Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la présentation des voeux au Corps diplomatique.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la présentation des voeux au Corps diplomatique.

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Palais de l'Elysée, le jeudi 4 Janvier 1996

Monsieur le Nonce,

Monsieur le Premier Ministre,

Madame et Messieurs les Ministres

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames, Messieurs,

Monseigneur,

C'est à vous que je m'adresserai d'abord, comme doyen, mais aussi parce que j'ai été sensible aux paroles que vous venez de prononcer.

La tradition qui vous confie la responsabilité d'être le porte-parole du Corps diplomatique, en France, traduit les relations particulières qui unissent l'Eglise catholique et la France. C'est aussi un hommage rendu au rôle, à l'oeuvre et au message de l'Eglise.

Je vous adresse tous mes voeux, pour vous-même, pour la mission qui est la vôtre. Je vous prie de transmettre à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, qui me fera l'honneur de me recevoir en visite d'Etat dans quelques jours, les sentiments déférents et affectueux du peuple français.

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Je suis heureux de vous accueillir ce soir. Vous avez la responsabilité de représenter en France vos pays et c'est à chacun de vos peuples que je voudrais d'abord adresser mes voeux les plus chaleureux.

Je les forme aussi pour vos chefs d'Etat et de gouvernement, avec lesquels j'entretiens souvent des relations amicales. Je les forme enfin pour vous-mêmes, pour vos proches et pour le succès de votre haute mission dans notre pays.

Je souhaite que vous puissiez expliquer chez vous la France, ce pays singulier qui veut rester au premier rang du combat pour la paix, pour la tolérance et pour la lutte contre la pauvreté.

Aujourd'hui, vous savez que la France doit faire un effort pour remettre de l'ordre dans ses affaires et dans ses finances. Mon objectif est de rendre à mon pays une cohésion sociale sans laquelle il ne pourrait prétendre ni au progrès, ni à la justice, ni à la grandeur.


Avant d'être à nouveau emportés par le tourbillon des jours, je vous propose de nous arrêter quelques instants sur l'année 1995. Cette année fut marquée par de nombreux cinquantenaires : la fin de la Seconde Guerre mondiale, la création de l'Organisation des Nations Unies, celle de l'UNESCO. Elle a aussi démontré que la volonté politique et la défense acharnée de nos valeurs pouvaient infléchir le cours de l'histoire.

Nous avons signé à Paris, le 14 décembre, les accords qui mettent fin à quatre années de guerre dans l'ancienne Yougoslavie. Certes, le silence des armes n'est pas encore la paix, celle qu'il reste à construire dans les esprits et dans les coeurs, comme l'évoquait Monsieur le Nonce, tout à l'heure. La France qui a beaucoup agi - notamment sous l'impulsion décisive de l'ancien ministre des Affaires étrangères, qui est aujourd'hui notre Premier ministre -, a versé un lourd tribut à ce combat contre la barbarie. Aucun pays, je crois, n'a fait davantage, par son action sur le terrain, par son aide humanitaire, par ses initiatives diplomatiques, pour restaurer la paix. Aux côtés de nombreux Etats, la France restera un artisan déterminé de la construction d'une paix conforme à nos valeurs et à l'idée que nous nous faisons de l'Europe.

La paix en Europe, c'est aussi la construction européenne. Dans ce domaine, l'année 1995 a été marquée p ar de nombreux progrès.

Le Conseil européen de Madrid vient d'adopter le scénario pour l'introduction de la monnaie unique. La France a confirmé son engagement dans l'Union économique et monétaire, qui permettra de créer un pôle de stabilité, première étape de la reconstruction d'un véritable système monétaire international, que nous souhaitons, vous le savez depuis longtemps. Ce grand projet européen nous permettra aussi de retrouver le chemin d'une croissance durable et donc de la création d'emplois.

L'Union européenne a également engagé la réforme de ses institutions avec la préparation de la Conférence intergouvernementale. C'est une réforme nécessaire pour que l'Union puisse s'élargir à nos voisins et amis d'Europe centrale et orientale, qui aspirent à rejoindre l'Union et qui ont vocation à le faire. La Conférence sur la stabilité, dont l'heureuse conclusion a eu lieu à Paris en mars dernier, a contribué à accroître la sécurité de cette région et à aplanir les contentieux légués par l'histoire.

Mais je souhaite également saluer les progrès accomplis dans les relations avec deux grands partenaires, pour l'Europe et pour l'Union. Il s'agit de la Russie, avec laquelle l'Union a signé en juillet un accord intérimaire. Nous avons à coeur d'associer à notre démarche ce très grand peuple ami et de le conforter ainsi dans la voie de la démocratie et du progrès économique.

Il s'agit aussi de la Turquie, avec laquelle nous avons conclu un accord d'Union douanière. Ce texte, de portée historique, est entré en vigueur le 1er janvier, à la suite du vote favorable du Parlement européen.

La sécurité de l'Europe exige une rénovation de l'Alliance atlantique, afin de l'adapter à ses nouvelles missions et de créer en son sein un véritable pilier européen de défense.

La France a proposé, lors de la dernière session ministérielle du Conseil atlantique, une démarche ambitieuse en ce sens. Elle a annoncé plusieurs mesures qui lui permettront de participer pleinement à cette réforme de l'OTAN.

Cette initiative est inséparable des efforts de la France pour renforcer l'UEO et en faire à la fois le pilier européen de l'Alliance atlantique et la composante de défense de l'Union européenne. La Conférence intergouvernementale doit marquer une étape importante dans cette direction.

Ainsi, la stabilité de l'Europe reposera-t-elle sur trois fondements solides : l'Union européenne, ses alliés de l'Amérique du Nord, ses partenaires de la Russie et de la Communauté des Etats indépendants.

Mais la paix en Europe ne saurait se concevoir en dehors d'une Méditerranée réconciliée. Existe-t-il plus riche creuset de civilisations aussi anciennes, aussi diverses, aussi décisives, pour la formation et la culture de l'homme ? Quoi qu'en pense une minorité de fanatiques, la vocation historique de la Méditerranée c'est l'échange dans le respect de l'autre. Le destin d'Itzhak RABIN, dont je tiens à saluer, aujourd'hui la mémoire, aura été accompli si tous les pays du Proche-Orient parachèvent l'oeuvre qu'il a entreprise avec Yasser Arafat et le roi Hussein de Jordanie. Je suis convaincu qu'un accord de paix général et global, incluant la Syrie et le Liban, ce pays si cher au coeur des Français, est possible avant l'été. Tous nos efforts doivent désormais tendre vers ce but.

De même, l'élection présidentielle en Algérie a montré le formidable désir de paix, de réconciliation et de démocratie du peuple algérien, qui aspire à la stabilité et au développement. La France sera de coeur avec tous ceux qui travailleront en ce sens.

L'instauration d'un pacte de stabilité pour l'ensemble du bassin méditerranéen, dont la Conférence de Barcelone a lancé le projet, doit être une grande ambition pour tous les pays concernés. Elle s'inscrit, pour la France, dans le contexte de la relance de notre politique arabe que je compte accentuer fortement au cours des prochains mois.

Le destin de l'Afrique, vous l'avez évoqué Monseigneur, est également inséparable du nôtre. Ce continent constitue, pour la France, un espace de solidarité. Je combats avec énergie l'afro-pessimisme. Je suis frappé par l'ampleur du mouvement qui pousse les Etats et les sociétés du monde africain vers l'économie de marché et la démocratie. Le rythme est certes inégal. Il est hélas entrecoupé de rechutes qui peuvent être tragiques. Mais la marche en avant est évidente pour quiconque connaît l'Afrique, pas seulement à travers les statistiques, mais aussi avec son coeur. Nous devons faire confiance à ce continent. Nous devons le respecter et l'aider. Nous devons l'aimer.

Pour éviter de nouveaux drames comme celui du Rwanda, nous soutiendrons les efforts des Africains eux-mêmes au sein de l'OUA. Nous encouragerons tous les mécanismes de regroupement et d'intégration régionale. Nous consoliderons les efforts de diplomatie préventive. Nous nous appuierons aussi sur la famille francophone.

La francophonie, au Sommet de Cotonou, vient de réaffirmer, au-delà de sa vitalité culturelle, une forte dimension politique. Présente sur les cinq continents, la francophonie doit être un véritable espace de solidarité entre le Nord et le Sud, au service du développement et, pourquoi pas, au service du règlement des conflits.

Cette évolution de la francophonie s'inscrit en parfaite harmonie avec les objectifs des Nations Unies. A un moment où l'ONU est confrontée à de graves difficultés financières, je voudrais rappeler qu'en 1995, c'est grâce à ses efforts que, du Salvador à l'Angola, du Mozambique à Haïti, la paix et la démocratie ont avancé. Ces résultats auraient été impossibles sans l'Organisation des Nations Unies. Ils témoignent de son caractère irremplaçable. Ils montrent qu'il n'y a pas de faiblesse intrinsèque de l'ONU. L'organisation réussit lorsque les nations qui la composent lui donnent un mandat clair et des moyens adaptés.


Notre combat pour la paix exige, pour cette année nouvelle, de poursuivre ensemble nos efforts. En concertation avec vos pays, la France développera son action pour trouver des solutions aux problèmes de notre temps.

Au-delà de la restauration de la paix en ex-Yougoslavie, notre objectif sera d'abord de concrétiser les progrès de l'Europe. Nous avons fixé nos objectifs pour la conférence intergouvernementale : affermir la politique étrangère et de sécurité commune, faire de l'Union un grand espace de sécurité pour ses citoyens, la doter d'institutions plus efficaces et surtout plus démocratiques. Dans cette Union élargie, il faut aussi que les Etats qui en ont la volonté et la capacité puissent développer entre eux des coopérations renforcées, agréées dans un cadre européen et naturellement ouvertes à tous.

Tel est le sens des propositions qu'Helmut KOHL et moi-même avons présentées à nos partenaires. Cette démarche commune illustre la vitalité de la coopération franco-allemande, au service de la construction européenne.

Mais l'Europe ne peut se limiter à un projet monétaire et à une réforme institutionnelle. L'Union doit trouver des réponses aux attentes de ses peuples.

Elle doit apporter des solutions aux préoccupations quotidiennes des citoyens. Elle doit faire plus pour l'emploi. Elle doit replacer l'homme au coeur de ses réflexions et de ses ambitions.

Notre combat pour la paix sera marqué, en 1996, par de nouveaux progrès dans les négociations de désarmement et dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. La France entend rester à la pointe des efforts de la communauté internationale dans ces domaines. Je pense notamment à la mise en oeuvre de la Convention d'interdiction des armes chimiques, à la vérification de la Convention d'interdiction des armes biologiques ou à la lutte contre ce véritable fléau que constitue la dissémination des mines antipersonnel. La France a décidé un moratoire sur la production des mines antipersonnel qui font chaque année des dizaines de milliers de victimes parmi les populations civiles et souvent les enfants.

Je souhaite que cette initiative ait valeur d'encouragement pour de nombreux pays.

La France achèvera l'ultime campagne de ses essais nucléaires avant la fin du mois de février et je tiens à remercier tout particulièrement les pays qui ont compris le sens de notre action. La première, la France a proposé que le traité d'interdiction complète des essais repose sur " l'option zéro", c'est-à-dire l'interdiction de tout essai ou de toute autre explosion nucléaire, quel qu'en soit le niveau. Cette initiative de la France, suivie par d'autres pays, a donné une nouvelle impulsion aux négociations qui sont en cours à Genève et doivent se conclure à l'automne prochain au plus tard.

L'engagement de la France de signer, avant la fin du premier semestre, les protocoles du traité de Rarotonga établissant une zone libre d'armes nucléaires dans le Pacifique Sud, s'inscrit dans la même perspective.

La France veillera enfin à la mise en oeuvre intégrale des décisions adoptées à l'unanimité par la Conférence d'examen et de prorogation du TNP.

Cette année 1996 comportera de grands rendez-vous internationaux. Le premier Sommet entre l'Europe et l'Asie se tiendra à Bangkok début mars. Il permettra une réflexion approfondie sur l'avenir des relations entre nos deux continents. Il me donnera l'occasion de réaffirmer notre volonté d'avoir une grande politique asiatique. Dans le monde multipolaire qui se met progressivement en place, nous devons avoir conscience de l'importance de ces très grands partenaires que sont la Chine, le Japon, l'Inde, le Vietnam, mais également cette Asie du Sud-Est où la France peut et doit affirmer sa présence.

Une même volonté de relance doit marquer les rapports de la France avec une Amérique latine définitivement installée dans la démocratie et le développement. J'ai déjà rencontré nombre de mes homologues de ce continent et j'aurai le plaisir de recevoir à Paris plusieurs de ses dirigeants au cours des prochains mois. Au-delà de ces rencontres, c'est à une véritable mobilisation que j'appelle tous les acteurs de notre économie comme de notre monde culturel, afin que la France retrouve sa place dans ce continent latino-américain où les sympathies dont elle dispose sont considérables.

1996 verra la France appeler à nouveau l'attention du monde sur la priorité que doit constituer l'aide au développement. Nous devons lutter contre la tentation égoïste du désengagement qui traverse les sociétés occidentales. Il nous faut définir une démarche imaginative et ambitieuse afin de maintenir les flux de notre aide, de la concentrer sur les pays qui en ont le plus besoin et de la rendre plus efficace, notamment par une meilleure articulation entre les aides bilatérales et les aides multilatérales. Ces thèmes, parce que je l'ai voulu, seront au coeur du Sommet des pays industrialisés de Lyon, en juin prochain. Le maintien et le développement de ce type d'aide est une exigence à la fois morale et politique des difficultés auxquelles les grands pays industrialisés sont confrontés, ne doit en aucun cas les exonérer de leurs responsabilités internationales.

Enfin, nos pays devront ensemble se mobiliser pour s'attaquer aux grands fléaux de notre temps : je pense à la lutte contre la criminalité transnationale organisée et notamment le développement de la production et du commerce de la drogue, qui se développent en raison notamment du laxisme, de la faiblesse de certains.

Je pense aux problèmes qui se sont aggravés comme les mouvements des populations, je pense aux menaces contre notre environnement, je pense à la progression des grandes endémies.

Face à ces défis, c'est à un effort de solidarité que la France, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, appelle tous vos pays. Et c'est sur ce mot de solidarité que je souhaite conclure mon propos, en renouvelant les voeux très chaleureux que je forme à l'intention de chacun de vos peuples, de chacun de vos dirigeants, de chacune et de chacun d'entre vous.

Bonne année 1996.





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