Allocution aux Armées prononcée par le Président de la République à l'Ecole militaire.

Allocution aux Armées prononcée par M. Jacques Chirac, Président de la République, à l'Ecole militaire.

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Ecole militaire, Paris le vendredi 23 février 1996


Monsieur le ministre de la Défense,

Messieurs les Chefs d'Etat-Major,

Messieurs les officiers et sous-officiers,

Mesdames et messieurs,

Un mot d'abord pour se réjouir de ce bel amphithéâtre qui je crois, est en quelque sorte inauguré aujourd'hui et pour féliciter ceux qui l'ont réalisé.

L'Ecole militaire, où j'ai souhaité vous rencontrer aujourd'hui, est par excellence le lieu où se forge depuis plus d'un siècle la réflexion militaire de notre pays. Tous nos grands chefs militaires ont étudié dans ces murs, s'y sont exprimés au sein de nos Ecoles de guerre ou de l'institut des hautes études de la défense nationale.

En cette fin de siècle où notre pays se trouve placé dans une situation stratégique sans précédent, je crois qu'on peut dire dans son histoire, situation qui le conduit à redéfinir les conditions et les modalités de sa défense, il m'a paru naturel de choisir ce lieu pour expliquer, en tant que Chef des armées, pourquoi j'ai décidé de proposer la réforme dont j'ai indiqué hier soir les grandes lignes à la nation.

La gravité de l'instant ne diminue pas, croyez-le bien, le plaisir que j'éprouve à m'exprimer devant vous, officiers et sous-officiers des armées, tant me rattachent à la fonction militaire des souvenirs marquants de l'époque où, jeune officier en Algérie, j'exerçais aux côtés des plus anciens d'entre vous, le commandement d'un peloton puis d'un escadron.

J'ai eu l'occasion de dire que c'est là que j'ai connu la plus forte expérience humaine de ma vie, tant sont riches les liens qui unissent un lieutenant à ses hommes à l'heure du combat. J'en ai gardé une estime particulière pour ceux qui consacrent leur vie à la défense de notre pays.


Mesdames et Messieurs, l'armée est un corps vivant qui évolue au rythme des missions que lui sont confiées par la nation, s'adaptant aux exigences de sa sécurité, aux ambitions de son peuple, aux contraintes de son environnement.

Rendue universelle en 1905, la conscription obligatoire se voulait une réponse au désastre de 1870. Seule la levée en masse pouvait alors permettre de compenser la puissance démographique et la supériorité technique de nos adversaires. La Grande guerre devait tragiquement valider ce choix. La victoire glorieuse de 1918 laissait une France unie par la fraternité des tranchées, mais épuisée, meurtrie, par la disparition d'une partie importante de sa jeunesse.

En dépit des avertissements prémonitoires du colonel de Gaulle, l'armée de la Marne et de Verdun, figée dans ses conceptions, abritée par un mur illusoire, fut balayée en un mois par l'ancien adversaire qui avait su lui tirer les leçons de sa défaite et faire les réformes qui s'imposaient. Nos troupes alors mal entraînées et mal armées découvraient, stupéfaites, l'alliance du mouvement et du feu, les concentrations de chars et d'avions, ce qu'il faut bien appeler le professionnalisme d'une armée volontaire et soudée. On sait ce qu'il en advint.

Quelque vingt ans plus tard, à Strasbourg le 18 novembre 1962, fermant la parenthèse douloureuse des conflits coloniaux, le général de Gaulle engageait l'armée française, dans une réforme immense qui la faisait entrer dans la modernité et qui redonnait à notre pays les moyens d'exercer ses responsabilités mondiales.

C'est dans ce contexte que se construisit l'armée qu'ont toujours connue la plupart d'entre vous. Fondée sur la double exigence de la dissuasion et de l'action aux frontières, elle devait conjuguer mobilité et capacités défensives pour contenir l'adversaire jusqu'au point où la raison et le salutaire vertige de la crainte du feu nucléaire l'auraient contrainte à cesser les combats.

Aujourd'hui, le temps a fait son oeuvre, l'empire soviétique s'est effondré. Les nations européennes ont retrouvé leur identité, et elles ont renoué avec leur histoire. La paix s'étend sur l'Europe occidentale où, grâce, il ne faut jamais l'oublier, à la construction européenne, elle s'enracine dans des solidarités nouvelles, profondes et, je crois, irréversibles.

Pour autant, sur notre continent même, la paix demeure fragile.

Nos frontières sont en paix mais le monde proche de nous ne l'est pas encore. Une vieille et grande nation comme la nôtre ne peut pas s'abandonner, n'a pas le droit de baisser sa garde. Elle doit compter sur son armée pour tenir ses engagements, mais aussi pour tenir le rôle que lui a légué l'Histoire.

Aujourd'hui, nous devons, une fois encore, nous adapter au monde tel qu'il est, et non tel que nous l'avons souhaité, tel que nous l'avons connu quand nous avons commencé notre vie d'hommes.

Mesdames et Messieurs, la France attend de ses armées, comme par le passé, qu'elles garantissent la protection de ses intérêts vitaux, le respect de ses engagements internationaux et qu'elles lui permettent d'assumer les devoirs que lui imposent les responsabilités particulières qui sont les siennes.

Sans vouloir m'étendre aujourd'hui sur les aspects internationaux et diplomatiques de notre politique de défense, je souhaite néanmoins rappeler devant vous, quelques mots seulement y suffiront, les engagements de la France et ce qui en résulte pour nos forces militaires.

Dans le monde nouveau, né de la fin des blocs idéologiques, les Nations Unies ont retrouvé leur rôle qui est de dire le droit et de prévenir ou de contenir les crises et les conflits. Notre pays, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, y prend une part active et veille à ce que l'ONU dispose des moyens nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Vous savez, comme moi, le rôle essentiel que nos soldats, auxquels je rends un hommage mérité et chaleureux, ont joué en Bosnie et ailleurs.

En outre, des solidarités anciennes nous unissent à nos alliés de l'OTAN, à nos partenaires européens, à de nombreuses nations à travers le monde, et je pense en particulier à nos amis africains.

Le choix d'un nouveau modèle d'armée doit en particulier répondre à notre ambition de construire une défense européenne crédible, capable de devenir à la fois le bras armé de l'Union européenne et le pilier européen de l'Alliance atlantique.

Ce choix est donc indissociable des initiatives fortes que la France a prises dans ce domaine et de celles qu'elle annoncera, en ce sens, dans les mois à venir.

La solidarité européenne, c'est d'abord, pour la France, sa relation avec l'Allemagne. Nos projets ne doivent pas affaiblir cette relation mais, au contraire, renforcer cette dimension fondamentale de notre sécurité. Nous devons mettre à profit les changements nécessaires pour donner un nouvel élan à la coopération franco-allemande. Nos deux pays doivent rester, en liaison, bien sûr, avec nos autres partenaires, notamment britanniques, qui partagent avec nous une longue tradition d'actions extérieures, ils doivent rester nos deux pays, le moteur de la défense européenne.

C'est donc dans ce contexte de solidarités exigeantes et de responsabilités vis-à-vis de la communauté internationale que nous devons repenser l'organisation et les structures de nos forces armées.

Il faut en premier lieu tirer les leçons de la Guerre du Golfe. La France doit être capable de projeter dans des délais très courts, partout dans le monde où la situation pourrait l'exiger, une force significative pour que son point de vue et ses intérêts soient pris en considération dans la gestion de la crise et dans tous les aspects de son règlement définitif.

Il faut aussi que la France soit capable de prendre la tête d'une coalition et qu'elle dispose des états-majors interarmées et des moyens de transmission projetables permettant d'en assumer le commandement.

Nous devons, par ailleurs, prendre en compte l'évolution de la situation internationale et la diminution des menaces qui pèsent sur notre pays. Il ne s'agit pas de recueillir inconsidérément je ne sais quels " dividendes de la paix ", mais de profiter de la pause stratégique pour limiter à un niveau raisonnable les crédits consacrés par l'Etat à sa défense lui permettant ainsi de porter son effort sur les secteurs où l'urgence, notamment sociale, l'impose.

A quoi servirait, en effet, de disposer d'un outil militaire surdimensionné si la division sociale et les déficits publics engageaient notre pays sur la voie du déclin ?

Dans cet esprit, l'évolution de nos armements, de plus en plus coûteux et sophistiqués, exige qu'ils soient servis par des spécialistes affectés à leur poste suffisamment longtemps pour que l'emploi en soit optimal, tout en réduisant les charges d'entraînement et de maintien en condition.

Mesdames et Messieurs, comme l'écrivait le général de Gaulle en 1932, "nous devons non pas conserver l'armée de nos habitudes, mais construire l'armée de nos besoins".

C'est à cette tâche que s'est consacré depuis le mois de juillet dernier, le Comité stratégique présidé par le ministre de la Défense qui m'a présenté ses conclusions au terme d'un travail considérable, intelligent, auquel je tiens à rendre hommage aujourd'hui tout particulièrement.

Quelle autre institution en France a été capable de se remettre en question aussi totalement que l'ont fait les armées ? Il faut que cela soit dit. Il y a du courage et de l'abnégation à renoncer à des habitudes, à des modes de pensée et à des traditions et à s'attacher sans parti pris, sinon sans regret, à la mise en place d'un modèle d'armée conforme aux exigences actuelles de la défense nationale.

C'est sur les propositions du ministre de la Défense, préparées en concertation très étroite bien sûr avec le chef d'état-major des armées, les chefs d'état-major de l'armée de terre, de la marine et de l'armée de l'air et le directeur général de la Gendarmerie nationale que j'ai pris, en Conseil de défense, les décisions que je voudrais maintenant évoquer devant vous.

Elles seront mises en oeuvre dans le cadre d'une loi de programmation militaire présentée au Parlement au mois de mai prochain et qui couvrira la période de 1997 à 2002.

Au terme de ces six années, la France disposera d'une armée professionnelle adaptée à ses besoins de sécurité et à ses responsabilités internationales.

La dissuasion nucléaire reste l'élément fondamental de notre stratégie.

Certes, elle ne constitue plus, comme par le passé, l'articulation d'une défense organisée pour l'essentiel face à une menace permanente et identifiée, mais elle demeure l'ultime garantie contre toute menace sur nos intérêts vitaux quelles qu'en soient l'origine ou la forme.

Certains n'hésitent pas à mettre en question la pertinence de la dissuasion, au motif que la menace aurait disparu.

D'abord, il nous faut bien constater que pour de longues années encore, des milliers d'armes nucléaires continueront d'exister dans les arsenaux hérités de la guerre froide et de la course aux armements. Nous souhaitons, pour notre part, la réduction de ces arsenaux au plus bas niveau possible, mais nous savons que ce processus prendra du temps, beaucoup de temps.

En second lieu, la menace nucléaire clairement identifiée, massive, permanente, qui prévalait à l'époque de l'affrontement Est/Ouest s'est éloignée, c'est vrai, mais dans le même temps apparaissent d'autres types de dangers susceptibles de mettre en cause nos intérêts vitaux. L'incertitude persiste sur les équilibres qui s'établiront à l'est de l'Europe et donc sur les risques pour notre propre sécurité. Sur d'autres continents, existent déjà des armes de destruction massive, nucléaires ou autres, et l'on ne peut exclure qu'elles puissent un jour affecter également nos intérêts vitaux.

Dans ces conditions, la dissuasion nucléaire garde toute son impérieuse nécessité. Elle seule peut éviter le scénario du pire. Elle est aujourd'hui encore un facteur déterminant de paix en Europe et pour l'Europe.

Dès lors, responsable de la sécurité de notre pays et garant de son indépendance, mon premier devoir était d'assurer la pérennité de notre force de dissuasion.

Grâce aux résultats de la courte et ultime campagne d'essais qui vient de s'achever, la France pourra disposer aussi longtemps qu'il le faudra d'une force de dissuasion fiable et sûre qui garantit son indépendance et sa sécurité.

C'est sans réserve qu'elle signera le traité en cours de négociation qui doit interdire définitivement tous les essais nucléaires et pour la conclusion duquel elle a joué et continuera de jouer un rôle actif et déterminé.

Je tiens, une nouvelle fois, à exprimer toute mon estime, et elle est immense, et ma reconnaissance, qui ne l'est pas moins, aux militaires et aux scientifiques qui se sont mobilisés avec un immense talent pour le succès de cette entreprise. Nous disposons maintenant de tous les éléments pour relever le grand défi technologique de la simulation. Nous nous en donnerons les moyens. Je sais pouvoir compter sur le dynamisme et la compétence de nos ingénieurs et de nos techniciens pour y parvenir.

Forte de cette confiance dans l'avenir, la France se devait aussi d'assurer la modernisation et l'adaptation de sa dissuasion aux réalités d'aujourd'hui et de mieux prendre en compte la dimension européenne de sa défense.

Nous devons tirer profit du répit qu'offre la situation stratégique actuelle pour repenser notre posture nucléaire. Le choix de nos moyens doit être fondé sur les principes de suffisance et de crédibilité qui ont d'ailleurs toujours été les nôtres.

Au vu des propositions qui m'ont été faites en conseil de défense j'ai décidé que notre force de dissuasion serait désormais constituée de deux composantes, complémentaires et modernisées :

- d'une part la Force océanique stratégique, apte à assurer la permanence de la dissuasion. Elle disposera de 4 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins permettant d'en maintenir 2 à la mer si nécessaire et nous verrons progressivement si l'on doit équiper au-delà nos sous-marins de nouvelle génération. Nous en aurons donc 4. La commande du 4e SNLE/NG interviendra à la fin de la loi de programmation.

- d'autre part une composante aéroportée, bâtie autour de missiles aérobies qui seront eux aussi modernisés. Cette composante conférera à notre dispositif de dissuasion, souplesse, visibilité et diversification des modes de pénétration.

J'ai donc décidé le retrait du service de la composante sol du plateau d'Albion dont les missions ne se justifient plus dans le contexte actuel et dont la modernisation aurait été, en tout état de cause, extrêmement coûteuse. Je tiens à assurer le personnel de l'armée de l'air, qui pendant 25 ans a mis en oeuvre ce système d'arme avec vigilance, compétence et sûreté, je tiens à les assurer de la reconnaissance de la Nation. Leur dévouement a été utile et nous pouvons aujourd'hui en tirer les bénéfices. Ils peuvent légitimement en être fiers.

Les missiles équipant les deux composantes de nos forces nucléaires seront renouvelés normalement lorsque les équipements en service arriveront au terme de leur vie. Je veillerai à ce qu'il n'y ait pas de rupture mais j'éviterai tout renouvellement prématuré qui serait inutilement coûteux.

Un nouveau missile balistique M 51, destiné à succéder au missile M 45, sera développé au cours de la prochaine programmation pour nous permettre, à l'horizon des quinze années, de répondre à toutes les situations.

Dans le même esprit, j'ai pris la décision d'équiper la composante aérienne de l'ASMP amélioré. Ce missile représente le meilleur compromis possible entre les besoins opérationnels, les contraintes industrielles et les impératifs de maîtrise des dépenses publiques.

Enfin le moment est venu de décider de l'avenir du HADES ; conçu pendant la guerre froide pour participer à la manoeuvre dissuasive, ce système d'armes ne répond plus aujourd'hui à une nécessité et son champ d'application fait peser inutilement un sentiment d'inquiétude chez certains de nos voisins et alliés.

Après m'être entretenu avec le Chancelier KOHL, j'ai décidé son retrait définitif. Les armes actuellement stockées seront démantelées et les deux régiments destinés à les mettre en oeuvre seront réaffectés à d'autres tâches.

Ce programme ambitieux d'adaptation et de modernisation de notre dissuasion manifeste la volonté de la France de continuer à garantir sa sécurité ultime en toutes circonstances. Dissuasive, la stratégie nucléaire de la France demeure, ne varietur, défensive. Mais tout agresseur qui voudrait porter atteinte à nos intérêts vitaux doit rester convaincu de notre capacité et de notre détermination à les préserver.

Nous nous en donnons les moyens pour les décennies à venir, tout en réduisant la part que le nucléaire faisait peser sur le budget des armées au temps de la guerre froide. Les économies ainsi dégagées contribueront à assurer le financement de l'adaptation nécessaire de nos forces classiques.

Dans le contexte que j'ai décrit, la protection ultime du territoire étant garantie par la dissuasion, l'architecture de nos forces doit désormais s'articuler autour des fonctions opérationnelles prioritaires que sont la prévention des crises et des conflits et la projection de puissance.

La prévention est d'abord affaire de renseignement et je confirme la priorité donnée à l'acquisition de moyens spatiaux et au renforcement des services spécialisés. L'intelligence des situations et la maîtrise de l'information conditionnent l'autonomie de décision. La construction, avec nos alliés, de ces moyens très coûteux concourt à l'émergence progressive d'une Europe, que nous voulons maîtresse de son information, de ses engagements et, finalement de son destin.

La prévention repose aussi sur nos forces prépositionnées en Afrique ou ailleurs. A la fois capacité de réaction immédiate et structures d'accueil pour des renforts éventuels, elles manifestent notre solidarité forte avec les pays qui les accueillent.


La projection est le champ prioritaire des forces classiques. Nous devons être capables de déployer sur un théâtre éloigné du territoire métropolitain jusqu'à 30 000 hommes relevables, et simultanément capables d'engager sur un autre théâtre l'effectif d'une brigade. L'armée de l'air doit pouvoir déployer une centaine d'avions de combat sur des bases projetables. La marine, enfin, doit pouvoir engager un groupe aéronaval et une force sous-marine significative.

Ces fonctions prioritaires requièrent des forces immédiatement disponibles, très entraînées et hautement qualifiées. Elles exigent la professionnalisation de l'ensemble de nos armées, dont le volume sera ainsi, et globalement, réduit d'un tiers.

Notre armée de terre sera réorganisée autour d'une force blindée, d'une force mécanisée, d'une force d'intervention blindée rapide et d'une force d'infanterie d'assaut, ces quatre ensembles se substituant aux neuf divisions actuelles. Nous disposerons ainsi d'une capacité blindée équilibrée entre moyens lourds et légers, mettant en oeuvre plusieurs centaines de chars Leclerc associés aux nouveaux hélicoptères Tigre et soutenus par une artillerie puissante et précise.

La marine disposera d'un groupe aéronaval qui, dans un premier temps, ne pourra pas être permanent. Mais la construction du 2e porte-avions est un objectif que la France doit inscrire dans sa planification. La marine conservera également une force sous-marine d'attaque, réduite, mais constituant un ensemble cohérent et modernisé. Enfin, naturellement, elle continuera d'armer la composante sous-marine de la dissuasion.

L'armée de l'air mettra en oeuvre une flotte de combat plus ramassée mais modernisée et recentrée autour de la projection de puissance. Le Rafale en constituera progressivement l'ossature. Elle conservera une capacité d'aérotransport comparable à celle que nous connaissons aujourd'hui.

La gendarmerie assurera ses missions traditionnelles liées à la sécurité intérieure mais sera conduite à s'impliquer davantage dans la protection du territoire.

Enfin un certain nombre de missions de soutien devront être déléguées, ou confiées à du personnel civil dont le nombre sera naturellement accru.

La loi de programmation préparée par le gouvernement et présentée au parlement déterminera le volume des effectifs ainsi que le montant des crédits de fonctionnement et d'équipement. J'ai fixé l'enveloppe à 185 milliards de francs 95 en flux annuel sur l'ensemble de la période. La réduction de 15 % environ des crédits d'équipement et le resserrement du format devraient être largement compensés par la disponibilité élevée des moyens, par le haut niveau d'entraînement des forces et par la recherche de la supériorité technologique. Nombre de programmes déjà engagés vont dans cette voie mais l'équipement futur de nos armées ne sera assuré qu'au prix d'une adaptation de notre politique industrielle d'armement.

Bien sûr, pour relever ce défi, nous devons mettre en oeuvre un plan ambitieux de modernisation et de restructuration de notre industrie de défense, plan qui permettra de réduire nos coûts de production et d'améliorer la compétitivité de nos entreprises. Faute de quoi, nous ne pourrions pas répondre aux besoins de nos armées.

Nous pouvons être légitimement fiers des réalisations remarquables, du savoir-faire et de la maîtrise des hautes technologies auxquelles sont parvenues nos industries d'armement. Sous l'impulsion du général de Gaulle, l'esprit pionnier qui a animé la DGA s'est conjugué au talent et au dynamisme de nos ingénieurs et de nos ouvriers pour donner à la France les moyens d'affirmer sa souveraineté et son autonomie.

Aujourd'hui, notre industrie de défense excelle dans beaucoup de domaines. Mais le rétrécissement des marchés intérieurs, la concurrence accrue et exacerbée à l'exportation, dans certains cas le surdimensionnement de notre outil industriel, son morcellement, le coût toujours croissant des technologies de pointe, exigent un vigoureux effort d'apurement des dettes du passé, de rationalisation, de modernisation au service d'une grande ambition industrielle nationale.

C'est dans cet esprit que le gouvernement a décidé la constitution de deux grands pôles industriels dans l'électronique et dans l'aéronautique. Il s'agit de donner à ces entreprises une nouvelle dimension pour mieux les engager dans la compétition internationale.

L'industrie nationale doit être rassemblée et recentrée autour de ses pôles d'excellence et des technologies indispensables pour notre sécurité. Il va de soi, du fait de la nécessaire réduction des dépenses publiques, à laquelle la défense doit naturellement participer, qu'il n'est pas possible de maintenir tous les projets et programmes. Enfin l'adaptation de notre potentiel industriel et technologique devra désormais s'inscrire très largement dans un contexte européen.

Pour sa part, l'Etat veillera à améliorer la visibilité de ses choix grâce à une planification à long terme, des priorités clairement établies, le rétablissement d'une véritable loi de programmation militaire bâtie sur des hypothèses de ressources constantes et réalistes.

Nous devons mettre fin à l'enchaînement ininterrompu des programmes et contenir l'escalade incontrôlée du perfectionnement technique. Notre politique d'équipement devra davantage se fonder sur la recherche systématique du meilleur rapport coût-efficacité.

Cette modernisation, les états-majors, la DGA et les entreprises devront la réaliser ensemble. Je sais pouvoir compter sur leur sens des responsabilités et aussi sur leur esprit d'innovation.

Bien entendu, la restructuration de l'industrie d'armement et le resserrement du format des armées entraîneront des fermetures d'établissement et des dissolutions d'unités.

Le ministre de la Défense, sous l'autorité du Premier ministre, met au point, dès à présent, en concertation avec les ministres concernés, les mesures de reconversion économique et d'accompagnement social qui permettront de garantir l'avenir des travailleurs, des populations et des sites concernés.

Des mesures d'aménagement du territoire et des dispositions adaptées à chaque site seront élaborées en concertation très étroite avec les élus nationaux et locaux, avec les syndicats, avec les responsables administratifs et les acteurs économiques.

En tout état de cause, ces restructurations seront progressives, échelonnées sur six ans et, en ce qui concerne nos garnisons d'Allemagne, étudiées en liaison étroite avec nos partenaires d'outre-Rhin. Il va de soi que la France tiendra ses engagements et gardera sa place au sein du corps européen.

Les besoins des armées et la défense de la France devant être désormais assurés par des hommes et des femmes dont c'est la vocation et le métier, faut-il supprimer le service national ?

C'est un débat de société.

Le service militaire, qui constitua longtemps la forme unique du service national, a joué un rôle important dans l'histoire de la nation. Vous le savez mieux que quiconque.

Dès la IIIe République, il a été un vecteur privilégié de la citoyenneté et du patriotisme dans l'esprit et dans le coeur des jeunes Français. Aujourd'hui encore, personne ne met en cause l'esprit de discipline et de générosité des appelés dans nos régiments, sur nos bateaux et sur nos bases aériennes.

Mais depuis quelques années, l'évolution du monde et la réduction des effectifs militaires ont progressivement dénaturé le sens et les conditions d'exécution du service national. Ses principes fondateurs, l'universalité et l'égalité, sont chaque jour moins respectés.

Dès lors que le service des armes par des appelés n'est plus nécessaire, quel doit être son avenir ?

Je souhaite qu'un vrai débat, un grand débat national, soit engagé et que le Parlement puisse se prononcer d'ici l'été, à défaut de pouvoir soumettre cette question pour des raisons constitutionnelles au peuple français tout entier.

Personne n'ignore qu'il y a chez nous des besoins de sécurité, d'éducation, de santé, de protection de l'environnement et bien d'autres.

Notre jeunesse, garçons et filles, souvent privée de références, pourrait trouver dans l'accomplissement de tâches utiles et généreuses, un élan et une cohésion qui lui rendraient le sens d'un destin commun. Un service national rénové, si les Français le souhaitent, pourrait s'articuler autour de trois pôles : la prévention et la sécurité, la solidarité, l'humanitaire.

En tout état de cause, s'il était décidé, ce nouveau service national ne serait mis en place que progressivement pendant la période des six ans nécessaire à la professionnalisation des armées.

Mais si, à l'inverse, on choisissait de tourner la page et de mettre un terme à la conscription obligatoire et universelle, pour les garçons, il y aurait place, me semble-t-il, pour un volontariat, qui permettrait aux jeunes gens les plus motivés de consacrer quelques mois de leur vie à la communauté nationale de le faire avec coeur et d'en récolter le fruit au moment où ils entrent dans la vie active. Nous verrons cela au terme du débat que j'évoquais à l'instant.


Je voudrais, pour terminer, répondre à vos inquiétudes. Je les connais. Elles sont légitimes dans cette période de grand changement et je voudrais vous dire ce que j'attends de vous.

Vous avez tous vécu jusqu'ici votre vie professionnelle dans le cadre d'une armée de conscription tournée pour l'essentiel vers la défense des frontières. Vous vous êtes consacrés avec dévouement et compétence à vos appelés que vous aimez et qui vous respectent.

Je comprends vos interrogations inquiètes à l'approche de ce bouleversement que constitue le passage à l'armée de métier.

Je devine l'émotion des chefs de corps qui devront dissoudre leurs régiments. Je sais qu'il est difficile de rompre avec des habitudes et des modes de pensée qui ont constitué la trame d'une vie. Et on ne fait pas ce métier de soldat sans y mettre beaucoup de son coeur et beaucoup de son âme.

Mais vous devez comprendre qu'il n'est pas, qu'il n'a jamais été de modèle immuable pour la défense de la France. Le service militaire n'est obligatoire que depuis moins d'un siècle. Le réalisme commande aujourd'hui que nos armées soient professionnalisées.

Soyez confiants. Ceux, parmi vous, qui ont servi ou qui servent dans nos unités d'engagés peuvent témoigner de la qualité exceptionnelle, opérationnelle et humaine de leurs soldats. Ils savent que nous n'aurons pas de peine à recruter les jeunes de valeur qui chercheront dans les armées le cadre chaleureux, exigeant et enthousiaste que vous saurez créer pour eux.

Pourtant sans doute, plus encore que le modèle futur de notre armée, ce qui inquiète aujourd'hui beaucoup d'entre vous, c'est la période de transition qui permettra d'y parvenir.

J'affirme solennellement qu'il n'y aura pas de loi de dégagement des cadres. Je le précise car je l'ai lu ici ou là, ne croyez pas tout ce qui est écrit. Il y aura, bien sûr, une réduction des effectifs d'officiers et de sous-officiers, mais elle sera limitée par l'accroissement du taux d'encadrement et par les seuls départs qui seront volontaires, et éventuellement facilités par des mesures financières et administratives adaptées.

Il reste enfin une dernière interrogation à laquelle je voudrais répondre. Cette loi de programmation, la plus importante depuis la fin de la guerre d'Algérie, puisqu'elle conditionne la réussite du passage d'une armée à une autre, cette loi sera-t-elle respectée ? Je m'y engage et j'y veillerai personnellement. J'ai voulu que les dépenses de restructuration qui ne relèvent pas de la défense soient exclues de l'enveloppe globale des crédits militaires et je veillerai aussi à ce que le projet que j'ai approuvé ne soit en aucun cas remis en cause.

Nous avons devant nous un immense chantier, un véritable défi à relever. Nos armées ont connu beaucoup de réformes depuis dix ans mais aucune de cette ampleur. Il va falloir poursuivre la réorganisation du commandement engagée depuis 4 ans et qui a permis de renforcer la capacité de renseignement et d'action du chef d'état-major des armées. Mais il faudra surtout repenser, dans chaque armée, l'organisation des forces de soutien. Il faudra concevoir des structures organiques responsables de l'entraînement et de la vie courante. Des unités modulaires et sécables devront savoir s'agréger souplement et sans délai, le moment venu, à des états-majors entraînés.

Ainsi, en toutes circonstances, disposerons-nous d'une force d'intervention adaptée qui pourra, selon le cas, agir seule ou dans le cadre d'une alliance ou d'une coalition, pour remplir les missions que lui confiera la nation.

Mes amis, dans ces bouleversements et alors que la tentation sera grande de privilégier les choix techniques, je vous demande expressément de ne pas oublier l'homme. On ne combat pas seulement avec des armes, on n'expose pas sa vie sans raison forte.

Ce sera le rôle essentiel de chacun des chefs d'état-major que de savoir préserver l'âme de leurs unités en veillant sans faiblesse, dans la conduite des restructurations, au respect des sensibilités légitimes et au maintien des vraies traditions.

J'attends de vous, chefs militaires responsables, une adhésion sans faille à cette oeuvre de refondation de nos armées. J'attends des chefs de corps, des commandants de bâtiments et de bases aériennes qu'ils expliquent à leurs subordonnés le sens de ces réformes et qu'ils leur fassent partager notre volonté de réussir ensemble cette phase difficile de transition.

J'attends de nos jeunes officiers et de nos sous-officiers et officiers-mariniers, qui sont l'ossature de notre armée et dont je sais la valeur maintes fois prouvée dans les opérations récentes, qu'ils se consacrent à cette tâche avec leur enthousiasme et avec leur générosité.





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