Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le Congrès des Etats-Unis.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le Congrès des Etats-Unis d'Amérique à Washington.

Imprimer


Washington, (Etats-Unis) jeudi 1er février 1996

Monsieur le Speaker, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Membres du Congrès,

"Dans l'Amérique, j'ai vu plus que l'Amérique ; j'ai cherché une image de la démocratie elle-même".

Ainsi s'exprimait Alexis de Tocqueville, l'un de nos plus grands penseurs.

C'est parce que vous incarnez aux yeux du monde, depuis plus de deux siècles, une exigence, un symbole, que je suis heureux et fier de saluer aujourd'hui votre Assemblée. C'est sous le signe de la fidélité et de l'amitié qu'est placée ma visite aux Etats-Unis.

Une amitié personnelle, née à la Libération, quand, à douze ans, j'ai vu débarquer les troupes américaines en Provence. Une amitié confortée ensuite par les séjours que j'ai faits dans votre pays en tant qu'étudiant mais aussi en tant que chauffeur ou serveur de restaurant. Une amitié sincère et vraie, qui s'est renforcée à chacune de mes nombreuses visites. Mais surtout, c'est de l'amitié entre nos deux peuples que je veux aujourd'hui témoigner. Nous avons tous appris, dans nos livres d'histoire, combien la France avait aidé votre pays à s'ériger en une nation libre, souveraine et indépendante. Et combien, en retour, vos idéaux politiques avaient inspiré notre révolution et contribué à l'établissement de notre République.

Tissée par les liens du sang, cette amitié ne s'est jamais démentie. Par deux fois dans ce siècle, lorsque l'Europe était plongée dans les ténèbres de la guerre et de la barbarie, l'Amérique s'est levée et a mis sa puissance au service de la démocratie. Vos soldats ont payé de leurs vies ou de leurs blessures ce combat contre le mal.

Certains d'entre vous appartiennent à cette génération de héros et portent dans leur chair les stigmates de ce combat. A travers eux, c'est au peuple américain tout entier que j'exprime aujourd'hui notre reconnaissance. Vos sacrifices pour la liberté et la renaissance de la France, les Français ne les oublient pas. Cette relation exceptionnelle entre les Etats-Unis et la France se fonde sur une vision commune du monde, une même foi dans la démocratie, la liberté, les Droits de l'Homme et l'Etat de droit. Bien sûr, nos intérêts ne sont pas toujours identiques. Mais la France a été dès l'origine, et restera, à égalité de droits et de devoirs, l'allié des Etats-Unis. Un allié sûr. Un allié solide. Chaque fois que l'essentiel était en cause, la France était à vos côtés. Elle l'était à Berlin, puis lors de la crise des missiles de Cuba. Elle l'était, vingt ans plus tard, lors de l'installation des euromissiles. Elle l'était lors de la guerre du Golfe. " True friendship ", disait George Washington, "is a plant of slow growth and must undergo and withstand the shocks of adversity before it is entitled to the appellation ". L'amitié qui unit nos deux peuples a passé l'épreuve avec succès.


Il y a six semaines, était signé à Paris, en présence du Président Clinton, l'accord qui doit rétablir la paix en Bosnie. Quelques jours plus tard, l'OTAN était investie de l'autorité nécessaire pour le mettre en oeuvre. Cette entreprise est l'aboutissement d'un long effort commun. En 1994, la France a proposé aux Européens, aux Etats-Unis et à la Russie de créer une structure originale, le Groupe de contact, pour élaborer un plan de paix. Pour réussir, il était d'abord indispensable de faire respecter nos soldats. Dès ma prise de fonction, j'ai donc proposé à nos partenaires britanniques de créer la " Force de réaction rapide ", et nous avons pu utiliser la force de l'OTAN de manière décisive. C'est dans ce contexte nouveau que les Etats-Unis ont pris l'heureuse initiative de Dayton. Je rends hommage à la ténacité et au talent des artisans de cet accord. Première opération militaire d'envergure de l'Alliance, notre entreprise commune en Bosnie illustre bien la nature radicalement nouvelle des missions que l'OTAN peut être appelée à remplir.

Aujourd'hui, elle donne à un pays ravagé par quatre années de guerre une chance unique de connaître enfin la paix. L'Alliance ne pouvait se dérober à cette mission. La France qui, avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, assume la charge de l'une des trois zones d'opérations, fera tout ce qui est en son pouvoir pour assurer son succès. En acceptant de mettre dans la balance tout le poids politique et militaire des Etats-Unis, le Président Clinton et votre Congrès ont manifesté ce sens des responsabilités politiques, cette exigence morale si profondément gravés dans la tradition américaine.

Cet engagement, je souhaite qu'il se prolonge par une participation durable et équilibrée à la reconstruction de cette région. Votre présence en Bosnie adresse un message clair au monde : comme hier, les Etats-Unis considèrent que l'Europe est vitale pour leur sécurité. Je salue la constance et la fermeté de cet engagement. Devant vous, je réaffirme la position de la France : l'engagement politique des Etats-Unis en Europe et leur présence militaire sur le sol européen demeurent un facteur essentiel de la stabilité et de la sécurité du continent. Notre action commune en Bosnie souligne la nécessité pour l'Alliance de s'adapter à un univers différent de celui qui l'a vue naître.

Cette réforme doit d'abord préciser les modes d'action qui lui permettront de répondre efficacement aux situations imprévisibles de l'après-Guerre Froide. Mais la réforme doit aussi permettre aux alliés européens d'assumer pleinement, en s'appuyant sur les moyens de l'OTAN, leurs responsabilités là où les Etats-Unis n'estimeront pas devoir intervenir avec leurs troupes terrestres. Il nous faut imaginer, comme le prévoyait le sommet de 1994, ce pilier européen au sein de l'Alliance qu'évoquait déjà le Président Kennedy et qui doit devenir peu à peu une réalité avec l'Union de l'Europe occidentale. La France, dans cette situation nouvelle, est prête à prendre toute sa part à cette entreprise de rénovation. Elle l'a montré en annonçant, il y a quelques semaines, son rapprochement avec les structures militaires de l'Organisation.

Je tiens à confirmer aujourd'hui l'esprit d'ouverture et de disponibilité avec lequel la France aborde cette adaptation de l'OTAN, y compris de son volet militaire, pour autant que l'identité européenne pourra s'y affirmer pleinement. Une Alliance forte exige une Europe forte, capable d'assumer une plus grande part du fardeau commun. J'appelle à un partenariat renouvelé entre l'Europe qui se construit, y compris dans le domaine de la défense, et nos alliés nord-américains. L'aboutissement de cette entreprise pourrait être l'adoption, le moment venu, d'une Charte transatlantique, qui marquerait solennellement, pour le siècle prochain, la vitalité de notre alliance. La réforme de notre Organisation facilitera son élargissement, si nous sommes capables de proposer à la Russie une relation positive avec l'OTAN, dans le cadre d'une architecture de sécurité donnant à ce grand pays la place qui lui revient en Europe. La présence de soldats russes aux côtés des Alliés en Bosnie est un premier pas prometteur dans ce sens. Bâtissons ensemble, avec imagination et détermination, l'architecture européenne et transatlantique de demain ! Ce qui est en jeu, c'est la paix et l'équilibre du monde.

Mais le champ de nos intérêts communs ne se borne pas à l'Europe. Partageant les mêmes valeurs, nous partageons une même aspiration à la paix et au progrès dans le monde. Nous sommes exposés aux mêmes menaces et aux mêmes risques. Et sur nos épaules reposent les mêmes responsabilités. Rien de ce qui affecte le " village planétaire " ne saurait nous être indifférent. Nul n'est à l'abri de ce qui se passe ailleurs, fût-ce à l'autre bout du monde.

Le virus du SIDA ou les effets d'un nouveau Tchernobyl ne demandent pas de visa pour se propager. La drogue menace les jeunes de partout. La prolifération des armes nucléaires pèse sur nos avenirs. Le problème de l'immigration clandestine se pose à tous les pays développés, et nous subissons tous les conséquences du fanatisme religieux ou de la haine ethnique qui déstabilisent des régions entières. C'est à la racine de ces maux qu'il faut s'attaquer en conjuguant nos efforts. Parmi ces périls, le plus grave reste, à mes yeux, celui du sous-développement.

Le maintien de notre aide aux pays qui en ont besoin est une exigence morale qui s'impose à tous. Il est aussi le seul moyen de désamorcer une véritable bombe à retardement qui nous menace tous. N'abandonnons pas à leur sort les pays les plus pauvres de notre planète, notamment les pays d'Afrique ! Ne les laissons pas enfermés dans le cercle vicieux de l'exclusion en laissant se tarir une aide publique qui leur est indispensable pour progresser sur la voie de la démocratie et du développement. Ne prenons pas le risque de laisser en héritage aux générations futures de nouvelles crises, de nouvelles famines, de nouvelles guerres, mais aussi une destruction irréversible de notre environnement et une immigration massive.

N'abandonnons pas les valeurs qui sont au coeur de notre civilisation. Ces risques, ce n'est pas en accumulant des armes, ce n'est pas non plus en dressant de vaines barrières que nous y répondrons. La meilleure sécurité, c'est aujourd'hui la solidarité. Et c'est parce qu'elle en est convaincue que l'Europe apporte aux pays pauvres chaque année plus de 30 milliards de dollars, trois fois plus que les Etats-Unis.

Mes Amis, dans ce domaine aussi le monde a besoin de vous. Bien sûr, votre grande nation doit faire face aux contraintes budgétaires. L'Europe aussi. La France aussi.

Mais nos difficultés ne doivent pas nous détourner de nos obligations à l'égard des pays les plus démunis. Les exigences de la morale et celles de la politique rejoignent notre intérêt commun. Des rizières du Bangladesh aux sommets de l'Altiplano, des sables du Sahel aux faubourgs de Luanda, partout des hommes et des femmes souffrent et aspirent à la prospérité et à la paix. Partout - et l'Afrique nous le prouve chaque jour - des hommes et des femmes accomplissent de vrais progrès et attendent que nous soutenions leurs efforts ; que nous les aidions à aller plus loin sur la voie du développement et de la démocratie ; que nous les aidions à consolider l'Etat de droit là où ils ont commencé à l'établir ; que nous les aidions à mener leurs difficiles mais nécessaires réformes économiques.

Partout des hommes et des femmes espèrent les progrès de l'éducation, de la science et de la médecine pour accéder enfin au mieux-vivre et au bonheur. Partout des hommes et des femmes croient en l'Amérique et en l'Europe, en leur histoire généreuse, en leur vocation humaniste. Ne les décevons pas !

Dans notre monde d'interdépendance, nous devons assumer ensemble les responsabilités particulières que nous confèrent nos positions respectives de membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, de première et quatrième puissances économiques mondiales et notre participation au G7. C'est ensemble que nous devons promouvoir le désarmement et combattre la prolifération des armes de destruction massive. La France a achevé pour toujours ses essais nucléaires, après une ultime série qui garantit la fiabilité et la sécurité de sa capacité de dissuasion. Conjuguons nos efforts pour que 1996 soit l'année de la signature du traité d'interdiction complète et définitive des essais, sur la base de cette " option zéro " que la France et les Etats-Unis ont été les premiers à proposer.

Je salue l'accord donné par votre Sénat à la ratification du traité START II. Sa mise en oeuvre par les Etats-Unis et la Russie ouvrirait également la voie à de nouveaux progrès vers le désarmement. Conjuguons nos efforts pour que 1996 soit aussi l'année de progrès décisifs vers la paix au Proche-Orient, avec la signature de traités entre Israël, la Syrie et le Liban.

Alors s'accomplira pleinement le destin d'Itzhak Rabin dont je salue la mémoire. Conjuguons, enfin, nos efforts au sein des organisations que nous avons fondées. Je pense aux Nations unies, seule organisation universelle et légitime, seul rempart contre le désordre et l'arbitraire dans les relations internationales. Aidons les à se réformer ! Ne leur refusons pas les moyens de réussir ! Je pense à l'Organisation mondiale du commerce, que nous venons de créer ensemble pour ordonner le commerce international. Sachons résister aux tentations unilatéralistes ! Je pense à l'Association internationale pour le développement de la Banque mondiale. Elle est un instrument irremplaçable pour lutter contre la faim, la misère et le sous-développement. Mais elle joue aussi un rôle crucial pour développer les marchés des pays qui en bénéficient et vers lesquels, déjà, 40 % de vos exportations se dirigent. L'AID a été créée à l'initiative du Président Eisenhower. Permettons-lui ensemble de poursuivre son action ! Je pense enfin au G7, dont la France accueillera le Sommet en juin à Lyon. Saisissons cette occasion pour mieux coordonner nos politiques économiques et financières !

Pour mener à bien les tâches qui nous incombent, les Etats-Unis trouveront de plus en plus, dans l'Union européenne, un grand partenaire. Sous l'impulsion conjointe de la France et de l'Allemagne, l'Union européenne a l'ambition de se renforcer. Elle le fera avant la fin du siècle, en se dotant d'institutions plus efficaces ; en créant une monnaie unique ; en s'élargissant aux nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale. Dans une génération, l'Union européenne sera sans doute passée de 15 à 30 pays membres. L'Europe, réconciliée dans son histoire et sa géographie autour des valeurs de la démocratie, de la justice sociale et de l'économie de marché, sera l'un des pôles les plus stables et les plus dynamiques du monde de demain.

L'Union européenne et les Etats-Unis sont déjà, l'un pour l'autre, le principal partenaire commercial, dans une relation équilibrée. Ils sont, l'un pour l'autre, le premier investisseur : trois millions d'Européens sont aujourd'hui employés par des firmes américaines et trois millions d'Américains par des sociétés européennes. L'Europe est aujourd'hui l'ensemble économique le plus ouvert de la planète. Nous sommes prêts à accroître encore la liberté des échanges, mais dans le respect de nos intérêts essentiels et dans le cadre d'une approche équilibrée. Sur le socle d'un demi-siècle d'alliance, nous devons ériger un véritable partenariat, un partenariat global, entre l'Europe nouvelle et l'Amérique.

Monsieur le Speaker, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Membres du Congrès, Au lendemain de la victoire sur le nazisme, les Etats-Unis ont contribué, plus qu'aucun autre pays, à façonner le monde de l'après-guerre. La création de l'ONU et de l'OTAN, du FMI et de la Banque mondiale, la mise en oeuvre du plan Marshall, en ont été les actes fondateurs.

Les cinquante années de paix et de prospérité qui ont suivi doivent beaucoup à cet engagement américain. Aujourd'hui comme hier, le monde a besoin des Etats-Unis. Votre engagement reste nécessaire pour bâtir le monde incertain de l'après-guerre froide et faire progresser la paix, la démocratie et le développement. Les grands défis qui nous attendent, nous les relèverons si nous sommes unis et solidaires. C'est seulement ainsi que nous léguerons à nos enfants un monde meilleur ; un monde où ils pourront s'épanouir ; un monde de liberté, de justice et de paix.

Je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2007-01-17 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité