Allocution du président de la République à l'occasion du 50e anniversaire de la FNSEA.

Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, à l'occasion du 50e anniversaire de la FNSEA.

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Palais des Congrès, Paris le jeudi 14 mars 1996


Monsieur le Premier Ministre,

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de la FNSEA,

Monsieur le Ministre de l'Agriculture,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Présidents, nationaux et régionaux

Mesdames et Messieurs,

Mes Chers Amis de métropole et d'outre-mer

Je suis heureux, Monsieur le Président, d'être accueilli, aujourd'hui, par une Fédération syndicale qui, après cinquante ans d'existence, est plus vivante que jamais. Comme en témoigne notamment l'initiative prise par "Terres en fête" qui fait partie de ce contrat que vous proposez à nos concitoyens et qui était superbement illustré par le film que nous venons de voir à l'instant.

Il m'est agréable de saluer ici, aux côtés de notre Premier Ministre et de notre Ministre de l'agriculture, de vous-même, Monsieur Luc Guyau, la présence de Madame Forget, à qui je présente mes respectueux hommages, de quatre anciens Présidents de la Fédération nationale, de Monsieur Jean-François Hervieu, Président de l'Assemblée Permanente des Chambres, de Monsieur Marc Bué, Président de la CNMCCA, de Madame Christiane Lambert, Présidente du CNJA et de nombreux responsables agricoles que je ne peux malheureusement pas tous citer, mais avec qui je partage beaucoup de souvenirs communs. A tous, je voudrais dire mon amitié, mon estime et ma confiance.

Longtemps élu d'un département rural, deux ans Ministre de l'agriculture de Georges Pompidou, je vous connais depuis longtemps et je mesure parfaitement ce que la nation doit à ses organisations agricoles. J'ai pu apprécier vos qualités en bien des occasions, que ce soit à titre individuel ou à travers vos structures représentatives dont le sens des responsabilités, le professionnalisme et la détermination sont pour beaucoup dans la réussite de notre agriculture qu'évoquait à l'instant votre Président. Nous avons mené de nombreux combats ensemble, et très souvent nos analyses se sont rejointes.

En un demi-siècle, notre agriculture, c'est vrai, a accompli le plus grand effort de modernisation de son histoire, et probablement le plus grand effort de modernisation de tous les secteurs économiques de notre pays. Quand la Fédération fut créée en 1945, la carte de rationnement faisait partie de la vie quotidienne des Français. Nous manquions de lait, de céréales, de viande. Vingt-cinq ans plus tard, la balance commerciale de la France devenait excédentaire, et aujourd'hui, notre pays, Luc Guyau l'a rappelé tout à l'heure, est le premier exportateur mondial de produits agricoles transformés, il aurait pu ajouter qu'il est aussi le deuxième exportateur mondial de produits agricoles. L'Europe, grâce à une politique commune largement inspirée par la France, assure désormais son autosuffisance alimentaire et dispose de tous les atouts nécessaires pour s'imposer dans la compétition internationale.

Cette modernisation sans précédent -cette "révolution silencieuse" dont parlait Michel Debatisse- s'est faite d'abord parce que les agriculteurs y ont mis leur courage, leur savoir-faire, leur talent, leur imagination.

Dans cette évolution, les organisations agricoles ont joué un très grand rôle, à commencer bien sûr par la Fédération nationale. En liaison avec les pouvoirs publics et l'ensemble des partenaires du monde agricole, la Fédération a défendu une certaine idée de l'agriculture, une agriculture à la fois traditionnelle et moderne, humaine et efficace, capable de concilier un objectif de productivité et une exigence de qualité. La Fédération nationale des syndicats a porté cette grande ambition de manière opiniâtre, mais toujours dans un esprit de progrès. Certes, les difficultés n'ont pas manqué, mais jamais vous n'avez perdu le sens des responsabilités. Et un immense chemin a été parcouru. Aujourd'hui, tout naturellement, la FNSEA prépare l'avenir en ouvrant les voies du IIIè millénaire et en les ouvrant avec le sourire.


L'agriculture française a de bonnes raisons de croire en son avenir. Je le dis souvent, vous le savez.

Ce qui fait la force de notre agriculture, c'est d'abord l'esprit de conquête de nos agriculteurs. Cet esprit de conquête est notre première richesse, c'est une assurance pour demain. Après la difficile réforme de la Politique agricole commune, et la conclusion des accords du GATT, c'est cet esprit de conquête qui nous permettra de relever le défi agricole mondial.

Notre agriculture sait se mobiliser lorsque l'essentiel est en cause. Elle l'a fait, en 1960 et en 1962, lors du vote des grandes lois d'orientation. Elle est prête à le faire aujourd'hui, pour affirmer sa vocation, qui est désormais une vocation mondiale.


Le défi du troisième millénaire, quel est-il dans le domaine agricole ?

C'est un défi démographique, c'est un défi politique, c'est un défi technologique.

Un défi démographique, d'abord.

La terre, je le dis souvent, comptera 8 milliards d'habitants en 2015. Pour les nourrir, la production agricole mondiale devra doubler d'ici là. Cela est une chose qui est incontournable. L'heure ne sera plus à une approche malthusienne de l'agriculture. Il faudra produire beaucoup, avec des rendements élevés. L'organisation des échanges agricoles se fera de plus en plus à une échelle mondiale.

La France, riche de ses terres, de son climat et du savoir-faire de ses hommes, devra jouer pleinement son rôle de grande puissance exportatrice agricole. Ce sera pour elle, non seulement un enjeu économique, mais aussi un devoir moral. Est-il acceptable que des hommes souffrent de la faim quand ailleurs, la politique agricole se résume trop souvent aux contingentements des volumes produits ?

Le défi du troisième millénaire, c'est aussi un défi politique.

Nous devrons approfondir la construction européenne, et pour cela construire sur les bases qu'évoquait à l'instant votre Président, l'Europe agricole de demain sur un véritable projet politique. Sans le marché commun, la France ne serait pas devenue une puissance agricole de premier plan. Sans l'approfondissement de l'Union Européenne, sans une monnaie unique, vous avez raison de le souligner Monsieur Luc Guyau, notre agriculture ne serait pas armée pour aborder le prochain siècle.

Il nous faut également, dans le cadre de la conférence intergouvernementale, alléger le poids de la technocratie, réformer et moderniser les procédures de décision, rendre le pouvoir aux autorités politiques.

C'est dans le cadre d'une Europe renforcée, stabilisée, capable de défendre ses acquis, que nous préparerons l'ouverture des marchés aux pays de l'Est européen. Cela demandera du temps, des transitions, et beaucoup de pragmatisme. Nous ne devons pas laisser se défaire ce qui a été construit. Nous ne devons pas nous engager dans une course à la productivité qui, à l'Est, ruinerait le tissu rural et, introduirait une concurrence déloyale au sein de l'Union Européenne. Bien au contraire, c'est un modèle équilibré, comparable à celui que nous avons bâti chez nous, que nous devons proposer à nos nouveaux partenaires. C'est un défi politique. Ce sera la condition de l'ouverture à l'Est, et c'est dès aujourd'hui que nous devons nous y préparer.

Nous avons tout à gagner d'une ouverture au monde. C'est notre avenir. Mais il ne s'agit pas d'improviser ou de céder devant la logique à la mode de la mondialisation : le libre échange n'est pas un but en soi. Il doit être mis au service des hommes et de la prospérité de tous. Il doit être organisé dans un cadre précis, avec des règles communes et n'avoir qu'un seul objectif : favoriser la promotion de l'homme. Je ne souhaite pas que l'Union Européenne s'engage aveuglement dans des accords de libre échange, avant que l'Organisation Mondiale du Commerce ait prouvé son efficacité et que le pôle européen se soit lui-même renforcé, de ce point de vue, je partage tout à fait le sentiment du Président de la Fédération.

Le troisième millénaire, c'est enfin un défi technologique.

L'agriculture de demain sera plus scientifique, elle sera plus innovante. Elle développera de nouvelles méthodes de culture. Elle reposera, plus encore qu'aujourd'hui, sur la recherche agro-alimentaire. Elle respectera davantage encore l'environnement.

Pour leur part, les consommateurs seront plus exigeants sur la qualité des produits. C'est une chance. Notre agriculture moins polluante, moins consommatrice d'engrais, plus respectueuse des équilibres naturels, orientera sa production vers la qualité. Comme en matière industrielle, l'Etat incitera les exploitants agricoles à produire propre et à innover.

L'agriculture de demain se mettra davantage au service de l'industrie. Les débouchés industriels des produits agricoles se développeront. La décision gouvernementale de faciliter l'introduction, dès l'an 2000, d'une composante végétale dans les carburants issus du pétrole représente un pas important dans cette direction.

Certes, le développement des biocarburants ne se fera pas en un jour. Mais il faut avancer, et avancer vite. Les biocarburants, c'est l'indépendance énergétique, c'est la qualité de l'environnement, c'est l'avenir de nombreuses exploitations. En ce domaine, comme dans celui de l'agriculture nourricière, il faudra mener le combat de la compétitivité.


La démographie, l'Europe, l'innovation technologique : tels sont les défis que nous avons à relever. Pour les relever, je propose, comme l'a fait le Président Luc Guyau, que soit conclu, il dit un contrat, je dis un pacte nouveau entre la Nation et ses paysans. Un engagement réciproque pour préparer l'avenir. Un contrat de confiance en un mot.


Ce pacte, ou ce contrat, doit reposer sur deux exigences : une exigence de compétitivité et une exigence d'équilibre.

La vocation de l'agriculture est double : elle doit produire au meilleur coût pour l'alimentation et l'industrie, mais elle doit aussi défendre des valeurs et protéger l'équilibre de notre territoire.

En vérité, ces deux vocations sont indissociables. La base de l'agriculture, sa raison d'être, c'est la production. Une agriculture à vocation exclusivement sociale n'aurait naturellement aucun avenir. Avant d'être, je ne sais quel jardinier de la nature ou je ne sais quel conservateur de nos paysages, le paysan est un homme qui produit, qui innove, et qui vend. Son âme est d'abord là. Qui d'ailleurs accepterait de s'engager dans une agriculture fonctionnarisée, vouée à l'entretien d'une France transformée en réserve naturelle ?

Ce qu'il faut à la France, c'est une agriculture à la fois compétitive et humaine.

La compétitivité doit être recherchée à chaque étape de la production. Elle suppose des entreprises agricoles en état de se battre sur les marchés sans être paralysées par des charges trop lourdes. Elle suppose une bonne coordination entre les exploitants, les industries alimentaires et la distribution. Elle suppose une réelle intégration de la filière agroalimentaire.

Pour l'Etat, améliorer la compétitivité de l'agriculture, c'est faire bénéficier les entreprises agricoles des incitations fiscales et sociales leur permettant de se développer. C'est défendre leur droit à une concurrence loyale et juste. C'est veiller à ce que la grande distribution ne contribue plus à l'effondrement des cours. C'est obtenir une réelle stabilité monétaire internationale sur la base de taux de change réalistes. C'est donner à chacun de nos cantons, grâce à une politique active d'aménagement du territoire, un accès normal aux services publics. C'est faciliter la transmission des exploitations. C'est renforcer la politique d'installation des jeunes. C'est garantir l'égalité des chances grâce à une politique de compensation des handicaps naturels renforcée et modernisée.

La compétitivité passe aussi par la qualité. La qualité des produits de nos régions est une immense richesse qu'il faut développer. Les Français, vous savez, ont avec l'agriculture une relation ancienne et affective. Ils souhaitent consommer des produits frais de qualité, des produits de saison, des produits de terroirs. C'est une des voies de l'avenir et elle répond bien à la diversité de nos traditions, à la diversité de nos provinces qui fait la richesse de la culture de notre nation. Et j'en vois pour preuve cette superbe corbeille qui a été réunie ici et qui représente tous les grands produits de métropole et d'outre-mer. Elle m'a été offerte par la Fédération. En accord avec elle je la remettrai de votre part à tous et à toutes aux Restaurants du Coeur.

L'Etat et les agriculteurs doivent informer les consommateurs, orienter davantage leurs comportements et leurs achats vers les produits de qualité, en toute connaissance de cause. Nous devons réapprendre à vivre au rythme des saisons et à goûter le plaisir de consommer ce que la nature est capable de nous offrir de meilleur, en temps voulu. Nous devons développer les garanties essentielles de qualité auxquelles aspirent les consommateurs, par une politique toujours plus active de labelisation, d'appellation d'origine et plus généralement d'identification des produits, tant en France qu'à l'échelon européen.


La deuxième exigence du pacte de confiance entre la Nation et ses paysans, c'est l'équilibre social.

Une agriculture dont seule la vocation productive serait reconnue deviendrait vite un secteur économique banalisé, soumis aux lois de la concentration et de la délocalisation qui conduiraient des régions entières de notre pays à la désertification.

Il n'y a pas d'un côté la crise du monde rural et de l'autre la crise du monde des villes : il y a une seule crise, qui a pour origine un déséquilibre. La fracture sociale se nourrit de la dislocation de l'espace. La crise des banlieues, ou des quartiers difficiles est aggravée par la désertification des campagnes. Le chômage s'est nourri d'une trop longue absence de politique d'aménagement du territoire.

Nous devons briser ce cercle vicieux. Nous devons prendre en compte le rôle essentiel du monde rural dans l'équilibre et l'avenir de notre société.

Cela passe d'abord par une politique d'installation.

La signature, le 6 novembre dernier, de la Charte nationale de l'installation des jeunes agriculteurs par Christiane Lambert et Alain Juppé, autorise de grands espoirs. Une baisse non maîtrisée du nombre des exploitations aurait un coût économique, social et humain inacceptable. Nous devons arriver à la parité : une installation pour un départ. Grâce à la Charte, cet objectif n'est pas hors de notre portée. D'ici quelques années, le nombre des exploitations doit être stabilisé. L'agriculture doit être une voie d'avenir pour tous nos jeunes, et pas seulement pour les enfants de paysans.

Cela passe ensuite par la modernisation et l'adaptation de la politique des structures, ainsi que par la modernisation de l'organisation économique et des filières. A cette fin j'ai demandé au Gouvernement et au Ministre de l'Agriculture de préparer avec vous, et de présenter l'an prochain, une loi d'orientation agricole.


Monsieur le Président, je voudrais vous dire combien votre expérience et votre rôle, comme ceux de chacun de vos prédécesseurs, sont essentiels à la démocratie. Il est en effet rassurant pour l'Etat d'avoir en face de lui un corps intermédiaire, à la fois participatif, contestataire, inventif et responsable. L'histoire du monde agricole, ses succès aussi, repose sur sa capacité à s'organiser. Son avenir dépend de la volonté de chacun et de chacun d'entre vous de jouer pleinement et collectivement votre rôle de co-gestionnaires de la politique agricole française.

Mes chers Amis, pour nous, Français, de Métropole et d'Outre-mer, pour nous l'agriculture ne sera jamais une activité comme les autres. Paysans, vous défendez à la fois notre mémoire et notre avenir, nos paysages et notre excédent commercial, notre art de vivre et nos emplois. Vous êtes, plus que toute autre profession, les gardiens de notre identité.

Une fois encore, l'agriculture française doit se préparer à connaître des fortes évolutions. Qu'elle s'y prépare avec confiance ! Je m'engage auprès de vous à requérir de l'Etat sa part d'effort et de solidarité. Je m'engage à défendre un projet agricole européen, pour protéger notre agriculture et lui permettre d'exprimer ce qu'elle a de meilleur.

Notre agriculture a su conquérir la première place. Elle a les moyens de se développer encore et beaucoup. Je voudrais que le contrat scellé entre la Nation et ses paysans soit véritablement un contrat d'espérance.

Je vous remercie, et ceci croyez-le bien, n'est pas simplement un propos de circonstance, ou une formule de politesse.





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