Allocution du Président de la République à l'université de Bucarest.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'université de Bucarest.

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Bucarest, Roumanie, le samedi 22 février 1997

Monsieur le Recteur,

Monsieur le Président d'honneur du Sénat de l'Université,

également Président de la République de Roumanie,

J'ai vu tout à l'heure dans votre oeil, Monsieur le Président d'honneur du Sénat, un peu de tristesse quand vous m'avez fait visiter votre ancien bureau, aujourd'hui celui du Recteur. Il y avait comme une nostalgie et je vous comprends !

Mesdames et Messieurs les Professeurs,

Etudiantes et Etudiants de Roumanie,

Mes chers Amis,

Je suis, vous l'imaginez, très heureux de me trouver aujourd'hui en Roumanie, à l'invitation du Président Constantinescu, qui fut, chacun le sait, pendant plusieurs années, le recteur de cette prestigieuse université. Et permettez-moi de vous dire, Monsieur le Recteur, combien je suis sensible à votre geste, combien je suis fier d'avoir été nommé Docteur honoris causa de cette université après une série de très hautes personnalités étrangères mais aussi quelques personnalités françaises et je voudrais vous exprimer toute ma gratitude. Je tiens d'abord à le saluer et à lui adresser, de cette enceinte qu'il connaît si bien, toute ma gratitude.

Je voudrais également vous remercier, Monsieur le Recteur, de votre invitation à rencontrer aujourd'hui les responsables et les étudiants des nombreux enseignements francophones dispensés au sein des universités roumaines.

En venant dans cette belle université, où, d'une certaine manière, s'est nouée l'amitié franco-roumaine, je savais que j'allais m'y retrouver en quelque sorte en famille comme tous ces étudiants ou tous ces intellectuels ou professeurs roumains qui ont complété leur formation dans mon pays et qui ont créé ce lien très fort d'échanges réciproques entre nos deux nations dont les racines sont communes.

Merci à vous tous qui êtes présents aujourd'hui et qui d'une certaine façon manifestez, ainsi, votre attachement à la France. Comme vous le savez les Français dans leur immense majorité sont attachés à votre pays. Un attachement qui est aussi un attachement à une culture, à une langue. Et ce moment, Monsieur le Recteur, restera pour moi un moment fort de ma visite dans votre pays.

Je voudrais vous dire un mot de notre avenir commun au sein de notre grande famille européenne qui s'est reconstituée. A vous, jeunes Roumaines, jeunes Roumains qui incarnez, parce que vous l'avez voulu, la relation privilégiée entre nos deux pays. Je voudrais adresser un message de confiance et d'espoir.

Il y a sept ans, les étudiants roumains se portaient très nombreux aux avant-postes du grand combat pour la liberté et pour l'indépendance de la Roumanie. Je salue la mémoire de vos prédécesseurs, qui ont payé, trop souvent, de leur liberté et même de leur vie leur aspiration à la démocratie et leur attachement à leur patrie.

C'est naturellement sur la jeunesse que repose l'espoir d'une société meilleure, plus libre, plus ouverte et plus juste. C'est de la jeunesse, elle seule, que vient le souffle du changement nécessaire dans l'ensemble de nos sociétés et nécessaire en permanence à toutes les sociétés qui doivent s'adapter.

Vous qui avez vingt ans aujourd'hui et qui allez bientôt prendre en main l'avenir, le destin de votre pays, vous avez, par rapport à vos aînés, cette chance inestimable de pouvoir concrétiser vos projets et vos idéaux. Pour la première fois et depuis longtemps, vous n'avez plus à redouter ni la guerre, ni la révolution, ni l'oppression.

Il y a quelques semaines, le peuple roumain se prononçait pour une société moderne et solidaire, il donnait un nouvel élan aux réformes. Il exprimait son désir légitime de sécurité, de paix, de prospérité. Et si vous me comprenez qu'il ne m'appartient pas, bien sûr, de porter le moindre jugement sur les problèmes intérieurs de la Roumanie, je voudrais simplement dire au niveau des principes que l'alternance démocratique est un élément qui est substantiel à la démocratie et que son fonctionnement normal, régulier, dans votre pays a été un élément fort pour donner, de la Roumanie, une image démocratique et moderne dans l'ensemble de l'Europe et naturellement du monde.

Naguère, pour défendre leur liberté et leur pays, les Roumains durent prendre les armes. Demain, c'est par votre talent, par votre travail que vous porterez le destin de votre patrie.

Je sais combien, depuis sept ans, l'enseignement supérieur roumain s'est ouvert aux réalités d'aujourd'hui. Ici, comme d'ailleurs en France, l'université doit anticiper les évolutions, celle de l'emploi en particulier et adapter son enseignement à l'avenir professionnel des étudiants. Le temps est révolu de la seule acquisition abstraite des connaissances, si respectable quelle soit bien entendu, mais aujourd'hui trop éloignée du monde de l'entreprise, des besoins de l'économie et de l'épanouissement social. L'accès aux trésors de la culture n'exclut pas, ne doit pas exclure les passerelles avec le monde du travail. C'est ce chemin qu'emprunte, à juste titre, l'enseignement supérieur roumain. Et je voudrais, Monsieur le Recteur, y rendre hommage.

Enfin, c'est au service de l'Europe que vous devez vous engager comme toute la jeunesse de notre continent. Et l'Europe, c'est d'abord et avant tout la garantie de la paix. Demain, vos efforts courageux porteront leurs fruits. La Roumanie rejoindra l'Alliance atlantique, je le souhaite ardemment. Elle sera membre à part entière de l'Union européenne, notre grand projet commun pour le XXIe siècle. Et l'Europe sera devenue, pour vous, une réalité quotidienne. Je l'ai dit hier devant votre Parlement : la France soutient pleinement, sans réserve, activement, l'aspiration européenne de la Roumanie, son désire de se retrouver à sa place dans la famille de l'Europe.

Mais rien n'est jamais gagné. L'Europe, vous devez la construire vous-même. A votre tour, vous devez nourrir de vos propres projets, de vos propres intuitions cet idéal de paix sur lequel est bâtie l'Union et dont vos assumerez très bientôt la charge.

Il y a cinquante ans seulement, l'Europe comptait encore ses morts par dizaines et dizaines de millions. Il y a cinquante ans, une chape de plomb s'abattait sur votre pays et sur toute cette partie de l'Europe. Cette chape de plomb vous privait de la liberté et de la démocratie.

Pour la première fois, notre continent tout entier se retrouve. Aujourd'hui, nous avons la chance historique de pouvoir enfin nous réunir, nous rassembler, nous aimer sans arrière pensée.

Faire l'Europe, c'est aussi faire passer la démocratie et la liberté du rêve à la réalité. C'est donner corps à une certaine idée de l'homme, de sa liberté, de sa dignité, du respect qu'on lui doit, quel qu'il soit. L'Europe que nous voulons, c'est une Europe généreuse, c'est une Europe solidaire, juste, qui affirme un modèle social humain qui est dans sa vocation et qui lui appartient, qui assure à chacun sa place et son épanouissement, qui prenne le meilleur dans les évolutions de la mondialisation des techniques, des marchés mais qui laisse à la personnalité humaine ses droits et ses chances pour que personne ne reste au bord du chemin, c'est une grande ambition, ce doit être la vôtre.

Voilà pourquoi nos deux pays, qui n'ont jamais cessé d'échanger, Monsieur le Recteur le rappelait tout à l'heure, dans les domaines de la pensée, de la littérature, des arts et des sciences, doivent aujourd'hui se retrouver davantage, enrichir leur dialogue et lancer ensemble de grands projets politiques, sociaux, humains, culturels, éducatifs, économiques bien sûr.

Il s'agit de renforcer notre concertation politique, elle est bonne, mais elle peut encore être améliorée, de donner un nouvel élan à nos relations économiques, d'établir en matière sociale une coopération exemplaire. Je pense en particulier, parce que nous en avons longuement parlé avec le Président de la République, à la question des jeunes orphelins roumains. Votre gouvernement a pris des positions, des initiatives courageuses dans ce domaine et bien entendu, sa soeur, la France est prête à le soutenir et à l'aider dans ce domaine.

Il s'agit aussi de faire vivre, de faire grandir notre fraternité traditionnelle d'esprit.

Il y a trente ans déjà, s'adressant ici même à vos anciens, le général de Gaulle exhortait Roumains et Français, je le cite : " à donner l'exemple, à rapprocher leurs politiques, à remonter ensemble à ces mêmes sources grâce auxquelles leurs âmes sont soeurs, et à renouer entre eux les rapports culturels privilégiés qui les ont liés si longtemps ". Car, disait-il, c'est tout naturellement à nos deux peuples, " portés à s'entraider ", qu'il revient de " sortir du régime des hégémonies " et de " faire valoir, dans une Europe qui se cherche, un monde en gestation ", de faire valoir l'humanisme sur lequel nos deux pays sont bâtis.

Il y a des siècles, nos grands établissements d'enseignement et de recherche et nos jeunesses étudiantes nouaient une entente exemplaire. Dans les difficultés, la Roumanie et la France sont restées en communion de pensée. Et nos échanges n'ont cessé d'inspirer nos cultures respectives. Combien de professeurs, combien d'étudiants roumains, Monsieur le Recteur l'évoquait tout à l'heure, sont venus travailler chez nous ! Que de liens réciproques et d'échanges positifs entre nos intellectuels, nos chercheurs, nos étudiants.

De nombreux écrivains, intellectuels et artistes roumains - je pense, pour ne citer que ceux que j'aime le plus à Tristan Tzara, à Eugène Ionesco, à Emil Cioran, à Brancusi et à tant d'autres - combien ont profondément marqué la création et la littérature en France. Tandis que nos penseurs, nos auteurs et nos créateurs français suscitaient l'intérêt de vos compatriotes.

Lorsque j'étais maire de Paris, l'un des rares objets d'art que j'avais dans mon bureau, était une petite sculpture de Brancusi, qui m'avait été donnée, qui a été donnée à la ville de Paris par la famille de Brancusi pour me remercier d'avoir, au moment de la création du Centre Georges Pompidou à Paris, du Centre d'art et de culture, d'avoir empêché une destruction programmée des ateliers de Brancusi qui sont devenus maintenant des éléments forts du Centre Georges Pompidou. Et je n'ai pas du tout l'impression d'une pièce émanant d'une civilisation, d'une création étrangère, c'était un peu une création qui me paraissait allant de soit ayant tout naturellement sa place dans mon bureau. C'est un élément de complicité entre nos deux cultures qui est beaucoup plus fort que généralement nous ne le pensons.

Et vous, qui êtes les héritiers de cette longue tradition d'échanges et d'amitié, vous devez être l'avant-garde de ce grand partenariat auquel, le Président Constantinescu et moi-même, voulons appeler la Roumanie et la France. Le partenariat du coeur et celui de l'esprit.

Vous avez choisi le français. Naturellement, je vous en suis reconnaissant, mais le français n'est pas seulement la langue de la France, c'est un véhicule de la pensée de l'humanité, l'un des véhicules.

Demain, comme je les y invite, de plus en plus d'entreprises françaises seront présentes en Roumanie. En vous familiarisant avec notre langue, vous contribuerez à renforcer entre nos deux pays une coopération économique qui soit à la mesure des liens affectifs et culturels qui nous unissent. Une coopération économique qui n'est pas aujourd'hui suffisante tant en terme d'échanges qu'en terme d'investissements, mais tout nous permet de la développer avec détermination.

Avec le français, vous maîtriserez l'une des principales langues de travail de l'Union européenne qui est aussi la langue des capitales européennes, qu'il s'agisse de Strasbourg, Bruxelles ou Luxembourg, les trois capitales de l'Europe. Vous parlerez aussi l'une des grandes langues de communication du monde.

Mais surtout, en apprenant le français et généralement une troisième langue, vous partez à la découverte de l'autre. Je me réjouis de cette volonté d'ouverture et de dialogue que manifeste l'engagement au service d'une langue. Car une langue, c'est en réalité la vie d'un peuple, c'est sa culture, c'est son témoignage, c'est son identité.

Et c'est par l'apprentissage mutuel de nos langues que l'identité européenne s'imposera tout naturellement et s'enracinera en chacun d'entre nous pour le mieux être de l'Europe et pour la paix.

C'est dans cet esprit que j'ai souhaité que des Assises de la jeunesse, de la jeunesse européenne, se tiennent à Strasbourg. Ce sera pour les jeunes d'Europe l'occasion de se retrouver bien sûr, de confronter leurs expériences, d'échanger leurs rêves, de s'engager ensemble dans de grands projets communs. L'Europe d'aujourd'hui, et c'est la première fois dans notre longue histoire, c'est l'Europe de l'amitié. C'est à vous maintenant d'en faire une Europe fraternelle.

Enfin, le français c'est plus que la langue de la France. La pratiquer comme vous le faites, c'est appartenir à la grande famille francophone, cinquante et une nations aujourd'hui dans le monde. Une famille naturellement respectueuse de l'identité de chacun de ses membres, une famille qui veut faire dialoguer les différentes cultures. Une famille qui affirme aujourd'hui sa différence et son rôle dans la culture et sur la scène internationale.

C'est pourquoi je me réjouis de voir le français bien vivant ici en Roumanie, où il est la seconde langue pratiquée, où un Roumain sur quatre le comprend et le parle, où un jeune Roumain sur deux le choisit comme première langue étrangère au collège et au lycée et quelle émotion pour moi de pouvoir m'entretenir naturellement avec les responsables que j'ai rencontrés depuis hier matin, aujourd'hui avec vous, en français, me confirmant dans l'impression que la Roumanie et la France ne sont pas vraiment deux Etats étrangers.

Alors, merci aux millions de Roumains qui ont fait ce choix qui nous rapproche encore et que vous représentez aujourd'hui dans cette prestigieuse université. Merci à vous qui avez tout naturellement approfondi dans l'enseignement supérieur votre goût pour notre culture et notre civilisation commune et qui formez ainsi le " noyau dur " de l'amitié roumano-française.

Merci aux quatorze mille professeurs de français, aux hommes et aux femmes de lettres et de culture - j'ai eu le privilège d'en rencontrer quelques uns hier soir, j'en étais très heureux -, aux amoureux aussi de notre langue qui ont continué, dans une période où c'était difficile, de faire vivre le français en Roumanie et qui mettent aujourd'hui leur passion, leur foi, leur compétence et leur intelligence au service de son développement. A tous et à toutes, je tenais à exprimer ma très profonde gratitude.

Dans l'avenir, la France, qui souhaite être beaucoup plus présente dans cette région de l'Europe, la France vous apportera tout son appui, elle sait aussi qu'elle peut compter sur le vôtre dans la grande aventure de la fraternité européenne. En aidant vos professeurs et vos établissements. En soutenant les enseignements en français dans vos universités. En associant plus étroitement nos instituts de recherche. En favorisant entre nos pays les échanges d'étudiants, en particulier de troisième cycle, et aussi de jeunes chercheurs. En multipliant les rencontres culturelles entre la France et la Roumanie. Je me réjouis de notre volonté commune que depuis hier je perçois plus clairement encore de donner ce nouvel élan à nos relations culturelles et au-delà à nos relations d'amitié.

Et c'est d'abord sur vous, jeunes Roumaines et jeunes Roumains que repose cette ambition et je vous fais confiance.





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