Allocution du Président de la République prononcée au siège de la Présidence du Paraguay.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au siège de la Présidence de la République du Paraguay.

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Assomption, Paraguay, le dimanche 16 mars 1997

Monsieur le Président de la République, cher Juan Carlos,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires du Paraguay et de France,

Mesdames et Messieurs,

Mes chers Amis, car finalement c'est le mot qui convient le mieux,

Cher Président, votre visite en France, votre dernière visite en France est restée gravée dans ma mémoire.

C'est à Paris que vous aviez souhaité venir, le 18 décembre 1995, au lendemain de la signature à Madrid de l'accord interrégional de coopération entre le MERCOSUR et l'Union européenne. Négocié sous la Présidence française avec un appui dynamique et déterminant de votre part, Monsieur le Président, et des autorités du Paraguay, cet accord il vous appartient aujourd'hui en votre qualité de Président du MERCOSUR, de le faire vivre et vous rend responsable de ses premiers pas, je dois dire des premiers pas tout à fait prometteurs.

En vous élevant, alors, à la dignité de grand-croix de l'Ordre national de la Légion d'honneur, ordre créé par Napoléon Ier, j'avais souhaité, et je l'avais dit à la presse, saluer un grand homme d'Etat d'Amérique latine. Premier Président civil élu depuis 1954, après le Général Rodriguez, vous avez su, Monsieur le Président, par votre énergie, par votre modernité, grâce au soutien de votre peuple, avec l'appui, cela va de soi, de vos partenaires du MERCOSUR, vous avez su consolider, sauvegarder la démocratie. Une démocratie qui est désormais bien enracinée.

Vous évoquiez à l'instant le soutien de la France lors des incidents d'il y a un an et, me l'ayant dit tout à l'heure en réunion, je vous ai fait remarquer que ce n'était pas le soutien de la France. C'était le soutien de l'ensemble du monde. Ce qui était naturellement évident, ce qui marque bien l'évolution des choses de notre temps et notamment le fait que la démocratie s'impose partout et la solidarité des démocraties, non pas pour défendre des intérêts communs comme cela arrive dans les régimes dictatoriaux, mais simplement en raison d'une certaine idée de l'homme, de sa dignité, de ses droits. C'est cela que vous incarniez en avril dernier et c'est pour cela que vous avez été soutenu de façon unanime par l'ensemble des pays non seulement d'Amérique latine, de l'Union européenne, de l'Amérique du Nord, mais de tous les pays du monde.

Depuis 1989, que de chemin parcouru ! Aussi bien en Amérique latine qu'en Europe. Nous avons, les uns et les autres, observé le progrès de la démocratie à partir de cette époque, le progrès de l'économie de marché, c'est-à-dire d'une économie moderne et par la même le progrès de la paix. Ce qui est bien là un des objectifs essentiels. Une paix qui par définition ne peut résulter que de la démocratie. Il est infiniment plus difficile de faire la guerre dans une démocratie, parce que c'est le peuple entier qui est concerné et qui finalement décide, que dans une dictature où l'autoritarisme fait en réalité ce qu'il veut au détriment des intérêts du peuple et des nations

Votre pays, depuis lors, depuis 1989, s'est beaucoup transformé. Il a naturellement rétabli ses libertés fondamentales, la justice, l'Etat de droit, c'est-à-dire une nation qui aujourd'hui compte dans le monde. Votre pays s'est doté d'une nouvelle constitution, a élu son Parlement. Il a affirmé la vigueur de ses nouvelles institutions. Il s'est tout naturellement imposé dans le concert des nations, dans votre continent et sur l'ensemble des autres.

Sous votre impulsion, Monsieur le Président, le Paraguay a fait également, comme tout grand pays moderne, le choix de l'économie libérale. Ce n'est jamais facile au début, c'est vrai. Les mauvaises habitudes tirent les peuples et les pays vers le bas et il faut de l'énergie, de la volonté pour en triompher. Vous n'en manquiez pas. Les réformes, ici, ont été engagées : unification du taux de change, libération des taux d'intérêt, réforme fiscale, processus de privatisation et de décentralisation, tout cela a fait du Paraguay aujourd'hui une nation moderne, une nation prête à préparer réellement l'avenir de sa jeunesse dans le respect, je le répète, de liberté et de dignité des hommes. Le Paraguay veut rétablir ses grands équilibres économiques : il maîtrise l'inflation, il veut retrouver le chemin de la croissance et bien tout ceci, ce sont nos ambitions communes, ce sont les ambitions de la France, ce sont les vôtres, ce sont celles de toutes les nations modernes.

Votre pays a fait le choix de l'ouverture, comme la France. Il s'est engagé au sein du MERCOSUR qui est en Amérique du Sud le grand projet économique et politique du prochain siècle comme l'Union européenne aura marqué la même période pour l'Europe.

Vous en assurez aujourd'hui, avec un très grand talent, si j'en crois vos collègues la présidence !

L'Amérique du Sud, à son tour, s'engage dans un processus d'intégration régionale, qui est plus que jamais nécessaire, comme en Europe, comme en Asie, comme en Amérique du Nord, plus que jamais nécessaire pour conférer son équilibre au monde multipolaire qui se dessine aujourd'hui. Nous sommes un monde qui sera, petit à petit, marqué par l'existence de grands pôles économiques et politiques. De grands pôles qui permettront de maintenir les démocraties par solidarité naturelle et de provoquer le progrès Pour tous, l'intégration régionale est facteur de croissance, de progrès politiques, de progrès humains, de progrès économiques et sociaux. Les uns n'allant pas d'ailleurs sans les autres.

En six ans, le MERCOSUR est devenu la quatrième puissance économique du monde, il sera demain la troisième, le MERCOSUR est devenu pendant la même période l'un des ensembles les plus dynamiques de la planète. Les échanges entre les différents pays qui le composent ont considérablement progressé. Déjà, votre pays, Monsieur le Président, réalise plus de 40 % de son commerce avec ses trois partenaires.

Au carrefour du MERCOSUR, véritable clé de voûte, peut-on dire, de cet édifice, de cet ensemble sud-américain, le Paraguay est intéressé par tous les grands projets d'infrastructures qui se dessinent pour l'Amérique latine de demain. Ce fut l'un des sujets auquel vous avez attaché le plus d'importance lors de notre entretien de travail et je vous ai dit que j'en avais parfaitement conscience et que la France et l'Europe étaient prêtes à prendre leur part dans la réalisation de ces grandes infrastructures qui sont indispensables pour la cohérence, la cohésion, et le progrès de ce grand pôle que sera demain l'Amérique latine.

Il était naturel que le MERCOSUR et l'Union européenne se rapprochent. Tout les invitait à nouer un ambitieux partenariat. D'où l'énergie déployée par la Présidence française, à l'époque, avec votre aide, au premier semestre de 1995 pour parvenir à ce premier accord historique, je dis historique parce que le MERCOSUR est le premier ensemble régional avec lequel l'Union européenne a passé un accord et un accord qui doit se développer naturellement étape par étape jusqu'à permettre la constitution d'un vrai ensemble de liberté et de cohésion.

L'Europe, c'est un grand marché, c'est trois cent cinquante millions d'habitants aujourd'hui, c'est déjà la première puissance économique du monde. Le 1er janvier prochain, après une conférence que nous tiendrons sous présidence hollandaise en juin prochain pour régler les problèmes institutionnels qui doivent évoluer, nous commencerons l'ouverture de l'Union européenne. Nous avons commencé à six, nous sommes quinze et dans quelques années nous serons vingt-cinq, c'est-à-dire toute l'Europe et nous serons 500 millions d'habitants, c'est dire l'importance capitale que sur le plan économique comme sur le plan politique ou culturel l'Europe aura dans le monde de demain. Au même titre d'ailleurs que le progrès considérable que fait aujourd'hui l'Amérique latine et notamment son coeur battant, c'est-à-dire le MERCOSUR qui sera également demain, pour nous, un partenaire tout à fait essentiel, probablement le partenaire essentiel.

L'Europe est aujourd'hui le premier client du MERCOSUR. Elle est le premier fournisseur du MERCOSUR. Elle est le premier investisseur dans le MERCOSUR, je parle de l'Union européenne. Elle est de très, très loin, le premier donneur d'aide publique au développement à l'Amérique latine, de très loin. En un mot, l'Europe est déjà en fait le premier partenaire du MERCOSUR et cette évolution ne peut que se confirmer avec le renforcement de l'intégration régionale ici, avec l'élargissement et l'approfondissement de l'Europe qui, nous l'espérons, le 1er janvier 1999, sera dotée d'une monnaie unique qui facilitera considérablement ses échanges et sa croissance et qui sera l'autre grande monnaie du monde permettant dans le domaine financier et monétaire un meilleur équilibre de notre planète.

Tout cela montre bien que nos intérêts sont convergents et ils le sont d'autant plus qu'ils s'appuient en fait sur une même culture. On parle toujours du continent latino-américain. Je pense toujours quand j'entends ce terme qu'il y a là un double concept : un concept culturel, donc essentiel qui est exprimé par le mot "latino", nos origines latines, notre culture latine qui nous a imprégnés depuis des siècles et des siècles, les uns et les autres ; et puis un concept géographique certes important mais qui n'est que matériel et qui est exprimé par le mot "américain" le continent latino-américain.

Aujourd'hui, de plus en plus, nous sentons bien que nous entrons dans un monde où la culture deviendra de plus en plus importante.

Donc nos intérêts économiques et nos origines communes sur le plan culturel nous conduisent à renforcer considérablement nos relations et nos liens. Ces relations et ces liens se renforceront tout seul. Sans même que nous en ayons eu la volonté politique. Je le disais tout à l'heure, l'Europe est votre premier partenaire. Que serait-ce en terme d'intérêt commun et de développement si nous en avions eu plus tôt mais peut-être était-ce difficile à l'époque la volonté politique claire et affirmée ?

C'est pourquoi, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, j'ai proposé au Président du Paraguay qui a bien voulu accepter d'y réfléchir, j'ai proposé que nous donnions toute son ampleur à ce rapprochement et qu'un grand sommet marque clairement notre volonté politique et mette en oeuvre les moyens de la conforter. L'année dernière nous avions proposé à nos partenaires asiatiques une grande réunion au sommet pour développer nos relations politiques, économiques et culturelles entre les Quinze de l'Union européenne et une douzaine des pays les plus importants de l'Asie. Cette réunion a eu lieu à Bangkok. C'était également, je ne dirais pas des retrouvailles parce que nos relations n'avaient jamais étaient très importantes avec l'Asie, mais tout d'un coup l'évidence de la nécessité d'un rapprochement et les résultats ont été spectaculaires en un an. Alors que dire s'agissant de l'Amérique latine et de l'Europe ?

A mon sens cette grande conférence, au niveau naturellement des chefs d'Etat et de Gouvernement comme nous disons en Europe, qui devrait avoir lieu ici même en Amérique latine. Le Président a fait des propositions très précises en ce qui concerne la localisation mais je ne veux pas faire d'ingérence dans les affaires intérieures du MERCOSUR et de l'Amérique latine, du Groupe de Rio, d'autant que le Président est également président du Groupe de Rio et par conséquent il lui appartient de régler ces problèmes géographiques. Constatant nos origines culturelles communes et constatant que nous sommes déjà l'un pour l'autre le premier partenaire, que nous devons développer considérablement cette relation est-ouest qui bien entendu ne se substitue pas à la relation naturelle géographique nord-sud, cela va de soi, mais qui la complète et l'enrichit considérablement et qui est dans l'intérêt de tous.

Je proposais que cette réunion nous permette de définir trois grands partenariats qu'il convient d'exploiter et d'amplifier.

Un partenariat politique : je vous le disais, le monde est maintenant au temps des démocraties et des solidarités. Tout ce qui se passe aujourd'hui dans ce monde où sont en train d'émerger de grands ensembles, en Amérique latine, en Amérique du Nord, en Europe, en Asie, nous concerne tous. La mondialisation économique, dont on parle beaucoup et qui est importante, même si elle doit être maîtrisée pour ne pas avoir de conséquences sociales fâcheuses, cette mondialisation elle est aussi politique. Tout à l'heure on parlait de l'incident qui avait eu lieu au Paraguay. Il y a 20 ans personne ne s'en serait préoccupé. Aujourd'hui, le monde entier s'est senti concerné. La mondialisation est politique mais cela veut dire qu'il s'agisse d'Asunción ou de Paris ou de toute autre capitale européenne ou d'Amérique latine, nous sommes concernés par tout ce qui se passe dans le monde et nous avons vocation à le discuter entre nous. Le partenariat politique s'impose. Il y a maintenant des pôles, des régions, il n'y a pas des nations plus ou moins importantes. Cela c'est le passé. Il y a des ensembles qui doivent s'affirmer, qui doivent prendre la responsabilité d'une organisation harmonieuse et pacifique de l'ensemble de la planète. Il ne doit y avoir aucun pays qui se sente agressé, contraint ou humilié. Premier partenariat politique.

Le deuxième, je ne le développerai pas, c'est le partenariat économique, commercial, financier et là aussi nous avons encore beaucoup de progrès à faire et nous le ferons d'autant plus facilement que nous essaierons de l'impulser, de le diriger.

Il y a un troisième partenariat qui est tout à fait essentiel. Le Président Bill CLINTON, dans son récent discours à la nation, discours très remarquable d'ailleurs et visionnaire, disait dans la partie éducation de son discours "je veux que tous les enfants à huit ans sachent lire". Il expliquait que 40% à peu près ne le savaient pas. Je suis intervenu récemment à la télévision française pour parler de ces affaires d'emploi des jeunes et notamment de formation, de l'éducation et je disais que je voulais donner à mon septennat comme objectif que les quelques 15% au minimum d'enfants qui ne maîtrisent pas la lecture, je ne parle pas du reste, lorsqu'ils entrent au collège, la maîtrisent. C'est une grande ambition. Vous avez les mêmes problèmes ici en Amérique latine, en Asie aussi du reste.

Mais nous sommes dans un monde où de plus en plus ceux qui ne savent pas, ceux qui n'ont pas accès à la connaissance sont marginalisés. Il y a encore cinquante ans quelqu'un qui ne savait ni lire et écrire, trouvait facilement un emploi et pouvait vivre normalement. Aujourd'hui c'est impossible. Demain, ce ne sera même pas imaginable et nous avons un retard considérable les uns et les autres. Nos problèmes sont peut-être différents sur le plan technique mais ils ont la même nature. Les mêmes conséquences, la même ampleur.

Alors, je disais que ce troisième partenariat devrait être celui de l'éducation : préparer les jeunes de demain à pouvoir s'insérer et s'épanouir dans une société qui sera de plus en plus technicienne. Il y a de nouveaux moyens que nous apportent le multimédia, l'informatique, et qui créent une véritable révolution dans nos civilisations. Nous devons ensemble réfléchir et nous entraider pour les mettre en oeuvre au service des jeunes de tous nos pays.

Voilà ce que je souhaitais proposer au Président en lui indiquant que cette réunion, qui serait ensuite régulière, pourrait avoir lieu un premier jour entre le MERCOSUR et l'Union européenne parce que nous sommes les pionniers en matière d'intégration régionale, un peu en avance sur notre temps. Et le deuxième jour avec l'ensemble des pays d'Amérique latine qui sont évidemment destinés à s'intégrer tous dans l'ensemble latino-américain.

Nous avons évoqué tous ces projets tout à l'heure et j'ai voulu également remercier le Président pour la qualité de nos relations culturelles et lui dire combien je souhaitais les amplifier.

J'ai été frappé, à Paris, par le succès de la magnifique exposition d'art religieux du Paraguay, présentée à Paris et que vous aviez d'ailleurs inaugurée, Monsieur le Président, lors de votre visite qui a bien marqué, je l'ai noté, l'intérêt que la France porte à votre pays, à son histoire, à ses traditions, à sa culture, même si elle n'avait pas, si notre pays n'avait pas suffisamment, accès à cette culture.

Il est vrai que l'expérience jésuite avait suscité au XVIIIe siècle le débat et la passion chez les philosophes français. Mais je crois que nous serions en mesure aujourd'hui de renforcer là aussi nos liens. Je vous ai donc proposé que la prochaine et première commission culturelle scientifique et technique qui doit se tenir ici à Asunción, au lieu de se tenir comme il est d'usage, au niveau de nos experts, se tienne au niveau de nos ministres à la fois pour souligner son importance mais aussi pour que des décisions plus politiques, plus volontaristes, puissent être prises.

Monsieur le Président, je m'aperçois que j'ai été long et que j'avais encore beaucoup de choses à dire mais je ne veux pas abuser de votre temps.

Je voudrais simplement terminer en vous disant que je crois profondément à l'avenir de votre pays, à ce qu'il peut apporter de fort, à l'ensemble latino-américain et notamment à l'ensemble du MERCOSUR, que je crois qu'on doit jouer la carte du Paraguay et qu'en tous les cas mon conseil à nos hommes d'affaires, à nos hommes de culture, à nos hommes de science, c'est de jouer avec détermination la carte d'un Paraguay où j'ai observé que nous étions bien accueillis.

Ce matin en allant rendre hommage à vos pères fondateurs, au Panthéon, j'ai été frappé de voir tous ces garçons et toutes ses filles qui étaient là. Naturellement on peut toujours amener des enfants des écoles, mais quand on a un peu d'expérience, ce qui est mon cas, et que l'on regarde les enfants, on voit très bien lorsqu'ils ont été amenés et qu'ils sont là sur ordre ou bien lorsqu'ils sont contents. Cela se voit dans leur regard, cela se voit dans leur sourire, cela ne trompe pas. Ca dissimule mal un enfant. C'est une mauvaise chose d'ailleurs que les adultes aient perdu cette qualité de ne pas dissimuler. Mais ce matin j'ai bien vu que ces enfants ne dissimulaient pas. Ils étaient contents. Ils disaient gentiment des mots d'accueil alors cela m'a fait plaisir.

Monsieur le Président, je souhaite que cette visite permette en quelque sorte entre votre beau pays et le mien des retrouvailles qui sont dans la nature des choses, que vous souhaitez et que je souhaite.

J'évoque, en terminant, mon souhait de voir le renforcement des liens entre nos deux nations, ce n'est pas une formule diplomatique, je ne la lis pas sur mon discours, je la dis du fond du coeur.





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