Discours du Président de la République devant les deux chambres réunies du Parlement congolais.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant les deux chambres réunies du Parlement congolais.

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Brazzaville, Congo, le jeudi 18 juillet 1996

Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,

Monsieur le Président du Sénat,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs les membres du Corps diplomatique,

Mesdames et Messieurs,

C'est un privilège que d'être le premier Chef d'Etat invité à s'exprimer devant le Parlement congolais réuni en Congrès, selon les dispositions de votre Constitution. Cet honneur que vous me faites aujourd'hui s'enrichit d'une émotion particulière : celle, chacun me comprendra, de me retrouver à Brazzaville, dans cette capitale où le Général de Gaulle dessina l'avenir.

L'avenir de la France quand, le 27 octobre 1940, le Général déclarait incarner la France éternelle, son idéal de liberté et de justice, et en appelait à l'Empire pour lui "refaire une épée". Ainsi Brazzaville fut-elle, dans la tourmente, "le refuge de notre honneur et de notre indépendance".

L'avenir de l'Afrique quand, le 30 janvier 1944, le Général de Gaulle donnait sa vision de votre continent, de sa "marche en avant", des "devoirs de la France". Une fois encore, le Général ouvrait un chemin riche, prémonitoire, généreux, et réaliste.

"Comme toujours, disait-il, la guerre précipite l'évolution. Parce qu'elle a pour enjeu la condition de l'homme, partout chaque individu lève la tête, regarde au-delà du jour et s'interroge sur son destin. S'il est une puissance que les événements conduisent à s'inspirer de leurs leçons, c'est bien la France qui, par degrés, élève les hommes vers les sommets de dignité et de fraternité où, quelque jour, tous pourront s'unir".

L'émancipation de l'Afrique, son accession à l'indépendance et à la démocratie, son développement, la construction d'une solidarité continentale, il était du devoir de la France de les accompagner. Mais le Général pressentait aussi ce qu'il faudrait de temps, de sensibilité, d'intelligence pour y parvenir. "C'est, disait-il, les pieds bien enfoncés dans la terre d'Afrique, concluait-il, que l'on peut en mesurer la personnalité, les intérêts, les aspirations, l'avenir. C'est ainsi que l'on garde le sens de ce qui y est réalisable".

Mesdames et Messieurs, c'est ce même encouragement à la démocratie et au développement, fait de compréhension, de tolérance et de mesure, vertus fondamentalement africaines, ce message aussi de solidarité, de confiance et d'espoir que je suis venu vous apporter au nom de la France.




Que ne dit-on pas sur l'Afrique ! Depuis quelques années, un pessimisme complaisant s'affiche, prétexte facile au désengagement des pays riches. On voudrait accuser l'Afrique de tous les maux pour donner du confort à son propre égoïsme. C'est justement ce contre quoi la France se bat aujourd'hui.

Finissons-en avec les descriptions apocalyptiques de l'Afrique ! Regardons devant nous, au-delà de l'horizon immédiat. Nous voyons une Afrique pleine de promesses, mais aussi une Afrique qui doit surmonter les graves difficultés qu'elle connaît mais elle le peut.

C'est que l'Afrique n'en finit pas de payer son tribut à l'Histoire.

Il est temps que l'Occident et l'Afrique acceptent de regarder ensemble leur passé commun, aussi douloureuses qu'en soient certaines pages. La dignité des uns et des autres passe par la reconnaissance d'une histoire que l'Occident ne doit plus ignorer ni taire, celle de la déportation de millions et de millions d'Africains pendant près de trois siècles et demi. Pour du sucre et du café, des Européens et des Africains ont accepté d'arracher à leurs terres et à leurs familles des hommes libres, contraints à traverser les océans pour aller travailler jusqu'à la mort dans l'esclavage le plus dégradant. Notre culture et notre histoire convergent pour briser enfin la chape de silence qui étouffe encore la tragédie de la traite négrière.

En arrachant ces hommes, les plus jeunes et les plus vigoureux, la traite a amorcé un long processus de sous-développement dont les séquelles ne sont pas encore cicatrisées. Elle a brisé l'esprit d'initiative de paysans, terrorisés par l'éventualité de razzias qui les surprenaient sur le chemin de leurs champs, ou par l'attaque de leurs villages au petit matin. L'artisanat n'a pas pu soutenir le choc de la concurrence des produits européens que les négriers déversaient à pleines cales pour acheter les esclaves. Un lent martyre conduisait inéluctablement ces hommes à accepter la condition de victimes, brisant tout élan créateur. Mais le mal ne s'est pas arrêté là. En dispersant ses oeuvres d'art aux quatre vents des musées et des collections particulières, l'Occident a vidé l'Afrique de ses supports spirituels.

Aujourd'hui, l'Occident devrait, non pas réparer, car ni le sang, ni le viol spirituel n'ont de prix, mais construire de nouvelles bases de collaboration et d'entraide où chacun puisse reconnaître et respecter l'identité de l'autre.

C'est d'autant plus nécessaire que, plus tard, l'économie de rente, les violences importées, les divisions ethniques, devaient hypothéquer encore l'avenir de l'Afrique, en faussant ou en détruisant les équilibres sociaux, les repères traditionnels, les références ancestrales.

Quand vinrent les indépendances, il fallut parer au plus pressé, construire l'Etat, bâtir l'unité nationale, se doter d'une idéologie. La période fut rude et des traces en subsistent encore dans bien des pays.

L'aspiration des citoyens à la conduite des affaires publiques et au pluralisme, en un mot à la vie démocratique, est la plus récente étape de cette évolution.

Mais la réponse à cette attente ne pouvait venir de l'extérieur. La volonté qui s'est manifestée dans un passé récent, de soumettre l'aide publique internationale à des conditions politiques, a conduit certains pays à se parer d'un masque pour répondre à cette exigence. Il s'en suivit une démocratie de façade, mais sans adhésion de l'esprit et du coeur. Tout cela allait finalement à l'encontre des objectifs poursuivis.

Ces échecs nous parlent d'eux mêmes. Ils nous imposent aujourd'hui de repenser, dans un esprit de tolérance et d'humilité, nos liens à l'Afrique.

L'Afrique est un continent libre, riche d'anciennes et puissantes traditions, de fécondes valeurs de civilisation. Moins qu'ailleurs, la démocratie ne s'y exporte, ne s'y plaque, ne s'y décrète. Plus qu'ailleurs, elle doit s'y ressentir, s'acclimater, s'enraciner. Plus que jamais aussi, l'Afrique a besoin de la démocratie, source de stabilité, de confiance, de solidarité.

Nous n'avons pas à lui donner de leçon de démocratie. Tout au plus, pouvons-nous lui inspirer, lorsque c'est nécessaire, un désir de démocratie, lui montrer les voies qui s'ouvrent à elle et les progrès qu'entraîne naturellement l'ouverture démocratique. Nous pouvons alors, par notre soutien et nos encouragements, l'accompagner partout où les Africains ont fait eux-mêmes le choix de la démocratie.

Cette démocratie nécessaire, j'ai souhaité vous en parler. Je suis venu vous faire part de ma vision d'une Afrique où s'affirment aujourd'hui une volonté, une espérance, un appel.




Le principe démocratique est comme ce feu, qu'évoquait Voltaire, "que l'on prend chez son voisin, que l'on allume chez soi, que l'on communique à d'autres et qui, finalement, appartient à tous". Ainsi, la flamme de la démocratie sera-t-elle passée, dans l'Histoire des hommes, de Grèce en Occident, puis d'Occident en Orient, du nord au sud.

S'appuyant sur le même socle de valeurs intangibles -la liberté, la dignité, le respect de l'autre, l'égalité des hommes, le droit qui les garantit-, elle prend ici le visage du parlementarisme, là, celui de la démocratie présidentielle. Ici, c'est le modèle centralisé qui s'impose, là, c'est la structure fédérale. Le sage Solon, à qui l'on demandait quel est le meilleur système politique, répondait "pour quel pays, pour quel peuple, pour quelle époque ?" Aujourd'hui comme hier, la démocratie, c'est vrai Monsieur le Président, est plurielle.

Dans sa diversité, elle appartient à l'humanité tout entière. Aucun peuple, plus qu'un autre, n'en détient la clef. Chacun suit avec elle son propre chemin, fait de chutes, de rechutes et d'espérances. Aucune nation ne peut prétendre avoir jamais atteint à son accomplissement.

Mais partout où elle progresse, la démocratie est un facteur de développement et un facteur de paix. Avec la stabilité, vient la confiance. Celle des Africains eux-mêmes, rassemblés dans un même attachement à leurs institutions, prêts à accomplir ensemble de grandes choses. La confiance, aussi, de la Communauté internationale dont l'aide est indispensable à l'Afrique.

Enfin, et l'Histoire l'a montré, il se tisse tout naturellement entre nations démocratiques une solidarité puissante. Celle-ci a joué pleinement entre les nations occidentales aux heures les plus sombres. Elle commence à jouer pour l'Afrique à mesure que vos pays accomplissent leur ouverture démocratique. Mais comprenons bien aussi qu'un pays qui s'exclut du processus de démocratisation, lasse la Communauté internationale. Alors, le risque est grand de voir se tarir l'assistance extérieure.




La démocratie, c'est un état d'esprit, ce sont des comportements, des réflexes. C'est le fruit d'un long apprentissage, celui de l'intérêt général, de la tolérance, de l'acceptation des différences. C'est le seul moyen d'être libre et le remède le plus honnête que l'on puisse opposer aux maux de la société. La démocratie exige le rejet de la solution trop facile, de la loi du plus fort et du recours à la violence. Elle dépasse les divisions et les haines. Elle désarme la peur.

La démocratie, c'est un Etat respectueux de chacun, juste, équitable, désintéressé, capable de susciter l'adhésion, de mobiliser les énergies.

C'est l'acceptation de règles transparentes et rigoureuses d'administration et de gestion, en un mot la "bonne gouvernance". Nous en parlerons au Sommet qui nous réunira, en décembre prochain, à Ouagadougou.

La démocratie, ce sont enfin des nations solidaires, qui s'épaulent les unes les autres et construisent la paix.

Dans cette marche vers la démocratie, l'Afrique dispose d'atouts qui lui sont propres. Je pense en particulier à cette belle tradition du dialogue et du débat dont votre continent reste si fortement imprégné. Je pense à ce désir profond de "politique consensuelle", appliqué du nord au sud, et qui réconcilie la légitimité et votre sens de la fraternité.

Je salue les Africains qui font mentir les vieux clichés : l'Afrique violente, l'Afrique des féodalités et des prébendes, l'Afrique des fractures ethniques. Je les appelle à se rassembler parce que le consensus fait partie du génie africain et parce que telle est leur vocation. Je les invite à faire grandir, dans leur pays et dans leur coeur, cette démocratie vivante, consentie, aux couleurs de l'Afrique. Parce que c'est leur avenir. Parce que l'Afrique a besoin de la démocratie. Parce que le monde a besoin d'une Afrique démocratique.

Déjà, ceux qui connaissent votre continent ressentent ce frémissement qui le parcourt. Par une multitude de signes et d'attitudes, une aspiration profonde à l'Etat de droit se fait jour en Afrique. Une nouvelle culture, qui rejette l'arbitraire, émerge à son rythme, celui des grands mouvements de fond.

Ainsi, l'Afrique du Sud, longtemps au ban du continent et de l'humanité tout entière, trouve sa voie et trace son chemin.

Les grandes libertés, de pensée, de croyance, d'expression, qui sont la condition même du plein exercice de la citoyenneté, s'installent dans le continent africain. Des cours constitutionnelles, garantes suprêmes d'une vie démocratique authentique, s'imposent par leur sagesse et leur fermeté.

Les processus électoraux se généralisent, pas toujours parfaits, certes, mais quelle nation dans le monde pourrait prétendre avoir atteint la perfection dans la démocratie ?

L'élection tend désormais à devenir un mode normal de dévolution du pouvoir en Afrique. A l'exemple des premières démocraties africaines, comme le Sénégal et d'autres, de nombreux pays renouent avec les urnes.

Je salue l'alternance dans la sérénité et l'attitude de ceux qui, prenant acte du verdict des urnes, ont su se retirer dans la paix et dans la dignité. Ceux-là ont fait accomplir à leur peuple un pas décisif vers les valeurs républicaines. Je salue les vainqueurs qui ont su garder, ouverte, la porte du dialogue et qui ont su accueillir les perdants.




Oui, l'Afrique se trouve, à son tour, engagée dans ce vaste processus de démocratisation que connaissent aujourd'hui de nombreuses parties du monde, désormais libérées des pesanteurs et affrontements idéologiques d'hier.

Nous, Français, devons naturellement aider l'Afrique sur ce chemin difficile.

Je crois au dialogue entre les nations et entre les peuples. Je crois aux vertus de l'échange pour faire avancer les principes qui nous tiennent à coeur.

Depuis longtemps, la France est présente à vos côtés et maintient dans le continent africain une puissante tradition de coopération scientifique, culturelle, pédagogique et technique. Cet effort, la France entend le soutenir.

Elle n'aura de cesse d'appeler, comme elle vient de le faire devant le Groupe des 7 Nations les plus industrialisées du monde à Lyon, les grandes puissances industrielles, qui sont aussi de grandes nations démocratiques, de ne pas baisser les bras, de garder confiance et d'augmenter leur aide à l'Afrique. Parce qu'il y va de l'avenir du monde, parce qu'il y va aussi d'un certain sens de la morale et de notre honneur d'humanistes.

J'en appelle aussi à la famille francophone.

Ici, à Brazzaville, nous avons la chance de parler le français, cette langue de la liberté qui dépasse chacun de nos pays. Avec la France, c'est le mouvement francophone tout entier qui doit s'impliquer dans l'édification de la démocratie. Des instruments existent pour cela, que ce soit l'Agence de coopération culturelle et technique et les autres opérateurs, l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française ou l'Association internationale des maires francophones. C'est tout ce réseau qui doit aujourd'hui, solidairement, contribuer à promouvoir, élargir et consolider les valeurs de la République. Encore une fois, il ne s'agit pas d'imposer un modèle, mais de progresser ensemble, chacun dans sa diversité.

Si, dans cette perspective, il est nécessaire de disposer d'éléments nouveaux, je propose qu'un Observatoire de la démocratie soit créé, s'appuyant, par exemple, sur notre grande famille francophone. Outil d'analyse et de proposition, il formerait aussi cadres et dirigeants. Car pour conduire un pays moderne, pour assurer son équilibre et sa stabilité, il faut connaître, il faut respecter les droits de l'Homme autant que les lois de l'économie.




Oui, au-delà des erreurs, des échecs et des drames, j'affirme, devant vous, ma confiance en l'avenir démocratique de votre continent.

Oui, une aspiration profonde à la paix, à la liberté, au débat se fait jour ici, en Afrique. Cette aspiration, la France dont c'est la vocation et qui sait que l'avenir de votre continent en dépend, la France la soutient résolument.

L'Afrique politique de demain, celle que j'entrevois, c'est une Afrique qui, par son génie, en s'appuyant sur ses expériences, sur son histoire, sur ses valeurs de civilisation, écoutant son aspiration sincère, aura su inventer son propre modèle.

Il faut en finir avec les coups, de force ou d'Etat, les putschs, les juntes, les pronunciamentos et toutes les manifestations de transition violentes. Ces événements d'un autre âge sont, pour chacun de nous, une véritable humiliation. Pour les peuples, ils sont un retour en arrière. Pour le monde, ils sont une déception et l'alibi trop commode du désengagement.

L'Afrique de demain, c'est un continent stable qui, avançant à son rythme, lequel s'accélère aujourd'hui, mais avec détermination, sur les chemins de l'Etat de droit, aura su gagner la complète confiance de la Communauté internationale comme de ses peuples. C'est un réseau de nations en paix et solidaires, ayant su développer des coopérations régionales et participant pleinement aux affaires du monde.

Cette vision de l'Afrique prend corps actuellement sous nos yeux. Le soutien de la France, son appui sans réserve aux réformes que les Africains ont le courage et la volonté d'entreprendre, sa voix lorsqu'il faut plaider sur la scène internationale, sont acquis. C'est ce message de fidélité, de confiance, d'affection et d'espoir que je souhaitais vous porter au nom de la France ici à Brazzaville.





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