Allocution du Président de la République lors de la clôture du 35e congrès de la Mutualité française.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la clôture du 35e congrès de la Mutualité française à Lille.

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Lille, Nord, le samedi 7 juin 1997

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Ministres, Monsieur le Premier Ministre, Maire de Lille, Mesdames, Messieurs,

Voici quelques mois, Monsieur le Président, je vous avais promis de venir à Lille pour participer au 35e congrès de la Mutualité française. Et, bien, je suis aussi heureux d'être ici parmi vous aujourd'hui, en répondant à votre invitation, Monsieur le Président, j'ai voulu, bien sûr, dire l'estime, la grande estime que je porte à votre mouvement et à tous ses membres, dévoués et compétents. Mais j'ai surtout le sentiment de m'inscrire dans une tradition républicaine ancienne et forte, tradition qui s'impose quelles que soient les circonstances.

Depuis une semaine nous sommes entrés dans ce que nous appelons la cohabitation. Cette situation institutionnelle particulière, je l'ai déjà vécue. C'était en 1986, j'étais Premier ministre et j'avais pu apprécier le rôle fondamental, je l'avais indiqué, du Président de la République en tant que gardien de nos institutions.

Aujourd'hui, mon devoir, c'est de veiller à ce que chacun ait sa place, et respectant l'autre, nous servions tous ensemble des intérêts et des valeurs qui nous dépassent, qui nous unissent aussi et qui sont tout simplement les idéaux de la République au premier rang desquels l'égalité des chances, la morale civique, la vertu républicaine.

Aujourd'hui, mon devoir, c'est de lutter pied à pied partout dans le monde pour que la France tienne son rang, assure sa sécurité, affirme son influence, accroisse ses parts de marché.

Aujourd'hui mon devoir, c'est de préserver les acquis européens obtenus après quarante ans de patience et d'efforts et de continuer d'avancer malgré les obstacles vers une Europe unie, forte et juste.

Aujourd'hui mon devoir, c'est de veiller à ce que la France entre dans l'ère des hautes technologies sans lesquelles nous resterions à l'écart de la croissance et du plein emploi.

Aujourd'hui mon devoir, c'est de garantir l'équilibre de notre société et en particulier la solidarité, la cohésion et donc notre système de protection sociale.

La Mutualité française, vous l'avez dit à juste titre, Monsieur le Président, est le fruit à ce titre d'une belle et grande aventure collective qui plonge loin ses racines dans l'histoire de notre pays. Elle a su incarner un idéal de solidarité, un idéal de générosité qui comptent parmi ce que la France a conçu et a fait de meilleur.

Ma présence, parmi vous, me permet de prêter une nouvelle fois une oreille attentive à vos débats. Car vos analyses, inspirées par l'humanisme qui est le vôtre, je dirais, qui caractérise la France, vos analyses sonnent juste. Et nous partageons la même conception de la place que doit prendre la solidarité dans une société moderne.

La solidarité, vous, mutualistes, vous le savez bien, est plus que jamais indispensable dans une économie ouverte aux échanges et exposée à la concurrence internationale. Elle fédère les énergies. Elle renforce la confiance face à l'avenir. Elle fait, en réalité, la force d'une nation.

Notre système de protection sociale est l'un des maillons essentiels de la solidarité qui unit les Français. Il dresse un rempart efficace devant les aléas de l'existence : le chômage et ses corollaires : la précarité et l'exclusion, la vieillesse, la maladie.

Vous avez précisément choisi, Monsieur le Président, de consacrer cette année vos travaux à l'assurance maladie et au rôle que peut jouer, que doit jouer la Mutualité française dans un système de soins rénové et modernisé. Vous avez raison, car c'est là un enjeu essentiel.


La France est le seul pays qui concilie médecine libérale et financement collectif des soins. Le seul pays qui offre à ses habitants une réelle liberté de choix. Chacun d'entre nous peut consulter le médecin qu'il souhaite. Choisir, le cas échéant, d'être suivi à l'hôpital ou dans une clinique privée.

Cette liberté, à laquelle les Français sont profondément attachés, se conjugue avec le meilleur de la solidarité, c'est-à-dire la prise en charge des soins par la collectivité. La Sécurité sociale et les mutuelles remboursent, pour la très grande majorité de nos compatriotes, la totalité des dépenses d'assurance maladie. L'hôpital, où chacun d'entre nous accède gratuitement aux soins les plus sophistiqués, résume parfaitement les vertus de notre système de santé.

Pour préserver cet acquis essentiel, vous avez été parmi les tous premiers à souligner la nécessité d'une réforme de notre Sécurité sociale.

Les idées que vous avez lancées, il y a trois ans, lors de votre Congrès de Bayonne, ont été des idées fécondes. Je ne dirais pas, Monsieur le Président, comme vous avez bien voulu le mentionner qu'elles ont été "pillées". Je dirais plutôt qu'elles ont essaimé tout simplement parce qu'elles étaient justes.

Votre diagnostic était exact : l'assurance maladie subit de plein fouet les effets de la montée du chômage qui tarit des ressources principalement assises sur les salaires. Elle ressent les contrecoups des évolutions démographiques et du progrès des techniques médicales. Les Français - et il faut bien sûr s'en réjouir - vivent plus longtemps et ils consomment davantage de soins.

Vous avez souligné la nécessité de sortir d'un cercle infernal consistant à augmenter sans cesse les cotisations et à réduire en fait les taux de remboursement. La France, et c'est vrai, a un taux de remboursement maintenant inférieur à la moyenne européenne.

Vous avez aussi réaffirmé, Monsieur le Président, que maîtriser les dépenses de santé et améliorer la qualité des soins sont deux objectifs que l'on peut parfaitement concilier.

Il n'y a pas de corrélation absolue entre le niveau des dépenses et le résultats. Le Japon a des indicateurs de santé publique excellents, parmi les meilleurs du monde. Il ne consacre pourtant que 7,3 % de sa richesse nationale à ses dépenses de santé. Les Etats-Unis avec un niveau de dépense bien supérieur, plus de 10% de la richesse nationale, obtiennent des résultats moins flatteurs : l'espérance de vie des Américains est inférieure de 2 à 3 ans à celles des Japonais et la mortalité infantile y est deux fois plus importante.

Vous avez également, parmi les premiers, reconnu que les performances globales de notre système de soins - qui sont indéniables - ne devaient pas masquer ses insuffisances et ses défauts. Au fil des années, se sont développées au sein de notre système des inégalités qui fragilisent l'ensemble de l'édifice. Inégalités entre les régions. Inégalités entre les catégories socioprofessionnelles. Les statistiques sur l'espérance de vie ou sur la fréquence des maladies cardio vasculaires en témoignent : tous les Français ne sont pas égaux devant la maladie. Chacun sait également, vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, que 100 000 à 300 000 personnes restent aujourd'hui encore privées de toute protection, situation profondément choquante qui devait d'ailleurs trouver rapidement et qui trouvera rapidement une solution législative.

Oui, Monsieur le Président, l'adaptation est nécessaire. Chaque franc économisé sur des actes inutiles ou sur des prescriptions superflues peut permettre de consacrer des moyens accrus à la lutte contre les nouveaux fléaux, comme le montre l'exemple du SIDA, ou d'améliorer la prise en charge de soins actuellement mal remboursés, par exemple les soins dentaires. Ou encore de renforcer les politiques de prévention auxquelles la Mutualité est, à juste titre, et de façon exemplaire si attachée et qui permettent, pour un coût limité, d'obtenir des résultats spectaculaires.

La Sécurité sociale est l'affaire de tous. Il n'y a pas d'un côté ceux qui paient et de l'autre ceux qui reçoivent. Chacun d'entre nous est à la fois cotisant et bénéficiaire. C'est pour cela que les économies réalisées profitent à tous. Elles permettent d'améliorer la qualité des soins. Elles renforcent la compétitivité de notre économie. Elles favorisent la croissance et l'emploi.

Tous nos partenaires sont confrontés à des défis analogues pour moderniser leur protection sociale, une protection sociale qui est et que nous voulons être un modèle social européen. L'Allemagne, par exemple, a entrepris depuis deux ans une vaste refonte de son système de santé. L'Italie s'est engagée sur la même voie. C'est en s'adaptant, nous le savons bien, que notre modèle social européen demeurera stable et vivant.


C'est bien cette conviction qui vous a conduit, Monsieur le Président, à vous engager dans le camp de la réforme.

Vous en avez suivi et accompagné avec beaucoup de vigilance les étapes successives. Et je ne doute pas que vous continuerez à le faire. Votre participation aux différentes institutions du système de santé, et notamment votre présence renforcée au sein des conseils d'administration des caisses, font de vous l'un des acteurs essentiels des changements en cours.

Je vois là, pour ma part, la preuve de votre attachement très ancien et très profond aux valeurs de solidarité et à l'éthique qui caractérisent votre mouvement et qui en font l'originalité et la force. Je voudrais également rendre hommage, vous l'avez mentionné tout à l'heure, à votre action internationale, je citerai le Mali, le Sénégal, le Liban et dans bien d'autres pays encore, car vous êtes ainsi les ambassadeurs d'une France généreuse, dynamique et solidaire des peuples démunis. Je me réjouis que vous ayez consacré ce congrès à approfondir votre réflexion sur ce qui fonde l'identité du mouvement mutualiste et sur ce qu'elle implique dans tous les domaines.

L'Europe doit reconnaître cette identité des mutuelles par rapport aux autres intervenants de la protection sociale complémentaire. Vous souhaitez, à juste titre, voir reconnu votre rôle spécifique en matière de protection sanitaire et sociale. Cette démarche ne peut que renforcer la dimension sociale de la construction européenne. L'acceptation, par les populations des Etats membres, des conséquences de l'ouverture de nos économies suppose, en effet, de préserver une solidarité à laquelle les groupements mutualistes participent très efficacement.

L'Association internationale de la mutualité a adopté le 22 mars 1996 une motion dans laquelle elle rappelle que les mutuelles contribuent, dans tous les pays concernés, à maintenir une protection sociale de qualité, malgré les difficultés que traversent tous les systèmes de Sécurité sociale. Elle se fait ainsi l'écho des préoccupations d'organismes qui assurent une protection sociale à base non lucrative à plus de 110 millions de citoyens européens.

Vous le savez, Monsieur le Président, le Gouvernement français vient de rappeler à la Commission que, s'il est normal de vouloir garantir un même niveau de protection des droits des assurés, on ne peut ignorer les particularités du secteur mutualiste qui devaient être respectées. Le gouvernement vient de demander un nouveau délai à la Commission. Ce délai est nécessaire pour parvenir à des solutions adaptées aux mutuelles relevant du code de la mutualité et prenant en compte, pour tous les acteurs concernés, les particularités du secteur de la santé. Je vous l'ai dit, Monsieur le Président, lors de notre dernière rencontre à Paris, je vous le dis aujourd'hui ou je vous le redis aujourd'hui à Lille : je veillerai à ce que la construction européenne, si nécessaire pour notre pays, ne remette en aucun cas en cause la spécificité de la mutualité.




Mesdames et Messieurs,

Monsieur le Président,

Il y a près d'un siècle, Eugène ROCHE, un homme du Nord qui fut l'un des fondateurs de la Fédération nationale de la Mutualité française, sonnait, je le cite, " le ralliement de tous les hommes de peine et de labeur autour de la bannière de la prévoyance ". Belle phrase. Et vous n'avez jamais cessé, fidèles à ce mot d'ordre, de porter haut les couleurs de la fraternité.

Vous avez compris, avant bien d'autres, c'est vrai, que la valeur d'une société se mesure à l'attention qu'elle accorde aux plus fragiles d'entre les siens. Que la force d'un pays tient avant tout à la solidité des liens qui unissent ses habitants. Que la solidarité est un élément essentiel de la cohésion sociale, et donc de la cohésion nationale.

C'est pour cela que vous avez tant contribué à l'édification de notre système de protection sociale, un système dont je suis le garant, et qui est au coeur même de notre pacte républicain. Plus d'un demi-siècle après sa création, la Sécurité sociale est arrivée à un nouveau tournant de son histoire. Cette belle institution, à laquelle nos compatriotes sont si attachés, a besoin, pour réussir sa mutation, du soutien fort et actif de la Mutualité française.

Le chant des mutualistes souhaitait faire la France "grande en la fraternité". Demain comme hier, vous saurez, j'en suis sûr, être à la hauteur de ce bel idéal.

Je vous remercie.





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