Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la réception de la communauté française à l'Ambassade de France (Washington)

Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la réception de la communauté française à l'Ambassade de France à Washington.

Imprimer


Washington, mercredi 31 janvier 1996.

Messieurs les Ministres,
Monsieur l'Ambassadeur,
Madame,
Mesdames, Messieurs,
Mes Chers compatriotes,


C'est naturellement, le mot n'est pas trop fort, une grande joie pour moi de vous rencontrer ici. Une joie, parce que, c'est toujours un plaisir particulier que de retrouver à l'extérieur des Français pour un responsable politique de notre pays, ces Français qui peut-être ici plus qu'ailleurs, représentent la France dans ce qu'elle a de meilleur, de plus dynamique, on le dit toujours, et néanmoins, je crois qu'on ne le dit pas assez.

La communauté française aux Etats-Unis, est une communauté nombreuse, je crois la plus nombreuse en dehors de l'Europe et elle a pour caractéristique, de représenter ce que notre pays fait de mieux : de la culture à la finance, de l'art de vivre à la haute technologie, du commerce à l'industrie. Nous avons, aux Etats-Unis, des Français qui représentent bien cet esprit de conquête qui caractérise notre pays et qui doit le caractériser demain plus encore qu'aujourd'hui. Je voudrais simplement, mais sincèrement, vous adresser mes félicitations, mes sentiments de reconnaissance et je dirais de respect pour ce que vous faites et ce que vous représentez.

Je suis venu aujourd'hui à l'invitation du Président Clinton en visite un peu solennelle, c'est une visite d'Etat. Il n'y en avait pas eu depuis plus de dix ans et, j'en suis très heureux. J'en suis très heureux parce que je vais marquer par là, la solidité de la relation franco américaine. C'est une relation ancienne, chacun le sait. Nous sommes le plus vieux allié des Etats-Unis. C'est une alliance qui n'a jamais été réellement perturbée et qui s'est confortée chaque fois que l'essentiel était en cause. Je sais que l'on a beaucoup dit et que l'on dit encore, que l'on a beaucoup écrit et que l'on écrit encore, que la relation franco-américaine est une relation subtile, ambiguë parfois, agressive de temps en temps. C'est peut-être vrai. Je dirais que les relations fortes ne s'accommodent pas bien de l'indifférence et supposent les affrontements que l'on sait surmonter, parce qu'ils reposent en réalité sur une véritable estime et sur une véritable amitié.

Alors cette visite que j'effectue s'inscrit dans ce long chemin d'amitié franco-américaine et mon intention est naturellement, d'apporter ma pierre pour conforter ces relations solides.

Nous avons, aujourd'hui, à faire face, c'est toujours vrai d'ailleurs, à toutes sortes de difficultés dans le monde et, j'aurais l'occasion demain, comme je l'ai eu maintes fois en rencontrant depuis huit mois le Président Clinton à plusieurs reprises, nous aurons à évoquer un certain nombre de problèmes qui nous préoccupent.

Demain je vais m'adresser au Congrès. J'aurais l'occasion d'évoquer deux grands problèmes qui à mes yeux relèvent de la responsabilité éminente de l'Europe, de la France d'une part, et des Etats-Unis de l'autre.

Le premier est la nature nouvelle que doit prendre l'Alliance Atlantique. L'Alliance Atlantique nous a permis de vivre en paix pendant longtemps. Elle était adaptée à un système de confrontation Est/Ouest qui, aujourd'hui, a heureusement disparu, mais le monde est toujours dangereux et l'Alliance Atlantique est toujours une nécessité. Naturellement, faut-il aujourd'hui l'adapter pour tenir compte des réalités nouvelles, notamment de la puissance européenne qui se constitue. Il faut donc faire en sorte que ce nouvel ensemble dont on donne parfois l'image d'un ensemble à deux piliers ce qui n'a pas de sens stratégique réel, mais ce qui est image forte, un pilier américain et un pilier européen, les deux liés par une alliance sans réserve. En réalité, cette nouvelle alliance doit être un système qui tienne davantage compte de l'identité de l'Europe, de la défense de ses intérêts et un système où l'Europe puisse assumer à part égale avec les Etats-Unis, les responsabilités qui sont les siennes dans le monde en général, et bien entendu, celle de sa propre défense sur notre continent. C'est un débat qui sera long, qui exige que l'on écarte un certain nombre d'idées obsolètes et que l'on ait une vision de l'équilibre du monde de demain.

Le deuxième sujet que je vais aborder devant le Congrès et qui me préoccupe est celui du développement de la pauvreté dans le monde et une politique d'exclusion à l'égard d'un nombre croissant d'hommes et de femmes de la planète. Les années de petite croissance, les difficultés que l'on a connu ont renforcé, notamment chez les pays riches, un sentiment spontané, naturel et que chacun peut comprendre d'égoïsme. Et nous assistons aujourd'hui à une espèce de repli sur soi, à une sorte de désengagement des principaux pays du monde dans le cadre de la nécessaire action de développement qu'ils doivent assumer.

Ceci est infiniment dangereux. C'est dangereux sur le plan moral, car cela renforce l'égoïsme et ne tient pas compte des responsabilités que nous avons à l'égard des autres.

C'est dangereux sur le plan économique car c'est ralentir le développement de marchés importants qui pourraient, le moment venu participer à la croissance mondiale et c'est dangereux sur le plan politique, c'est une sorte de bombe à retardement que l'on est en train de mettre en place, si en effet, on aide pas les pays en développement à poursuivre l'effort qu'ils font actuellement indiscutablement sur la voix de la démocratie, de l'économie de marché, de la négociation préventive. Si on ne les aide pas compte tenu de la démographie, nous aurons demain des déséquilibres qui seront très difficiles à assumer et nous risquons fort de transmettre à nos enfants un monde à nouveau dangereux et ou les crises risqueraient de se résoudre à nouveau par la guerre. Et je voudrais dire très amicalement au congrès combien je crois que l'Amérique doit assumer toute sa place et tout son rôle dans cet effort de développement et qu'elle ne doit pas négliger ses responsabilités dans ce domaine.

Deux grands problèmes. D'autres aussi seront évoqués et qui touchent finalement à la paix dans le monde mais qu'il s'agisse de l'achèvement, j'espère, car il ne faut jamais pêcher par excès d'optimiste, de l'oeuvre de paix engagée ensemble entre les Européens et Américains dans l'ex-Yougoslavie et qui aujourd'hui, se présente relativement bien mais sur laquelle pèsent encore bien des incertitudes. Ou qu'il s'agisse du processus de paix au Moyen-Orient qui pour nous est tout à fait capital car l'une des ambitions de notre pays doit être aussi de promouvoir une zone de paix de stabilité, de développement sur l'ensemble méditerranéen - promotion qui ne peut réellement intervenir qu'au terme du processus de paix actuellement heureusement engagé et dans lequel la France a un rôle à jouer et qu'elle entend effectivement jouer.

Je n'oublierai pas, cela va de soi, que le monde aujourd'hui est fondé des capacités d'interventions sur le développement de l'économie. La France n'est pas un pays protectionniste. L'Europe est un marché, probablement le plus ouvert du monde et les relations économiques entre l'Europe et les Etats-Unis sont évidemment capitales pour la croissance mondiale. Là encore, il y a un effort à faire. Certes, nos relations franco-américaines sont bonnes On dit souvent qu'il y a plus de mille entreprises américaines qui emploient 400 mille français chez nous et qu'il y a plus de mile entreprises françaises qui emploient plus de 400 mille américains ici. Et je voudrais saluer notamment l'effort de ces entreprises françaises en Amérique et leur dynamisme mais il faut développer cela et je crois que si la responsabilité des hommes politiques est de prévoir les crises et de tenter de les éviter, voir de les résoudre. Si le rôle politique des échanges entre capital, entre gouvernements, entre Chefs d'Etat est très important, il ne faut pas oublier le rôle économique qui peut être également celui des responsables politiques. Et je suis pour ma part tout à fait déterminé à expliquer aux Etats-Unis, et j'aurais également l'occasion de le faire demain à Chicago devant un certain nombre de représentants du monde économique, de dire aux Américains que le France, dans le cadre bien sûr et sans rien renier de sa culture, de son humanisme, de ses traditions, de son histoire est aussi un pays moderne, déterminé à aller de l'avant parmi les premiers importateurs et exportateurs du monde dans la technologie et dans bien des domaines au plus haut niveau de la planète dont la recherche scientifique est de qualité dont les hommes et les femmes qui s'occupent du développement et notamment beaucoup ici a Washington, et je les salue, sont compétents et dévoués. Un pays où il y a une monnaie stable et qui le restera, où l'effort nécessaire pour résoudre les difficultés que nous connaissons et que connaissent d'ailleurs presque tous les pays européens seront conduits normalement à leur terme, que la France se veut à nouveau animée par l'esprit de conquête, que la France est donc pour les Américains un partenaire privilégié qui entend le rester et qui entend développer ses relations économiques avec ce grand pays.

C'est aussi un message fort que j'entends adresser à nos partenaires américains. Voilà les quelques réflexions que je voulais faire en vous disant que je n'oublie pas un dernier point et qui est celui de notre culture ici appréciée mais peut-être pas toujours au niveau qui conviendrait. Et notre culture comprend notamment notre langue. J'entends dire récemment, dans des milieux sportifs, dire que l'on s'étonnait à Atlanta que des dispositions doivent être prises pour que le Français soit sur pied d'égalité avec l'anglais lors des prochains jeux olympiques. Et bien c'est la réalité car l'Olympisme est bilingue, français et anglais. Je donne cet exemple, simplement pour dire que nous devons également être vigilants et faire en sorte que notre langue qui est le soubassement même de notre culture ne soit jamais oubliée ou négligée.

Voilà quelques réflexions avant d'avoir l'occasion de vous rencontrer, ce qui est pour moi un grand plaisir. Je voudrais simplement en terminant vous dire mes sentiments que j'ai exprimés au début de mon propos, les souligner à nouveau pour que vous entendiez bien que ils sont chez moi sincères. Mes sentiments d'amitié, mais aussi de gratitude pour ce que toutes celles et tous ceux d'entre vous qui travaillent ici font, pour eux bien sûr mais aussi pour notre pays. Je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2006-08-25 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité