le monopole de la bonne gouvernance. Nul n'a la recette immuable de la vraie démocratie. Mais l'aspiration unanime des peuples à voir respectées les droits, les libertés et la dignité de la personne humaine ne peut être ignorée. Nous en sommes tous conscients. Cette évidence politique et morale inspirera l'action de notre Secrétaire général.

Mais la Francophonie c'est aussi la coopération économique et technologique. Monsieur Cu Huy Cân a défini la Francophonie comme : " une communauté de culture, qui ne se développera qu'étroitement subordonnée aux échanges économiques et technologiques ". Et je souscris, pour ma part, à ce jugement.

C'est avec raison que nos hôtes vietnamiens ont souhaité que la dimension économique de notre entreprise commune soit valorisée à l'occasion de ce Sommet. Il se trouve, parmi nous, des pays prospères et d'autres qui avancent sur le chemin du développement.

Dans les pays du Sud notamment, des besoins élémentaires d'éducation, de formation, d'équipement et de capitaux ne sont pas satisfaits. Et c'est profondément injuste. C'est aussi la mission de la Francophonie que de répondre

aux problèmes posés par cette situation. Parce que la Francophonie, ce doit être la solidarité. Cette solidarité répond à un impératif moral pour les pays prospères, en même temps qu'elle rejoint leur intérêt bien compris.

A travers ce grand débat Nord/Sud qui garde, sous des formes nouvelles, toute son actualité, c'est en vérité la paix et la stabilité du monde qui sont en jeu. L'exclusion ne peut provoquer que des drames. Donc, tout le monde naturellement assume les conséquences. La France a plaidé sans relâche, lors des Sommets notamment des Sommets de l'Union européenne et du G7 -le Groupe des Sept pays les plus industrialisés qui est maintenant le G8- pour le maintien des aides publiques au développement contre les tentations de désengagement des pays riches à l'égard de leurs responsabilités, de leurs obligations dans le domaine de l'aide au développement. Elle continuera de le faire. La Francophonie doit illustrer par ses actions les vertus de la solidarité dans un univers dur, trop souvent injuste, soumis à la loi brutale du marché et parfois à la loi plus brutale encore du plus fort.

La Francophonie c'est aussi, et peut-être d'abord, une certaine vision du monde. Nous bâtissons ensemble un univers politique fondé sur une communauté inédite, cette langue que nous avons en partage et qui nous rassemble au-delà de nos diversités culturelles.

Au cours des âges, les peuples se sont rapprochés ou unis en fonction d'affinités ethniques, géographiques, dynastiques, religieuses ou, malheureusement, par la force. Ils se sont associés pour défendre des intérêts stratégiques ou économiques convergents.

Notre raison d'être procède, elle, de cette conviction qu'au XXIème siècle, les grands espaces linguistiques seront des acteurs à part entière du jeu politique. C'est une idée neuve. C'est une idée féconde.

Demain, les hommes et les femmes de tous les cantons, de toutes les régions de notre univers échangeront un nombre sans limites d'idées, de marchandises et de rêves.

Pour échanger, il faut se comprendre. On conçoit, on commerce, on crée, on conteste dans une langue. Alors, comment ne pas voir quelle chance est la nôtre? L'espace de la Francophonie couvre les cinq continents. Il rassemble plusieurs centaines de millions de femmes et d'hommes. Cette carte maîtresse, il nous faut la jouer sans complexe. Il en va de l'avenir de nos enfants, du rayonnement de nos cultures, de la prospérité de nos sociétés.

Dans tous nos pays, donnons la priorité à l'éducation de base. Trop d'enfants dans notre communauté ne sont pas scolarisés. Nous devons mener une croisade contre l'analphabétisme, multiplier les actions conduites par nos opérateurs, et notamment par notre Agence.

Dans les organisations internationales, dans les congrès scientifiques, faisons mieux respecter l'usage du français. Trop souvent nous avons été négligents, et d'ailleurs la France a une grande part de responsabilité. Mais il n'est pas trop tard. Mobilisons-nous ! Exigeons ce qui est un droit ! Pour sa part, la France a décidé d'y consacrer des moyens financiers nécessaires.

Et soyons solidaires des défenseurs, ou des promoteurs des autres espaces linguistiques. Leur cause est la nôtre. A Cotonou, j'avais appelé les grandes familles linguistiques à s'organiser et à rejoindre le combat pour le pluralisme des langues et naturellement le pluralisme des cultures qui en découle. Depuis, les mondes hispanophone et lusophone ont engagé leur rassemblement. Notre combat commun permettra de conjurer ce risque immense qui existe aujourd'hui d'un monde où l'on parlerait, où l'on penserait, où l'on créerait dans un moule unique et par conséquent réducteur.

Ce risque d'uniformisation et d'appauvrissement existe. Constatons, sans défaitisme, combien ce risque est aggravé aujourd'hui par la prépondérance d'une seule langue sur les vecteurs modernes de la communication.

Défendons et imposons le pluralisme linguistique sur les autoroutes de l'information ! Le texte, le son, l'image francophones doivent y être massivement présents ! Des initiatives ont déjà été prises et notamment par nos amis du Canada ou du Québec. Nos ministres, réunis à Montréal au printemps, ont décidé la création d'un fonds d'intervention. L'enjeu est si important, l'urgence est telle que la France, pour sa part, a décidé, et je suis heureux de vous l'annoncer, d'abonder ce fonds de 20 millions de francs de mesures nouvelles.

Tout doit être fait pour que les immenses trésors de notre langue, de nos cultures, de nos traditions, de nos créations, puissent rayonner dans le monde entier.

La France est heureuse et fière de tenir sa place dans la communauté francophone. Elle prendra toutes les mesures possibles pour conforter les liens qui nous unissent. Déjà, elle forme 150.000 lycéens francophones à travers le monde et accueille dans ses universités 125.000 étudiants venus des cinq continents. La France est résolue à accroître sensiblement cet effort.

Comme je l'ai demandé au début de cette année, notre politique de bourses sera rénovée et renforcée. Les procédures d'obtention de visas seront accélérées et simplifiées pour les étudiants et pour les chercheurs. C'est un dossier auquel j'attache une importance particulière et sur lequel j'entends veiller personnellement.

Enfin, la France ne réduira aucune de ses contributions à la Francophonie, malgré les difficultés budgétaires qui sont les mêmes pour tous nos pays. Son essor exigera des efforts supplémentaires. C'est pourquoi mon pays a décidé d'augmenter de 42 millions de francs son engagement dans les programmes francophones au cours de chacune des deux prochaines années.

Dès ma prise de fonctions, j'avais annoncé que la Francophonie serait une priorité de la politique extérieure de la France. L'aboutissement de notre réforme institutionnelle renforce ma conviction qu'ensemble nous allons écrire une nouvelle page, une belle page de l'Histoire de l'humanité.

Demain, le monde saura qu'existe un Secrétaire général de la Francophonie, à la tête d'une organisation soudée, solidaire, cohérente. Demain, les institutions internationales, les chancelleries, la presse seront attentives à son message.

Message pacifique. La Francophonie n'est dirigée contre aucun pays. Elle ne prétend à aucune hégémonie.

Message d'ouverture et de tolérance. Et nous pouvons, nous les francophones, être fiers d'avoir été les précurseurs d'un mouvement qui gagne : le juste combat pour la diversité culturelle du monde. Comme l'a dit notre ami Boutros Boutros-Ghali, " la Francophonie est une autre manière de concevoir le monde. C'est à la fois penser notre identité, penser le plurilinguisme et penser l'universalisme ".

Message humaniste enfin. Notre force, ce sont nos écoles, nos universités, tous nos lieux de rencontres où des femmes et des hommes de toutes races, de toutes religions, de toutes conditions, confrontent librement leurs idées, leurs projets, leurs espérances.

Mes chers amis,

J'ai foi en l'avenir. Notre cause est bonne parce qu'elle est généreuse. Notre ambition politique est légitime parce qu'elle traduit le désir profond de l'homme moderne : accéder à l'universel sans perdre sa singularité. Notre succès est assuré, parce qu'une même volonté nous unit.

Je vous remercie.





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