Discours du Président de la Républiqueà l'Université de Makusu à Franceville, Gabon.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'Université de Makusu.1

Franceville, Gabon , le mercredi 17 juillet 1996

Monsieur le Président de la République du Gabon, mon cher Omar,

Monsieur le Premier Ministre,

Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement du Gabon et de la France,

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi d'abord d'avoir un salut amical pour l'ensemble de la communauté universitaire, enseignants et administratifs, chercheurs et scientifiques et aussi une pensée cordiale d'estime et d'encouragement à tous les étudiants qui sont sortis de cette université, à celles et à ceux qui y travaillent et à ceux qui les suivront.

Cher Président, il y a près de 10 ans, vous inauguriez le prestigieux établissement où nous sommes.

Premier Ministre, je représentais la France à cette inauguration et il s'agissait de la mise en oeuvre de deux projets, l'université et le chemin de fer pour lesquels, je puis en porter témoignage, vous vous étiez battus avec un extraordinaire acharnement dans le scepticisme, pour ne pas dire l'indifférence générale, pendant bien des années.

Je me souviens de ces explications passionnées que vous donniez à l'époque pour justifier la mise en oeuvre de ces deux projets du chemin de fer et de l'université et votre don de conviction ici, comme partout au Gabon, a fini par entraîner celles et ceux qui pouvaient avoir une responsabilité dans la mise en oeuvre de ces projets. Ils ont été réalisés pour le plus grand bien de cette région et de votre pays.

L'Université de Masuku est aujourd'hui un témoignage, certes de votre volonté, mais aussi des progrès et des succès du Gabon, et au-delà c'est un témoignage de ce qu'il est possible d'entreprendre et de réussir, pour peu qu'on le veuille, sur la terre d'Afrique. L'Afrique qui, peu à peu, offre au monde une autre image d'elle-même et lui donne de puissantes raisons de croire en son avenir.

L'Afrique qui s'engage sur la voie des réformes. Mais l'Afrique qui doit aussi poursuivre sur le chemin courageux et difficile qu'elle a emprunté. Un chemin qui requiert, à juste titre, la solidarité de la communauté internationale.

Oui, j'affirme ici, au Gabon, ma confiance en l'Afrique, en ses chances, en ses progrès.

Pour la première fois depuis longtemps, l'Afrique a connu, ces deux dernières années, une croissance de l'ordre de 5

% et le FMI affirme que cette croissance doit se poursuivre.

J'ajoute, reprenant les informations que M. Michel CAMDESSUS, Directeur Général du Fonds Monétaire International, nous donnait, il y a quelques jours, à Lyon à l'occasion de la réunion du G7, j'ajoute que cette croissance concerne un nombre de plus en plus important de pays africains.

En 1991, 20 pays seulement en Afrique avaient une croissance positive par tête d'habitant. Aujourd'hui, ils sont 40. Il faut y voir le résultat de la volonté des dirigeants et de la réussite des programmes d'ajustement structurel qui caractérisent l'action menée partout aujourd'hui dans le monde.

Les pays africains ont accepté avec courage des efforts difficiles pour rétablir la stabilité financière par la réduction des déficits publics et la discipline monétaire ; ils ont accepté des parités de change réalistes ; ils ont accepté un effort de libération des prix et de promotion de l'épargne intérieure ; ils ont accepté une ouverture commerciale progressive, mais résolue ; ils ont accepté enfin la libération des capacités productives par des réformes structurelles dans les domaines clés du marché du travail, du système financier, de l'agriculture, des entreprises publiques.

Oui, l'Afrique sera demain au rendez-vous de la mondialisation pour peu qu'elle poursuive sur sa voie et que la solidarité internationale s'exprime comme elle le doit.

Cette marche en avant, la France la mesure et la soutient.

C'est aussi ce message de volonté, de courage, de fidélité que je suis venu vous porter aujourd'hui.




Longtemps, l'Histoire, ses fractures, ses drames auront pesé lourdement sur le destin de l'Afrique.

Votre continent -cette "côte occidentale" de l'Afrique où tant d'hommes et de femmes furent embarqués dans un terrible voyage sans retour- aura vu se perpétrer, quatre siècles durant, l'une des plus effroyables tragédies de tous les temps. Cette saignée démographique, l'Afrique en est encore blessée.

D'autres handicaps, d'autres drames, d'autres échecs devaient s'y ajouter. L'économie de rente, les tâtonnements et les erreurs de jeunesse de nations en formation, l'instabilité politique longtemps nourrie par l'affrontement Est-Ouest, le recours aux solutions faciles -l'endettement, le déficit, une administration pléthorique-, tout cela aggravait encore les difficultés de l'Afrique.

Enfin, le continent subissait de plein fouet la détérioration sans précédent des termes de l'échange.

Bref, la fatalité s'acharnait. Il semblait à beaucoup que l'Afrique ne dût jamais sortir de ses difficultés et du marasme. Mais quand beaucoup s'en détournaient, les Africains, eux, dans leur immense majorité, choisissaient de se réformer. Et leurs amis gardaient espoir.

Je salue ces dirigeants courageux, au premier rang desquels mon ami le Président Omar Bongo, qui ont su rompre le cycle infernal dans lequel l'Afrique se trouvait enfermée.

Ils ont engagé d'ambitieux et rigoureux programmes économiques et financiers. Ils rétablissent les équilibres fondamentaux, rendent sa santé financière à l'Etat, libèrent l'initiative privée, assainissent et privatisent un secteur public hypertrophié et souvent lourdement déficitaire.

Parce que la confiance et le progrès viennent aussi de la stabilité, de nombreux Etats s'engagent aujourd'hui dans la voie du rapprochement et de l'intégration régionale.

Trop souvent, l'Afrique, ce furent, aux yeux du monde, ces images répétées de destructions, de violence, de détresse humaine. Trop souvent, le continent fut le théâtre de rivalités ethniques exacerbées, de différends frontaliers, de situations où les pays s'abîment dans des désordres cruels, inutiles et sans fin. Aujourd'hui, la stabilité et la sécurité sont au coeur de vos préoccupations.

Plus de stabilité, c'est l'instauration de mécanismes de diplomatie préventive. C'est aussi la recherche d'une solidarité continentale, c'est ce mouvement d'intégration régionale qui se dessine, notamment en Afrique francophone.

Les solidarités, nées de l'union monétaire réalisée voici 50 ans, sont une base solide pour avancer vers l'union économique. Déjà, les pays de l'Afrique de l'Ouest lui ont donné un cadre institutionnel. A son tour, l'Afrique Centrale y travaille, notamment sous l'impulsion du Président Bongo. Elle a raison. L'intégration régionale est une chance pour l'Afrique, comme elle l'a été pour l'Europe et comme elle est en train de le devenir pour l'Asie ou pour l'Amérique Latine.

Aujourd'hui, ces efforts portent leurs fruits. Voilà qu'une évolution se dessine qui permet l'espoir et encourage à poursuivre dans cette voie prometteuse.

Malgré une forte augmentation démographique, le niveau de vie par habitant s'élève après dix années de régression.

Ces performances, nous devons leur donner l'écho qu'elles méritent ; effacer cette "décennie perdue" que l'on s'est plu à évoquer à propos de l'Afrique et pour nourrir l'afro pessimisme ; lui rendre confiance au moment où le continent doit, comme les autres, relever un nouveau défi : celui de la mondialisation.




La fin de la guerre froide, les révolutions de la communication, l'accroissement des échanges, l'unification des marchés de capitaux, les vertus universellement reconnues à l'initiative privée ont bouleversé l'économie mondiale en quelques années.

Ces grands mouvements, les progrès économiques et humains qu'ils entraînent, cette promesse de développement, l'Afrique doit en prendre toute sa part et elle le peut.

Votre continent n'est pas sans atouts.

Riche, l'Afrique l'est d'abord de ses formidables ressources naturelles, énergétiques, minières, agricoles, nous en avions ce matin le témoignage. Demain encore, le monde qui se dessine puisera aux sources de la terre africaine comme l'a si souvent et à juste titre souligné le Président Houphouët-Boigny.

Riche, l'Afrique l'est aussi de ses hommes. Un peu partout, et comment ne pas le souligner ici dans cette Université, une jeunesse mieux formée, ouverte à la modernité mais attachée à ses racines, prend la relève de l'assistance technique étrangère.

Riche, l'Afrique l'est enfin de sa tradition de solidarité. La mondialisation est certes porteuse de progrès mais elle impose aussi de brusques et dangereux changements. La solidarité communautaire peut, plus sûrement qu'ailleurs, en atténuer ici les effets douloureux.

Enfin, l'Afrique n'est pas seule.

La France, notamment, se tient à ses côtés. La France, fidèle dans sa coopération publique et qui ne cesse d'appeler l'Union Européenne et la Communauté Internationale à soutenir et à développer leurs efforts en faveur de l'Afrique. La France qui entend y renforcer aussi la présence de ses entreprises et de ses investisseurs.




Au moment où l'Afrique donne de réels signes de progrès et manifeste, par ses réformes, sa volonté d'avancer, il est du devoir des pays développés de l'accompagner dans cette voie difficile.

Nous en avons l'obligation morale au nom des principes que nous revendiquons de l'humanisme dont nous sommes porteurs. Nos nations industrialisées, qui sont aussi des démocraties, fortes de cet idéal, peuvent-elles rester indifférentes à cette misère que connaît encore l'Afrique ? Aujourd'hui, plus de 200 millions d'Africains -un africain sur trois- vivent avec moins de 100 francs CFA par jour.

Cet enjeu moral est aussi un enjeu politique. Si cette situation devait perdurer, elle ne serait pas sans conséquences sur les grands équilibres mondiaux et notamment l'immigration.

Au mondialisme économique doit répondre aujourd'hui le mondialisme du développement. Oui, plus que jamais, l'aide publique au développement est nécessaire à l'Afrique. A sa stabilité, à sa sécurité, à sa croissance, en élargissant les espaces d'échanges et en évitant de laisser des pays en marge.

Le procès fait parfois à l'aide au développement, à sa complexité, à sa lourdeur, procès au demeurant réel, même s'il est souvent argumenté par ceux qui n'ont qu'une idée, c'est de se désengager. Ce procès ne doit pas masquer les réussites dont l'aide au développement peut se prévaloir : progression de l'espérance de vie, alphabétisation, croissance, partout au monde, des pays qui ont bénéficié massivement du concours des institutions financières internationales.

La France n'a cessé de multiplier les initiatives pour relancer l'aide au développement. Elle a plaidé, et elle a gagné, pour le VIIIème Fonds Européen, à Cannes il y a moins d'un an, pour la XIème reconstitution de l'Association Internationale d'Aide, pour le Fonds Africain de la Banque Africaine de Développement, pour la poursuite des Facilités d'Ajustement Structurel Renforcées du Fonds Monétaire International qui avaient été, je le rappelle, créées au Sommet de Venise à l'initiative de la France.

Tout récemment, au Sommet de Lyon, la France appelait les pays les plus industrialisés à augmenter leur aide à l'Afrique. Elle obtenait non sans un certain mal du G 7 qu'il définisse un nouveau partenariat global entre pays en développement, pays développés et institutions multilatérales. Elle prônait avec succès de nouveaux progrès dans le traitement de la dette.

Nous y avons préconisé une réorientation de l'aide en direction des pays les plus pauvres, vers des secteurs qui, par nature, n'attirent pas les flux financiers privés. Enfin nous y avons appelé les pays nouvellement industrialisés, ceux dont la richesse s'affirme, à nous rejoindre dans cet effort, un certain nombre a déjà accepté.

En contrepartie, nous attendons, bien sûr, des pays bénéficiaires qu'ils poursuivent dans la voie des ajustements structurels, comme nous le faisons en Europe, touchée par la crise, de la réforme de l'Etat, de la transparence et de l'équité. Ainsi, l'aide au développement peut s'inscrire dans un programme d'ensemble, avec le concours du Fonds Monétaire International. C'est ainsi que les pays inspirent la confiance sans laquelle il n'y a pas de développement durable.

Avocat de l'Afrique partout où se décide son avenir, la France entend, malgré ses contraintes budgétaires, maintenir son aide publique à un niveau qui la classe désormais, en valeur absolue, au 2ème rang mondial, derrière le Japon et avant l'Allemagne et les Etats-Unis.

La fidélité, la modernité, l'efficacité en commandent la répartition.

C'est tout naturellement vers les pays auxquels nous lie une longue histoire commune que se dirige la plus grande partie de notre aide.

Nous en avons réorganisé, réorienté, élargi le dispositif.

Réorganisé, par la création du Comité interministériel d'aide au développement, par une répartition clarifiée des compétences entre le Ministère de la Coopération et la Caisse française de Développement.

Réorienté, en donnant la priorité à "l'aide projet" sur l'aide budgétaire, en faisant de l'appui au secteur privé un élément privilégié de notre aide publique.

Elargi, par la mise en place des moyens permettant de mieux répondre aux besoins d'information et de financement des entreprises, que ce soit sous forme d'apports de fonds propres, de garanties ou de financements à long terme.

Mais notre partenariat ne se limite pas à l'aide publique. Le développement emprunte aussi les voies du commerce. La France, là encore, affiche ses ambitions.

Quatrième puissance industrielle du monde, elle possède les hommes, les produits, les technologies de la mondialisation. Je l'ai dit à Washington, je l'ai dit à Singapour, je l'ai dit au Caire, la France entend renforcer sa présence sur le continent américain, en Asie, au Proche-Orient et dans le monde arabe. Pour autant, la France ne se désengage pas de l'Afrique. Bien au contraire, c'est pour elle une priorité.

La France va multiplier ses échanges commerciaux avec l'Afrique.

Aujourd'hui, comme nous les y encourageons, nos entreprises se tournent davantage vers votre marché. Elles l'abordent dans un esprit de concurrence, et non dans un esprit de fournisseurs frileux cherchant à oeuvrer en champ clos, comme ce fut trop souvent le cas. En sens inverse, nous relevons avec satisfaction les progrès des exportations africaines vers l'Union Européenne, partenaire essentiel de l'Afrique. C'est un succès pour la convention de Lomé que la France continue de soutenir activement dans les négociations internationales.

Les investisseurs français, aussi, font le choix de l'Afrique de plus en plus. Nous les y incitons et nous les appuyons. L'Afrique, j'en suis sûr, saura gagner leur confiance.

Cette confiance, elle se gagne par la stabilité politique, par la clarté des règles, par la transparence de l'administration, par l'équité fiscale. Elle se maintient par le fonctionnement régulier du système judiciaire, le respect des engagements, le paiement à bonne date des dettes publiques et privées. Elle se confirme avec les perspectives de profits qui sont le ressort de l'investissement privé.

Cette confiance, sous l'impulsion du Président Omar Bongo, le Gabon a su l'inspirer et c'est l'une des raisons des progrès spectaculaires en Afrique qui le caractérise. De nombreuses sociétés françaises sont établies ici, associées à des intérêts gabonais, dans un partenariat fécond. Nos investisseurs sont présents dans les principaux secteurs économiques. Et nos entreprises connaissent le succès.

Oui, la France affirme son engagement en Afrique. Oui, elle entend soutenir son aide au développement, continuer d'appeler la Communauté Internationale à s'y engager, et à lutter contre son égoïsme ou son égocentrisme, convaincre nos investisseurs de s'y déployer. Je fais confiance aux Etats africains pour offrir l'indispensable cadre de droit sans lequel il n'y a pas de confiance et donc pas de développement durable.




Monsieur le Président, mon cher Omar, Mesdames et Messieurs, Mes Chers Amis, l'Afrique connaît d'importantes évolutions dans un monde qui change vite. Son intégration dans l'économie mondiale est à portée de main. Elle en manifeste la volonté. Elle le confirme par ses réformes.

Le monde développé doit répondre à ses attentes en l'aidant et en lui ouvrant ses marchés. C'est son devoir et c'est notre intérêt commun. Ne laissons pas se construire un monde sans l'Afrique. La France, pour sa part, entend le préparer avec elle. Il me plaît de le réaffirmer, avec estime et amitié ici, à Franceville, au coeur du Gabon.





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