Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République. Au 80e congrès des maires de France (Paris)

DISCOURS DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, AU 80EME CONGRES DES MAIRES DE FRANCE

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Porte de Versailles - Paris le jeudi 20 novembre 1997.

Monsieur le Président de l'Association des Maires de France,

Monsieur le Ministre,

Mesdames, Messieurs les représentants des délégations étrangères,

Mesdames, Messieurs les Maires de France,

C'est bien sûr avec joie que je participe, pour la première fois en tant que Président de la République, au Congrès de l'Association des Maires de France.

Votre assemblée m'est familière. Nous faisons route ensemble depuis de longues années. J'ai été Maire et Conseiller Général et je me sens toujours l'un des vôtres.

Je sais la richesse et la vitalité de votre association. Une association qui rassemble, par delà les clivages politiques, les premiers magistrats de toutes les communes de France, urbaines ou rurales, de métropole ou d'outre-mer.

Sous l'égide de ses présidents successifs, et notamment sous votre impulsion, Monsieur le Président, Cher Jean-Paul DELEVOYE, l'Association des maires de France a su développer, au fil des ans, une réflexion ambitieuse sur le rôle des collectivités locales dans notre pays.

Elle occupe aujourd'hui une place à part dans la vie nationale. Sa très large représentativité lui permet de dialoguer avec les principaux acteurs institutionnels français. Elle lui permet de se faire l'écho des préoccupations et des ambitions des 36 000 communes qui composent notre territoire.

Témoignant une nouvelle fois de l'esprit d'ouverture qui vous anime et de votre volonté d'être en prise directe sur notre temps, vous avez choisi, cette année, de placer vos travaux sous le signe de l'international. Et vous avez eu raison.

Tout nous y invite, en effet.

La construction européenne s'édifie jour après jour.

Dans le monde, jumelages, échanges, coopération décentralisée, contribuent à tisser des liens étroits par delà les frontières.

Un important espace politique francophone vient de se consolider. Vous devez y avoir une place éminente.

Bref, la dimension internationale s'affirme donc comme l'une des composantes de l'action locale. Les collectivités que vous représentez y puisent une nouvelle vitalité.

Comme vous l'avez souligné, Monsieur le Président, les collectivités territoriales, et singulièrement les communes, ont leur rôle à jouer dans le vaste mouvement de mondialisation que nous vivons.

Nos concitoyens ont le sentiment de traverser une période difficile, faite de bouleversements et de remises en cause. Inquiets de l'avenir, ils sont plus que jamais à la recherche de repères. L'appartenance à une commune, à un territoire, comme l'appartenance à une famille, constitue un repère essentiel.

Aujourd'hui plus que jamais, vous êtes en première ligne pour comprendre les aspirations des Français et pour y répondre.

Chacun d'entre nous peut le constater, notre pays est confronté à une crise du politique qui fragilise nos institutions.

Ce que nos compatriotes contestent aujourd'hui, ce ne sont pas tant les qualités individuelles des femmes et des hommes qui les représentent. Même si les fautes commises par quelques uns font peser un climat de suspicion sur les élus, nos concitoyens restent, dans leur très grande majorité, convaincus de l'intégrité et du dévouement de leurs représentants.

Le mal est plus profond. C'est le politique lui-même qui est visé. Dans une société en proie au doute et à l'inquiétude, nos compatriotes ont le sentiment que le politique est impuissant à résoudre les difficultés qu'ils affrontent et d'abord le douloureux problème du chômage, avec son cortège de précarité et d'exclusion.

Les Françaises et les Français redoutent que ceux qui les gouvernent n'aient plus prise sur une économie qui se mondialise. Ils constatent, pour le déplorer, que les voies explorées jusqu'ici n'ont pas donné les résultats espérés, notamment en matière d'emploi.

Pour autant, et c'est bien là le paradoxe, les attentes à l'égard du politique n'en restent pas moins fortes.

Nos concitoyens aspirent à un profond renouveau de l'action publique, et de ses acteurs. Ils appellent de leurs voeux une politique plus claire dans son projet, mais aussi une politique différente dans sa pratique, plus modeste, plus proche d'eux, plus ouverte aux femmes et aux jeunes générations.

Si aucun échelon de notre système représentatif n'échappe tout à fait à cette crise de confiance, la commune reste toutefois épargnée, sans doute parce qu'elle incarne, par sa proximité et par son efficacité, cette nouvelle forme de démocratie que nos compatriotes espèrent.

Le village, le bourg, la ville plongent loin leurs racines dans l'histoire de la France.

Dépositaires des traditions locales, de l'âme des multiples pays qui composent notre France, ils recèlent une part essentielle de l'identité nationale.

C'est au sein de la commune que se construit, comme vous l'avez souligné, Monsieur le Président, ce sentiment d'"appartenance" qui permet à chacun de nous de s'identifier à une communauté.

Le Maire : son mandat va bien au delà des tâches d'administration et de gestion. Il comporte -et c'est ce qui fait sa grandeur- une forte dimension humaine. Tous, vous avez charge d'âmes. Dans une France marquée par le relâchement des solidarités naturelles, vous constituez un recours dans la difficulté. Vous assumez, jour après jour, avec votre équipe, une mission d'écoute, de conseil et d'impulsion, bref un magistère social et moral.

La commune est aussi l'un des derniers lieux de "synthèse" dans un monde qui se caractérise par sa complexité et par son éclatement.

Seules les communes, et leurs municipalités, sont aujourd'hui en mesure de traiter globalement les problèmes. Seules les communes peuvent s'affranchir du cloisonnement des politiques sectorielles, pour s'adapter aux exigences du terrain.

Je ne prendrai qu'un seul exemple, que vous connaissez bien : celui de l'emploi. Alors que les textes ne leur reconnaissaient aucune compétence propre, les communes n'ont pas hésité à prendre les devants.

Elles ont su mettre à profit les moyens d'action dont elles disposent en matière sociale ou économique pour insuffler du dynamisme au marché du travail. Elles ont su rassembler toutes les bonnes volontés : entreprises, associations, établissements de formation, au service du développement local.

C'est parce qu'elles ont cette énergie créatrice qu'il faut aussi reconnaître aux collectivités locales un droit à l'expérimentation afin de leur ouvrir de nouveaux espaces de liberté.

Je n'ignore pas que l'Association des maires de France, et notamment son président, ont beaucoup fait pour encourager et faire essaimer les initiatives locales les plus prometteuses.

Proximité, accompagnement, pragmatisme, humanité. Telles sont les qualités qui rallient à la commune tous les suffrages. Telles sont les qualités qui font d'elle l'un des plus beaux visages de la démocratie.

Car la commune est un espace de démocratie et une école de liberté. Comme le rappelle Tocqueville : "Sans institutions communales, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n'a pas l'esprit de la liberté".

La France compte aujourd'hui le plus grand nombre d'élus de tous les pays d'Europe. Ils sont environ 500 000. 500 000 personnes qui ont choisi de consacrer tout ou partie de leur temps à la chose publique.

Ces 500 000 élus représentent une chance pour notre pays. Quel meilleur gage de démocratie que d'associer le plus grand nombre de citoyens à la conduite des affaires de la Cité ?

C'est pour cela que je n'ai jamais compris ceux qui déplorent "l'exception française" et souhaitent réduire le nombre des communes. D'autant que les progrès de l'intercommunalité apportent une réponse efficace à ceux des besoins des populations qui ne peuvent être satisfaits dans le seul cadre communal. Les maires et les conseillers municipaux sont bien les "hussards de la démocratie", pour reprendre votre belle expression, Monsieur le Président.

Ainsi, par un de ces retournements de l'histoire, c'est à l'aube de l'An 2000 que la commune retrouve sa vocation première. Elle représente à nouveau la cellule de base de la démocratie, le cadre le plus consensuel et le plus respecté de l'expression du politique.

Vous devez être conscients que ce renouveau de la commune fait peser sur vous des responsabilités nouvelles. Les attentes des Français à votre égard sont fortes. Vous ne pouvez les décevoir.

La première de ces attentes, c'est la disponibilité.

Les devoirs de votre charge n'ont cessé de croître, et ce, quelle que soit la taille de la collectivité que vous servez. Être maire, c'est aujourd'hui, dans bien des cas, une responsabilité à plein temps.

Sensibles à la lourdeur de la tâche, nos compatriotes souhaitent que leurs élus s'y consacrent pleinement. Ils craignent que le cumul de plusieurs mandats ne soit difficilement conciliable avec l'exercice de la fonction de maire.

La limitation des cumuls correspond aujourd'hui, ne vous y trompez pas, à une attente réelle de notre peuple.

C'est un sujet important et délicat. Toucher au fonctionnement de notre système représentatif, c'est toucher à l'équilibre même de nos institutions. Je crois, dans ce domaine, que nous devons éviter deux écueils.

Le premier serait de laisser les choses en l'état, au risque de compromettre le renouveau de la vie politique française et notamment son ouverture aux femmes, et donc de décevoir.

Le second serait de priver le législateur de l'expérience acquise dans l'exercice d'un mandat local.

Le Gouvernement a annoncé qu'il ferait des propositions. Je les attends.

Pour ma part, je suis favorable à ce que tout cumul de fonctions exécutives soit désormais interdit, qu'il s'agisse des fonctions de ministre, de maire ou de président de conseil général ou régional. Il faut que celles et ceux qui ont été investis de responsabilités exécutives puissent s'y consacrer pleinement.

En revanche, il est essentiel que celles et ceux qui ont la lourde responsabilité d'élaborer la loi ne soient pas coupés des réalités du terrain, telle est notre culture. Il est essentiel, et j'en ai fait moi-même l'expérience en tant qu'élu de la Corrèze, que nos députés et nos sénateurs puissent rester à l'écoute de la France.

Mais allons jusqu'au bout de la réflexion.

La disponibilité et la compétence qu'exigent nos concitoyens impliquent un véritable statut de l'élu. Il faut voir les choses concrètement : alors que l'exercice normal d'un métier lui est difficile voire impossible, l'élu doit pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, préparer sa retraite et faire face sans drames aux aléas de la vie démocratique et politique.

Sans devenir un professionnel de la politique, l'élu doit être en mesure de libérer le temps nécessaire à l'exercice de son mandat. Les efforts qu'il déploie au service du bien commun méritent une juste rétribution. Il doit pouvoir compter sur un régime de retraite adapté pour envisager l'avenir sans appréhension. Enfin, il doit pouvoir bénéficier, s'il le désire, d'une formation.

Le statut de l'élu ne constitue en aucun cas un privilège. Il ne met pas l'élu au-dessus des lois. Il lui permet simplement d'exercer son mandat avec toute la sérénité et la disponibilité nécessaires. C'est là le gage de démocratie.

La deuxième attente, je dirais même la deuxième exigence de nos compatriotes, c'est l'allégement des impôts.

Notre pays croule sous les charges publiques et cela explique bien de ses maux.

A l'évidence, l'Etat porte une lourde part de responsabilité dans cette situation. Par le poids de ses prélèvements, par les contraintes qu'il impose, il entrave la compétitivité de notre pays.

Allégé dans son fonctionnement, recentré sur ses vraies missions de souveraineté et de solidarité, il retrouverait le souffle, la légitimité, l'autorité et l'efficacité qui, trop souvent, lui font défaut aujourd'hui. C'est là tout l'objectif de la réforme de l'Etat que j'avais souhaité lancer il y a deux ans.

Mais, l'Etat est-il le seul responsable de cette situation ? Voyons les choses en face.

Peut-être inspirées par son exemple, contraintes de faire face à des transferts de charges qu'elles n'ont pas toujours souhaités et qui n'ont pas toujours été compensés par les transferts de recettes correspondants, confrontées aux difficultés de la crise et aussi à des exigences nouvelles en matière de sécurité et d'environnement, les collectivités locales ont été prises dans cette spirale du "toujours plus".

Conséquence d'une telle dérive, la fiscalité locale, notamment la taxe professionnelle et la taxe sur le foncier bâti, ont connu une augmentation rapide et atteignent aujourd'hui un niveau trop élevé.

Nos concitoyens supportent de plus en plus mal le fardeau de ces prélèvements, inégalement répartis, assis sur des bases obsolètes et défavorables à l'emploi.

Je sais les contraintes financières dans lesquelles se débattent les communes. Je sais combien ces déséquilibres vous préoccupent.

Mais notre pays sera-t-il le dernier à réagir contre cette dérive, du toujours plus de dépenses et du toujours plus de prélèvements alors qu'elle a été maîtrisée partout en Europe et dans les grands pays industrialisés ?

Les collectivités territoriales, comme l'Etat, doivent prendre leur part de l'effort, indispensable pour notre pays, de réduction des dépenses publiques et de baisse des prélèvements obligatoires.

Comme je l'avais demandé, l'Etat a engagé un pacte de stabilité garantissant aux collectivités locales une évolution de leurs recettes au niveau de l'inflation.

Ce pacte a été respecté. Il a donné des résultats encourageants.

Il faut aujourd'hui franchir une étape supplémentaire et étendre le pacte de stabilité à l'évolution des dépenses. Les Français verraient dans cette démarche la promesse d'un partage plus équilibré de l'effort demandé à chacun : contribuables, Etat et collectivités locales.

Troisième attente : c'est la transparence.

Celui ou celle que ses concitoyens ont choisi pour exercer un mandat électif doit être irréprochable.

Si, par malheur, un élu vient à manquer à la probité et à l'honneur, sa faute, comme celle de tout autre, doit être reconnue, poursuivie et sanctionnée. Il en va de la morale républicaine. Il en va de la bonne santé de notre démocratie.

Mais le soupçon que l'on fait peser sur l'ensemble de la classe politique est insupportable et dangereux. Il nous faut réagir.

Transparence doit être le maître-mot. Qu'il s'agisse de marchés publics, de construction ou d'urbanisme, concertation et collégialité de la décision doivent prévaloir. L'éthique de la délibération est l'un des fondements de la démocratie.

Mais il faut aussi que l'Etat vous aide. Les préfectures, les sous-préfectures, les services n'ont pas seulement à votre égard une mission de contrôle mais doivent d'abord et avant tout conseiller et soutenir les responsables des collectivités territoriales. Il devrait en être de même pour les chambres régionales des comptes, comme l'a justement proposé le Président du Sénat, M. René MONORY. Dans ce domaine, comme dans bien d'autres, mieux vaut prévenir que d'avoir à sanctionner.

Le souci de la démocratie, de l'égalité et de la cohésion nationale exigent de vous plus de rigueur et de transparence. Mais gardons-nous de faire peser sur les élus des contraintes excessives qui rendraient l'exercice des fonctions électives trop périlleux et risquerait de tarir bien des vocations et donc la démocratie.

Mesdames, Messieurs les Maires de France,

Les maires et les élus municipaux sont au coeur de la démocratie locale, qui est, plus que jamais, le lieu de toutes les questions et le lieu de bien des réponses.

La crise du politique, la fracture sociale, trouvent leur expression dans les communes. Mais elles y trouvent aussi une part de leur solution.

C'est chez vous et grâce à vous que la démocratie peut s'incarner, que la solidarité peut s'affirmer, que les esprits peuvent évoluer, et les changements réellement souhaités survenir.

Vous incarnez les valeurs de la République, dont la devise orne le fronton de vos mairies, mais vous préparez aussi et surtout la France de demain.

Je vous l'ai dit, j'ai été des vôtres longtemps et je reste à vos côtés. Car, comme vous, je suis investi d'une mission de concorde et de progrès qui s'étend à toutes celles et à tous ceux qui vivent et travaillent en France, quelles que soient leur origine, leur religion, leur condition, leur opinion, et qui s'enracine dans notre culture nationale. Comme vous, je veux accomplir ma tâche en conscience et dans la seule vision du bien commun.

Alors, Mesdames, Messieurs les Maires de France, ensemble faisons vivre notre démocratie dans la fidélité aux valeurs de notre République !





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