Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République à l'occasion de la réception du corps préfectoral .

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la réception du corps préfectoral au Palais de l'Elysée.

Imprimer


Palais de l'Elysée, mercredi 21 Février 1996

Monsieur le Premier Ministre,

Monsieur le Ministre de l'Intérieur

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Président de l'Association,

Mesdames et Messieurs les Préfets et Sous-Préfets,

Mesdames et Messieurs,

Soyez les bienvenus à l'Elysée où je suis heureux d'accueillir, pour la première fois, l'Assemblée générale de votre Association.

Pour la première fois, en effet, je m'adresse à vous tous et toutes réunis pour vous dire ce que j'attends de vous, au moment où notre pays doit relever de grands défis, ceux de l'emploi, de la sécurité, de l'aménagement du territoire, de la défense nationale ou de la réforme de l'Etat.

Ces priorités de l'action gouvernementale vous placent toutes en première ligne. C'est aussi, pour une large part, de vous que dépend leur réussite des actions qui sont engagées par le Gouvernement.

L'an passé, j'avais dit aux Préfets ce que j'attendais de leur engagement personnel dans le domaine de la lutte contre le chômage.

Des objectifs vous avaient été assignés par le Premier Ministre, dans cet esprit, et vous étiez libres de définir les moyens nécessaires à leur réalisation, en tenant compte, bien entendu, des réalités locales que vous connaissez mieux que personne. Votre expérience et votre connaissance du terrain sont ; en effet, des éléments ou des atouts essentiels dans un combat contre le chômage.

Mais, vous avez su faire preuve d'initiative. J'ai pu mesurer, récemment lors d'un déplacement dans les Deux-Sèvres, le soutien que la préfectorale peut apporter aux initiatives locales en matière d'emploi.

Dès la fin du mois de septembre, des guichets initiative-emploi ont été ouverts dans toute la France. Des chartes initiative-emploi ont été mises en place pour mobiliser les acteurs locaux en faveur de l'emploi. Une quarantaine de chartes départementales et dix chartes régionales ont été signées, et je voudrais en féliciter chaleureusement les promoteurs. Ce premier bilan est encourageant, il n'est pas suffisant et le mouvement doit s'amplifier, pour cela je compte sur vous.

L'emploi est , en effet, la priorité absolue, et à juste titre, de l'action du Gouvernement.

C'est au nom de la lutte contre le chômage que le Gouvernement a engagé une action courageuse de remise en ordre de nos finances publiques, tant il est vrai qu'il n'y a pas de redressement économique et donc de lutte efficace sur l'emploi, qui ne s'appuie sur des finances saines, et aujourd'hui les nôtres doivent être sérieusement assainies. 1995 a marqué une première étape, 1996 en marquera une seconde dans ce domaine.

Notre politique poursuit trois objectifs : rendre la croissance plus riche en emplois, prévenir l'exclusion, et donc répondre au besoin de renforcement de la cohésion sociale et de la cohésion nationale, par voie de conséquence, et développer l'emploi des jeunes.

Pour rendre la croissance plus riche en emplois, il fallait réduire le coût du travail pour les emplois les moins qualifiés qui sont les plus menacés par l'automatisation, par la concurrence aussi. En 1996, grâce aux mesures prises par le Gouvernement, pour le même coût salarial, 8 emplois pourront être créés au lieu de 7. C'est un premier pas dans la bonne direction.

Il fallait également que l'élan donné en octobre dernier par les partenaires sociaux à la discussion sur l'aménagement et la réduction du temps de travail se concrétise aussi rapidement que possible. 75 % des branches professionnelles sont d'ores et déjà engagés dans une négociation. Un bilan sera fait avant l'été et le Gouvernement tirera toutes les conséquences de celui-ci. s'il est positif, il s'en réjouira, s'il ne l'est pas suffisamment, il en tirera les conséquences.

Il faut par ailleurs développer les services aux personnes. L'élargissement du chèque-service et l'amélioration de son financement, doivent normalement pouvoir y contribuer.

Il fallait enfin libérer les capacités d'initiative et de création de nos entreprises artisanales, petites ou moyennes : c'est le sens du plan PME-PMI qui a été décidé et mis en oeuvre par le Gouvernement et qui devrait, bientôt, connaître ses pleins effets .

La politique de l'emploi, c'est aussi la lutte contre une exclusion qui augmente dans notre pays.

Nous disposons maintenant d'un instrument pour combattre le chômage de longue durée, c'est-à-dire le chômage qui conduit naturellement à l'exclusion ou risque d'y conduire. C'est le contrat initiative-emploi, dont le succès indiscutable, auquel vous avez

largement contribué a permis de faire signer 180 000 contrats et de constater que 70 % des embauches, qui sont réalisées à ce titre, le sont sous forme de contrat à durée indéterminée. C'est la preuve, d'ailleurs, qu'il n'y a pas de fatalité du chômage de longue durée.

L'emploi, c'est aussi naturellement et surtout aujourd'hui l'emploi des jeunes. Le Sommet Social tenu par le Premier ministre le 21 décembre dernier a donné dans ce domaine un nouvel élan, malgré l'immense difficulté des choses. Le Gouvernement et les partenaires sociaux se sont fixés pour objectif de réserver 50 % des embauches aux jeunes et maintenant, cet objectif, il faut l'atteindre. Et, là encore, Préfets et Sous-Préfets, dans vos départements, dans vos arrondissements, vous êtes en tête du combat pour l'atteindre. La loi sur l'apprentissage qui est en discussion au Parlement, devrait permettre d'ailleurs le recrutement de 200 000 nouveaux apprentis chaque année, et contribuer ainsi à améliorer ou à rendre un peu moins mauvaise, la situation dans ce domaine.

L'emploi des jeunes, c'est aussi l'extension prochaine du CIE aux jeunes sans qualification. C'est la création d'emplois-ville qui donneront une activité à des jeunes de quartiers difficiles. C'est l'élaboration, avec les régions et les partenaires sociaux, de programmes régionaux pour l'emploi des jeunes qui seront mis en oeuvre dès le mois d'avril.

Cette politique, il vous appartient de la relayer dans vos départements, ce qui veut dire, que vous en êtes en réalité les chevilles ouvrières. Il vous appartient aussi d'en expliquer la cohérence. Expliquer encore et toujours pourquoi la réduction des déficits conditionne la reprise et donc l'emploi. Expliquer aussi aux entreprises quels sont les moyens, qu'elles ignorent trop souvent parfois parce qu'ils sont trop compliqués, que l'on met à leur disposition.

Bref, il entre aujourd'hui dans vos responsabilités de stimuler les initiatives dans les bassins d'emploi, et de mettre toute votre expérience et toute votre autorité au service d'un partenariat dynamique et efficace entre tous les acteurs qui interviennent sur le marché du travail. Ai-je besoin de dire que les relations confiantes que vous devez entretenir avec tous les élus locaux et départementaux constituent, à cet égard un atout irremplaçable ?


Promoteurs, dans vos départements et vos régions, de la politique de l'emploi, vous y êtes aussi les garants du respect de la loi.

Vous l'êtes en contrôlant, dans un esprit, je n'en doute pas et nécessairement, d'ouverture et de compréhension, mais sans complaisance, la légalité des actes des collectivités locales.

Vous l'êtes en luttant contre l'immigration clandestine. Si l'étranger séjournant légalement parmi nous doit être traité avec tous les égards, qui leurs sont normalement dus, ceux qui enfreignent nos lois, ceux qui introduisent ou emploient de la main d'oeuvre clandestine, ceux qui pénètrent sur notre territoire ou qui s'y maintiennent illégalement, ceux-là doivent être recherchés et sanctionnés avec sévérité.

Enfin vous contribuez, et sur l'ensemble du territoire, au respect de l'ordre et de la tranquillité publics. La loi, qu'elle protège ou qu'elle punisse, est au coeur de notre conception du Pacte Républicain. Elle est la condition de cette paix que nous devons garantir à nos concitoyens. Son application et son respect ne souffrent, et ne doivent souffrir de votre part, ni compromis ni état d'âme.

Il y faut en revanche la "manière" c'est vrai. Il faut de l'intelligence, du tact, de l'attention, de la sensibilité. Notre société, ses fractures, le désespoir et la souffrance de beaucoup, le poids des conservatismes de tous ordres et des corporatismes réclament un grand discernement de la part de ceux qui agissent en vertu de la loi. Nos concitoyens souhaitent une France républicaine, forte, efficace, dotée d'institutions à la fois solides et généreuses. Ils aspirent à un État respecté en même temps qu'à un état respectueux de la dignité de chacun.

Cette France nous l'avons vue se dresser courageuse, solidaire dans sa volonté de faire barrage au terrorisme.

Cet élan de solidarité des Français, leur refus du chantage au terrorisme dont ils étaient l'objet, le Ministre de l'Intérieur de façon particulièrement efficace et vous-mêmes, avec les services compétents, notamment de la police et de la gendarmerie avez su les conforter. Le travail de chacun, les mesures préventives, l'enquête judiciaire, ont porté leurs fruits et je vous félicite. Mais, il faut naturellement rester très vigilant.

C'est cette même exigence de sécurité qui appelle dans les quartiers difficiles une politique nouvelle. Une politique à la fois pragmatique et ferme.

Il n'est pas acceptable que la loi ne s'applique pas partout avec la même force. La sécurité ne peut pas être abandonnée ou déléguée à d'autres qu'aux représentants de la force publique.

Le pacte de relance pour la ville qui a été élaboré et présenté par le Gouvernement se veut, à juste titre, global et efficace. Naturellement, il y faudra du temps, de l'énergie, de la bonne volonté, de l'explication. Il permettra aux acteurs de terrain, je l'espère, de répondre de façon plus appropriée aux difficultés qui surgissent quotidiennement. C'est à vous, là encore, qu'il appartient de créer les conditions de la réussite de cette politique. Je vous demande, en particulier d'aller beaucoup sur le terrain. Le danger de tout Etat et de toute administration, est de s'enfermer dans ses locaux, dans ses bureaux, dans sa doctrine, dans ses habitudes, dans ses préventions. Le seul moyen de bien juger les choses est d'aller beaucoup sur le terrain, de rencontrer les gens, de parler. On apprend toujours beaucoup en écoutant chacun. Il y a très peu de gens qui n'ont rien à dire et ils ne sont généralement pas du tout là ou l'on croit qu'ils sont.

J'attends de vous un engagement personnel et fort pour mobiliser tous ceux qui peuvent contribuer au retour ou au maintien de l'emploi dans les quartiers en difficulté.

J'attends de vous que vous vous mobilisiez contre la violence, notamment la violence qui est aujourd'hui d'actualité et légitimement dans l'école ou dans certaines écoles. Mais y en aurait-il une seule ce serait trop. Les enseignants doivent être soutenus, les victimes doivent être assistées, les agresseurs doivent être sanctionnés. Il vous incombe de rechercher, en liaison étroite avec l'ensemble du corps enseignant, les parents, les élus, les magistrats, les policiers, les travailleurs sociaux, les moyens de prévenir les comportements violents ou délinquants. Et dans chaque département, peut-être dans chaque arrondissement, vous devriez réunir les responsables que je viens de citer, et d'autres, le cas échéant notamment ceux des associations qui peuvent être compétentes, pour essayer de bien coordonner une action de nature à convaincre ceux qui veulent la violence qu'ils ont tort et convaincre ceux qui en sont victime qu'ils sont reconnus et protégés.


Indissociable de notre politique de la Ville, l'aménagement du Territoire est aussi quelque chose qui doit être au coeur même de vos préoccupations.

Depuis vingt ans, l'aménagement du territoire a été envisagé de manière centralisée et souvent sous le seul angle économique alors même que les déséquilibres n'ont cessé de s'accentuer : surconcentration urbaine, dérive de certains quartiers, désertification rurale, et surtout, -c'était dans la nature même de la décentralisation et ce n'est pas la condamner que de le dire, c'est condamner le fait de ne pas avoir mis les contrepoids nécessaires en place-, écart croissant entre les régions riches et les régions pauvres.

Il n'y aura pas de solidarité, il n'y aura pas de cohésion sociale sans un développement harmonieux de notre pays. Voilà pourquoi l'aménagement du territoire, dont vous êtes les promoteurs essentiels est, en réalité, l'affaire de tous.

La loi d'orientation, adoptée l'an passé au terme d'un grand débat et qui a fait honneur à la démocratie, -un débat auquel vous avez très largement contribué-, donne son cadre à notre action. L'objectif est double : dessiner pour les vingt prochaines années une trame territoriale ; faire de l'aménagement du territoire une préoccupation permanente de celles et de ceux qui ont en charge les politiques publiques.

Par un ensemble de mesures en faveur du monde rural, le Gouvernement vient d'ailleurs de faire progresser cette grande et nécessaire idée.

Méfions-nous aussi, et soyez vigilants à ce titre, des fausses économies. Gardons-nous de la seule approche comptable des choses, que souvent les administrations ou les entreprises publiques veulent nous imposer. Le meilleur exemple de ce qu'il ne faut pas faire, c'est la fermeture des services publics, en milieu rural ou au coeur des quartiers les plus fragiles, sans même avoir d'ailleurs généralement mesuré le coût social et les conséquences pour les populations qui y vivent.

Les services publics de proximité sont un formidable ciment social. Quand ils disparaissent, le lien qui rattache le citoyen à la collectivité se distend peu à peu. Voilà pourquoi, au lieu de leur fermeture, à laquelle vous devez vous opposer, l'Etat doit envisager, parce qu'il faut aussi gérer les deniers publics de façon convenable, leur regroupement en un même lieu, rechercher la polyvalence, simplifier la vie de l'usager et maintenir en tous les cas, la continuité du service public.


Tous ces grands chantiers, qui contribuent à réduire les inégalités et les fractures dans notre société, l'administration de l'Etat en sera le fer de lance, mais elle doit sans cesse s'adapter. C'est pourquoi le Premier Ministre a placé la réforme de l'Etat au premier rang de ses priorités.

Notre organisation administrative date pour l'essentiel des années 1960. Elle doit aujourd'hui se réformer très profondément, et elle se réformera. Elle doit être, en effet, capable de susciter de nouvelles synergies. L'administration de demain, c'est une administration centrale réduite, investie d'une fonction de conception, moins arrogante et moins soucieuse de tout régenter. C'est une administration locale plus proche de ses interlocuteurs, fortement déconcentrée sous l'autorité interministérielle des Préfets. C'est un État capable de stimuler les compétences et de les rassembler pour faciliter la réalisation d'objectifs communs.

Tout nous conduit à mettre en oeuvre cette grande réforme : notre environnement international, et notamment européen, une économie qui s'ouvre inévitablement de plus en plus et puis tout simplement les Français. Nos concitoyens veulent un État, non pas modeste, mais cohérent, et proche de leurs préoccupations, mais aussi un Etat accessible.

Ne repoussons donc pas à demain, comme nous l'avons si souvent fait, les décisions qui s'imposent et mettons en oeuvre ce qui constitue bel et bien une vraie et grande réforme de l'Etat, et non pas naturellement une simple réorganisation administrative.

Quand il s'agira d'appliquer le plan triennal actuellement en préparation, vous devrez, là encore, vous remettre en question, expliquer, convaincre, imposer parfois la réforme face aux féodalités et aux habitudes auxquelles vous ne manquerez pas, naturellement, de vous heurter.

J'attends de la haute fonction publique qu'elle soit exemplaire par son courage, son sens de l'initiative et de l'intérêt général.

Au sein de l'Etat, au contact direct des réalités quotidiennes, la place des Préfets, leur mission d'autorité et leur rôle de coordinateur sont désormais bien établis. A vous de déployer, conformément aux directives gouvernementales, votre savoir-faire de gestionnaire, votre passion, que je sais grande, du service d'autrui. Jamais autant qu'aujourd'hui, vos qualités d'écoute, de dialogue, cette dimension humaine de l'administration, ce "supplément d'âme" , comme on dit, ont été aussi nécessaires. Sans elles le citoyen se reconnaît mal dans notre République. Mais je sais que pour ce comportement je peux aussi, une fois encore, compter sur vous.

Je sais aussi l'attention que le Gouvernement, et en particulier le Ministre de l'Intérieur, portent aux moyens qui vous sont accordés dans l'exercice de vos fonctions. Je pense tout d'abord au statut des Préfets dont l'actuelle révision permettra, je pense, de renforcer le professionnalisme de votre corps et de mieux prendre en compte la diversité de vos carrières, en particulier de celles et de ceux d'entre vous qui servent momentanément dans les collectivités locales.


Je vais continuer, naturellement, à me rendre régulièrement en province, à la rencontre et à l'écoute des Français. J'attends qu'à chacune de mes visites vous me fassiez très simplement part sans détours de vos analyses, de vos constatations et de vos préoccupations.

Je pense en particulier à celles et à ceux d'entre vous qui servent Outre-Mer. Je connais bien nos départements et nos territoires d'outre-mer et j'y suis profondément attaché. D'ailleurs je m'y rendrai bientôt.

Toujours spécifique, exprimée parfois de manière un peu paradoxale pour les cartésiens que nous sommes, la demande d'Etat, d'impartialité, de référence, est très forte dans nos départements et territoires d'Outre-mer. Restez toujours attentivement à l'écoute de nos concitoyens de ces départements et territoires ; accompagnez-les sur les voies du développement et sur les voies de la prise des responsabilités, vous ne serez pas déçus ; et souvenez-vous qu'avec le Ministre de l'Outre-mer, et le Premier ministre, je suis à vos côtés et que vous pourrez toujours compter sur mon écoute attentive.

A vous, Mesdames, qui partagez avec vos époux la lourde et difficile tâche de représenter l'Etat dans nos départements et dans nos régions, j'adresse également mes remerciements. Votre rôle est parfois méconnu. Pour ma part, je n'en ignore pas l'importance et il m'est agréable d'en témoigner ce soir, et de vous en remercier.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2006-08-25 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité