Discours du Président de la République lors de la visite de l'École navale de Brest.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de sa visite à l'École navale de Brest.

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Brest, Finistère, le vendredi 14 juin 1996

Monsieur le Ministre, Messieurs les Amiraux, Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de vous dire le plaisir que j'ai à m'exprimer aujourd'hui devant vous, dans cette enceinte prestigieuse où se sont succédées des générations d'officiers de marine. Je me réjouis de cette rencontre qui me permet de m'adresser à vous au moment où notre pays s'engage sur la voie d'importantes réformes, et de vous parler de la Marine, de ses missions, de son avenir, de votre avenir, de votre rôle dans la défense de demain à l'heure où se tourne une page de notre Histoire.

Le monde change, chacun le sait. Un nouvel environnement international, d'implacables contraintes économiques, les changements que connaît notre société nous imposent de repenser notre défense. Plus que jamais pourtant, la France a et aura besoin de sa Marine. Je ne doute pas que cette carrière, que vous avez embrassée, au terme d'un parcours hautement sélectif, ressemblera au projet personnel qu'intuitivement vous avez conçu.




Le métier d'officier de Marine, les deux plaques qui ornent votre hall d'honneur en évoquent la grandeur, l'exigence et les traditions. Elles rappellent combien la Marine est de son temps quand elle met en oeuvre les systèmes d'armes les plus modernes. Elles rappellent ses missions qui sont, disait le Général de Gaulle, de "combattre, de s'y préparer d'abord et, le cas échéant, de l'accomplir".

Toute votre vocation tient dans ces quelques mots qui résument aussi celle de l'Ecole Navale : "Former des combattants", instruire ces futurs commandants, vous, Mesdames et Messieurs, qui, au travers d'un métier hors des normes communes, devrez peut-être affronter la réalité du combat.

Je vous sais impatients d'assumer vos engagements, impatients de rencontrer la mer qui attire et inquiète, qui forge à la fois le caractère et l'humilité. La mer où, plus qu'ailleurs, s'enseignent aussi les satisfactions et la joie du travail en équipe. La mer qui suscite les confidences, rapproche et soude les hommes. La mer qui requiert le sens de l'humain, la force d'âme, et aussi la générosité.

Vos hommes vous suivront d'autant plus volontiers au combat que vous aurez su nouer avec eux une relation puissante de confiance et d'estime. Cette dimension du métier d'officier, et qui fait sa grandeur, un cavalier qui fut aussi un grand chef et un grand administrateur, Lyautey, l'évoquait avec ferveur. "Aux officiers, disait-il, il est demandé d'abord d'être des convaincus et des persuasifs, des apôtres doués au plus haut point de la faculté d'allumer le feu sacré dans les âmes".

Oui, ceux auxquels le pays consacre le meilleur de ses outils de formation ont un devoir de rayonnement. Ce devoir s'impose d'autant plus à vous que notre société, qui évolue, repense aujourd'hui les liens qui l'unissent à son armée.

Plus que jamais, vous devrez affirmer vos qualités de chef : l'autorité bien sûr, la décision, l'initiative. Mais parce que "le chef, disait Saint-Exupéry, est celui qui a le plus besoin des autres", parce que l'autorité se mérite, vous devrez faire preuve aussi d'attention, de patience, d'un sens aigu de l'écoute, bref d'intelligence. Parce que notre monde est moins certain qu'hier, plus ouvert mais plus mouvant, vous devrez vous adapter, vous remettre sans cesse en question.

Vous serez des hommes et des femmes de réflexion autant que d'action. Votre formation, l'esprit et les méthodes de l'enseignement supérieur que l'on vous dispense dans cette Ecole vous y aideront. Découvrez l'autonomie et l'indépendance d'esprit sans lesquels vous ne sauriez apprendre à choisir et à décider. Acceptez l'inconfort de vos doutes et de vos hésitations. Développez votre capacité à écouter, à vous forger une opinion, à respecter vos convictions.

A vous qui êtes la Marine du prochain siècle, il appartient de tout explorer, et au total de tout inventer. Vous aurez notamment à imaginer et à tisser de nouvelles relations. Avec la nation bien sûr. Vous y porterez cet esprit de défense qui doit en permanence l'animer. Avec vos hommes qui seront pour la plupart des marins de métier, formés aux techniques les plus avancées, rompus aux conditions extrêmes du combat, et qui attendent du commandement qu'il s'exerce dans un esprit professionnel, sans état d'âme, sans faiblesse et sans faille.

C'est ainsi, par votre plein engagement personnel, que vous réaliserez votre vocation d'officier de marine. C'est ainsi que vous servirez au mieux votre pays.




J'ai engagé, à l'automne dernier, la réforme de nos forces armées. Je l'ai fait à la lumière des nouvelles réalités géopolitiques et des nouvelles formes d'affrontement que recèle le monde d'aujourd'hui, mais aussi des contraintes économiques qui s'imposent à nous comme à nos partenaires. En quelques années, notre monde a profondément changé, je l'ai dit. Les certitudes d'hier font place à un nouvel environnement moins simple que naguère, plus ouvert mais plus lourd aussi de risques et d'instabilité.

J'attends de cet ambitieux chantier qu'il dessine une défense nationale rénovée, plus efficace, apte à répondre demain aux nouvelles menaces. Cette mutation nécessaire entraînera des conséquences pour chacune de nos armées.

Dans cette nouvelle configuration de nos forces, la Marine, qu'elle agisse dans le cadre de ses missions de dissuasion, de protection, de prévention ou de projection, verra son rôle confirmé bien sûr, mais surtout renforcé.

La Marine, notre Force Océanique Stratégique notamment, seront l'élément essentiel de notre dissuasion, une dissuasion rénovée, redéployée mais maintenue à son seuil de suffisance. Je serai cet après-midi à bord du Triomphant qui rassemble les solutions technologiques les plus innovantes. Ce submersible de nouvelle génération et les trois bâtiments de même type qui suivront, constitueront, dans les décennies à venir, l'épine dorsale de notre dissuasion.

C'est à la Marine qu'il revient aussi de protéger nos approches maritimes en métropole et outre-mer. La Marine est là dans l'une de ses missions traditionnelles, je devrais dire éternelles. Au-delà, sa présence aux abords de notre zone économique exclusive, la surveillance qu'elle exerce sur nos voies maritimes sont vitales pour notre pays, sa richesse, sa souveraineté.

Il arrive aussi que la sécurité de notre territoire, nos intérêts, ceux de nos amis, la paix ou le droit exigent que la force se montre ou s'emploie. Cette projection de puissance, conçue désormais dans une dynamique interarmées, la Marine en est l'un des instruments privilégiés. Le statut de la haute mer -"res nullius"- et la totale liberté de circulation qui en résulte en font l'espace de manoeuvre idéal, le seul parfois jusqu'au déclenchement des opérations aéroterrestres. Dans cette perspective, avec un groupe aéronaval en voie de complète modernisation, autour du Charles de Gaulle et du Rafale, les sous-marins nucléaires d'attaque et un groupe amphibie aux capacités renforcées, notre Marine disposera d'atouts considérables.

Les contraintes opérationnelles autant qu'économiques imposent cette dimension interarmées croissante de notre défense. La Marine possède une forte culture, d'anciennes et brillantes traditions, un puissant esprit de corps. Faites vôtre cette culture qui participe de la grandeur de votre mission. Soyez-en fiers. Sachez aussi, à l'égard des autres armées, faire preuve d'un esprit d'ouverture, de coopération, vous enrichir de vos différences. Gardez à l'esprit, toujours, qu'au moment de l'action, vous vous retrouverez tous ensemble.

Je vous invite enfin à élargir vos horizons aux dimensions de cette Europe politique que nous appelons de nos voeux. Sa réalisation sera - je crois - la grande aventure de votre génération. Elle touchera tous les aspects de votre vie personnelle mais aussi professionnelle. Cette conscience européenne, nous la construirons aussi en développant une défense commune, complémentaire de notre solidarité atlantique, dans une alliance rénovée.

Oui, au-delà des profondes transformations que connaît notre outil de défense, votre avenir demeure riche, très riche de promesses. Ayez confiance ! Allez de l'avant ! C'est le propre de la jeunesse. Vous avez embrassé une carrière qui s'annonçe exaltante. Elle le sera ! Pour peu que vous y mettiez votre enthousiasme, votre générosité, votre foi aussi en l'avenir et en votre pays.

C'est ce message de volonté, de confiance, d'énergie que je souhaitais aujourd'hui vous porter.




Dans le passé, le salut de la France est souvent venu de la mer. Les Vénètes, ultime recours de l'indépendance gauloise, étaient des marins. Des marins aussi, Duguay-Trouin, Jean Bart, La Motte-Picquet, Surcouf, Duquesne, Tourville, qui donnèrent tant de victoires à notre patrie. Des marins encore, les hommes de Sein qui, aux heures sombres de l'Histoire, incarnèrent les premiers le refus et l'honneur. Demain, plus qu'aujourd'hui et plus qu'hier, c'est encore au large que se décidera aussi le destin de notre pays.

En 1965, le Général de Gaulle, inaugurant les bâtiments de votre Ecole, exposait ici-même sa conception prémonitoire du fait marin et de sa place dans notre outil de défense. "La Marine, déclarait-il à vos anciens, se trouve maintenant et sans doute pour la première fois de notre Histoire, au premier plan de la puissance guerrière de la France. Ce sera dans l'avenir, tous les jours, un peu plus vrai".

Cette Marine du XXIè siècle, dont la France et l'Europe ont besoin, sera ce que vous en ferez. Je sais pouvoir compter sur vous et je vous en remercie.





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