Discours du Président de la Républiqueà l'occasion du dîner d'état offert en l'honneur du Président du Brésil.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du dîner d'état offert en l'honneur de M. Fernando Henrique CARDOSO, Président de la République fédérative du Brésil.

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Palais de l'Élysée, le mardi 28 mai 1996

Monsieur le Président,

Madame,

Mesdames et Messieurs,

Je souhaite, Monsieur le Président, vous dire ma joie, et je n'exagère pas en disant celle de tous les Français, en tout cas la mienne très forte de vous accueillir en visite d'Etat.

Recevoir le Chef de l'Etat brésilien et son épouse est en soi un honneur. Mais cette visite prend une dimension particulière puisqu'il s'agit de vous, Monsieur le Président, qui êtes un ami de très longue date de la France où vous vous sentez, à juste titre, chez vous.

Nous fêtons ce soir votre présence, mais nous fêtons aussi la volonté commune de renforcer les relations entre nos deux pays.

L'histoire de nos deux peuples est riche en séduction mutuelle. Aucun Français, depuis cinq siècles, n'est resté insensible au Brésil. Pour Paul Claudel, le Brésil est, je le cite, "de ces pays mordants qui imprègnent l'âme et lui laissent je ne sais quel ton, quel tour et quel sel dont elle ne parviendra plus à se défaire". L'un de nos plus éminents maîtres, qui fut aussi le maître de Madame Cardoso, Claude Levi-Strauss, professeur à l'Université de Sao Paulo, n'a-t-il pas donné ce beau titre à l'un de ses récents ouvrages, pardonnez la prononciation, à la lecture française cela donne : "Saudades do Brasil" ? Les années ont passé, pourtant la nostalgie et le souvenir restent vifs.

A l'automne dernier, à New York, lors de notre rencontre, cher Ami, nous étions convenus de faire en sorte que cette nostalgie du Brésil au coeur des Français, que cette nostalgie de la France au coeur des Brésiliens, fassent place désormais à l'enthousiasme retrouvé des moments les plus forts de notre relation.

Avec votre visite, les conditions d'un véritable partenariat entre le Brésil et la France sont plus que jamais réunies.

D'abord parce que nous partageons les mêmes valeurs.

S'adressant en 1964 à votre Congrès, à Brasilia, le général de Gaulle rappelait, je le cite, que "l'histoire du Brésil a été glorieusement marquée par l'esprit de la libération et de la démocratie".

Vous-même, Monsieur le Président, avez personnellement lutté pour la démocratie et vous avez connu l'exil. Ce combat n'était pas sans risque il y a seulement une ou deux décennies en Amérique latine. Ce combat, vous le poursuivez aujourd'hui et vous avez à coeur de construire cette société plus humaine et plus juste à laquelle le peuple brésilien aspire. Vous venez de lancer un ambitieux "programme national pour les Droits de l'Homme". Vous avez réfléchi aux ressorts du développement et votre oeuvre de sociologue a mis en exergue la nécessité de briser les barrières entre les classes, de donner leurs chances aux plus défavorisés et de protéger les plus vulnérables.

Vous et moi savons qu'il n'y a pas de progrès social possible sans un développement équilibré et sain. Nous savons aussi combien sont difficiles les réformes de structures qu'impose la mondialisation de l'économie.

A la tête du ministère des Finances, vous avez conçu en 1994 ce qui allait devenir le "Plan Réal", opération courageuse et surtout réussie de maîtrise des mécanismes monétaires et des grands équilibres économiques. Vous avez ainsi restauré la confiance. En réduisant l'inflation, vous avez aidé les plus démunis.

Vous souhaitez désormais aller plus loin, engager votre pays dans une voie qui permettra de conjuguer "compétitivité économique et justice sociale". Vous envisagez à cet effet des changements fondamentaux concernant la structure de l'Etat, la prévoyance sociale, la fiscalité, les privatisations, l'emploi.

Cette ambition du progrès sans exclusion ni fracture sociale, me touche particulièrement. Et je me réjouis que nous puissions confronter nos vues à ce sujet.

Mais la démocratie et la justice exigent aussi le respect du droit. Ce droit d'origine romaine dont nos deux pays ont hérité. Faut-il rappeler que vous avez traduit, en 1962, "l'Esprit des lois" du français en portugais? Cette vision partagée des pays latins inspire toute notre philosophie des rapports de l'individu à la société et notre conception des institutions qui les expriment.

Bâtir sur cet héritage commun, c'est aussi affirmer sur la scène internationale l'originalité de nos cultures à un moment où l'avènement de la société de l'information menace, nous en parlions ce matin, les traditions qui sont les nôtres et aussi nos langues. Lors d'une conversation avec Alain Touraine, vous affirmiez récemment, je vous cite, que "le modèle culturel brésilien contient en lui-même cette diversité, ce quelque chose qui est intrinsèque à l'Europe et qui, disiez-vous, nous y rattache". Renforçons le dialogue entre nos deux continents. Luttons ensemble contre les risques de l'uniformisation culturelle.

Cette communauté de valeurs doit enfin nous conduire à agir ensemble dans le monde. Unissons nos efforts sur les grandes questions internationales, nous l'avons fait pour le G7 à notre entière satisfaction.

Brésiliens et Français se mobilisent pour la paix. Nous apprécions vos efforts de diplomatie préventive et l'envoi de contingents brésiliens sous la bannière des Nations Unies.

Je souhaite qu'ensemble, nous appelions la communauté internationale à assumer ses responsabilités à l'égard des pays les plus pauvres, et en particulier là aussi nous l'évoquions ensemble ce matin, ceux d'Afrique, d'une Afrique que, comme nous, vous aimez et vous aidez.

A la veille, je le disais à l'instant, du Sommet du G7, j'ai souhaité recueillir vos analyses. Le Brésil peut être un trait d'union entre les sociétés les plus avancées et les pays que l'on appelle en émergence. Sa contribution est essentielle à la nécessaire réforme des institutions multilatérales. Nous devons également poursuivre notre dialogue sur les questions financières et achever la mise en place des mécanismes permettant d'éviter ou de limiter les effets de nouvelles crises de paiement dans les pays émergents.

Notre concertation doit porter aussi sur les problèmes liés à l'environnement, à la drogue, au terrorisme. Je souhaite que nous travaillions plus étroitement ensemble sur ces dossiers.

Mais c'est toute notre coopération bilatérale que nous devons vigoureusement relancer. Je me réjouis que nos deux ministres des Affaires étrangères aient signé, cet après-midi, un nouvel accord-cadre qui réorganise notre coopération dans tous les domaines, politique, économique et culturel, ainsi que nos relations de bon voisinage. Car je rappelle que la plus longue frontière terrestre de la France est celle qui l'unit au Brésil : 650 kms entre votre pays et le département français de la Guyane dont je salue ici les élus.

Notre dialogue politique, désormais étroit et confiant, doit donner le ton de la relation franco-brésilienne.

Or, la place de la France au Brésil reste, c'est vrai, insuffisante, qu'il s'agisse des investissements ou du commerce. Monsieur Bernard Pons et Monsieur Yves Galland l'ont constaté à l'occasion de leurs récents voyages. J'ai demandé au gouvernement de tout mettre en oeuvre pour que notre pays retrouve chez vous une place et un rang conformes à nos ambitions communes.

Le Brésil, puissance technologique de premier rang, dixième économie du monde, pays si important du MERCOSUL et de l'Amérique latine, doit être une vraie priorité de notre politique étrangère.

Je souhaite que nos banques renforcent leur présence dans votre pays et accompagnent le mouvement de nos firmes industrielles au moment où vous lancez de vastes chantiers et d'ambitieuses privatisations. De récents succès nous y encouragent.

Dans les domaines de l'énergie, des équipements d'infrastructure, des transports, de la maîtrise de l'eau, de l'agro-alimentaire ou de la mécanique, nos entreprises peuvent vous apporter technologie et compétence. Je souhaite que la grande exposition "France 2000", qui se tiendra à Sao Paulo en octobre, puisse marquer ce grand retour de la France au Brésil que commandent nos intérêts et notre amitié. La levée, entre nos deux pays, de l'obligation de visa de court séjour devrait favoriser ces échanges entre nos peuples.

En allant à la rencontre de votre pays, les Français raviveront chez les Brésiliens, je l'espère, le goût de notre culture et de notre langue. La langue française n'est pas seulement un instrument diplomatique. Elle peut être un atout déterminant dans la vie professionnelle, notamment pour les jeunes Brésiliens désireux de réussir dans un monde toujours plus ouvert, où la connaissance de plusieurs langues étrangères est une nécessité.

Déjà, des milliers d'étudiants brésiliens viennent chaque année se former en France, notamment dans les disciplines scientifiques. Je souhaite qu'ils soient de plus en plus nombreux.

De même, nous poursuivrons l'effort d'enseignement du français au Brésil comme nous veillerons à promouvoir en France, ce qui est déjà largement commencé, l'enseignement du portugais, autre grande langue internationale.

Je souhaite que la communauté des pays lusophones qui se créée en ce moment se joigne aux familles francophone et hispanophone pour préserver le rôle de nos trois grandes langues de communication dans le monde de demain.

Le renforcement des liens franco-brésiliens doit s'inscrire dans le mouvement d'intégration régionale qui marque notre temps. L'Union européenne et le MERCOSUL dessinent de nouveaux espaces de paix, de solidarité et de prospérité. Ils esquissent l'architecture multipolaire du monde de demain.

La France et l'Europe ont accueilli, avec espoir et confiance, la naissance et le développement de cet ensemble de près de 250 millions d'âmes que vous constituez avec vos trois voisins et qui devrait prochainement s'élargir.

La Présidence française de l'Union européenne s'est mobilisée pour qu'un accord, le premier du genre, intervienne entre les deux grands ensembles. Et nous nous réjouissons que cet accord ait pu se conclure en moins d'un an, dès le Sommet de Madrid de décembre dernier.

Cette coopération exemplaire entre nos deux pays, entre ces deux ensembles, doit marquer le renouveau des relations de la France avec l'Amérique latine tout entière. Notre dialogue doit s'approfondir avec les grands forums que sont notamment le Groupe de Rio et l'Organisation des Etats américains.

En vous recevant, Monsieur le Président et cher Ami, c'est donc un partenaire majeur que toute la France accueille avec plaisir. Un partenaire avec lequel elle entend renforcer sa coopération bilatérale, contribuer au rapprochement de nos deux continents et affirmer une concertation toujours plus étroite dans les enceintes internationales et notamment à l'ONU.




Votre pays, Monsieur le Président, cher Ami, inspira jadis à Victor Hugo ces deux vers qu'il dédia à l'Empereur Don Pedro :

"Dans ce vaste Brésil aux arbres semés d'or,

Passeront le progrès, la force, la clarté".

C'est en renouvelant ces voeux de force et de progrès pour le Brésil et pour notre amitié que je voudrais maintenant, Monsieur le Président, porter un toast.

Je lève mon verre en votre honneur, Monsieur le Président, et en celui de Madame Ruth Cardoso, à qui je suis heureux de présenter mes respectueux hommages.

Je bois à la prospérité et au bonheur du peuple brésilien. Je bois à l'amitié ancienne, et ce soir renouvelée, qui unit le Brésil et la France, aux multiples projets que nous formons ensemble et à l'épanouissement de ce nouveau partenariat que nous souhaitons nouer, et qui sans aucun doute va se développer.

Vive le Brésil !

Vive la France !

Vive l'amitié franco-brésilienne !





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