Discours du Président de la République à l'occasion de l'ouverture des Journées annuelles d'éthique.

Discours prononcé par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de l'ouverture des Journées annuelles d'éthique.

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Paris, le mercredi 15 janvier 1997

Monsieur le Président,

Monsieur le Professeur fondateur, Jean BERNARD,

Madame et Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs,

Le retour en force de l'éthique témoigne, s'il en était besoin, que nous sommes entrés dans une ère d'incertitude. La science, en nous dévoilant des contrées inconnues, est aussi riche de promesses qu'elle est porteuse de risques. Chaque progrès de la connaissance fait surgir de nouvelles interrogations. Comment user au mieux des possibilités nouvelles qui nous sont offertes, et ceci dans le respect de la vie et de la dignité de l'homme ?

La réflexion éthique, qui accompagne désormais pas à pas la progression de la recherche médicale et scientifique, constitue dans ce contexte un guide indispensable.

Indispensable pour les savants, qui sentent peser sur leurs épaules le poids d'une responsabilité parfois écrasante.

Indispensable pour les dirigeants politiques, souvent contraints de prendre, sans certitudes, des décisions lourdes de conséquence.

Indispensable pour les citoyens, à la recherche de repères pour mieux comprendre la révolution des savoirs et des pouvoirs qui s'opère sous leurs yeux.

C'est pour cela, Monsieur le Président, que j'ai tenu, en réponse à votre invitation, à ouvrir cette nouvelle session des Journées annuelles, qui réunissent, autour des membres du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, des scientifiques, des universitaires, des savants venus débattre devant un public averti de ces problèmes et je salue en particulier les personnalités étrangères qui ont bien voulu répondre à l'invitation du Comité.

J'entends marquer ainsi, comme je l'ai déjà fait devant le Comité international de bioéthique, tout l'intérêt que, bien sûr, je porte au mouvement éthique. Parce que l'éthique est intimement liée au fonctionnement de notre démocratie. Parce qu'elle permet de mieux faire face aux dangers présents et futurs, qu'ils concernent notre cadre de vie ou notre alimentation, et ainsi de rassurer nos concitoyens souvent inquiets pour leur avenir.

C'est aussi l'occasion pour moi, Monsieur le Président, de rendre un hommage sincère à votre institution, à la réflexion ambitieuse et féconde que vous avez engagée depuis bientôt quatorze ans.

Votre Comité, d'abord sous la présidence du Professeur Jean BERNARD, que je salue avec amitié et respect, puis sous votre conduite éclairée, Monsieur le Président, votre Comité a en effet accompli au fil des ans une oeuvre remarquable. Il a veillé à ce que les avancées liées au progrès de la connaissance se fassent dans le respect de la personne humaine.

Cette préoccupation a trouvé sa consécration dans l'adoption, en juillet 1994, des lois sur la bioéthique, et ceci au terme d'un long et grand débat constructif, essentiellement nourri par les travaux de votre comité.

Grâce à l'inventivité mais aussi à la sérénité dont vous avez fait preuve dans l'exercice de la mission difficile qui vous était confiée, la voie choisie par la France pour résoudre les problèmes posés par le développement des sciences du vivant a aujourd'hui une forte valeur de modèle. Nombreux sont en effet les pays qui ont mis en place des comités semblables au vôtre. Le Président Bill CLINTON a installé tout récemment, aux Etats-Unis, une commission consultative nationale de bioéthique. Et pour ne prendre que le dernier exemple en date, l'Egypte vient de se doter d'un comité du même type.

Vous avez aussi fait école au plan international. Le directeur général de l'UNESCO, M. Federico MAYOR, a créé un comité international d'éthique que préside, avec toute l'intelligence et toute la compétence qu'on lui connaît, Mme Noëlle LENOIR. La Communauté européenne s'est engagée dans une démarche similaire en se dotant d'une instance consultative chargée d'identifier les questions éthiques posées par le développement des biotechnologies. Quant au Conseil de l'Europe, il vient d'adopter une convention pour la protection des Droits de l'homme et de la dignité humaine à l'égard des applications de la biologie et de la biomédecine.

Tout cela démontre que la nécessité d'une réflexion éthique s'impose toujours davantage. L'éthique n'est plus seulement une affaire de spécialistes ni une préoccupation de pays riches. Elle concerne désormais toutes les nations et tous les citoyens.

Car les problèmes auxquels vous vous intéressez ont une incidence immédiate sur les grands équilibres de notre société. Vous êtes saisis de sujets qui touchent aux préoccupations quotidiennes de nos concitoyens.

Ainsi, vous avez examiné les politiques de traitement et de prévention de la toxicomanie. A cette occasion, vous avez mis en lumière les limites d'une action reposant exclusivement sur la répression.

Ainsi, vous vous êtes penchés sur le problème de l'apprentissage du langage sur les enfants sourds de naissance, grâce à l'implantation d'appareils de stimulation dans l'oreille.

Ainsi, vous avez étudié les difficultés liées à la diffusion de l'information scientifique. Vous avez montré qu'il est essentiel de concilier les exigences de prudence et de rigueur avec les attentes du public, qui souhaite - et c'est tout à fait légitime - avoir rapidement connaissance des découvertes susceptibles d'apporter des remèdes aux problèmes, aux souffrances et aux difficultés de chacun.

Sur tous ces sujets, on le voit très éclectiques, - et j'aurais pu prendre beaucoup d'exemples - vous jouez un rôle d'éclaireur. Certes, les textes ne vous reconnaissent ni pouvoir législatif, ni autorité administrative. Mais la diversité des disciplines et des sensibilités que vous représentez, la grande qualité des débats qui ont lieu sous votre égide, le souci didactique dont vous faites preuve en toute occasion vous permettent d'exercer un véritable magistère moral qu'aujourd'hui personne ne conteste, personne de sérieux. Votre légitimité repose sur la pertinence de vos avis. Vous savez convaincre sans contraindre.


Vous avez choisi de faire porter cette année votre réflexion sur un thème ambitieux : universalisme éthique, diversité culturelle et éducation. Vous touchez là au coeur de la démarche éthique : l'élaboration, par-delà la pluralité des cultures et des croyances, d'un langage commun. La formation d'un espace de dialogue et d'échange entre les différentes familles de pensée.

La diversité des cultures constitue, Claude LEVI-STRAUSS l'a montré de façon magistrale, un phénomène naturel et un trait constant dans l'histoire des civilisations. Pourtant, beaucoup de sociétés humaines - pas toutes, mais beaucoup - n'ont cessé de stigmatiser l'Autre, l'étranger, au point de lui dénier parfois, toute humanité. Puisque l'étranger - le barbare pour les Grecs, le sauvage pour les sociétés européennes - parle une langue différente, puisqu'il ignore les usages locaux, il ne peut être considéré comme un être humain à part entière. A telle enseigne que les Espagnols jugèrent utile, quelques années après la découverte de l'Amérique, d'envoyer des commissions d'enquête afin de déterminer si les indigènes avaient une âme, tandis qu'on raconte - ce sont des témoignages qui ne sont pas tout à fait fondés - que ceux-ci, ces indigènes, désireux de s'assurer de la nature humaine des conquérants, procédaient à l'immersion des prisonniers afin de vérifier si leurs cadavres étaient bien soumis aux lois de la putréfaction.

Aucune civilisation n'échappe à la tentation de l'ethnocentrisme. On ne se borne pas à constater la diversité. On formule des jugements de valeur. Une culture, des traditions différentes sont forcément inférieures.

Mais hiérarchiser entre elles les cultures, dans le temps ou dans l'espace, n'a aucun sens. Chaque civilisation repose sur un système de règles et d'usages, parfois très raffinés, adaptés à son environnement et qui ont leur propre cohérence.

Le sous-développement du continent noir est souvent présenté comme une sorte de fatalité, une caractéristique inhérente aux sociétés africaines. Pourtant nous redécouvrons peu à peu, au-delà des conséquences dramatiques que pendant trois siècles et demi la traite des Noirs a eu sur ce continent, les grands systèmes politiques de l'Afrique ancienne, ses constructions juridiques et économiques, ses doctrines philosophiques, sa musique, la perfection de ses arts plastiques.

Nous ne pouvons nier toutefois que certaines civilisations, au fil des siècles, aient atteint un stade de développement plus avancé. Cela tient pour une large part à la chance qu'elles ont eue, à un moment donné de leur histoire, de bénéficier d'influences économiques et culturelles multiples dont elles ont su tirer le meilleur parti.

L'Europe de la Renaissance tenait sa force et sa richesse de diverses traditions culturelles, grecque, romaine, germanique, sans compter les influences arabes ou chinoises.

La diversité culturelle est une chance, la diversité culturelle est une force. C'est par les échanges sous toutes leurs formes - échanges commerciaux et migrations mais aussi, l'histoire nous le prouve, guerres et conflits - que les civilisations progressent.

La diversité de notre société, fruit de l'histoire et des migrations, en est un exemple fort. La France a su, fidèle à sa tradition humaniste et aux principes d'accueil et de générosité qui ont inspiré la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, tirer le meilleur parti de la diversité de ses origines et de ses habitants, sans transiger avec le socle de valeurs communes qui fondent notre République. C'est à cette diversité qu'elle doit, pour une bonne part, son rayonnement et sa place dans le monde. Sachons les protéger.


La diversité culturelle n'est pas un obstacle à l'universalisme éthique. Elle permet au contraire d'y accéder.

L'esprit de tolérance et d'ouverture, qui permet à une société de s'enrichir de la diversité de ses traditions, est l'une des formes de l'universalisme éthique. La réflexion éthique se nourrit à l'évidence du dialogue et de l'échange.

En effet, qu'est-ce que la démarche éthique si ce n'est la confrontation d'idées, la consultation et la participation ?

L'éthique nous permet de transcender les particularismes culturels et les croyances individuelles car elle est " une morale sans moralisme " pour reprendre la belle formule de Jean-Marie DOMENACH. Elle refuse la solution toute faite, elle refuse la doctrine figée. Elle promeut l'analyse réfléchie, le dialogue, dans le respect des consciences.

Je constate que nous sommes progressivement parvenus à élaborer ensemble une éthique de la délibération à laquelle, pour ma part, j'adhère sans réserve. Elle nous permet d'inventer une nouvelle forme de civisme adaptée aux exigences du temps présent. Elle favorise l'épanouissement d'une culture de responsabilité, indispensable à l'équilibre d'une démocratie adulte.

Le progrès de la démarche éthique nécessite aujourd'hui un effort éducatif. L'une des missions essentielles de l'école est de transmettre un certain nombre de valeurs morales, ce qu'elle ne fait pas assez ou ce qu'elle n'a pas assez fait pendant un temps, et d'éveiller les jeunes aux vertus du dialogue et de la tolérance. En un mot, de faire vivre, dès le plus jeune âge, une démarche éthique. C'est de cet apprentissage moral, éthique et civique que dépend aussi notre capacité à façonner, et non à subir, notre avenir.

Sur un aussi beau thème, les débats, élargis aux jeunes, qui vont s'ouvrir ce soir et qui se poursuivront demain ne peuvent être que très fructueux. En posant des questions essentielles et en tentant de leur apporter des réponses, vous contribuez à faire vivre la République et les valeurs qu'elle défend.

Je vous en remercie.





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