Discours du Président de la République devant la jeunesse d'Argentine à Buenos Aires.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant la jeunesse d'Argentine.

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Buenos Aires, Argentine, le lundi 17 mars 1997

Monsieur le Recteur,

Etudiantes et Etudiants d’Argentine,

Permettez-moi de dire mes Chers Amis,

Je voudrais d'abord, Monsieur le Recteur, saluer et féliciter la chorale qui a chanté la Marseillaise de façon superbe, ce qui était particulièrement émouvant pour moi. Je me suis rendu compte là de la force du lien culturel qui, depuis si longtemps, existe entre votre pays et le mien. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de pays dans le monde où l'on chante aussi bien la Marseillaise, probablement parce qu'on y met du coeur ici, alors je salue la chorale.

Je suis heureux de m’adresser, au terme d'un voyage que je viens de faire en Amérique latine et que j'ai tenu à terminer dans votre beau et grand pays, je suis très heureux de m'adresser à vous, étudiantes et étudiants de cette prestigieuse université, et, si vous me le permettez, à travers vous à l'ensemble de la jeunesse d’Argentine, de cette jeunesse qui demain aura entre ses mains le destin d'une des plus grandes et des plus importantes, des plus puissantes nations du monde.

Dans cette Université de Buenos Aires, je voudrais vous dire simplement quelques mots sur l’avenir tel que je l'imagine. Je souhaite surtout vous adresser un message d’amitié, de fraternité, un message de confiance et un message d’espoir. Un message d’amitié et de fraternité, parce que, Monsieur le Recteur vient de le rappeler, la relation entre l’Argentine et la France ne ressemble, je crois, à aucune autre. Tout ce qui touche votre pays, votre peuple, sa culture, son histoire, parle à l'esprit et au coeur des Français et ceci depuis longtemps. Lorsque vous avez rejeté la dictature, nous autres Français, nous avons été profondément heureux. Avec la liberté, c'était la dignité et la grandeur du peuple argentin qui étaient réhabilitées.

Depuis toujours, depuis la naissance même de votre nation, une belle et grande histoire s’est nouée entre nos deux pays. Et vous devez la connaître de façon à la poursuivre.

Depuis bientôt deux siècles, l'Argentine et la France n’ont cessé d’échanger. Comme beaucoup d’esprits de leur temps, vos pères fondateurs ont rapporté de leurs voyages et de leurs campagnes en Europe le goût de la liberté, le goût de l’indépendance, le sens de l'ouverture aux autres et de la tolérance, le respect de l'autre et l'importance de la dignité de chacun. Ils ont poursuivi sur votre continent le rêve révolutionnaire de l’Ancien Monde. A leurs côtés, se tenaient de nombreux combattants de la Révolution française et de l’Empire.

Voilà pourquoi, puisant aux mêmes sources, épris des mêmes idéaux, Argentins et Français se sentent proches les uns des autres. Même s'ils se connaissent mal, ils s'estiment naturellement. Voilà pourquoi, depuis deux siècles, pour nos intellectuels, nos écrivains, nos journalistes, nos artistes, le voyage en Argentine, et aussi réciproquement pour les vôtres, le voyage en France, est en quelque sorte une tradition.

Au début de ce siècle, ce furent Sarah Bernhardt, Anatole France, Georges Clemenceau, Jean Jaurès et tant d’autres, qui vinrent en Argentine. Votre pays, ses grands espaces encore vierges, ses richesses naturelles, son charme, ses promesses d’une vie meilleure, ont attiré plus de deux cent mille Français. Souvent originaires de notre grand sud-ouest, du Pays basque, du Béarn, de l’Aveyron, mais aussi de Savoie et d’ailleurs, à leur manière ils ont contribué à bâtir ce beau pays d’Argentine. Nous en sommes fiers.

Aux heures sombres, c’est en France que trouvèrent refuge tant de héros argentins de la liberté, de la démocratie, de la justice, tant de vos hommes politiques, de vos intellectuels, de vos journalistes, de vos chercheurs.

Ce lien privilégié, de nombreux écrivains, créateurs, universitaires, continuent de le faire vivre aujourd’hui.

Je pense à vos grands auteurs, qui ont tant séduit les Français : Julio Cortazar, Jorge Luis Borges, Ernesto Sabato, Adolfo Bloy Casares et Oswaldo Soriano. Je pense à ces grands metteurs en scène de théâtre qui nous ont tant apporté : Jorge Lavelli, Alfredo Arias, qui ont en quelque sorte prolongé à Paris l’avenue Corrientes. Je pense à la cinéaste Nelly Kaplan, que j’ai eu le plaisir de décorer récemment de la Légion d’honneur, la distinction nationale française.

Je pense au compositeur Astor Piazzola dont la musique, inspirée du tango des faubourgs de Buenos Aires, a profondément ému les Français et a fait aimer davantage encore votre pays dans le mien.

Je pense à ces grands peintres et plasticiens, Alicia Penalba, Julio Leparc, Antonio Segui, dont les oeuvres semblent faire partie du patrimoine national français et qui sont toujours à l’honneur dans nos musées ou nos expositions. Avec beaucoup d’autres, ils ont fait entrer l’âme argentine, onirique, nostalgique, douloureuse, passionnée, géniale dans la culture de mon pays.

C’est dire la complicité de l’esprit et du coeur qui unit nos deux nations. Cette complicité, nous devons la faire vivre, nous devons la faire grandir. Et d’abord entre nos jeunesses.

C’est bien sûr, sur la jeunesse que repose l’espoir d’un monde meilleur, d'un monde de paix, libre, tolérant, solidaire, juste. C’est ça notre idéal, c'est ça notre objectif, votre objectif. C'est évidemment toujours de la jeunesse que vient le changement. Le changement est en permanence nécessaire.

Dans cette université, qui est traditionnellement un lieu de débats, de projets, d’espoirs, je pense aujourd’hui à toutes celles et à tous ceux qui vous ont précédés et qui, dans les années sombres, avec des dizaines de milliers d’autres Argentins, ont disparu. Le Président des élèves, si j'ai bien compris son titre, tout à l'heure, me remettait deux ouvrages émouvants à ce sujet. Présents un jour sur les bancs de cette université, ils étaient par la barbarie de quelques hommes le lendemain enlevés, torturés, assassinés. Une plaque rappelle les noms de vos camarades victimes cette barbarie.

Aujourd’hui, vous vivez vos vingt ans dans une Argentine libre, démocratique et pacifique. C’est une chance, inestimable, mais c’est aussi une responsabilité. C’est à vous qu’il revient maintenant de consolider sans cesse la démocratie. L’Histoire nous enseigne que les démons de l’intolérance, de la violence, de la haine, que les démons du non-respect de l'autre, ne sont jamais terrassés, qu'ils existent toujours partout et qu'il faut être vigilant. Que la démocratie est une construction de chaque instant et qu’elle impose, notamment de la part des jeunes, un souci permanent de rejeter tout ce qui peut la mettre en cause, de rejeter toutes les formes d'intolérance qui renaissent sans cesse et qui ont conduit des hommes ou des pays à faire tant de choses dramatiques.

J’ai confiance en l'avenir, j'ai confiance en votre avenir. Votre pays et ses voisins enracinent jour après jour l’Etat de droit. Il est beaucoup plus facile de le sauvegarder ensemble que lorsqu'on est isolé. Mieux, en levant leurs frontières, en s’ouvrant à l’autre, ce qui est un geste naturel, en construisant le MERCOSUR, ils ont fait de la démocratie la condition même de leur croissance et de leur développement et ils ont emprunté un chemin susceptible de maintenir la paix. Car l'intégration régionale, aujourd'hui à l'oeuvre partout dans le monde, qu'il s'agisse de l'Union européenne, qu'il s'agisse de l'ASEAN en Asie du Sud-Est. Partout dans le monde nous voyons les pays s'associer davantage, s'unir pour leur destin et ceci est capital parce que lorsque que l'on est uni, on se bat beaucoup plus difficilement que lorsqu'on ne l'est pas.

Comme nous, nations européennes, tirant les leçons de deux terribles conflits mondiaux dans ce seul siècle, par exemple la France et l'Allemagne qui ont été les deux principales victimes du drame, qui ont laissé exsangues nos pays, eh bien, nous avons scellé la réconciliation sur notre vieux continent. Nous avons construit l’Union européenne, avec pour objectif premier de rendre la guerre impossible et je crois qu'aujourd'hui elle est impossible entre les Etats membres de l'Union. Eh bien comme nous, vous, pays d’Amérique latine, vous avez, en vous rassemblant, cimenté et renforcé la démocratie et la paix dans votre région du monde.

Naguère, pour défendre leur liberté, vos aînés, vos parents ont dû exposer et, trop souvent, donner leur vie. Demain, c’est par votre talent, c'est par votre travail, c'est par votre volonté de la servir en vous y épanouissant, que vous porterez le destin de l’Argentine.

L’Argentine se prépare à entrer par la très grande porte dans le siècle prochain. Elle se donne, dès maintenant, les cadres dont elle aura besoin, c'est-à-dire vous. Pour cela, comme en France, l’enseignement supérieur argentin s’ouvre aux réalités d’aujourd’hui. Comme en France, votre université doit anticiper les évolutions, celles notamment de l’emploi, elle doit adapter son enseignement à l’avenir professionnel des étudiants.

Je suis heureux que, dans cet effort qui engage l’avenir, une fois de plus l’Argentine et la France soient associées.

Depuis, déjà plus de quarante-cinq accords lient nos plus grands établissements universitaires. Les programmes de coopération qu’ensemble nous mettons en oeuvre aujourd’hui font, à côté des échanges culturels traditionnels, une place de plus en plus large au monde du travail et à l’entreprise.

Saluons la création d’une nouvelle filière universitaire - Monsieur le Recteur, vous l'avez mentionné - filière franco-argentine de formation en économie et gestion. Saluons la création d’un Centre franco-argentin des Hautes Etudes au sein de votre université. Il sera le lieu privilégié de nos recherches conjointes dans le domaine des sciences humaines et des sciences sociales. Saluons la mise en place de stages de formation pour les futurs dirigeants d’entreprises destinés à mieux leur faire connaître la France et l’Union européenne. Saluons notre nouveau programme de formation dans la recherche appliquée.

Confiance et espoir : en voilà des témoignages. Ces développements prometteurs témoignent, en effet, de notre volonté de rénover notre coopération traditionnelle pour l’adapter à nos besoins d’aujourd’hui. Ils vous aideront à mieux affronter la mondialisation des échanges. Cette mondialisation qui est à la fois une chance et un risque.

C’est une chance par l’ouverture des marchés, par la diffusion des technologies, par le décloisonnement et le dialogue de nos sociétés. A ce titre, c’est une véritable promesse de croissance et donc de création de richesses, et donc de possibilités de financer le progrès social.

Mais, ne nous y trompons pas, c'est également un risque, car si nous ne maîtrisons pas la mondialisation, elle peut conduire à la marginalisation soit des citoyens dans un pays, soit de certains pays dans le monde car elle peut être sévère pour ceux qui ne peuvent pas suivre du même pas que les autres. Prenons garde aux dangers de marginalisation qu'implique une mondialisation qui serait mal maîtrisée.

C’est également un risque car elle peut contribuer, si nous n’y prenons garde, à l’appauvrissement culturel de notre planète. Et c’est notre responsabilité collective, à nous dirigeants politiques, à vous responsables de l’enseignement supérieur qui avez mission de transmettre un savoir et des valeurs de civilisation, et à vous, étudiantes et étudiants, citoyens du XXIe siècle, de construire un monde ouvert à l’autre, mais respectueux des différences et de l’identité de chacun, différence et identités qui font la richesse de la culture de l'humanité.

J’ai confiance, car je connais la vitalité et le dynamisme des cultures des pays que je viens de visiter, ceux du MERCOSUR. Mais l’évolution des technologies risque de privilégier, si l'on n’y prend pas garde, le recours à une langue unique de communication et donc on court le risque d'un monde uniculturel, unilinguistique, ce qui serait la certitude d'une dramatique décadence de la culture de l'humanité. Il faut éviter que les langues, grandes et petites, qui chacune exprime des valeurs à sa manière, mais qui sont toutes à ce titre irremplaçables, ne soient petit à petit marginalisées.

Voilà pourquoi nous, francophones, nous avons adopté une démarche volontariste et de nature politique. Et voilà pourquoi lors du Sommet francophone de Cotonou en 1995, avec les 50 autres chefs d'Etat et de Gouvernement, qui ensemble constituent l'espace francophone dans le monde, j’ai lancé un appel à tous les responsables des grandes langues du monde, pour qu’ils nous rejoignent dans notre combat pour la diversité linguistique et culturelle de la planète.

Une langue, c'est plus qu’un outil de communication, beaucoup plus. C’est en réalité l’âme d’un peuple, son génie, son histoire, ses traditions, ses valeurs, sa vision du monde, qui s’expriment à travers la langue.

C’est irremplaçable. C'est l'expression même de l'intelligence et de la sensibilité. C'est le sens que nous, francophones, nous donnons à notre action et à notre ambition. La francophonie, ce n’est pas pour nous la nostalgie d’une époque révolue. Ce n’est pas la défense de la langue de la France, nous portons le même respect à toutes les autres grandes langues de l'humanité. Mais c’est un combat d’avenir, pour que vivent et grandissent les valeurs de solidarité et de fraternité qu’exprime le français, et qu'a évoqué tout à l'heure Monsieur le Recteur, comme d’autres valeurs, toutes aussi essentielles, pour que l'humanité s'exprime mieux dans d'autres langues.

Je suis fier aujourd’hui que la plus haute institution de la culture française, l’Académie française fondée par Richelieu, regroupant les 40 personnalités françaises, les plus éminentes dans le domaine de l'esprit, vienne de recevoir en son sein Hector Bianciotti, un Argentin, qui a bien voulu d'ailleurs m’accompagner et qui est ici. Cher Maître, dans votre discours de réception à l’Académie française le 23 janvier dernier, vous déclariez, je vous cite : "être passé de (votre) langue d’enfance à celle de (votre) littérature d’élection sans rien apporter d’autre, en guise de présent, qu’un " imaginaire venu d’ailleurs ". Vous ne pouviez faire plus beau cadeau à la France que cet " imaginaire venu d’ailleurs ". Avec vous, c’est l’âme de l'Argentine tout entière qui, une fois encore, vient féconder le génie français. Ce sont également Victoria Ocampo, José Saer, et beaucoup d’autres qui, jours après jours, nous enrichissent de leur talent. Il y a en France un grand respect pour le génie argentin.

Voilà pourquoi la famille francophone, forte de son expérience d’ensemble organisé, veut promouvoir, avec la famille hispanophone, avec la communauté lusophone, avec toutes les autres familles linguistiques, la présence de toutes les grandes langues sur les nouveaux réseaux de l’information et de la communication et militer ainsi pour la diversité et donc pour la richesse culturelle du monde. C'est aussi un moyen de conserver les valeurs de respect de l'autre si nécessaires à la démocratie.

Je sais combien ce message recueille l’assentiment de la jeunesse argentine, j'en suis sûr. Chaque jour vous démontrez l’extraordinaire dynamisme de votre langue et de votre culture sur l’ensemble du continent américain et, je vous l'ai dit pour la France c'est vrai pour d'autres pays, bien au-delà. Votre pouvoir d’attraction est fort. Vous savez combien l’Europe a, de tout temps, succombé à la magie des musiciens, des créateurs, des auteurs d’Amérique latine. Tout simplement parce qu'ils exprimaient à leur façon, un peu différente de la notre, le même génie, les mêmes racines, la même tradition, celle du monde latin

Aujourd’hui, il n’est pas de domaine de la création artistique que la langue espagnole ne vienne féconder et enrichir. Cinéma, littérature, théâtre, tout lui réussit. Tout nous parle. Du Mexique à l’Argentine, votre culture offre un mode d’expression que le monde, le reste du monde, admire et vous envie. Plus que jamais l’Amérique latine est populaire, elle est d’actualité dans le monde de la culture. Savez-vous qu’aujourd’hui, l’espagnol arrive en France au deuxième rang des langues étrangères enseignées au collège et au lycée, avec plus d’un jeune Français sur deux étudie l'espagnol ? Un sur deux.

C’est dire combien nos langues, nos cultures, notre imaginaire s’entrecroisent, et combien elles doivent se rassembler pour notre avenir commun.

Au cours de mon voyage, j’ai dit aux responsables de tous les pays que j'ai visités, combien la France voulait s’appuyer sur ce grand ensemble de plus de 200 millions d’habitants qu’est le MERCOSUR, aujourd'hui quatrième puissance mondiale et demain sans aucun doute la troisième, afin d’accroître sa présence et son rayonnement dans ce cône sud d’Amérique latine qui est aujourd’hui l’une des régions les plus dynamiques sur le plan économique comme sur le plan culturel de notre planète. Au Brésil, au Paraguay, en Uruguay et en Bolivie, tous pays membres ou associés au MERCOSUR, j’ai dit combien, partout, les Etats s’organisent en ensembles régionaux qui sont autant de pôles émergents, combien dans ce monde en quête d’un nouvel équilibre de liberté, de paix, le MERCOSUR et l’Union européenne avaient vocation à se rejoindre.

L’accord de Madrid, signé en décembre 1995, a ouvert une ère nouvelle de coopération entre nos deux grands ensembles. Mais nous devons aller plus loin, encore plus loin. C'est pourquoi j'ai proposé qu’un Sommet, qui serait le premier de l’Histoire, réunisse dès l’an prochain tous les dirigeants d’Amérique du Sud et d’Europe. Un Sommet qui nous permettrait de mettre en oeuvre un véritable partenariat, un partenariat politique dans la mesure où aujourd'hui rien de ce qui se passe dans le monde n'est indifférent à l'Amérique latine comme à l'Europe organisée.

Un partenariat économique bien sûr, pour accentuer encore nos échanges tant il est vrai que ce sont les échanges qui dans une large mesure produisent la richesse, laquelle peut être et doit être le mieux possible redistribuée.

Et puis un partenariat dans un domaine que vous comprendrez mieux que quiconque et qui est celui de l'éducation. En Amérique du Nord, en Amérique du Sud, en Europe, en Asie, en Afrique, nous sommes en face d'un véritable défi. Hier ceux qui ne savaient pas, ceux qui ignoraient l'écriture, la lecture pouvaient trouver un travail et s'intégrer dans une société qui était alors, il faut le dire, plus tolérante, plus conviviale qu'aujourd'hui. Aujourd'hui, lorsque l'on a pas le minimum d'éducation - et demain ce sera plus vrai encore - on ne pourra pas s'insérer dignement et s'épanouir dans la société. On sera marginalisé et c'est un immense défi. Nous avons les mêmes problèmes. Dans son discours à l'Etat de l'Union, tout récemment, le Président Bill Clinton se fixait comme objectif que chaque enfant à huit ans aux Etats-Unis sache lire et écrire, ce qui est évidemment très loin d'être le cas. Mais c'est vrai en Europe, c'est vrai en Asie, c'est vrai en Amérique latine. Cela veut dire que nous sommes en train, si nous n'y prenons pas garde, de fabriquer des hommes et des femmes qui seront ou qui risqueront d'être des marginaux dans une société qui aura de plus en plus recours aux hautes technologies pour maîtriser son destin.

C'est un grand défi qu'il faut relever. Nous ne le relèverons pas seul, chacun de notre côté. La mondialisation, ce n'est pas seulement l'économie, c'est aussi la politique par la démocratie mais c'est également le savoir par les moyens universels de demain dans le domaine de l'information et de la communication. Par conséquent, c'est ensemble que nous devons, là encore, relever ce grand défi et cela mérite, je le répète, un vrai et fort partenariat entre nos deux grands ensembles qui sont déjà liés par des liens économiques très forts.

C'est sur vous, d’abord sur vous, qui allez prendre en mains le destin de l’Argentine, que repose ce partenariat. Ce sont les grands défis que vous aurez à relever.

Vous, jeunes Argentins, avec vos amis Brésiliens, les autres aussi, vous constituez aujourd’hui les grands piliers de cet ensemble qui a vocation à rassembler autour de lui tous les pays d’Amérique du Sud et à construire un avenir de promesses.

On peut être patriote, aimer sans réserve son pays et on doit être patriote et aimer son pays. Mais pour autant, il ne faut pas élever de frontières artificielles. Au temps où l'Europe était la plus grande et la seule puissance du monde, il y a quelques siècles, on circulait partout librement sur notre continent. C'est un temps où la culture a considérablement progressé, même si l'absence de démocratie alors n'a pas permis d'éradiquer la guerre.

Cet avenir, construisez-le pour vous, pour votre pays, pour vos enfants.

Ayez toujours à l’esprit l’ouverture vers l’autre. Chacun est respectable, chacun est digne d'estime, chacun a quelque chose à apporter, une réflexion à faire, un regard qui apprend quelque chose.

Ayez toujours à l'esprit la tolérance, la justice, la création d’un monde où la croissance n’oublie pas les plus démunis et ne laisse personne sur le bord de la route. J’ai appelé en Bolivie à un combat conjoint contre la pauvreté et l’exclusion. Affirmons ensemble la nécessité d’un modèle social humain, assurant à chacun sa place, sa dignité, son épanouissement.

Je salue la volonté de tous vos dirigeants de construire une société plus humaine, plus juste. Je me réjouis que l’accent soit placé partout sur l’éducation, la culture, l’amélioration des systèmes d’enseignement. Je rends hommage aussi à la confiance que vous avez dans votre destin. Je salue votre volonté de bâtisseurs.

La Nation argentine a foi en elle-même, en sa prospérité, elle a foi, et à juste titre, en sa grandeur. Elle a traversé trop d’épreuves douloureuses et sacrifié trop de ses enfants pour ne pas vouloir aujourd’hui consolider cette paix civile, cette démocratie, cette justice acquise chèrement par vos parents. Ce combat, c'est le nôtre et c'est aujourd'hui le vôtre.

Achevant ici, devant vous, mon premier grand voyage officiel en Amérique du Sud, je tenais à vous dire mon admiration. Je tenais à vous dire ma joie devant la vitalité, l’enthousiasme, le talent de la jeunesse de tous les pays que j’ai visités sur ce continent. Et cela renforce ma conviction que nous devons construire l’avenir ensemble.

Ensemble, réfléchissons à la sécurité que nous offrirons à nos enfants, à la prospérité et à la justice d’une planète où la mondialisation des économies doit absolument tisser de nouveaux réseaux de solidarité et ne pas s'exercer seulement dans l'intérêt des plus dynamiques.

Ensemble, mobilisons nos ressources, nos énergies, notre génie pour construire un monde humain, respectueux de la dignité de l'homme.

Il y a trente-trois ans, dans cette université, peut-être même dans cette salle, le général de Gaulle exhortait nos deux peuples, que tant de choses rapprochent déjà, à mêler plus étroitement leur destin. Vous me permettrez de le citer, c'était ici : "Argentins, disait-il, vous nous ressemblez, à nous Français, quant à vos conceptions et vos intentions relatives au monde où nous vivons. Ce qu'il advient de l’homme, son affranchissement de la faim, de la misère, de l’ignorance, sous le signe de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, et grâce aux moyens que notre époque met à la disposition de l’ensemble des Etats, voilà la condition internationale de la réussite de chaque nation."

Etudiantes et étudiants d'Argentine, ce message méditez-le un instant. Il reste plus que jamais celui de la France. Il est aujourd’hui celui de tous les peuples épris de paix et de solidarité. Et c’est à vous, étudiantes et étudiants d’Argentine et d’Amérique latine, vous qui incarnez l’avenir, c'est à vous qu’il appartiendra de le faire vivre et de le faire grandir.

Je vous remercie.





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