Discours du Président de la République à l'occasion de la réception en l'honneur des Compagnons de la Libération.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République : Réception en l'honneur des Compagnons de la Libération.

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Palais de l'Elysée, le mardi 18 juin 1996

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Grand Chancelier,

Monsieur le Chancelier,

Amiral,

Messieurs les Compagnons de la Libération,

Messieurs les Maires des villes Compagnons,

Mesdames, Messieurs,

Mes chers Amis,

Il y a des moments dans l'histoire d'un peuple où son destin semble hésiter : ce sont de rares moments de détresse ou de grandeur où le fléau de la balance oscille. Qu'une volonté charge l'un des plateaux et le fléau s'incline, même imperceptiblement. Le 18 juin 1940 fut un de ces moments-là. Et c'est pour cela qu'il représente sans doute, dans l'histoire de notre pays, l'un des plus émouvants.

Ce jour-là, à Londres, écrira un témoin, "la lumière du soleil était grise. La nature, pourtant, avait fait un beau jour clair et doré (...) Mais les événements et les hommes imposaient à cette journée une autre couleur et un autre sens. On eût dit que ce soleil, chassé d'un continent en désordre, faisait en Angleterre une dernière étape et jetait, avant de partir, une caresse amère à ce qui survivait encore du monde occidental. Et sa lumière était grise de ce désastre qu'il avait éclairé. Nous étions des Français qui allions dans les rues de Londres comme des jouets cassés..."

Tout se déroulait en effet comme dans un mauvais rêve : le destin de la France semblait partir à la dérive avec une armée qui se repliait dans la débâcle, un peuple qui se répandait, éperdu, sur les routes et la machine du pouvoir qui tournait dans le plus grand désordre...

Ce fut alors qu'un micro de la BBC diffusa un message singulier, lancé par une voix inconnue.

Ce message, alors que le gouvernement français vient de demander un armistice, refuse la résignation et appelle tous les Français, de France et hors de France, à venir rejoindre à Londres, un soldat sans crédit particulier ni justification qui les invite à reprendre le combat, avec lui, car "rien n'est perdu pour la France".

Il est difficile pour nous aujourd'hui de saisir ce que de tels mots avaient alors d'incroyable : alors que l'adversaire était triomphant, cet appel prophétisait l'élargissement de la guerre à l'échelle de la planète. Proclamait sa foi en la victoire finale, alors que l'on ne disposait d'aucune force. Demandait, pour sauver un pays défait et rétablir la République, de s'affranchir de toutes les règles, de toutes les disciplines et de tous les usages ; de choisir l'arrachement, l'exil, l'incompréhension, la méfiance ; de s'élever au-dessus des lois pour obéir à celles non écrites de la conscience.

Cet appel, si étonnant, si audacieux, que seul pouvait lancer un homme "hors de toutes les séries", cet appel aurait pu passer inaperçu dans le désarroi, l'effroi et la confusion générale.

"Quand on lance une pierre dans la montagne, on ne peut prévoir si elle s'enfoncera sans bruit dans la neige ou si, en troublant le silence et l'immobilité fragile des forces endormies, elle sera le commencement d'une avalanche. L'appel du 18 juin fut un commencement."

Peu, c'est vrai, l'entendirent ce soir-là, mais il s'était déjà inscrit parmi les grands événements : répété sur les ondes, repris par quelques journaux, diffusé par des tracts et colporté de bouche à oreille, il était en marche et rien ni personne désormais ne pourrait contrôler son retentissement.

Certes, nul ne connaissait ce général français qui parlait à la BBC et qui exhortait : "Soldats de France, où que vous soyez, debout !", mais cette voix, qui allait vite devenir familière, avait fait se lever dans un pays désemparé un espoir fou, merveilleux, irrépressible.

Dès le lendemain, dans le petit bureau de Saint Stephen's House où le Général de Gaulle a seulement épinglé une carte de France et un planisphère, se produisent les premiers ralliements.

Qui peut rejoindre cet officier solitaire qui, "devant le vide effrayant du renoncement général", a décidé "en ce moment, le pire de son histoire, d'assumer la France..."?

Ce n'est d'abord qu'une poignée d'hommes, qui ne se connaissent pas, des hommes isolés, des soldats rescapés de Norvège ou de Dunkerque, qui se trouvent en Angleterre ; des volontaires venus de France, sur les derniers bateaux en partance de Brest ou de Saint-Jean-de-Luz ; des marins, évadés sur des petits navires ; des aviateurs qui forcent les piquets de garde autour d'avions cloués au sol, un mouilleur de mines avec son équipage, et même une île entière, dont les hommes prendront la mer sur leurs propres barques.

Ce seront aussi des unités comme ce bataillon d'infanterie de marine qui se reconstitue au Liban, ou dans le Pacifique ; cet escadron de spahis qui rejoint à cheval l'armée britannique au Moyen-Orient ; ce régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad qui, exemple unique, reste les armes à la main, prêt à suivre l'Homme du 18 juin... et puis aussi des territoires, -les comptoirs de l'Inde et la Polynésie, les Nouvelles-Hébrides, le Tchad et toute l'Afrique Equatoriale Française...- qui se rallient à la France Libre.

Tous ces hommes, venus des quatre coins de France et des quatre points du monde qui, spontanément, ont choisi de suivre l'inconnu de Londres et que la propagande présente comme "un ramassis de traîtres, de mercenaires et d'aventuriers", tous ces hommes ont en commun, outre un courage, une audace et une volonté peu ordinaires, une foi singulière en la force qu'ils vont représenter.

Cohorte dispersée, mais soudée par la grâce d'un lien mystérieux autour de ce chef que le Destin venait de leur donner, ils allaient constituer "une élite partie de rien et qui devait, peu à peu, grandir au point d'entraîner derrière elle toute la nation et tout l'empire..."

Cette élite, "qui ne le cédait en rien à aucune de celles qui, au long des siècles, donnèrent l'exemple à la Nation", comme se plaisait à le rappeler le Général de Gaulle, ce sont les Compagnons de la Libération, des hommes et des femmes, des villes ou des bourgs et dix-huit unités, de toutes les armes, qui allaient faire se rencontrer la volonté d'un homme et celle de tout un peuple qui vivait assoupi, engourdi dans l'attente.

Ce fut grâce à ces hommes, ces femmes, ces villes et ces forces que put commencer en France et hors de France, dans les maquis, dans les prisons, dans les sables d'Afrique ou du Moyen-Orient, la "grande lutte des ténèbres" qu'a célébrée André Malraux.

Ce fut grâce à leur résolution que se fit l'unité des Forces Françaises Libres et de la Résistance, la France de Leclerc et celle de Jean Moulin ; ce fut grâce à leur combat et à leur sacrifice que notre pays retrouva son honneur, ses terres et son rang au sein des nations.

Et ce sont ces hommes, ces femmes, ces villes et ces unités que je salue en vous accueillant aujourd'hui dans ces lieux, où l'Homme du 18 juin, l'homme du Destin, comme devait l'appeler Winston Churchill, a laissé une marque si profonde.

J'ai tenu à le faire pour vous marquer la gratitude et le respect de la France, car vous avez écrit, avec vos compagnons disparus, la plus belle geste accomplie dans l'une des périodes les plus incertaines de notre histoire. J'ai tenu à le faire pour vous exprimer notre fidélité, car votre engagement, votre courage, votre héroïsme nous rappellent que la grandeur de la France est toujours liée à l'effort, à l'unité, à la justice et à la liberté. J'ai tenu à le faire pour vous dire notre affection, car vous nous avez transmis, avec ce magnifique élan d'espérance, l'héritage d'un acharnement séculaire, celui de tous ceux qui ont "port(é) la France", comme l'écrivait Jean Cayrol, dans le camp de Mathausen,

"... au-delà de la mort..., ... au-delà de la peur..., ...à l'ombre du Vieil Arbre

"où l'ange va lustrer la guerre et ses deux ailes..."

Messieurs les Compagnons de la Libération, j'ai voulu vous donner une preuve concrète et symbolique de la profonde et sincère gratitude que la France vous porte, et de son affectueux respect. C'est pourquoi j'ai décidé qu'une promotion spéciale de l'Ordre National de la Légion d'Honneur serait créée à votre intention et que les unités héritières des dix-huit unités combattantes faites Compagnons par le Général de Gaulle recevraient une fourragère au cordon vert et noir portant la croix de la Libération.

Je vais procéder dans un instant à la remise de ces décorations et j'aurai ce soir, au cours de la cérémonie militaire qui se déroulera au Mont Valérien, l'honneur de remettre la fourragère de l'Ordre de la Libération aux chefs de ces unités ou de ces bâtiments.

Ainsi se perpétuera, à travers eux et par le pacte d'amitié qui lie Grenoble, Nantes, Paris, Vassieux-en-Vercors et l'île de Sein, le souvenir de "l'une de ces épopées par quoi, a pu dire le Général de Gaulle, les peuples consolent leurs malheurs, soutiennent leur fierté, nourrissent leur espérance..."





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