Allocution du Président de la République à l'occasion du dîner d'État offert en l'honneur du Président du CHILI et de Mme Marta Larrachéa de FREI.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du dîner d'État offert en l'honneur de son excellence M. Edouardo FREI, Président de la République du CHILI, et de Mme Marta Larrachéa de FREI.

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Palais de l'Elysée, le jeudi 10 avril 1997

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux, particulièrement heureux de vous souhaiter, Monsieur le Président, de vous souhaiter Chère Madame, la bienvenue dans notre pays. C'est pour moi et pour tous nos compatriotes, un grand honneur mais aussi une grande joie que de recevoir, en visite d'Etat, le Président de la République du Chili et son épouse.

Chacun ici, tout le monde tout à l'heure en parlait, garde en mémoire l'accueil exceptionnel réservé au général de Gaulle par le peuple chilien, en 1964. Et nous avons tous à l'esprit la visite historique qu'un an plus tard, en juillet 1965, votre illustre père, le Président Eduardo Frei, a effectuée en France. M. Couve de Murville, ici présent, pourrait en témoigner mieux que quiconque.

La France qui n'a cessé, au long du temps, de porter à votre pays un sentiment d'estime et d'amitié.

Le Chili, son nom, ceux de Santiago, de Valparaiso, de Punta Arenas, évoquent dans notre imaginaire quelque chose de très fort : le grand large, l'immensité, l'aventure, autant d'invitations au rêve et au voyage.

Si, depuis Bougainville et La Pérouse jusqu'à Isabelle Autissier, Christophe Auguin, et tant d'autres aujourd'hui, nos grands navigateurs continuent de voir dans le Cap Horn et ses difficultés, plus qu'un passage, une consécration, c'est tout le Chili qui est terre de défis, avec sa silhouette singulière, entre Pacifique et cordillère des Andes, avec ses espaces vierges balayés des vents, avec son histoire, grande et tragique.

Chili, chez les peuples premiers de votre pays, ne signifie-t-il pas "Là où finit la terre" ? Cette nature difficile a forgé l'âme de votre peuple, courageux, travailleur, obstiné. Et ce n'est pas un hasard si vos grands auteurs, Luis Sepulveda qui a chanté ce " monde du bout du monde ", Francisco Coloane, qui a si bien évoqué l'esprit pionnier des Chiliens et la beauté de votre terre, sont chez nous parmi les écrivains de langue espagnole les plus lus et les plus aimés.

Oui, Chiliens et Français sont proches par la pensée et par le coeur. Et c'est pourquoi, si souvent dans l'Histoire, nos deux pays se sont tournés l'un vers l'autre.

C'est d'abord dans le combat pour la liberté et pour la démocratie qu'ils se sont retrouvés côte à côte. Le Chili a été le premier Etat de droit à s'affirmer en Amérique latine. Et la France a tout naturellement été la première puissance européenne à en reconnaître la souveraineté.

Et quand, il y a 24 ans, votre pays a brutalement rompu avec la démocratie, la France a d'emblée apporté son soutien aux victimes du coup de force. Dès l'annonce de la crise, le Président Georges Pompidou réaffirmait la solidarité de la France avec le peuple chilien. C'est en vertu de notre longue amitié et de notre attachement commun à la liberté, que tant de Chiliens trouveront refuge en France. Leur exil durera pour certains jusqu'à 17 ans.

Cette page de votre histoire est heureusement tournée. Les Chiliens ont recouvré leurs libertés fondamentales, la justice, l'Etat de droit. Ils enracinent la démocratie. Vous-même, Monsieur le Président, vous attachez à faire disparaître, dans votre législation, les derniers stigmates de cette période difficile mais révolue.

Aujourd'hui, le Chili, ouvert sur l'extérieur, reconnu comme l'une des puissances les plus dynamiques de la région, s'engage tout naturellement dans le mouvement d'intégration qui se dessine en Amérique latine, comme en Europe et partout dans le monde. Votre association au MERCOSUR, votre rôle capital sur le continent américain, cette solidarité nouvelle cimenteront la stabilité, la démocratie et la paix.

Oui, l'Amérique latine sera l'un des grands pôles, politique, économique, culturel, du monde de demain. Déjà, le MERCOSUR, quatrième ensemble économique de la planète, se classe aujourd'hui parmi les régions les plus dynamiques du monde. Le voyage qu'il y a trois semaines, j'effectuais sur votre continent, Monsieur le Président, a renforcé encore ma conviction que l'Amérique latine et l'Europe doivent se retrouver et construire ensemble le monde multipolaire de demain.

Un monde plus ouvert se dessine, où circulent librement les idées, les hommes et les biens. Un monde où émergent de nouvelles puissances, où se créent de nouvelles richesses, un monde qui doit permettre à un plus grand nombre d'hommes et de femmes d'accéder au mieux-vivre. C'est là ce que vous faites. Mais prenons garde aussi que ce grand mouvement, irréversible, ne laisse personne, individu ou Etat, au bord du chemin.

C'est notre ambition commune car nous partageons, Monsieur le Président, une même vision de l'homme. Recevant ici même votre père, le général de Gaulle le rappelait avec force lorsqu'il invoquait, et je le cite, " notre communauté de pensée fondée sur le lien séculaire de la latinité et sur une même conception de l'homme, de ses devoirs, de sa liberté ".

Oui, le temps est venu pour l'Amérique latine et l'Europe, que tout rapproche en réalité, de bâtir un nouvel et puissant partenariat.

C'est aussi notre intérêt bien compris. L'Amérique latine, pôle économique de premier plan, et l'Europe, qui est déjà le plus grand marché du monde, votre premier partenaire, le premier investisseur, le premier donneur d'aide au développement des pays les plus pauvres de votre continent ; l'Europe qui rassemblera demain 27 Etats, 450 millions d'âmes, et qui sera, dans vingt ans, la première puissance économique et politique de la terre, oui, l'Amérique latine et l'Europe doivent nouer aujourd'hui une relation exceptionnelle.

Dans cet esprit, en accord avec mes partenaires européens, j'ai proposé aux dirigeants des pays que j'ai visités qu'un grand sommet, le premier de l'Histoire, réunisse les chefs d'Etat et de Gouvernement d'Amérique latine et d'Europe. Tous m'ont apporté leur soutien, comme vous-même, avez bien voulu le faire, aujourd'hui.

Ce sommet répond à une nécessité : donner une nouvelle dimension, une cohésion et une vision d'ensemble à notre dialogue. Je propose qu'il se tienne, dès l'automne 1998, en Amérique latine. En donnant une impulsion décisive aux relations politiques, économiques et culturelles, notamment en matière d'éducation des jeunes, entre l'Amérique latine et l'Europe, il lancera un partenariat majeur pour le siècle prochain.

Puissances de premier plan, artisans de l'intégration dans leurs régions respectives, le Chili et la France doivent être les moteurs de ce rapprochement. Dans cet esprit, ils doivent approfondir les liens puissants qui les unissent. Chiliens et Français, comme les y invitait hier le général de Gaulle, doivent donner plus de vigueur à leur alliance, favoriser leur solidarité pour qu'elle profite spirituellement et matériellement à nos deux grandes communautés, l'Europe et l'Amérique latine.

Ils doivent approfondir leur dialogue politique, déjà confiant et amical. Je me félicite, Monsieur le Président, de la richesse de nos conversations. Au-delà des relations entre le Chili et la France, et entre l'Amérique latine et l'Europe, nous avons étendu nos entretiens aux grandes questions de notre temps. Je suis heureux de la convergence de nos analyses et de notre volonté de nous concerter plus étroitement et, pour cela, de nous rencontrer plus souvent. Je me réjouis, Monsieur le Président, de répondre bientôt, à mon tour, à votre invitation à visiter votre pays.

Fonder un vrai partenariat, c'est aussi renforcer notre coopération culturelle. C'est multiplier les rencontres et les passerelles entre nos jeunesses. C'est conclure de nouveaux accords entre nos grands établissements d'enseignement et de recherche.

Des générations de Chiliens ont appris à aimer notre langue et notre culture. Aux centaines de jeunes Chiliens qui étudient en France dans nos universités, aux milliers d'écoliers qui fréquentent, chez vous, nos établissements, ceux notamment de l'Alliance française, répondent les centaines de milliers de jeunes Français qui étudient, toujours plus nombreux, l'espagnol.

Je sais, Monsieur le Président, que vous avez fait, comme nous-même en France, de la formation, de l'éducation votre priorité. La présence à vos côtés du ministre chilien de l'Education et nos conversations témoignent de notre volonté conjointe d'aller plus loin dans ce domaine qui engage l'avenir.

Imprimons aussi un nouvel essor à nos relations économiques. Là encore, nous disposons d'atouts considérables. Chiliens et Français ont l'habitude de travailler ensemble, en confiance. Nos échanges, restés stables sur le long terme, sont importants, supérieurs souvent à ceux que nous avons avec d'autres pays d'Amérique latine.

La France au Chili, ce ne sont pas seulement quelques grandes entreprises, ce ne sont pas seulement les grands projets technologiques, comme le métro de Santiago que nous avons réalisé ensemble, c'est aussi tout un réseau de petites et moyennes entreprises qui contribuent à la vitalité du tissu économique et humain de votre pays. En trois ans, leur nombre a doublé. Et cette évolution s'accélèrera encore à l'occasion de "Francia 2000", cette vitrine du savoir-faire français qu'accueillera, cet automne, Santiago et dont vous m'avez indiqué que vous acceptiez de l'inaugurer vous-même.

Enfin, dans le domaine de la défense, nous sommes convenus d'engager une nouvelle et véritable coopération stratégique.

Voilà l'ambition que je nourris, Monsieur le Président, pour les relations entre le Chili et la France, entre l'Amérique latine et L'Europe. Une ambition fidèle à la grande vision d'avenir que traçait votre père, Monsieur le Président, il y a déjà 32 ans. Premier chef d'Etat chilien à se rendre en France, il pressentait ici même la prochaine " intégration des peuples de l'Amérique latine " disait-il, et leur nécessaire rapprochement avec " l'Europe et, en particulier, avec la France ".

A nous maintenant, dans nos continents réconciliés avec eux-mêmes, de porter à notre tour cette grande ambition et de la faire vivre ensemble. A nous de donner toute leur ampleur à l'amitié et au partenariat franco-chilien.

Monsieur le Président, je lève mon verre à ce long chemin que nous allons parcourir ensemble. Je le lève en votre honneur et en l'honneur de votre épouse, Madame Frei, à qui je présente mes respectueux hommages. Je le lève en l'honneur du peuple chilien, notre ami.





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