Allocution du Président de la République lors de l'inauguration du monument à la mémoire des victimes tombées en Afrique du Nord de 1952 à 1962.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de l'inauguration à Paris d'un monument à la mémoire des victimes civiles et militaires tombées en Afrique du Nord de 1952 à 1962.

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Paris, le lundi 11 novembre 1996

Monsieur le Premier Ministre,

Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,

Madame et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Maire de Paris,

Monsieur le Délégué aux Rapatriés, Cher Guy Forzy,

Mesdames, Messieurs les Présidents d'Associations,

Mesdames, Messieurs,

Mes Chers Amis,

" Pour ceux qui connaissent les déchirements du oui et du non, du midi et des minuits, de la révolte et de l'amour, pour ceux qui aiment les bûchers devant la mer, il y a, là-bas, une flamme qui les attend " ainsi parlait Albert CAMUS en 1947.

Cette flamme vacillante et pourtant si vivace, c'est celle de la mémoire. C'est autour d'elle que nous sommes réunis aujourd'hui, au pied de ce monument où nous nous retrouvons pour rendre hommage à tous ceux qui, jusqu'en 1962, ont servi la France en Afrique du Nord.

Plus de trente ans, plus de quarante ans même nous séparent désormais de ces dates douloureuses qui marquèrent le début et la fin d'affrontements tragiques où l'on vit les pays du Maghreb se détacher de la France pour écrire eux-mêmes leur propre destin.

Trente ans, quarante ans, c'est le temps d'une génération déjà mûre, celui des fils et même des premiers petits-fils. C'est le temps où, pour ceux qui ont connu l'hébétude du malheur, les efforts pour survivre et les tentatives pour oublier, même si de trop profondes blessures font encore souffrir, vient l'heure d'une certaine sérénité et de l'apaisement.

1952 - 1962 : dix ans de lutte, dix ans de combats, tout particulièrement en Algérie. Dix ans qui troublèrent les consciences, déchirèrent notre peuple et contraignirent des centaines de milliers de nos concitoyens à abandonner une terre où ils étaient nés, et à laquelle ils étaient profondément et charnellement attachés.

Je ne veux pas revenir sur les causes de ces affrontements souvent fratricides, ni sur les drames que ces combats ont engendrés. Nous savons les deuils cruels et la déchirure qu'ils nous ont fait subir et qu'ils ont fait subir à notre pays. C'est pourquoi aujourd'hui nous sommes là pour nous recueillir, pour honorer ces combattants qui ont donné leur vie pour la France, ainsi que ces hommes, ces femmes qui sont morts sur une terre française, enrichie, cent trente années durant, par le travail de leurs parents.

Dix longues années d'épreuves ont montré le courage des forces régulières et des formations supplétives, unies fraternellement dans les plis du drapeau français.

Intégrés à l'armée d'active, appuyés par les volontaires venus des douars et des villages d'Algérie, près de deux millions de jeunes appelés ont participé à ces engagements. Soldats de métier, jeunes du contingent, Français Musulmans ont défendu côte à côte les mêmes idéaux, ceux de la République et de la liberté.

La vie de ces jeunes gens en a été bouleversée, jusque dans sa réalité la plus ordinaire. Il y avait bien sûr l'âpreté des combats, la rudesse des opérations dans le djebel, le spectacle de la souffrance ou de la mort ; il y avait aussi le choc du quotidien le plus banal, les choses simples de la vie, l'attente plutôt que l'angoisse, l'ennui ; il y avait l'isolement et le dépaysement, la rigueur des reliefs et du climat, la beauté des sites et de la lumière, la violence des situations, celle des gestes, des paroles de tous les jours ; il y avait enfin l'alternance des longues attentes et des brèves actions, la brutalité des affrontements et l'indolence de certains instants... C'était pour beaucoup le premier grand voyage de leur vie et, soudain, le face-à-face avec un adversaire invisible, dans un horizon hostile et splendide.

De cette expérience-là, nul n'est revenu vraiment indemne. Près de trois millions d'hommes l'ont vécue. 25 000 ont disparu. Soldats du contingent ou militaires d'active, officiers SAS, tirailleurs et spahis, légionnaires, cavaliers, parachutistes, aviateurs et marins, harkis, moghaznis, toutes les forces supplétives, ils avaient rêvé sans doute d'une société plus fraternelle qui serait restée indissolublement liée à la France, comme en rêvaient ces populations inquiètes, menacées de jour et de nuit par le terrorisme.

L'Histoire devait en décider autrement, mais les sacrifices qu'ils ont consentis, la foi qui les a animés, il ne faut pas les oublier, ni la valeur de leur engagement, ni la noblesse de leur combat, ni le courage qu'ils ont déployé sous les armes.

Ils ont été en cela les dignes successeurs de ces combattants qui, par deux fois au cours de notre siècle, se levèrent sur cette terre au-delà de la mer pour se porter au secours de la patrie ; ils ont poursuivi dans l'honneur les plus pures traditions de cette glorieuse Armée d'Afrique née sur un sol qui devait, il y a plus de cinquante ans, permettre à la France occupée et meurtrie de retrouver son territoire, sa liberté et son rang au sein des nations.

C'est pourquoi, à l'hommage solennel rendu à cette troisième génération du feu, nous voulons associer la mémoire des soldats de l'Armée d'Afrique, cette prestigieuse armée présente sur tous les champs de bataille, de la Crimée à l'Italie, du Mexique au Levant et en Indochine, partout où les armes de la France livraient combat.

A cet hommage que nous dictent le respect, l'admiration et la reconnaissance, nous joindrons aussi celui que nous devons à tous ceux et à toutes celles qui ont contribué à la grandeur de notre pays en incarnant l'oeuvre civilisatrice de la France.

Nous ne saurions oublier que ces soldats furent aussi des pionniers, des bâtisseurs, des administrateurs de talent qui mirent leur courage, leur capacité et leur coeur à construire des routes et des villages, à ouvrir des écoles, des dispensaires, des hôpitaux, à faire produire à la terre ce qu'elle avait de meilleur ; en un mot, à lutter contre la maladie, la faim, la misère et la violence et, par l'introduction du progrès, à favoriser pour ces peuples l'accès à de plus hauts destins.

Pacification, mise en valeur des territoires, diffusion de l'enseignement, fondation d'une médecine moderne, création d'institutions administratives et juridiques, voilà autant de traces de cette oeuvre incontestable à laquelle la présence française a contribué non seulement en Afrique du Nord, mais aussi sur tous les continents.

Traces matérielles certes, mais aussi apport intellectuel, spirituel, culturel comme en témoigne la formation des élites francophones qui participent au sein des instances internationales et dans le monde au rayonnement de notre pays.

Aussi, plus de trente ans après le retour en métropole de ces Français, il convient de rappeler l'importance et la richesse de l'oeuvre que la France a accomplie là-bas et dont elle est fière. Et il est juste de saluer la part prise par ceux qui, pendant des générations, ont tant et tant fait, avec les populations qui ont partagé et enrichi nos propres valeurs et notre destin.

Tels ces hommes et ces femmes qui ont voué leur courage, leur talent, leur espoir à cette grande ambition ; tels ces soldats qui, fidèles à leur engagement, ont tenté de préserver la paix au coeur de cette tragédie. Les uns et les autres ont mérité les honneurs de la mémoire. A Paris, ce monument nous rappellera désormais leur dévouement et leur sacrifice, en même temps que leur message : un message de liberté, de générosité, de foi dans l'avenir et dans le destin de la France.

Ce 11 novembre 1996 nous nous inclinons avec émotion et avec respect devant ces victimes et ces combattants, jeunes pour la plupart, qui ont souffert et qui sont morts pour la France.





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