Discours du Président de la République devant la Diète et le Sénat polonais réunis à Varsovie, Pologne.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, prononcé devant la Diète et le Sénat polonais réunis.

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Varsovie, Pologne, le jeudi 12 septembre 1996

Monsieur le Maréchal de la Diète,

Monsieur le Maréchal du Sénat,

Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mes Chers Amis,

Permettez-moi tout d'abord, Monsieur le Maréchal de la Diète, de vous remercier pour vos chaleureuses paroles de bienvenue et pleines d'une amitié. Elles me sont allées droit au coeur. Je voudrais, à mon tour, vous dire combien je suis heureux de pouvoir m'adresser aujourd'hui aux deux Chambres réunies du Parlement de Pologne et, à travers ses représentants, à la grande nation polonaise tout entière.

Ce privilège, cette terre de Pologne, chère vous le savez à tous les Français, cet honneur s'enrichissent d'une émotion particulière : celle de me trouver sur cette terre de Pologne, chère à tous les Français. La Pologne à laquelle nous rattachent tant d'événements du passé. La Pologne à laquelle nous unissent les liens les plus forts qui se puissent imaginer. Ceux de l'esprit et ceux du coeur. Ceux aussi des larmes, des épreuves et du sang.





Cette solidarité, le général de Gaulle, en visite en 1967 dans votre pays, l'évoquait par ces mots : "Nous, Polonais et Français, nous nous ressemblons tant ! En dépit de la distance, de tout ce qui les distingue, la Pologne et la France s'aiment et savent, d'instinct et d'expérience, que leurs destins se conjuguent."

Depuis toujours, en effet, les relations entre la Pologne et la France se placent sous le signe de la fraternité. Il y a mille ans, monastères et universités, érudits et intellectuels, polonais et français, bâtissaient cette tradition d'ouverture et de dialogue par laquelle nos sociétés et nos cultures n'ont cessé de s'enrichir. L'humanisme dont nos pays furent deux berceaux, les Lumières qui, plus tard, rayonneront en Pologne comme en France, se seront nourries de nos échanges.

Enfin, aux heures sombres de votre histoire, quand la Pologne morcelée, dépecée, subissait le joug de ses puissants voisins, c'est vers la France, ses rois puis ses révolutions, que se portèrent vos espoirs de liberté, d'indépendance et d'unité.

La France fut, pendant des siècles, le refuge de l'âme polonaise. C'est depuis la France que vos héros en exil - Kosciuszko, le poète Mickiewicz, Frédéric Chopin et tant d'autres - entretinrent la flamme de la résistance. C'est pour la France que combattirent tant de patriotes polonais puis de Français d'origine polonaise. La France, qui plaidait au Traité de Versailles pour la renaissance de la Pologne. La France, qui s'engageait à vos côtés, vingt ans après, et partageait votre malheur. La France enfin dont le coeur continuait, dans une Europe en paix mais déchirée, de battre au rythme du vôtre.

Par-delà les divisions, nos deux pays se conservaient entières leur amitié et leur confiance. La France reconnaissait vos frontières, aidait à votre reconstruction puis soutenait ce vaste mouvement surgi, comme jadis, des profondeurs de votre nation, rassemblée autour de son Eglise, emmenée par Solidarnosc.

Aujourd'hui comme hier, la France porte une attention fraternelle au devenir de votre pays et se tient à vos côtés. Aujourd'hui comme hier, vos difficultés et vos succès sont aussi les nôtres et doivent dorénavant être ceux de l'Europe tout entière.

Il y a sept ans, la Pologne s'engageait avec courage sur la voie difficile de la démocratisation et de l'économie de marché. Que de chemin parcouru depuis lors !

Votre pays s'est doté d'institutions démocratiques conformes à vos traditions et à votre génie. Il s'est libéré des anciens carcans, s'est ouvert aux grands vents du commerce et de la libre-entreprise et vient d'adhérer à l'OCDE. Il siège au Conseil de sécurité des Nations Unies et contribue pleinement, dans l'ancienne Yougoslavie, en Corée, au Proche-Orient, aux efforts de sécurité collective. Oui, votre pays suscite notre admiration.

La France, qui a soutenu vos réformes, entend aujourd'hui renforcer encore ses liens avec votre nation.

Liens politiques d'abord. Ma visite d'Etat, à l'invitation du Président KWASNIEWSKI, marque notre volonté de nous retrouver plus souvent, dans la perspective notamment des grandes échéances européennes qui attendent la Pologne.

Mais notre dialogue politique, ce sont aussi ces liens tissés de longue date entre parlementaires de nos deux pays. Vous-même, Monsieur le Maréchal, avez pu personnellement en mesurer la qualité à l'occasion de votre récent séjour à Paris.

Je salue particulièrement le dialogue actif et fécond noué entre nos collectivités locales. J'aurai tout à l'heure le plaisir de me rendre au Forum sur la Coopération décentralisée au sein duquel nos élus locaux confronteront leurs expériences et lanceront des projets communs au bénéfice direct de tous nos concitoyens.

L'intensité croissante de notre dialogue politique doit stimuler nos échanges. L'image de la France, en Pologne et dans cette partie de l'Europe, est encore celle d'un entrepreneur timide. Pourtant la France, troisième investisseur étranger et quatrième fournisseur de la Pologne, participe pleinement à l'essor de votre pays. Nous devons et nous pouvons faire mieux. Je le dirai aux hommes d'affaires polonais et français que je rencontrerai aujourd'hui.

Enfin, et peut-être surtout, la Pologne et la France doivent nourrir leur proximité culturelle. "Pour nos deux peuples qui ont besoin d'agir ensemble", en 1967 disait le Général de Gaulle, "se rencontrer en esprit, c'est se réunir au sommet". Faisons, sur notre héritage commun, grandir notre amitié.

Celle-ci se nourrit de la présence, sur notre sol, de nombreux Français d'origine polonaise. Je rends hommage à ces hommes et à ces femmes qui, tout en affirmant leur fidélité à la France, ont conservé un profond attachement à leurs traditions et à leurs racines.

Retrouvons-nous au sein de la francophonie que la Pologne a tout naturellement vocation à rejoindre. Multiplions les passerelles entre nos établissements d'enseignement. Déjà, nos grandes écoles, nos universités se trouvent étroitement associées dans l'effort de formation des cadres, chercheurs et techniciens dont la Pologne a besoin.





Cette coopération exemplaire, nous devons la situer dans une perspective européenne. Car l'Europe, c'est ensemble que nous devons la construire.

S'il est une nation pour laquelle ce grand projet a un sens, c'est la Pologne. La Pologne, première victime des conflits qui ont, pendant des siècles, déchiré notre continent. La Pologne, nation martyre qui vit perpétrer sur son sol la plus effroyable tragédie de tous les temps. La Pologne qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a vu s'évanouir son rêve européen, brisé par le rideau de fer.

Si l'Ouest de notre continent a pu alors s'engager dans la voie de l'union, la France a toujours su - elle l'a exprimé avec éclat par la voix du Général de Gaulle - que l'Europe ne pourrait s'accomplir que le jour où elle serait tout entière rassemblée.

Depuis sept ans, beaucoup a été fait : affirmation de la vocation de votre pays à adhérer à l'Union, partenariat pour la paix avec l'Alliance atlantique, adhésion de la Pologne au Conseil de l'Europe.

Et pourtant, chacun voit bien que l'essentiel reste à faire. Ce qui nous manquait, c'était un projet plus ambitieux, plus généreux, plus mobilisateur, qui donne enfin tout son sens et toute sa réalité au rêve européen. Un projet qui permette à notre continent de construire la paix, d'unir nos économies, de rapprocher nos cultures. En un mot, un projet qui offre à nos peuples, et d'abord à nos jeunesses, un avenir commun.

Ce projet, la France veut le porter avec vous. Il s'agit d'édifier une architecture européenne de paix et de sécurité, de réussir ensemble l'élargissement de l'Union européenne, de consacrer l'amitié et la coopération entre nos peuples.



La sécurité d'abord. La construction européenne est la meilleure garantie de la paix. Nous le savons, nous Français, qui avons noué avec l'Allemagne, bien au-delà de la réconciliation, une amitié et une coopération rendant impossible le retour de la guerre.

Durant quarante cinq ans, le système de Yalta, auquel la France n'a jamais souscrit, a empêché toute paix véritable. Mais la dislocation de l'un des deux blocs n'a pas pour autant apporté la sécurité, comme l'a montré le conflit qui a embrasé l'ex-Yougoslavie.

C'est en y développant une coopération sans précédent entre l'Alliance atlantique et d'autres partenaires européens que nous avons pu, enfin, faire taire les armes. Sachons en tirer les leçons.

Le moment est venu de construire, à l'échelle du continent tout entier, un espace de paix accepté par tous les Etats parce que bâti par tous.

La Pologne et la France doivent être des acteurs de premier plan dans cette grande entreprise. Je vous le dis avec force : la France soutient chaleureusement l'entrée de votre grande nation dans l'Alliance atlantique et dans l'UEO. 1997 doit engager de façon irréversible le processus d'adhésion de la Pologne à l'OTAN. Je souhaite que cette négociation aboutisse le plus rapidement.

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Permettez-moi de vous décrire ma vision de la place et du rôle de cette Alliance atlantique que votre pays va rejoindre bientôt.

Dans un contexte stratégique radicalement nouveau, l'OTAN a engagé sa réforme. Elle s'adapte à ses nouvelles missions. Elle organise en son sein une véritable identité européenne de défense, à laquelle la Pologne doit participer.

Cette réforme profonde, la première depuis sa création, témoigne de la vitalité de notre Alliance, tout en consacrant la force du lien transatlantique. Elle ouvre la voie à l'élargissement naturel de l'OTAN.

Réussir cette ouverture vers l'Est, c'est veiller à ce que l'Alliance ne puisse être perçue comme l'instrument d'une nouvelle fracture de notre continent. Pour parer ce danger, il faut imaginer les relations d'association ou de partenariat qui doivent unir cette Alliance élargie avec tous les autres Etats européens. C'est aujourd'hui que nous devons engager un dialogue à ce sujet, afin de ne laisser aucun pays dans l'isolement et l'inquiétude.

Dans cet esprit, la France propose que soient associés au prochain Sommet de l'OTAN les pays candidats, comme la Pologne, mais aussi les autres Etats de la Grande Europe, futurs partenaires de l'Alliance. Ce Sommet serait ainsi le rendez-vous le plus important depuis la déchirure de Yalta, dont il effacerait les derniers vestiges.

Cette démarche devra être complétée par la transformation de l'Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe, l'OSCE, en une véritable organisation paneuropéenne et par le renforcement de son rôle.

Je vous propose que la Pologne et la France préparent ensemble ces grandes échéances.



Construire l'Europe, c'est aussi réussir l'élargissement de l'Union européenne.

Ce n'est plus une perspective vague ou lointaine. Dans un peu plus d'un an, les négociations d'adhésion devraient s'engager. Je souhaite que, dès l'an 2000, la Pologne ait rejoint notre Union.

Si vous me permettez d'évoquer un souvenir personnel, je fus, en 1989, le premier responsable politique d'Europe occidentale à plaider sans réserve pour l'adhésion de votre pays à la Communauté. Telle est aujourd'hui, bien entendu, la position de la France. Notre devoir, notre intérêt, notre amitié nous commandent de vous aider à nous rejoindre, dès les prochaines années. La Pologne y sera le partenaire naturel de la France, sa soeur de l'Est.

Nous souhaitons vous aider à réussir votre adhésion, à adapter votre législation, à rénover votre appareil industriel, à moderniser votre agriculture qui, aux côtés de la nôtre, participera à l'ambition exportatrice de l'Europe. Je salue l'important travail législatif déjà accompli par vos Assemblées pour préparer votre prochaine entrée dans l'Union.

Pour pouvoir s'élargir, l'Union doit d'abord s'approfondir. C'est l'intérêt des pays candidats, c'est votre intérêt à vous, Polonais, que d'entrer dans une Union forte et efficace, une Europe-puissance qui ne soit pas une simple zone de libre échange.

Pour cela, l'Union doit aborder, avec dynamisme et détermination, les échéances qui sont devant elles.

Elle doit se doter d'une monnaie unique, qui sera l'autre grande devise du monde et contribuera ainsi à la reconstruction du système monétaire international. Même si tous les Etats ne peuvent immédiatement y participer, la monnaie unique sera une chance pour l'Europe tout entière.

L'Union doit aussi renforcer ses institutions et ses politiques. La Conférence intergouvernementale doit lui permettre d'avoir enfin une politique étrangère et de sécurité commune, complétée par une industrie européenne de l'armement. Alors l'Europe occupera toute sa place sur la scène internationale.

Cette conférence doit également nous donner les moyens de lutter ensemble contre les fléaux qui minent nos sociétés : la drogue, le terrorisme, le crime organisé, celui notamment dont les enfants sont les victimes.

Elle doit enfin définir des institutions plus démocratiques et plus efficaces, pour vous accueillir dans une maison remise en ordre. Elle doit faciliter des coopérations renforcées qui permettraient à certains Etats d'aller plus vite et plus loin. Je pense notamment aux pays du " triangle de WEIMAR ", la Pologne, l'Allemagne et la France, trois grandes puissances européennes, dont la coopération pourrait prendre toute son ampleur.

Et je proposais, tout à l'heure, au Président de la République de Pologne que la prochaine réunion en Pologne, l'année prochaine, du "triangle de WEIMAR" se fasse au niveau des chefs d'Etats et de Gouvernement.

Plus forte, l'Union pourra s'élargir. Dans cette perspective, je propose qu'une conférence européenne rassemble les quinze Etats membres et tous les pays candidats. Cette conférence ne se substituerait en aucun cas aux négociations d'adhésion. Elle constituerait néanmoins un forum de concertation économique et politique, où pourraient être traités tous les sujets d'intérêt commun.

Nous devons ne laisser personne au bord du chemin !



Mais construire l'Europe, c'est aussi l'aventure quotidienne que nous devons proposer à nos peuples et d'abord à nos jeunes, vos enfants, nos enfants, tous les enfants de l'Europe.

Au-delà de vos personnes, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, c'est à eux que je souhaite m'adresser. Car ce sont eux qui vont, demain, porter cette grande idée d'une Europe enfin réunie, d'une Europe démocratique et en paix, d'une Europe qui assure à chacun sa place et son épanouissement. Et ces jeunes, je les appelle à la faire grandir, à la nourrir de projets et d'idéaux.

Je dis à la jeunesse de Pologne et à la jeunesse d'Europe : allez de l'avant, réalisez vos rêves !

Hier, le grand poète et patriote polonais, Adam MICKIEWICZ, exhortait vos aînés à "donner à l'Europe, en secret et sans lui dire combien". Vous qui possédez l'ardeur, la générosité, l'imagination, vous qui portez nos espérances, je vous appelle à affirmer votre désir d'Europe, à faire vivre cette grande idée d'une Union porteuse de liberté, de progrès et de paix. A l'enraciner dans les esprits et dans les coeurs.

Bâtissez pour demain l'Europe des hommes. Une Europe juste et solidaire, fidèle à un modèle social qu'il nous faut affirmer, maintenir et développer pour faire face aux contraintes de la mondialisation des technologies et des marchés. Une Europe sans frontières, où les jeunes travailleurs, étudiants et chercheurs apprendront trois langues européennes et se comprendront mieux.

Utilisez les nouveaux outils de la communication. Sur tout le continent, faites dialoguer nos cultures européennes. Rapprochez nos établissements d'enseignement et de recherche. Développez l'Europe du sport et l'Europe de la fraternité.

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, pour notre jeunesse, concevons de grands projets, capables de la mobiliser, de susciter son enthousiasme et de la faire avancer d'un même coeur. Pour faire ici reculer l'exclusion, aider là-bas au développement des pays les plus pauvres, partout protéger l'environnement. Pour désenclaver le centre et l'Est de l'Europe par un ambitieux programme d'infrastructures et favoriser ainsi l'emploi et les échanges.

Je propose que des assises réunissent, l'an prochain, à Strasbourg, les représentants de toute la jeunesse d'Europe pour lancer ces coopérations nouvelles.





Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Vous le voyez, nous pouvons avoir de grandes ambitions pour l'Europe et pour les Européens. Ensemble, nous devons les réaliser, en donnant toute son ampleur à notre amitié et à notre coopération. Ensemble, bâtissons notre Europe, une Europe de prospérité, de fraternité et de paix.

Vive la Pologne !

Vive la France !

Et que vive notre amitié millénaire !





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