Discours du Président de la République devant les deux chambres du Parlement de l'Uruguay.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant les deux chambres du Parlement de la République orientale de l'Uruguay réunies en assemblée générale.

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Montevideo, Uruguay, le vendredi 14 mars 1997

Monsieur le Président de l'Assemblée Générale du Parlement,
Monsieur le Président de la Chambre des Représentants,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs, mes chers Amis,

Je vous remercie, Monsieur le Président, de vos paroles amicales et d'un accueil auquel je suis sensible. Je suis heureux de m'exprimer aujourd'hui devant vous, devant les deux Chambres du Parlement d'Uruguay réunies en Assemblée générale. C'est pour moi un honneur de pouvoir m'adresser, à travers ses représentants, à la nation uruguayenne, au coeur de cette capitale sud-américaine dont l'influence et le rayonnement ne cessent de se développer.

Monsieur le Président,

Il y a quelques mois, vous êtes venu à Paris pour plaider auprès de l'UNESCO, afin que ce bâtiment du Parlement d'Uruguay soit inscrit au Patrimoine de l'humanité. Etant aujourd'hui votre invité dans cette magnifique enceinte, je comprends mieux votre souhait et dans la mesure de mes moyens vous pouvez être assuré de mon soutien. Au frontispice de votre hémicycle, la devise du général Artigas, le père fondateur de la nation uruguayenne, rappelle l'attachement de votre pays au principe de la démocratie représentative, belle devise : "Mon autorité émane de vous et cesse de par votre présence souveraine".

C'est dire combien votre histoire et vos institutions puisent aux valeurs notamment de la Révolution française, aux préceptes de la philosophie des Lumières qui nous est commune, aux idéaux de liberté, d'indépendance, de paix et de progrès qui également nous sont communs.

Ces liens affectifs, l'histoire les a renforcés. Aux heures noires, c'est en France que beaucoup des vôtres ont trouvé refuge. Mais c'est d'Uruguay que s'élancèrent des volontaires,vous l'avez rappelé à juste titre, Monsieur le Président, pour s'enrôler dans les rangs de la France libre et prendre toute leur part au combat pour la liberté. Il y a un peu plus de 30 ans, le général de Gaulle, en visite à Montevideo, évoquait avec émotion et gratitude le souvenir des épreuves partagées et l'allégresse dans laquelle le peuple uruguayen fêta Paris libéré, entonnant la Marseillaise dans les rues en liesse de votre capitale. La France n'oublie pas que la République orientale de l'Uruguay fut, en 1943, la première nation en Amérique latine à reconnaître le Comité français de la Libération nationale.

C'est dire la qualité des liens de solidarité qui existent entre nos deux vieilles nations, de ces "liens de l'esprit et du coeur" qu'évoquait ici même le général de Gaulle. Je me réjouis de ma visite dans votre pays, l'un des plus proches de la France, l'un de ceux où le français est le plus parlé. L'Uruguay, où tant de mes compatriotes se sont installés depuis le siècle dernier, contribuant naturellement à son essor et à son rayonnement. Votre pays, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, avec lequel la France entend nouer et renforcer une relation véritablement fraternelle.

Je me félicite du renouveau de notre dialogue politique, à tous les niveaux. Chacun a encore à l'esprit la visite officielle que le Président Julio Sanguinetti, mon ami, que j'aime et que je respecte, a effectuée dans notre pays à l'automne dernier. Nous avions alors décidé de donner un nouvel élan à nos relations et ceci dans tous les domaines. Nous étions convenus aussi de nous rencontrer plus régulièrement et plus souvent.

La présence de parlementaires uruguayens, aux côtés du Président Sanguinetti, nous avait permis de saluer la force des échanges entre nos Parlements et leur rôle déterminant pour une meilleure compréhension entre nos peuples.

Je voudrais saluer ici la présence des parlementaires français, Présidents des groupes d'amitié ou personnalités de l'Assemblée nationale et du Sénat qui ont tenu à m'accompagner pendant ce séjour et à prendre avec vous des contacts amicaux.

Dans le domaine culturel aussi, nos relations ont toujours été intenses. Si nos maîtres inspirèrent ici des générations de jeunes Uruguayens, nous vous sommes infiniment reconnaissants de nous avoir donné quelques-uns de nos plus grands poètes. Comment ne pas citer Lautréamont, surréaliste avant l'heure ; Jules Laforgue, et son oeuvre subtile et raffinée, eh bien sûr, "le prince des poètes", Jules Supervielle, dont l'oeuvre évoque l'Amérique du Sud, les immensités océanes, la solitude de la pampa, la beauté du Rio de la Plata. Cet enrichissement mutuel de nos cultures explique la place éminente de la langue française en Uruguay. Je suis très touché qu'à l'occasion de ma visite, les autorités uruguayennes, sur la proposition du Président, aient accepté de reconnaître l'équivalence de nos baccalauréats.

Dans le domaine économique, je veux saluer les succès, les grands succès, de votre politique de réformes et souligner la part prise par la France à leur développement. La France est aujourd'hui le deuxième investisseur étranger dans votre pays. Ceci témoigne de l'estime, de la confiance qu'inspire votre pays, sa volonté de s'ouvrir et de favoriser l'essor des entreprises uruguayennes ou de celles qui, de l'extérieur, ont choisi et ont fait confiance à l'Uruguay.

J'appelle nos hommes d'affaires à renforcer encore leur présence dans votre pays. Déjà de grands groupes se sont implantés, dans les secteurs de la pharmacie, de la distribution du gaz. Demain, dans le secteur automobile. J'inaugurerai cet après-midi, aux côtés du Président Sanguinetti, la chaîne de montage de la Citroën ZX fabriquée dans une nouvelle usine proche de votre capitale. Nos entreprises sont prêtes, je le sais, à participer aux grands projets d'infrastructures que développe votre pays, depuis le pont qui devra relier Colonia à Buenos Aires jusqu'à l'ambitieux projet d'aménagement fluvial aboutissant à l'estuaire du Rio de la Plata.

Aujourd'hui, Messieurs les Présidents, vous êtes au coeur de cette grande aventure qu'est la construction du Mercosur. Les progrès réalisés en six ans ont été considérables et ont dépassé toutes les espérances. La France admire cette dynamique d'intégration régionale qui présage bien de l'avenir en terme de paix, de démocratie, de développement. Nous sommes désireux de vous accompagner dans cet effort. Déjà votre pays nous apparaît comme la porte d'entrée naturelle d'un grand marché régional de plus de 200 millions d'âmes, pôle de stabilité politique, de paix et de démocratie. Un pôle économique majeur dans le monde multipolaire qui se dessine. Ici, à la charnière de vos quatre Etats membres, tout justifie votre ambition de faire de Montevideo, cette superbe cité, cette cité à la fois moderne et humaine, la " Bruxelles " du Mercosur. Cette ambition prend corps avec notamment la décision adoptée par vos chefs d'Etat au dernier sommet de Fortaleza, d'établir dans votre capitale le siège permanent du secrétariat de l'Organisation.

La France a été à la pointe du rapprochement entre le Mercosur et l'Union européenne. Sous son impulsion, a été signé, le 15 décembre 1995, à Madrid, par le Président Sanguinetti, représentant le MERCOSUR, l'accord historique qui lie nos deux ensembles.

J'ai encore dans l'oreille et dans la mémoire le superbe discours qu'avait fait le Président pour indiquer sa foi et sa certitude dans l'avenir, dans le rôle mondial du MERCOSUR, dans la vocation de Montevideo et de l'Uruguay d'être en quelque sorte l'âme de ce grand dessin.

Il s'agissait du premier accord d'association entre l'Union européenne et un autre ensemble régional. L'Europe doit être, pour le Mercosur comme pour l'Uruguay, un partenaire de premier plan. Elle l'est déjà puisqu'en Uruguay, l'Union européenne est, hors Mercosur, votre premier partenaire commercial, et, de loin, le premier investisseur.

L'Union européenne est aujourd'hui le marché le plus ouvert du monde. Elle constitue, pour l'Uruguay comme pour le Mercosur, le principal marché. Elle absorbe déjà plus du tiers de vos exportations de viande et constitue le premier marché extérieur pour l'ensemble de vos produits agricoles. Grâce à notre accord, nos échanges vont pouvoir connaître un nouvel essor.

Allons plus loin ! Soyons ambitieux pour notre avenir commun ! Aujourd'hui, c'est toute l'Amérique latine et c'est toute l'Europe qui doivent, naturellement et impérativement, se rencontrer. Une Europe qui s'élargit, qui s'affirme davantage sur la scène internationale, qui disposera demain de sa monnaie, l'euro, qui aura 500 millions d'habitants et qui sera la première puissance économique du monde.

C'est pourquoi,j'ai proposé au Président Sanguinetti, qui a bien voulu considérer de façon positive cette initiative, qu'un grand Sommet rassemble, dès 1998, tous les dirigeants de l'Amérique latine comme de l'Europe, d'abord ceux du MERCOSUR et de l'Union, ensuite le lendemain ceux de l'Amérique latine et de l'Europe. Et je suis heureux de notre volonté conjointe de lancer ce mouvement historique de rapprochement de nos deux grands ensembles fondés notamment sur l'idée qu'aujourd'hui l'Europe est le premier partenaire dans tous les domaines comme fournisseur, comme client, comme investisseur, comme donneur d'aide au développement. Le premier partenaire du MERCOSUR et de l'Amérique latine.

Vous et nous avons la même volonté de bâtir un espace de prospérité et de croissance. Vous et nous défendons une économie mondiale ouverte, favorable aux échanges, et donc créatrice de richesse, de progrès et d'emplois. Vous et nous désirons saisir la chance de la mondialisation et de l'émergence de nouvelles puissances économiques. Mais nous avons aussi la même volonté de tirer le meilleur parti de cette mondialisation, d'en maîtriser les effets, notamment sur le plan social, de construire un monde humain, solidaire, juste, un monde qui ne laisse personne, citoyens ou nations, au bord du chemin.

Un monde respectueux des identités nationales, et c'est le sens du combat que la France, mène avec d'autres pays, pour la diversité culturelle et la diversité linguistique du monde sans lesquelles naturellement il n'y aurait pas de culture et de progrès culturel pour tous.

Le nom de Punta del Este restera dans l'histoire du monde contemporain comme le lieu où fut lancée, en 1986, la grande négociation historique du " grand cycle de l'Uruguay " qui a heureusement abouti à la création en 1995 de l'Organisation mondiale du commerce qui dans sa conception restera toujours attachée à votre terre.

Je souhaite, dans votre pays dont le nom s'identifie à cette grande négociation réussie, présenter ma vision des règles commerciales dans le monde de demain, ce monde multipolaire en quête d'un nouvel équilibre, d'un équilibre harmonieux, serein, pacifique. Et d'abord de règles claires, transparentes et loyales, fixées et acceptées par tous, et qui assurent l'égalité de traitement et la sécurité dans les échanges commerciaux internationaux.

Voilà pourquoi,nous devons lutter contre les tentations de l'unilatéralisme, grand danger. Voilà pourquoi nous devons consolider le système multilatéral et tout d'abord renforcer le rôle de l'Organisation mondiale du commerce dont la France comme l'Uruguay ont soutenu activement la création.

En décembre dernier, la Conférence de Singapour a marqué une étape importante dans ce processus. Tout d'abord, parce que l'OMC s'affirme désormais comme l'instance du dialogue, de la décision du règlement des différends. La France et l'Union européenne s'en félicitent. Je sais qu'il en est de même pour l'Uruguay et les pays du MERCOSUR.

Ensuite, parce que la Conférence de Singapour a démontré que l'OMC avait la capacité de faire aboutir des accords sectoriels importants concernant les nouvelles technologies de l'information ou les télécommunications, deux domaines où ces règles sont absolument vitales pour le développement de notre avenir. Elle a enfin confirmé la nécessité d'élargir les négociations à des sujets nouveaux comme les investissements internationaux ou à la concurrence.

Mais naturellement et comme toujours, il reste encore beaucoup à faire. Il faut étendre les règles de l'OMC aux vingt-neuf pays candidats, et notamment à quelques grands Etats essentiels, je pense à la Chine, à la Russie, à l'Ukraine, à l'Arabie Saoudite, à d'autres encore qui sont des partenaires majeurs des relations économiques internationales.

Nous devons mieux adapter nos règles aux évolutions de la mondialisation, et notamment durcir les moyens de lutter contre les pratiques abusives ou déloyales, mieux protéger les droits de la propriété intellectuelle. Nous devons veiller à ce que le grand mouvement d'intégration régionale dans le monde, dont l'Union européenne et le MERCOSUR sont des exemples, ne conduise pas à la fragmentation et au cloisonnement des espaces d'échanges. Face à ce risque, nous devons renforcer l'application des règles multilatérales, dont la clause de la nation la plus favorisée est et reste le pivot.

A terme, nous devrons étendre notre réflexion commune et nos négociations à de nouveaux domaines, répondant ainsi aux aspirations de nos concitoyens. Je pense notamment à la protection si nécessaire, de plus en plus indispensable, de l'environnement et à l'adoption progressive, inéluctable, par tous, d'un socle de normes fondamentales protectrices de l'homme au travail.

Les accords de Marrakech ont arrêté un programme ambitieux. Il faut le réaliser dans les conditions et les calendriers convenus. C'est notre tâche la plus essentielle dans les prochaines années.

Si le développement des échanges est un puissant moteur pour la croissance, il comporte aussi de nombreux risques pour la stabilité du système monétaire et financier international. C'est pour assurer mieux cette stabilité que la France plaide en faveur d'une coopération renforcée au sein des instances multilatérales. Nous devons veiller ensemble à la solidité de notre système financier international et prévenir ses désajustements c'est ce qui a inspiré la réflexion, initiative française, dans le cadre de sa présidence du G7 lors de la dernière réunion de Lyon.

Vous le voyez, la mondialisation, moteur de la croissance, est en vérité une chance pour tous nos Etats, pour peu que nous sachions adopter et respecter entre nous de bonnes et saines règles de vie commune, règles économiques et surtout règles sociales.

Comme dans les échanges économiques internationaux, il nous faut, entre Etats, entre ensembles régionaux, agir de concert au sein des grandes organisations multilatérales, et d'abord de l'Organisation des Nations unies.

Dans notre " village planétaire ", c'est ensemble que nous devons répondre aux inquiétudes et aux souffrances de nos compatriotes. Je pense au spectre du Sida qui hante nos jeunesses. Je pense à la misère et à l'exclusion présentes dans tous nos pays et dont le recul doit être une priorité absolue pour tous nos gouvernements. La France s'est engagée dans ce grand combat, en appelant ses partenaires au sein de l'Union européenne comme du G7 à renforcer, sans cesse, leur effort de solidarité.

C'est côte à côte que nous devons affronter ces grands fléaux qui menacent nos sociétés : le crime organisé, la montée de la violence et, bien sûr, le trafic de drogue. Nous avons là une responsabilité immense et partagée. Ce trafic, nous devons nous y attaquer ensemble, à tous les stades, et dans toutes ses ramifications.

Monsieur le Président,

Laissez-moi vous dire combien votre accueil, celui de votre Haute Assemblée, de la population de Montevideo, combien l'accueil de votre Haute Assemblée me sont allés droit au coeur.

Ici, dans votre capitale, à Montevideo la belle, le général de Gaulle voyait en l'Uruguay et la France, je le cite, deux "nations assez lucides et assez résolues pour soutenir dans l'univers la grande querelle de l'Homme". Cette volonté doit être, plus que jamais, la nôtre.

L'Uruguay, véritable poumon et coeur du Mercosur, et la France, artisan inlassable de la construction européenne et du rapprochement entre nos deux grands ensembles, ont toutes les raisons de vouloir construire conjointement un monde meilleur. Un monde de démocratie, de paix. Un monde plus juste, où le développement économique profite à tous. Un monde au service duquel chacun aura à coeur de mettre toute son énergie.

Ce monde rêvé par Lautréamont où, je le cite : "le courage remplacerait la mélancolie, la certitude, le doute, l'espoir, le désespoir". Ce monde, Monsieur le Président, qu'ensemble, l'Uruguay et la France doivent avoir la volonté de construire pour que nos enfants sachent que notre unique raison d'agir a été de leur léguer un avenir meilleur.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je vous remercie.





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