Allocution du Président de la Républiqueà l'occasion de la remise des prix Dauphine-Henri TEZENAS DU MONTCEL.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la remise des prix Dauphine-Henri TEZENAS DU MONTCEL.1

Paris, le mardi 21 janvier 1997

Monsieur le Président,

Chère Madame,

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Je voudrais, d'abord, Monsieur le Président, profitant de l'occasion qui m'ait donné d'être, sans aucun doute, dans l'une des meilleures et les plus brillantes universités européennes, dire à l'ensemble des étudiants qui nous ont accueilli tout à l'heure, celles et ceux qui sont dans cette salle, combien j'ai d'estime pour eux.

Ils ont fait un choix qui était le choix du courage, du travail, dans un monde, Dieu le sait, difficile où les perspectives ne sont pas toujours claires et où le courage paie et paiera forcément.

Alors en ce début d'année, je voudrais dire à chacune et à chacun d'entre vous, à tous les étudiants, à toutes les étudiantes de Dauphine, tous mes voeux de réussite, mes voeux les plus sincères et les plus chaleureux.

Monsieur le Président, le prix que nous venons de remettre à de très brillants journalistes, d'ailleurs en règle générale, les journalistes sont toujours très brillants, mais ceux-là particulièrement, qui ont su concilier, sur des sujets austères, les contraintes des médias et les exigences de la pédagogie, ces prix ne pouvaient trouver un meilleur parrainage que celui d'Henri Tézenas du Montcel de l'université Paris-Dauphine.

La cérémonie qui nous rassemble ce matin a une certaine originalité. D'abord, parce qu'il s'agit d'un prix remis pour la première fois. Madame Tézenas du Montcel a été, avec enthousiasme, avec persévérance, l'âme de cette manifestation, et je voudrais l'en féliciter, l'en remercier et lui présenter mes respectueux hommages.

Originale aussi, parce que cette cérémonie se place sous le double signe de l'avenir et du souvenir.

L'avenir, c'est la communication moderne, avec tous ses possibles. Ce sont les jeunes, que je saluais à l'instant. C'est Paris-Dauphine, qui occupe, je le répète, une place si particulière et si imminente dans notre paysage universitaire.

Le souvenir, c'est celui d'un homme d'exceptionnelle qualité, celui d'Henri Tézenas du Montcel, économiste et pédagogue d'exception, toujours en anticipation sur les évolutions de notre société. Lui rendre hommage, c'est faire en réalité, je crois, le pari qui est bien celui de la jeunesse, le pari de la passion et le pari de la modernité.




Henri Tézenas du Montcel fut avant tout un professeur.

A l'université de Caen où il débuta sa carrière, à Dauphine, où il enseigna pendant plus de vingt ans, ou à l'Ecole des hautes études commerciales, il laissa à ses étudiants un souvenir très fort : ils en parlent encore, je l'observe souvent, avec une force et une chaleur que l'on retrouve rarement dans les témoignages de cette nature, celui d'un professeur charismatique, sans aucun doute, aussi exigeant pour lui-même que pour ses élèves, ce qui n'est pas toujours le cas, des élèves dont il savait tirer le meilleur. Cet homme si actif, qui menait avec fougue mille et un projets, cet homme était généreux de son temps comme il était généreux de son savoir.

Henri Tézenas du Montcel était un humaniste avant tout, je crois, et il s'intéressait aux êtres.

L'enseignement le passionnait, mais plus encore les étudiants qui recevaient cet enseignement. L'écriture était d'abord pour lui un moyen de rencontrer l'autre et un moyen de défendre ses idées. Théoricien de l'entreprise, c'est la place du salarié, l'utilisation de ses compétences, de son expérience, tout ce que l'on appelle le "capital immatériel", si peu quantifiable mais si important, si déterminant, qui étaient au centre de sa préoccupation et de sa réflexion.

Au service de cet humanisme, il y avait la volonté de faire tomber les barrières artificielles que notre société aime tant édifier. Henri Tézenas du Montcel était celui qui met en relation, qui crée l'espace de la rencontre, qui provoque spontanément des " synergies ".

Ainsi, par son itinéraire même, de l'Ecole polytechnique à HEC, en passant par la présidence de Paris-Dauphine, il rapprocha, et c'est un grand mérite, deux univers, beaucoup trop éloignés dans notre pays, celui des grandes écoles et celui de l'université.

Ainsi, universitaire français, il pratiqua l'ouverture sur l'étranger, convaincu des vertus d'un enseignement sans frontières.

Ainsi, ce pédagogue eut très tôt l'intuition que l'enseignement supérieur devait s'ouvrir sur l'entreprise afin, tout simplement, de permettre aux étudiants de prendre toute leur place dans la société dès qu'ils sont au moment de leur insertion. L'un de ses derniers projets fut l'organisation des entretiens de Porquerolles qui rassemblaient chefs d'entreprises, économistes, universitaires, étudiants autour d'un thème qui lui tenait à coeur : le capital humain dans l'entreprise. C'était au fond un homme extraordinairement moderne.

Ainsi, cet économiste se passionna pour l'univers des médias et celui de la communication. Ce fut d'abord la presse écrite. Henri Tézenas du Montcel collabora, vous le savez, longtemps à l'Express, il fut rédacteur en chef du quotidien Les Echos.

Ce fut ensuite la radio, et bien sûr la radio sans frontières, avec l'aventure de Radio-France-Internationale. Si RFI a connu, depuis, l'évolution que l'on sait, c'est pour une part importante grâce à Henri Tézenas du Montcel qui sut réformer et moderniser un organisme qui en avait bien besoin.

Dans son parcours médiatique comme dans son parcours universitaire, il sut inventer, il sut mobiliser, il sut exiger la qualité, faire toujours le pari de l'intelligence qui est souvent le plus ingrat mais qui est le meilleur. C'est une leçon que mettent en pratique les grands professionnels qui ont été distingués aujourd'hui. Je veux leur rendre témoignage.

En réalité, Henri Tézenas du Montcel, c'est la passion, c'est l'exigence, c'est la générosité. Cette générosité qui l'a conduit, alors qu'il se savait malade, à se soucier de l'accueil des enfants atteints de graves affections, et à créer pour ceux-là une association. Main tendue vers une souffrance qu'il connaissait lui-même de l'intérieur.

Je me réjouis, Chère Madame, que le souvenir d'Henri Tézenas du Montcel, si vivant dans le coeur de tous ceux qui l'ont approché ou connu, se perpétue par ce prix qui porte son nom, et aussi le nom de l'université Dauphine, qui était une part de lui-même à l'excellence de laquelle il a tant contribué.


Dauphine, en effet, je le répète, est une université exemplaire et qui lui doit beaucoup. Parce qu'elle fait rimer, ce qui n'est pas toujours le cas, université et qualité. Parce qu'elle a su s'adapter sans heurt aux évolutions du monde du travail et aux évolutions de l'environnement économique. Parce qu'elle a su faire tomber un certain nombre de préjugés et de barrières. Parce qu'elle est aujourd'hui une université moderne et inventive, un modèle de ce que le système de formation français peut produire de meilleur dans ces grandes traditions.

Sous la houlette de ses présidents successifs, et je voudrais saluer tout particulièrement aujourd'hui le président Elie Cohen, sous l'impulsion de professeurs, je crois que l'on peut le dire sans les flatter, remarquables, Dauphine porte un projet d'enseignement cohérent, certes centré sur l'économie et la gestion, mais aussi pluridisciplinaire qu'il est souhaitable de l'être. Le droit, les mathématiques, les langues vivantes ou encore la sociologie, contribuent à une formation équilibrée, spécialisée mais sans être restrictive.

Mais surtout, Dauphine a fait de l'ouverture sur le marché du travail, c'est-à-dire sur la vie, sur le monde de l'entreprise, c'est-à-dire sur l'emploi, l'un de ses points forts. L'équipe enseignante n'hésite pas à adapter son enseignement aux nouveaux besoins, aux nouvelles caractéristiques des entreprises. Elle tient compte en permanence de l'évolution des métiers. Elle s'efforce d'anticiper les changements à venir.

Cela passe par des contacts permanents, une collaboration étroite avec les professionnels des secteurs d'activité concernés, collaboration d'autant plus facile que ces professionnels assurent un certain nombre d'enseignements au sein même de l'université. Je le répète, c'est la vie.

La familiarité avec le monde de l'entreprise n'est pas un vain mot pour les étudiants de Dauphine comme elle est, hélas encore pourtant, pour d'autres étudiants. Il ne s'agit pas pour eux d'un univers abstrait, mystérieux. Ils sont incités à effectuer, au cours de leurs années de formation, des stages en entreprise et ces stages pris en compte pour l'octroi de leur diplôme, sont un avantage considérable pour l'entrée dans la vie active.

C'est une piste à suivre. On parle beaucoup aujourd'hui des stages diplômants et des polémiques tout à fait compréhensibles ont lieu à ce sujet. Moi, je suis persuadé que le principe est bon, que les " stages diplômants ", à condition naturellement que le concept soit élaboré dans le cadre d'un dialogue nécessaire avec les associations d'étudiants, avec les syndicats d'enseignants, à condition que ces stages diplômants prévoient notamment une parfaite intégration dans le cursus universitaire, alors oui, ils sont une chance pour les étudiants, et un atout sur le chemin du premier emploi. L'on sait que les étudiants qui trouvent un emploi sont, pour une grande majorité d'entre eux, ceux qui ont effectué un stage en entreprise, et qui arrivent dans celle-ci avec un minimum d'aise, de compréhension, et de connaissance.

Il faut, certes, apaiser les inquiétudes, et s'entourer de toutes les précautions nécessaires, mais il ne faut pas oublier cette réalité toute simple. C'est l'intégration des étudiants dans le monde du travail qui est en jeu, c'est-à-dire l'avenir et il faut en parler avec sérénité et sans polémique.

Ouvert sur le monde du travail, l'enseignement dispensé à Dauphine est également ouvert sur les autres pays et c'est là-aussi une forte caractéristique de cette université. Il n'est plus possible aujourd'hui de négliger la dimension internationale dans la formation des jeunes.

A l'avenir, tous les étudiants devront non seulement maîtriser parfaitement une ou le cas échéant plusieurs langues étrangères, mais aussi avoir la possibilité d'effectuer une partie de leurs études à l'étranger. C'est particulièrement vrai, naturellement, dans le cadre de la construction nécessaire d'une Europe qui nous apportera demain à la fois la paix et - je l'espère - le développement et la puissance. L'Europe, ce sera d'abord la connaissance que les jeunes européens auront les uns des autres, leur habitude de travailler ensemble. Renforcer les contacts entre les grandes universités, créer des universités multipolaires à l'image de ce que nous souhaiterions créer avec l'Allemagne, dans le cadre d'une université franco-allemande, multiplier les échanges, parvenir à une reconnaissance réciproque des diplômes, telle est la voie à suivre.

Sur ces chemins de l'avenir, je voudrais féliciter l'université Paris-Dauphine d'avoir su jouer, une fois encore, un rôle de précurseur, un rôle de novateur, un rôle moderne.

Bien sûr, Dauphine bénéficie, par rapport à la plupart de ses consoeurs, d'un recrutement propice à son enseignement d'excellence. Néanmoins, des enseignements utiles pour l'ensemble du système universitaire français peuvent être tirés de son exemple. Au fond, cette université, elle s'est fait par la force même de son intelligence, de son initiative et de sa volonté. Je pense notamment à l'élaboration d'un projet d'enseignement cohérent et souple, à la place qui doit être faite à l'orientation fondée sur une information digne de ce nom, à l'ouverture sur le monde de l'entreprise, au choix délibéré de la dimension internationale, à la place éminente qui doit être accordée à la recherche, enfin, au rôle de " patron ", d'impulseur, de coordinateur, que doivent assumer les présidents d'universités.

Si nous avançons résolument dans cette direction, si nous suivons l'exemple de Dauphine, et je crois que la réforme des premiers cycles, préparée et engagée par le ministre de l'Education nationale, va y contribuer, alors le système universitaire gagnera en souplesse et il gagnera surtout en efficacité, et les jeunes seront mieux armés pour aborder le monde du travail et pour y trouver leur place légitime.




Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs, Mesdemoiselles,

Avec le prix Dauphine-Henri Tézenas du Montcel, c'est au fond, Chère Madame, une aventure qui se poursuit, et ce sont des convictions qui s'expriment et qui se renforcent.

Oui, l'information peut être intelligente et exigeante.

Oui, l'économie est une matière vivante, passionnante, qui peut atteindre un vaste public, pour peu qu'elle soit servie avec talent. Emmanuel Chain, Jean-Yves Hollinger, Didier Ades et Dominique Dambert en sont des exemples vivants et on doit, dans toute la mesure du possible les imiter pour les multiplier.

Oui, les cloisons, les barrières qui, trop souvent, freinent les élans, paralysent les énergies, comme tous les préjugés, peuvent être abattues pour peu qu'on le veuille. C'est difficile, cela provoque toutes sortes de réactions, nous sommes un pays qui a du mal à acquérir une culture de dialogue et néanmoins il faut le faire, nous ne pouvons pas nous laisser entraîner par les préjugés du passé .

Oui, l'Université a vocation à être un lieu d'excellence, on le voit bien ici.

Oui, un homme seul peut laisser derrière lui, Chère Madame, un sillage de lumière, que suivent toutes celles et tous ceux qui inventent, qui entreprennent, qui sont ouverts à l'autre et aux autres.

Telles sont, je crois, les leçons que nous devons méditer au terme de cette sympathique cérémonie.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.





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