Allocution devant le forum des hommes d'affaires tchèques et français à Prague, République Tchèque.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le forum des hommes d'affaires tchèques et français.1

Prague, République Tchèque, le jeudi 3 avril 1997

Monsieur le Ministre de l'Industrie et du Commerce extérieur,

Monsieur le Ministre délégué,

Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais tout d'abord vous remercier pour m'avoir invité à m'exprimer devant les représentants des forces vives de nos deux pays qui doivent se rapprocher, en vue des grandes échéances européennes qui nous attendent.

Je crois que M. Galland a eu raison de souligner que le potentiel, la force, la qualité de l'appareil économique de la République tchèque n'étaient pas en France, suffisamment connus et je me réjouis de l'idée de renforcer, notamment sous l'impulsion des deux ministres compétents, les relations entre nos responsables économiques, afin que celles-ci soient fondées sur plus de réalisme et de pragmatisme. C'est vrai qu'il y a eu quelques malentendus, notamment au début de nos relations économiques, il faut absolument les effacer.

Vous savez l'importance que j'attache à ce que nos relations politiques avec nos futurs partenaires de l'Union européenne soient confortées par des liens économiques bilatéraux, équilibrés, solides et renforcés.

J'ai été, je crois, le premier responsable politique en Europe occidentale à me prononcer publiquement et sans réserve, dès 1989, pour l'élargissement de l'Union européenne aux nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale.

Je l'ai fait pour des raisons qui étaient d'abord politiques, mais qui étaient également morales : nous nous devions d'accueillir, dans sa famille, cette "Europe kidnappée" dont parlait Milan Kundera ; nous devions répondre à l'attente de peuples pour lesquels le "retour à l'Europe" est synonyme de liberté, de progrès, de démocratie, mais surtout peut-être de paix ; nous avions le devoir de contribuer à l'enracinement de la démocratie dans cette partie de notre continent qui en avait été privée par la force.

Aujourd'hui, cette position sur l'Europe élargie à l'ensemble de ses composantes, cette position est celle de toute l'Union européenne, qui a reconnu la vocation de la République tchèque à devenir l'un de ses membres. Les négociations d'adhésion s'ouvriront dès le début de 1998, en janvier prochain, c'est-à-dire six mois après la conclusion, que j'espère positive de la Conférence intergouvernementale qui se tiendra sous présidence hollandaise à Amsterdam au mois de juin prochain. Et la République tchèque fera partie du premier groupe de pays qui pourront s'ils le souhaitent, mais je le pense, rejoindre l'Union européenne. Je souhaite que ceci puisse se faire pour l'an 2000, c'est-à-dire dans moins de 3 ans, temps nécessaire à la préparation des choses, mais cet objectif suppose naturellement que chacun, aussi bien les Etats de l'Union que les Etats des pays qui rejoindront dès cette époque, se préparent très activement à cette échéance.

Aussi, je ne m'adresse pas ici à un pays candidat, à une adhésion plus ou moins lointaine. Je souhaite dès à présent qu'en futurs partenaires, nous évoquions ensemble notre projet européen commun. Je souhaite que nous plaidions, côte à côte, pour une Europe plus forte sur le plan économique, mais aussi sur le plan monétaire, l'un n'allant pas sans l'autre, plus présente sur la scène internationale, une Europe puissante, et aussi une Europe qui intègre les besoins de l'homme, c'est-à-dire une Europe plus sociale et plus humaine. Il y a beaucoup de progrès encore à faire dans ce domaine.

Il nous faut tracer un horizon, ouvrir des perspectives précises, il faut également avoir un échéancier. C'est la seule façon de faire accepter par nos peuples, aussi bien dans l'Union qu'à l'extérieur de l'Union, les efforts, souvent difficiles, entrepris pour adapter nos économies, pour moderniser nos sociétés. C'est vrai pour la République tchèque, c'est vrai pour la France.

Ces efforts étaient nécessaires pour transformer les structures et le système social hérités ici de l'économie dirigée, pour passer à l'économie de marché, pour vous ouvrir à la concurrence, pour bénéficier des chances du développement et de la croissance. Nous mesurons bien l'ampleur exceptionnelle de l'oeuvre accomplie en République tchèque, nous qui, en France aujourd'hui, devons faire aussi d'importants efforts pour réduire nos déficits publics, pour ouvrir notre économie à la compétition internationale et pour nous préparer aux échéances de la monnaie unique.

En plaidant pour l'élargissement, j'avais aussi la conviction que les choses iraient plus vite qu'on ne le pensait alors. Le retour à la démocratie, la détermination des dirigeants tchèques, les solides traditions de vos pays, et surtout la volonté du peuple tchèque de rattraper le temps perdu, tout cela a rendu la transition plus rapide que ne l'escomptaient, à l'époque les meilleurs experts.

Le cap des réformes a été tenu. La réussite est au rendez-vous, indiscutablement. Depuis deux ans, la croissance de votre économie se situe entre 4 et 5 % par an, supérieure à la croissance de l'Union européenne. La République tchèque rétablit ses grands équilibres financiers et sociaux. Elle maîtrise son inflation, divisée par sept en cinq ans et ramenée à l'un des niveaux les plus faibles de cette région. Mais aussi, le taux de chômage, il faut le souligner compte tenu de l'importance de ce drame dans tant de pays européens, est l'un des plus bas d'Europe. Forte de sa puissance retrouvée, la République tchèque est entrée dans l'OCDE. C'est dire la confiance qu'elle a inspirée à la communauté internationale et notamment à la Communauté européenne. Toutes ces performances, qui n'allaient pas de soi et qui soulignent l'énergie, la compétence, la qualité et la capacité du peuple tchèque, toutes ces performances, il convient de les saluer.

Bien sûr, la République tchèque disposait d'atouts importants, et elle a su les mettre en valeur. La qualité de ses hommes et de ses femmes qui s'appuie sur de solides traditions industrielles et aussi sur une bonne formation. La densité de son réseau d'infrastructures. Une agriculture qui soutient parfaitement la comparaison avec celle des pays membres de l'Union. Une situation géographique privilégiée, au coeur même de notre continent. Enfin, pour ce qui concerne la France, notre forte proximité intellectuelle et aussi affective. Proximité qui ne s'est en réalité jamais démentie, même dans l'Europe déchirée d'hier.

Il était donc naturel que les relations commerciales et financières entre nos deux pays se développent à un rythme soutenu, c'était l'intérêt de la France, c'était l'intérêt de la République tchèque. Au cours des trois dernières années, nos échanges commerciaux ont triplé. Ces résultats sont excellents, nous devons nous en réjouir. Ils doivent aussi nous encourager à aller plus vite et plus loin, car ils ne sont pas suffisants.

Voilà pourquoi je souhaite que nos entrepreneurs, nos hommes d'affaires, nos industriels s'orientent davantage notamment pour ce qui concerne leurs investissements vers la République tchèque. Nous étions ici, tout récemment encore, le troisième investisseur étranger. Il est regrettable que nous soyons revenus à la cinquième position, même si ce recul est essentiellement dû à l'absence des investisseurs français dans l'importante opération de privatisation du téléphone.

Nous devons absolument redresser cette situation, c'est notre intérêt commun.

J'invite les entrepreneurs français à être plus audacieux et plus constants dans leurs efforts, et à investir davantage ici. Et je suis heureux que, de plus en plus, les sociétés françaises, et notamment des PME, se tournent plus spontanément et avec confiance vers votre pays. La présence parmi nous de nombreux hommes d'affaires français traduit bien cette volonté.

Au moment où le gouvernement tchèque se soucie légitimement, à juste titre, de rééquilibrer sa balance commerciale, il faut rappeler qu'avec leurs partenaires français, les entreprises tchèques peuvent retrouver la tradition exportatrice de votre pays. Que leur association ou leur collaboration leur ouvre les portes du marché français, je peux vous le dire, elles seront chez nous les bienvenues.

Aujourd'hui, la République tchèque fait une large place à l'initiative privée et envisage de privatiser certains services publics, comme ceux de la distribution de l'électricité et du gaz. Là encore, les opérateurs français possèdent une tradition et un savoir-faire reconnus. Je pourrais dire de même pour ce qui concerne l'automobile ou bien d'autres secteurs.

Le grand chantier de la reconstruction du terminal de l'Aéroport de Prague est une belle vitrine pour nos grandes entreprises de travaux publics et pour les PME qui leur sont associées. Voilà un secteur, le bâtiment et les travaux publics, où l'" entreprise-France " peut, si elle se mobilise, faire la différence en sa faveur.

Dans le domaine de l'environnement, nous participons déjà activement à la modernisation et à l'adaptation de vos centrales thermiques, qui sont l'une de vos grandes priorités. Nous pouvons là encore travailler encore plus étroitement.

Enfin, vous allez achever dans deux ans la centrale nucléaire de Temelin. Nous savons tous l'importance que nos opinions publiques attachent à la question de la sécurité nucléaire, dont les enjeux ne connaissent pas de frontières. Dans ce domaine, la fiabilité et la compétence des sociétés françaises sont réputées comme étant les meilleurs du monde, je parle de la sécurité. Alors pourquoi n'engagerions-nous pas une véritable coopération, un travail en commun en particulier pour former les opérateurs et les personnels de sécurité ?

Ce sont là quelques exemples, j'aurais pu naturellement en citer d'autres, de ce que nous pouvons faire ensemble, pour notre profit mutuel, dans l'intérêt bien compris des Tchèques et des Français. Voilà pourquoi nous devons avoir la volonté de bâtir un partenariat fort et dynamique, un partenariat équilibré et confiant. Cette ambition, c'est d'abord vous, chefs d'entreprise et responsables économiques, tchèques et français, qui devez la porter.

J'ai confiance car je sais que de nombreuses entreprises, encouragées par vos succès, et animées d'un esprit de conquête et de coopération, s'engageront à leur tour dans notre grande aventure commune, pour peu que nous sachions leur montrer tout ce qu'elles ont à gagner à ce partenariat. Et je suis heureux de la tenue de ce forum qui illustre ce que doit être la relation économique entre la République tchèque et la France. Une relation qui doit être exemplaire !

Je vous remercie.

QUESTION - Monsieur le Président, je suis chef du bureau du Crédit Commercial de France à Prague. Nous savons que vous êtes un fervent défenseur de l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne. Nous savons également que le système de protection sociale en France est très développé. Il l'est moins chez nous, en République tchèque. A votre avis, est-ce que les deux systèmes vont se rapprocher ?

LE PRÉSIDENT - Les différents pays de l'Union européenne, déjà, ont des systèmes sociaux différents. Notamment une couverture sociale plus ou moins élevée. C'est vrai également pour ce qui concerne la situation des pays de l'Europe centrale et orientale par rapport aux pays de l'Union européenne.

Je ne crois pas, l'expérience l'a prouvé, qu'il y ait là un inconvénient insurmontable. Il est tout à fait naturel que les systèmes se rapprochent petit à petit. Chacun devra faire des efforts pour cela. Mais c'est quelque chose qui est souhaitable parce que nous sommes dans un monde où l'on parle beaucoup de mondialisation, de globalisation, vous savez ce sont des idées à la mode. Elles sont d'ailleurs fondées pour une part. Mais nous ne devons pas oublier que l'économie est avant tout au service des hommes. Par conséquent nous devons tout faire pour élaborer ensemble un modèle social qui mettra un certain temps à se généraliser mais qui puisse laisser à l'homme sa place, une place éminente dans nos systèmes économiques. C'est ça l'objectif, l'Europe n'est pas seulement un marché. L'Europe a deux vocations plus importantes encore que l'élaboration d'un marché économique ou financier. L'Europe, c'est d'abord le moyen de garantir la paix dans un continent qui s'est si longtemps battu de façon fratricide et c'est ensuite un moyen de garantir dans la tradition humaniste qui est la notre une place convenable à l'homme, à son développement, à sa sérénité, au respect qu'on lui doit. Ce sont ceux-là les deux objectifs essentiels.

Ceux qui imaginent qu'il s'agit simplement, faisant l'Europe, de permettre un développement de l'économie se trompent, c'est un élément mais ce n'est pas l'ensemble du projet.

Je vous remercie infiniment de votre accueil auquel j'ai été particulièrement sensible, croyez que je soutiendrai tous les efforts qui permettront le développement de nos relations politiques, économiques, financières, sociales et culturelles dans la tradition qui a été la nôtre pendant si longtemps et pour que revivent ces racines profondes qui nous sont communes et qui sont celles d'un certain humaniste et d'une certaine vision de nos pays et de la place de l'homme dans nos pays.

Je vous remercie.





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