Allocution du Président de la République à l'occasion du déjeuner offert par M. Julio Maria SANGUINETTI, Président de l'Uruguay.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du déjeuner offert en son honneur par M. Julio Maria SANGUINETTI, Président de la République orientale de l'Uruguay.

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Montevideo, Uruguay, le vendredi 14 mars 1997

Monsieur le Président de la République,

Cher Ami,

Madame,

que je remercie pour votre accueil si chaleureux et sympathique,

Mesdames et Messieurs,

Monsieur le Président, merci du fond du coeur, pour vos paroles, celles d'abord d'un très grand orateur comme chacun le sait, celles d'un très grand humaniste et celles d’un très grand ami de la France, de l'Europe. J'ai été très touché par ce que vous avez dit, évoquant notre histoire, notre culture, notre langue, évoquant aussi notre vision commune de l'homme, de l'avenir, du respect que l'on doit à l'homme et à l'avenir.

Je me souviens d'un grand moment, je vous écoutais, il y a peu, à l'UNESCO. Vous y aviez fait, avec cet étonnant talent qui vous caractérise, un discours extraordinaire. Un de ces discours qui aura marqué l'institution internationale parisienne et, en vous entendant tout à l'heure, je m'en souvenais avec émotion.

Je me souvenais aussi de ces propos que vous aviez tenus à Madrid lorsque vous êtes venu signer l'accord entre l'Union européenne et le MERCOSUR et où, avec le brillant que l'on vous connaît, la culture qui est la vôtre, vous aviez rapidement dit l'essentiel sur ce qu'était l'ambition des quatre grands pays qui ont fondé le MERCOSUR et la vision que vous en aviez de l'avenir, tout émaillé d'ailleurs de citations des grands penseurs, à la fois de l'Amérique latine et de l'Europe. C'est un grand plaisir de vous écouter, Cher Président.

Depuis notre arrivée, hier, dans votre pays, ma délégation et moi-même avons reçu de multiples témoignages d’amitié de votre part, de celle de vos collaborateurs et des femmes et des hommes de Montevideo. Nous y avons été sensibles.

Si vous me le permettez, je souhaiterais évoquer un autre souvenir personnel. A l’automne dernier, vous avez fait à la France l'honneur de venir en voyage officiel. Nous avons ensemble abordé les problèmes et l’avenir des relations entre l’Uruguay et la France, mais aussi entre l’Amérique latine et l’Europe. Nous avons tout naturellement élargi notre propos à l'ensemble des problèmes de notre temps.

Je garde très présent dans mon esprit nos discussions qui, pour moi, ont été un moment privilégié grâce à votre réflexion, grâce à votre vision des choses. Nous partageons, je crois que l'on peut le dire, la même préoccupation, la même volonté d’aller plus loin et d'y aller ensemble, dans une certaine conception de l'homme et de la société. Le même souhait également de parcourir ce chemin la main dans la main, comme l'avait dit le général de Gaulle et faire progresser dans le monde ce que sont nos idéaux, nos valeurs, notre idée de l’homme. J'avais observé que tout naturellement et spontanément nous avions été, je crois que l'on peut le dire, en communion complète de pensée.

Monsieur le Président, en répondant à l'amicale invitation que vous m'aviez faite, en venant en Uruguay dans cette superbe ville de Montevideo, je vous l'ai dit, hier soir, lorsque vous avez eu la grande courtoisie, l'amicale courtoisie de venir me chercher, ce que le protocole ne vous aurait pas recommandé, je me sens ici un peu en famille.

L’un de vos très grands écrivains, José Enrique RODO, écrivait, je crois que c'était au tournant de notre siècle : " Parler de la France, ce n’est pas comme parler d’une terre étrangère ". Tout au long de l’histoire, et en dépit de l’éloignement, nos deux nations n’ont cessé de se témoigner à la fois de l'estime et de la confiance.

Il y a trente-trois ans, vous l'avez évoqué de façon bien concrète, avec la superbe médaille que vous nous avez remise, émanant des souvenirs de votre ministère des Affaires étrangères, le général de Gaulle évoquait cette alchimie, je crois que l'on peut dire que cela en est une, ce mélange subtil d’affinités, de complicités, je crois que le mot n'est pas trop fort, mais aussi de combats partagés, ce quelque chose d'exceptionnel, de mystérieux que vous avez souligné d'une certaine façon en évoquant les grands poètes uruguayens français, qui finalement unit l’âme de nos deux pays. L’Uruguay apparaît à maints égards comme le plus européen des pays de l’Amérique latine et, c'est ainsi en tous les cas que je le ressens et que l'on ne peut que le ressentir en vous écoutant, il apparaît comme le pays qui est le plus tourné vers la France.

Je souhaite que l’image de ce dialogue, ce dialogue que nous avons engagé qui est confiant, fructueux, que ce dialogue soit également celui de nos Gouvernements, de nos élus, de nos hommes d’affaires, de nos universitaires de nos chercheurs, de nos écrivains et de nos artistes, que ce soit d’abord le dialogue de nos jeunesses.

Les circonstances de l'histoire ont fait que nous nous sommes, non pas ignorés, mais un peu séparés, pris chacun sur notre bord de l'océan par les préoccupations, les problèmes, les difficultés auxquels nous avions à faire face et qui, ici comme chez nous, tournaient autour des notions de paix, de démocratie. Ceci fait que nos jeunesses n'ont pas entre elles peut-être les liens qu'ont eus nos générations.

J'ai la grande ambition de faire en sorte avec vous, Monsieur le Président, que nos jeunesses retrouvent le chemin du coeur de l'autre et je suis sûr que nous pouvons le faire, car c'est une démarche qui est dans la nature des choses et qui tient à nos origines, à notre culture, à notre comportement.

Je me réjouis, Monsieur le Président, qu’à l’occasion de mon passage ici, vous ayez décidé de reconnaître l’équivalence des baccalauréats. C'est un geste fort qui, de surcroît, ouvre la porte à un plus grand nombre d'échanges entre nos universités, entre nos jeunes et qui, de ce point de vue, est positif. Je vous en remercie.

Monsieur le Président, au moment où votre pays est engagé dans de grandes réformes économiques qui ont pour ambition de l'intégrer dans le monde moderne, au moment où votre pays avec dynamisme, comme d'ailleurs le nôtre, sort un peu de la langue de bois qui nous avait été imposée, il y a quelque vingt-cinq ou trente ans, nos deux pays ont une vocation naturelle à travailler ensemble et à le faire en confiance, à adapter leurs économies, à ouvrir leurs esprits et à faire des efforts pour que l’initiative, qui existe dans le coeur et dans l'âme de nos compatriotes, soit libérée.

Nous devons développer ensemble de nouveaux projets communs. Nous devons devenir ou redevenir de grands partenaires. Tout nous y conduit. Votre pays se modernise à grande vitesse. Il crée d’importantes infrastructures qui lui permettront de communiquer avec le continent tout entier. Cette ambition, nous voudrions nous y associer et travailler avec vous. Nous avons les uns et les autres des hommes, des techniques, des savoir-faire. Nous avons tout pour travailler ensemble.

Aujourd’hui, l’Uruguay se trouve au coeur d'un des grands projets de notre temps : le MERCOSUR.

En Amérique latine comme partout, comme en Europe, comme en Asie, les Etats s’engagent résolument dans la voie de l’intégration régionale. Ils règlent leurs différends et leurs querelles, ils lèvent leurs barrières internes, tout ce qui sépare les hommes les uns des autres, et qui, par conséquent, est à la fois absurde et superficiel, ils unifient leur droit, leur fiscalité, ils mettent leurs ressources, leurs richesses en commun, ils affirment leur adhésion et accèdent, dans l’union, au monde moderne et au progrès.

C’est le seul moyen de maintenir et d'imposer la paix, de maintenir la liberté, la démocratie, le respect de l'homme. Tout le reste n'est que division, agression et donc intrinsèquement pervers et dangereux. C'est ce chemin qu’empruntent aujourd’hui les quatre pays du MERCOSUR et les deux pays qui leur sont associés. C'est un chemin qui sera sans aucun doute rejoint par l'ensemble des pays de l'Amérique latine. C'est inévitable pour qui veut avoir une vision moderne et humaniste généreuse du monde.

Que de progrès déjà réalisés en à peine six ans ! Des progrès économiques naturellement. Le MERCOSUR constitue désormais la quatrième puissance économique du monde, elle sera demain la troisième, c'est aussi l’une des plus dynamiques. Mais que de progrès également politiques et humains. Comme ce fut le cas en Europe avec la construction de l'Union, le MERCOSUR, ici, c'est sans aucun doute et vous l'avez encore démontré, il y a peu, est le meilleur ciment de la démocratie et de la paix.

Je sais, Monsieur le Président, votre engagement personnel, votre vie de combat pour que l’emporte la liberté et la justice. Aux heures sombres, vous avez été, et à quel prix, un militant acharné de la démocratie en Uruguay. Vous y avez restauré les libertés individuelles. Vous y avez rétabli l’Etat de droit dans des conditions qui n'étaient pas si faciles entre des pulsions autoritaires et des pulsions anarchistes, les unes ou les autres aussi dangereuses qu'irrationnelles. Vous l'avez fait. Les succès du MERCOSUR dans ces domaines sont sans aucun doute le meilleur encouragement à poursuivre l'élaboration d'une Amérique du Sud et d'une Amérique latine moderne. Montevideo demain sera le coeur battant de cette Amérique. Ce sera, j'ai entendu dire le" Bruxelles "de l'Europe, je le dis avec un certain regret, j'aurais préféré que ce fut Strasbourg ou Paris, mais enfin, c'est Bruxelles. On ne peut pas refaire l'histoire, ce sera Montevideo, tout y conduit. Une ville superbe, éblouissante, Montevideo, la charmante, la belle, dirions-nous, si elle était en France et Montevideo qui se trouve à la charnière de tous les besoins.

Cette ambition, cette dynamique, la France souhaite s'y associer avec vous. Elle voit dans votre pays la porte d'entrée dans ce très grand ensemble de 200 millions d'habitants qui vont marquer l'un des plus importants marchés du monde. Ce n'est pas par hasard si une grande agence de presse française, l’Agence France-Presse, a décidé de mettre son bureau à Montevideo. Ce n'est pas seulement en raison du charme de la cité, un charme indiscutable, mais l'Agence France-Presse, quels que soient les agréments de l'environnement, a surtout le souci de se trouver au coeur de l'événement et de pouvoir diffuser sur le plan international la bonne information et donc la recueillir là où il y a le plus de chance qu'elle se trouve. C'est Montevideo qu'elle a choisi.

Il y a trente-trois ans, à l'occasion du passage du général de Gaulle, la France a acheté un grand terrain à Montevideo et, tout à l'heure, Monsieur le Président, nous allons officiellement marquer la naissance de notre nouvelle Ambassade de France. Cela aussi, c'est un témoignage de confiance et d'amitié. Vous m'avez dit :"il faut trouver un accord sur ce terrain, c'est votre intérêt, c'est le nôtre". Je vais vous dire la vérité. La même proposition me serait venue d'ailleurs, j'aurais dit :"il faut saisir les services, voir comment se présentent les choses, quel est l'intérêt qui pousse mon excellent collègue à m'imposer une solution que je n'ai pas vraiment appréciée". Quand vous me l'avez dit, je vous ai tout de suite dit : "si vous pensez que c'est ce qu'il faut faire, faisons le". Cela aussi, c'est la confiance et cela aussi, c'est essentiel.

Vous le savez, la France est au sein de l’Union européenne, un militant du rapprochement entre le MERCOSUR et l'Union. Elle continuera à l'être. Nous pensons que le monde de demain sera un monde régionalisé mais que ce régionalisme ne peut pas être un régionalisme fermé, cela ne peut être qu'un régionalisme ouvert.

Pour l'Amérique du Sud, pour l'Uruguay, si la relation Nord-Sud est essentielle, la relation transatlantique ne l'est pas moins, et l'Europe est aujourd'hui le premier partenaire dans tous les domaines du MERCOSUR et, par conséquent, nous avons intérêt, partageant par ailleurs les mêmes valeurs, étant issus de la même culture et ayant, vous le disiez tout à l'heure, la même vision de l'homme et du monde, à renforcer considérablement cette union.

Voilà, Monsieur le Président, ce que je voulais simplement vous dire. Je l'ai exprimé à ma façon. Je n'ai pas votre talent oratoire mais je vous l'ai dit avec le coeur.

Vous me permettrez de lever mon verre en terminant ce propos. Je le lève à votre santé, Monsieur le Président, avec toute l'estime et l'amitié que je vous porte et qui témoignent du respect dont vous êtes entouré dans le monde entier, vous le savez.

Je le lève également à la santé de votre épouse, Madame SANGUINETTI, qui nous reçoit avec toute sa gentillesse et tout son charme.

Je remercie l'Assemblée qui, ce matin, m'a reçu si gentiment et si chaleureusement.

Je le lève, Monsieur le Président, aux relations entre nos deux pays, à l'Uruguay et à la France, unies.





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