Intervention du Président de la République devant l'Assemblée parlementaire de l'UEO.

Intervention de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant l'Assemblée parlementaire de l'UEO.

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Paris, le mardi 3 décembre 1996

Monsieur le Président,

Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames, Messieurs,

Monsieur le Président, d'abord merci pour les mots amicaux que vous avez bien voulu prononcer pour m'accueillir j'y étais particulièrement sensible, et je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer à nouveau devant votre Assemblée, dix ans après avoir souligné, ici même, la nécessité de donner un nouveau souffle au développement de l'UEO.

Monsieur le Président, avant de faire quelques réflexions, et ainsi le point de la position de la France dans ce domaine, je voudrais vous dire que, tout de suite après, dans le cadre de la préparation du Conseil européen de Dublin, je reçois le Chancelier Kohl et celui-ci m'a fait savoir tout à l'heure qu'il avait un problème en soirée et que, par conséquent, il entendait venir à trois heures et non plus à quatre heures. Je lui ai dit qu'il m'était tout à fait impossible naturellement de répondre à son désir en raison de ma présence ici et alors nous avons fait, comme il se doit n'est-ce pas, entre Européens bien élevés, un compromis.

Et ce compromis me conduit à devoir être vraiment de façon impérative à quatre heures à mon bureau pour le recevoir et par conséquent, je n'aurai pas, Monsieur le Président, la possibilité comme je l'avais souhaité, de répondre à des questions. Mais j'ai reçu les questions qui m'ont été posées et par conséquent, je me propose, si vous en étiez d'accord Monsieur le Président, et si les auteurs de ces questions voulaient bien l'accepter, de leur répondre par écrit une lettre qui naturellement pourrait, selon la volonté de la Présidence, être diffusée comme elle le souhaiterait, et je vous prie, Mesdames et Messieurs les Parlementaires de bien vouloir comprendre cette difficulté de dernier moment.

La création d'une Europe de la défense et de la sécurité ne se fera pas sans l'adhésion profonde des opinions publiques. Telle est l'une des missions essentielles qui incombe à votre Assemblée. Je voudrais saluer la constance avec laquelle vous vous acquittez de cette tâche. Je vous en félicite, je vous en exprime ma reconnaissance et, si je puis me permettre amicalement, je vous invite à poursuivre résolument dans cette voie.

Je voudrais rendre un hommage tout particulier à l'action du Président de votre Assemblée, Sir Dudley Smith, qui a su apporter, tout au long de son mandat, une impulsion forte, intelligente, efficace à vos travaux.

Le Président sait que, depuis longtemps, je suis favorable au développement des moyens et des responsabilités de l'UEO. C'est toujours la position de la France, vous le savez, et c'est donc un titre qui me permet d'exprimer à Sir Dudley Smith toute ma reconnaissance pour l'action qu'il a menée à la Présidence de votre Assemblée. Merci, Monsieur le Président.


Chacun mesure l'ampleur des progrès réalisés depuis quarante ans dans la construction européenne, et d'abord en matière économique. La monnaie unique, pour laquelle vous connaissez l'engagement de la France, nous permettra de franchir une nouvelle étape, une étape décisive d'ailleurs, dans cette direction.

Au regard de cette dynamique européenne, la construction d'une Europe de la défense et de la sécurité n'en est en réalité qu'à ses débuts, en dépit des efforts réalisés dans le cadre notamment de votre Assemblée.

Nous devons avoir aussi, dans le domaine de la sécurité et de la défense, une grande ambition pour l'Europe. Nous l'avons dans le domaine politique, dans le domaine économique, nous devons l'avoir dans le domaine de la sécurité. Car l'Histoire nous enseigne qu'une civilisation, pour maîtriser son destin, doit avoir la volonté et les moyens nécessaires pour assurer sa propre sécurité.

L'Europe doit mettre un terme à son impuissance. Elle doit s'affirmer comme l'un des acteurs majeurs du monde, d'un monde multipolaire qu'il nous faut construire en achevant d'effacer Yalta.

Pour cela, l'Europe doit être en mesure d'assurer, sur son sol, la paix et la sécurité. Elle doit contribuer à la stabilité du monde, comme le commandent son histoire, le niveau de son développement et ses intérêts. Elle doit, en un mot, assumer ses responsabilités en matière de défense et se doter d'une véritable politique étrangère et de sécurité commune.


La conjonction de deux négociations essentielles, vous y avez fait allusion, Monsieur le Président, dans le cadre de l'Union européenne et dans celui de l'Alliance atlantique, nous offre une chance historique de faire progresser une grande ambition européenne dans ce domaine.

Pour cela, les Européens doivent affirmer une volonté politique commune. Tel est le sens des propositions présentées par la France devant la Conférence Intergouvernementale.

Il s'agit d'abord de faire du Conseil européen l'instance suprême d'orientation et de décision dans les domaines de la sécurité et de la défense. En définissant précisément le contenu que nous souhaitons donner à la politique de défense commune, nous pourrions mettre en cohérence les acquis de nos différentes coopérations bilatérales qui se développent.

Dans le même temps, le Haut Représentant, dont la France propose la désignation, permettra d'assurer la représentation de l'Union, en liaison avec la Présidence et naturellement sur mandat du Conseil.

Il s'agit ensuite de permettre aux Etats qui ont la volonté et la capacité d'engager des coopérations renforcées, à l'image de ce qui est en cours dans le cadre de l'Union économique et monétaire, de le faire. Décidées par le Conseil des Ministres de l'Union, ces coopérations renforcées auront un champ d'action privilégié dans le domaine de la sécurité et de la défense.

Il s'agit enfin de resserrer les liens institutionnels entre l'Union européenne et l'UEO. L'UEO doit devenir, comme il en a été convenu à Maastricht, la composante de défense à part entière de l'Union européenne. Elle doit permettre à l'Union de mettre en oeuvre celles de ses décisions qui ont des implications dans le domaine militaire.


Les négociations engagées pour la réforme de l'Alliance atlantique constituent un autre enjeu décisif pour le devenir de l'UEO. Elles doivent permettre d'affirmer, à travers l'UEO et au sein de l'Alliance, une identité européenne de sécurité et de défense visible sur le plan politique et efficace sur le plan militaire.

Les réunions ministérielles de l'OTAN à Berlin et à Bruxelles, au mois de juin de cette année, ont marqué, je dirai, un tournant dans l'histoire de l'Alliance : pour la première fois, au-delà des pétitions de principe, les alliés ont décidé d'engager la réforme des structures et des procédures de l'OTAN afin de donner une traduction concrète à l'identité européenne dans l'Alliance.

L'objectif est notamment de permettre aux Européens de conduire, sous la direction de l'UEO et avec l'appui des moyens de l'OTAN, des opérations qu'ils jugeraient indispensables et dans lesquelles les Etats-Unis auraient décidé de ne pas s'impliquer directement.

Des progrès ont été accomplis au cours des dernières semaines pour permettre la mise en oeuvre effective des décisions prises à Berlin et Bruxelles. Des éléments européens, comprenant des positions de commandement ainsi que des moyens de planification et de soutien, sont en cours d'identification au sein de l'OTAN.

Un large accord se dessine dans l'Alliance pour la mise en place d'un SACEUR-adjoint qui soit européen et doté de vrais pouvoirs en temps de paix comme en temps d'opérations. Cet officier général devra être notamment l'interlocuteur du Conseil de l'UEO pour la préparation et la mise en oeuvre des opérations européennes faisant appel aux moyens de l'Alliance.

Il reste, ne nous le dissimulons pas, des points essentiels et très difficiles, en tous les cas pour ce qui nous concerne, à résoudre, notamment l'européanisation des commandements régionaux, la solution de ces problèmes est évidemment indispensable pour réussir la réforme engagée.

Mais l'aboutissement de cette réforme, si elle est possible, permettrait de réconcilier nos ambitions européenne et atlantique, trop longtemps et trop artificiellement opposées. L'affirmation des responsabilités des Européens pour leur propre défense, et le maintien de l'engagement politique et militaire des Etats-Unis en Europe, sont deux éléments indissociables de la sécurité de notre continent.

Le succès de la réforme de l'OTAN, je le répète s'il est possible, car rien n'est encore fait, donnerait corps à ce nouveau partenariat transatlantique dont j'ai souligné la nécessité en février dernier devant le Congrès des Etats-Unis.


Les négociations engagées dans le cadre de l'Alliance atlantique et de l'Union européenne montrent le rôle important, très important qui doit revenir à l'UEO. L'UEO doit saisir l'opportunité qui lui est offerte de s'affirmer à la fois comme l'expression d'une véritable identité européenne dans l'Alliance et comme la composante de défense de l'Union européenne.


Il faut pour cela qu'elle se dote des capacités opérationnelles nécessaires, qu'elle renforce ses liens institutionnels avec l'Union européenne, qu'elle s'engage enfin dans une vraie réflexion sur son mode de fonctionnement interne. Telles sont les trois priorités qui guideront la Présidence française de l'UEO lors du premier semestre de l'année 1997.

Je me réjouis de la concertation étroite qui s'est instaurée, pour la préparation de cette échéance, avec la Présidence belge qui s'achève, à laquelle je tiens à rendre hommage, et avec la Présidence allemande qui suivra celle de la France.


Le renforcement des capacités opérationnelles de l'UEO est aujourd'hui la première des conditions à remplir pour en faire une organisation capable d'agir. Il faut la mettre en mesure de répondre aux demandes que pourra lui adresser l'Union européenne, en utilisant si nécessaire les moyens qui seront mis à sa disposition par l'Alliance atlantique.

Renforcer les capacités opérationnelles de l'UEO, c'est, je crois, viser simultanément quatre objectifs.

Premier objectif : renforcer la cellule de planification. Elle doit être en mesure de contribuer efficacement aux planifications qui seront effectuées conjointement entre l'UEO et l'OTAN. Elle doit également pouvoir réaliser, si nécessaire, la planification complète d'opérations que l'UEO aurait à conduire seule.

Deuxième objectif : la compétence aujourd'hui reconnue du Centre satellitaire de Torrejon doit être mise au service d'une véritable ambition spatiale pour l'Europe. Chacun mesure combien une capacité d'observation spatiale performante est l'une des conditions essentielles de l'autonomie stratégique.

La coopération exemplaire engagée entre la France et l'Allemagne dans le domaine des satellites militaires d'observation doit nous permettre de progresser, avec l'Italie, avec l'Espagne notamment, vers la constitution d'un véritable pôle européen du renseignement spatial.

Engageons, au niveau européen, une réflexion sur ce sujet essentiel. Assurons la convergence de nos efforts vers l'Europe spatiale et dans le cadre d'un projet d'ensemble.

Troisième objectif : l'UEO doit assurer la cohérence des forces multinationales mises en place entre les pays européens. Je pense en particulier au Corps européen, aux Euroforces ou au Groupe aérien européen.

L'élargissement progressif de ces unités à de nouveaux partenaires témoigne d'une vraie dynamique européenne. Il est souhaitable de mieux articuler ces forces avec l'UEO. La France présentera prochainement des propositions en ce sens.

Quatrième et dernier objectif, qu'il faut sans doute placer au premier rang de nos ambitions : l'UEO doit contribuer à fédérer les efforts entrepris par les Européens pour la constitution d'une base industrielle et technologique compétitive en matière de défense.

Chacun comprend aujourd'hui que la restructuration de nos industries d'armement ne peut être menée à bien au seul niveau national. Elle appelle une réponse collective des pays européens concernés.

La signature par la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie, le 12 novembre dernier à Strasbourg, des textes constitutifs de " l'organisme conjoint de coopération en matière d'armement " nous montre la voie qu'il faut suivre je crois. Je souhaite que cet organisme puisse s'ouvrir dès que possible à ceux de nos partenaires qui en approuvent les principes et qui en partagent les objectifs.

La récente réunion ministérielle de l'UEO à Ostende a créé " l'Organisation de l'Armement de l'Europe Occidentale ", avec pour mission essentielle de donner une nouvelle impulsion à la coopération européenne dans le domaine de la recherche. Elle marque une autre étape importante vers la mise en place d'une véritable Agence européenne de l'armement qui est une nécessité incontournable.

Le processus ainsi engagé doit apporter une contribution majeure à l'affirmation de l'identité européenne de défense, un peu à l'image du rôle qu'a joué la Communauté européenne du charbon et de l'acier pour la réalisation du Marché commun.

La France s'attachera à donner toute son ampleur à cette dynamique.


Le rapprochement institutionnel entre l'UEO et l'Union européenne, dans la perspective de l'insertion à terme de l'UEO dans l'Union, constituera la deuxième priorité de la Présidence française.

Ce rapprochement suppose d'abord le resserrement des liens de travail entre les deux organisations, et cela à tous les niveaux. A titre d'exemple, les travaux engagés en vue de la transformation de l'Institut d'études de sécurité de l'UEO en Académie européenne de défense et de sécurité s'inscrivent dans cette perspective. Leur aboutissement permettrait de doter les Européens d'un instrument efficace d'analyse et de prospective stratégiques.

Au-delà de ce renforcement des relations de travail, le moment me paraît venu de réfléchir à l'échéance de 1998, qui doit marquer le cinquantième anniversaire de l'UEO.

Cette échéance doit être l'occasion de codifier les relations nouvelles entre l'UEO, l'Union européenne et l'OTAN, et de décider des éventuels amendements qui pourraient être apportés en ce sens au Traité de Bruxelles. Il conviendrait d'examiner, dans l'intervalle, le calendrier et les modalités possibles de l'insertion de l'UEO dans l'Union européenne.

Je souhaite que la Présidence française soit l'occasion d'une réflexion en profondeur sur cette question essentielle pour l'avenir de l'organisation.


Cette réflexion est indissociable de celle qu'il faut engager, au niveau politique, sur le fonctionnement interne de l'UEO. Telle sera la troisième et dernière priorité de la Présidence française.

L'UEO exerce, et je m'en réjouis, une attraction importante en Europe. De nouveaux membres ont rejoint le groupe fondateur : l'Espagne et le Portugal en 1988, beaucoup d'ailleurs sous l'impulsion française, la Grèce en 1994. Les autres membres de l'Union ont acquis un statut d'observateur. Les alliés non membres de l'Union, puis nos partenaires de l'Europe centrale et orientale, sont désormais associés aux travaux de l'Union de l'Europe Occidentale.

Ces développements positifs n'en ont pas moins créé, au sein de l'UEO, un alourdissement des procédures et surtout une multiplicité des statuts qui limitent la visibilité politique de l'organisation et l'efficacité de son fonctionnement interne.

Il est indispensable d'engager une réflexion sur ce sujet, afin de permettre un fonctionnement plus efficace de l'UEO tout en consolidant les acquis de la coopération engagée avec les pays qui ne sont pas membres pleins de l'organisation.


Les extensions à venir de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique, qui devront être conduites de façon harmonieuse, permettront également l'adhésion pleine et entière de nouveaux pays à l'UEO.

Cet élargissement de la famille européenne à des Etats qui en ont été trop longtemps séparés ne doit pas conduire à créer de nouvelles lignes de fracture en Europe. Il doit permettre au contraire un renforcement de la sécurité et de la stabilité sur l'ensemble du continent européen. Tel est le message que j'ai souligné hier à Lisbonne, lors du Sommet de l'OSCE, en appelant au renforcement de cette organisation.

L'affirmation de l'identité européenne de défense et de sécurité, et l'effacement de l'ordre bipolaire né à Yalta, s'inscrivent dans la même perspective : celle d'une Europe rassemblée, unie, unie dans une même volonté d'être l'un des acteurs principaux, des grands acteurs du monde de demain.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.





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