Réponses de M. Jacques CHIRAC Président de la République aux questions des membres de la fédération des industries de São Paulo

Réponses de M. Jacques CHIRAC Président de la République aux questions des membres de la fédération des industries de São Paulo.

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São Paulo -(Brésil) - Jeudi 13 mars 1997

Question: Monsieur le Président Chirac, mon intimité avec la France a commencé très tôt à l'âge de huit ans, déjà à l'école du lycée franco-brésilien ici à São Paulo. Plus tard, lors de mon premier emploi, pendant dix ans, je me suis occupé de l'importation de denrées alimentaires, surtout des vins en provenance de France, plus tard je suis allé à l'INSEAD à Fontainebleau. Je me considère donc comme un ami de la France et un peu français aussi.

J'ai fait très attention à vos propos sur les possibilités d'augmentation et de renforcement des rapports bilatéraux. J'ai aussi été impressionné par les chiffres que vous avez mentionné car la France est aujourd'hui ce que le Brésil rêve d'être dans l'avenir. La position occupée par la France comme deuxième plus grand exportateur agricole du monde et en même temps principal importateur de denrées agricoles transformées, c'est le grand rêve du Brésil.

2% du PIB de la France est dans l'agriculture tandis qu'au Brésil nous avons 12%, c'est-à-dire 6 fois plus. Le Brésil a davantage d'agriculteurs que l'Europe. Le Brésil a beaucoup plus de personnes qui vivent dans la zone rurale que toute la population française entière.

Monsieur le Président, en considérant la puissance qu'est la France, croyez-vous qu'aujourd'hui la politique de protection du marché français reste toujours valable ?

Croyez-vous, Monsieur le Président, que des quotas de la politique de protection du marché français restent toujours valable ?

Croyez-vous, Monsieur le Président, que des quotas d'importation qui atteignent 70% pour des denrées agro-alimentaires soient soutenables ?

Croyez-vous que les subventions qui sont données par la France, jusqu'à 30% à l'exportation, de poulets à des tiers pays en concurrence non égale avec le Brésil, est une politique de coopération raisonnable ?

Je souhaite dans l'esprit de vos propos que vous preniez en considération la possibilité d'approfondir sur ce thème, je vous remercie.

Le Président: - J'ai parlé de ces problèmes hier avec le Président Fernando Henrique Cardoso et ses ministres, et je leur disais une première chose - et votre question me conduit à dire une deuxième chose -la première chose c'est que nous parlons des problèmes agricoles et des échanges en matière agricole dans les mêmes termes avec les mêmes mots depuis 30 ans.

Il y a les affirmations, des affirmations nord-américaines, il y a des affirmations européennes et c'est un dialogue de sourds. Alors que tout le monde sait que la production agricole devra doubler dans le monde dans les 25 ans pour faire face au développement démographique.

Par conséquent, ce qu'il faut, c'est sortir d'un dialogue de sourds, sortir de la langue de bois et examiner ou étudier ensemble la situation de l'économie agricole mondiale. La France est prête à cela.

La deuxième chose c'est que je vois à quel point il y a des incompréhensions. Vous-même qui êtes un professionnel, vous venez de me dire "mais l'Europe se protège et n'importe pas assez". La France, je vous l'ai dit, est le deuxième exportateur mondial de produits agricoles, c'est donc un grand intérêt pour nous. Avec l'agro-alimentaire, dont nous sommes le premier exportateur mondial, un français sur quatre travaille pour l'agriculture et l'agro-alimentaire. C'est donc un intérêt important. Néanmoins savez-vous que le MERCOSUL exporte dans l'Union européenne six fois plus, qu'il n'importe de produits agricoles européens ? S'agissant du Brésil, savez-vous que lorsque nous exportons 1 dollar ou franc ou real au Brésil, le Brésil nous envoie 10. Les exportations brésiliennes en France de produits agricoles (Brésil-France), sont dix fois plus importantes que les exportations agricoles de la France vers le Brésil.

Ce sont des réalités. Je ne dis pas que tout cela est satisfaisant, je ne dis pas que tout cela ne doit pas être discuté mais il faut tout de même sortir des affirmations que nous faisons chacun de notre côté et qui font que nous ne nous comprenons pas.

Vous venez de me dire "les subventions à l'exportation que donne la France pour les poulets", vous auriez pu dire pour d'autres produits aussi, mais la France ne donne aucune subvention à l'exportation, c'est l'Europe, ce qui est différent. Mais savez-vous que 80% des exportations agricoles de l'Europe et qui proviennent essentiellement de la France, 80% se font sans aucune subvention ? Le système de subventions n'intéresse que 20% de nos exportations.

Pourquoi nous avons un système de subventions ? Tout simplement parce qu'il y a d'autres régions du monde, en particulier en Amérique du Nord ou l'agriculture est tenue par un système de subventions non pas à l'exportation mais aux fermiers. Savez-vous que chaque fermier américain touche en subventions 3 fois plus de fonds publics qu'un paysan européen.

C'est pour cela que je vous dis que notre système n'est pas équilibré. Il est fondé sur des principes et nous partons de l'affirmation qu'il faut que nous conservions nos avantages et que nous en prenions un peu chez les autres. Cela ne marchera pas. Il faut mettre les choses à plat et moi je suis tout à fait prêt à le faire mais c'est un système qui implique une nouvelle organisation mondiale, non seulement du commerce mais aussi de la production et notamment des subventions aux producteurs.

Je suis tout à fait d'accord pour que l'on progresse dans cette voie.

Question: Monsieur le Président, nous avons entendu et nous avons été émus par vos mots, par votre connaissance, par votre culture, mais de part mon âge, une chose me préoccupe : le chômage. 32 millions d'êtres humains au chômage. Pouvez-vous nous faire un commentaire à ce sujet ?

Une autre chose, l'ouverture avec laquelle nous sommes parfaitement d'accord n'est pas une guerre, une guerre d'un lutteur de boxe, un poids lourd contre un poids léger, non. Il ne faut pas qu'il y ait une concurrence acharnée mais ne croyez-vous pas qu'il devrait y avoir une concurrence tout de même ?

Le Président: - Nous sommes un monde en transition. Les techniques modernes d'information et de communication ont fait tomber les frontières par définition et donc nous sommes dans une période où la concurrence est inévitable même si elle doit être naturellement maîtrisée d'où l'importance que la France attache au modèle social européen qui est le modèle qui nous convient et d'où la fermeté de mon propos en permanence pour que la globalisation ne se fasse pas au dépend de notre modèle social.

Mais les choses sont irréversibles naturellement. Aujourd'hui les satellites, l'informatique, effacent par définition toutes les frontières. Cela a pour conséquence une adaptation de la société et cette adaptation se fait à un prix extrêmement coûteux qui est le chômage, en France 12,7% des actifs sont aujourd'hui au chômage. 25% des jeunes actifs français - je ne parle pas de ceux qui sont à l'école - dans la tranche des 18 à 25 ans ou des 16 à 25 ans sont au chômage.

Donc nous avons bien conscience qu'il s'agit là du défi le plus important à relever. Ne parlons pas de la France ou du Brésil puisque vous posez la question sur le plan international. Comment peut-on relever ce défi ? On peut le relever en mettant en oeuvre trois forces. La première c'est la croissance qui doit être retrouvée ou amplifiée. La croissance aujourd'hui dépend pour l'essentiel des échanges. La deuxième, c'est l'adaptation, savoir que des métiers nouveaux apparaissent. Demain 60% des emplois nouveaux seront créés dans les services de la communication et de l'information. Il faut s'y préparer. C'est un élément essentiel de la stabilisation de notre société en matière de travail. Cette adaptation doit également remettre en cause ce que nous considérons comme acquis en matière d'organisation du travail, y compris de durée du travail. Là aussi, bien souvent nous avons un peu la langue de bois, il faut avoir un peu d'imagination. Enfin, la troisième force, c'est l'éducation. Lorsque vous faites des études sur les chômeurs, j'en parlais avant-hier soir longuement avec Madame Cardoso, l'éminente spécialiste de ces problèmes, quand vous faites une étude, quand vous vous apercevez que moins il y a d'éducation et plus il y a de chômage. Il y a une relation directe entre le chômage et l'insuffisante qualification, le manque de formation et donc, c'est le troisième axe de force. Il faut un effort considérable pour améliorer l'éducation. Nous sommes en un temps où, compte tenu des moyens modernes d'information et de communication, on peut faire un effort important pour promouvoir l'éducation et nous avons de ce point de vue le même problème sur les deux rives de l'Atlantique.

Voilà ce que je voulais vous dire sur le chômage.





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