Allocution prononcée par M. Jacques Chirac Président de la République devant la Commission nationale consultative des Droits de l'homme.

ALLOCUTION PRONONCEE PAR M. JACQUES CHIRAC, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, DEVANT LA COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME.

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Palais de l'Elysée - Mardi 10 décembre 1996

Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Monsieur le Président de la Commission Nationale

Mesdames et Messieurs,

Monsieur le Président, en accueillant les travaux de votre Commission, en cette journée où chacun est appelé à méditer sur le respect des Droits de l'homme dans le monde, je souhaitais souligner le rôle et l'importance de votre institution, et aussi lui rendre hommage. Je tenais également à témoigner de la fidélité de la France à son combat, je dirais de toujours, pour la liberté et pour la dignité des hommes.

L'an prochain, Monsieur le Président, votre Commission célébrera le 50e anniversaire de sa création. Son fondateur, un homme pour qui j'avais une infinie estime, René CASSIN, voulait en faire la voix de l'humanisme français sur la scène internationale, l'instrument privilégié du rapprochement et du dialogue entre Etats pour la promotion des Droits de l'homme.

En un demi-siècle, votre commission, Mesdames et Messieurs, s'est admirablement acquittée de sa tâche. L'oeuvre accomplie est immense. Aujourd'hui, ce sont 60 institutions nationales qui veillent, sur tous les continents, à la protection et au développement des libertés. Ce réseau et les progrès qu'il a permis, la Commission nationale consultative des droits de l'homme en a été l'un des principaux artisans.

Mais c'est aussi chez nous, dans la consolidation de la démocratie, que votre Commission, par ses rapports, par ses avis, exerce ses compétences. Des compétences toujours élargies.

Sans doute depuis la Libération, on ne meurt plus en France pour y établir, ou rétablir, les libertés essentielles. Nous sommes habitués à la liberté jusqu'à n'y plus penser. C'est pour cela que la vigilance est plus nécessaire que jamais. Nous avons besoin que des hommes et des femmes d'expérience, passionnés par les Droits de l'homme, scrutent l'horizon et nous disent : attention, telle loi, telle situation, tel comportement peuvent porter atteinte aux grands principes qui fondent notre République.

Pour nous, qui savons nos libertés fondamentales garanties, la notion même de Droits de l'homme s'est étendue. De plus en plus de projets nous semblent engager l'essentiel. Parce qu'une démocratie moderne est aussi une démocratie sociale, à l'écoute des aspirations de chacun, le champ de votre vigilance n'a cessé de s'élargir au fil des temps. Il faut s'en féliciter.

Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, nous attendons que vous éclairiez, toujours davantage, le débat démocratique. Voilà pourquoi je souhaite que le Gouvernement vous consulte sur tout projet de loi touchant aux Droits de l'homme, ceux-ci entendus au sens le plus large.

La France doit et peut encore accomplir des progrès, c'est évident. Rappelons-nous aussi, et enseignons aux plus jeunes, combien la démocratie est fragile. Qu'elle n'est jamais ni gagnée, ni achevée. Qu'elle est un combat de tous les instants et qu'il faut sans cesse l'affermir. Rappelons-nous les hésitations, les retours en arrière et aussi les tragédies de l'Histoire.

Prenons garde qu'aujourd'hui, la dureté des temps, les difficultés de chacun, l'inquiétude pour l'avenir ne sécrètent, comme hier, ce qui conduit au pire : l'indifférence, le repli sur soi, le rejet de l'autre, l'intolérance et la haine.

Nous devons être vigilants. La France n'est sans doute pas irréprochable. S'il subsiste dans notre droit, dans nos pratiques, dans le déroulement de certaines de nos procédures administratives ou judiciaires, des zones d'ombre, des lenteurs, des difficultés d'application ou d'interprétation, des éléments contraires à nos principes républicains, ou à nos engagements internationaux ou tout simplement à l'humanité, alors nous devons y remédier.

Nous devons veiller à ce que la loi s'applique à tous, avec la même rigueur. Lorsque des attitudes ou des pratiques discriminatoires, des paroles racistes ou xénophobes s'expriment dans notre pays, alors elles doivent être relevées, poursuivies et sanctionnées.

Comme toute démocratie, la France doit parfois concilier des exigences contradictoires. La liberté revêt un caractère sacré. Mais il nous faut veiller à ce que l'invocation abusive des libertés ne dévoie pas le jeu démocratique.

Nous ne laisserons pas les appels à l'exclusion, à la haine, à la violence, voire au meurtre, s'abriter derrière la liberté d'expression. Nous ne laisserons pas ceux qui nient l'égale dignité des hommes et des femmes, ceux qui prônent une forme de ségrégation, s'appuyer sur la liberté de conscience. Nous ne laisserons pas certains groupes asservir les âmes et détruire le libre-arbitre en se protégeant derrière la liberté de croyance et de culte.

Sur toutes ces questions, nous avons besoin, Mesdames et Messieurs, de votre expérience et de votre clairvoyance. Ensemble, nous devons parvenir à ce point d'équilibre où la liberté et la dignité de chacun, et les principes fondateurs de la République sont pleinement respectés.

C'est en étant vigilant et ferme sur les principes, mais c'est aussi par plus de fraternité que nous renforcerons la démocratie dans notre pays.

Nous devons maintenir notre cohésion sociale. Faire en sorte que chacun se reconnaisse dans nos valeurs et nos institutions. Répondre aux appels pressants de nos compatriotes. Et rendre l'espoir à ceux qui se croient abandonnés.

Vous venez, Monsieur le Président, d'examiner notre projet de loi contre l'exclusion. J'attache, vous le savez, une grande importance à ce texte qui répond ou essaie de répondre le mieux possible aux urgences de notre temps.

Être libre dans la France d'aujourd'hui, c'est avoir un emploi, un logement, des conditions d'existence décentes permettant une vie familiale normale. C'est recevoir une vraie formation et ce, à tout moment de sa vie, c'est-à-dire se voir accorder une seconde chance. C'est avoir accès aux soins et bénéficier de la protection sociale normale. J'attends de cette loi contre l'exclusion qu'elle conforte ces droits fondamentaux, qu'elle affirme qu'ils s'appliquent à tous et qu'elle les traduise dans les faits.

Parce que nous avons un idéal d'intégration et non de juxtaposition de communautés, nous devons tout faire pour faciliter l'intégration dans notre pays des étrangers qui y sont régulièrement installés et qui respectent nos lois. J'ai notamment demandé au Gouvernement que l'on raccourcisse le délai d'examen des demandes de naturalisation, et que l'on réfléchisse aux moyens de favoriser la pleine insertion culturelle et sociale des populations d'origine immigrée. Un rapport dans ce sens vient d'être remis au ministre délégué à la Ville et à l'intégration.

La France vient à nouveau d'être frappée par le terrorisme. C'est en fait la démocratie qui est visée. Les Français, n'en doutons pas, feront une fois encore preuve de sang-froid, de courage et de solidarité. Mais je sais aussi qu'ils se garderont de tout amalgame. Nous ne ferons pas le jeu du terrorisme, d'aucune manière.

Ainsi, en consolidant chaque jour la démocratie, en accomplissant de nouveaux progrès, en nouant de nouvelles solidarités, en affirmant sa fidélité à ses valeurs et à ses engagements, en faisant front commun contre la menace, la France sera plus forte. Elle sera mieux à même de défendre les Droits de l'homme dans le monde.

Notre pays a, dans ce domaine, une mission que je considère comme historique. Depuis deux siècles, les libertés sont l'un de nos grands combats sur la scène internationale. Elles forment, avec le développement et la paix, les trois piliers d'une même réalité. Ensemble, ils tendent à plus de progrès et de mieux-être. La poursuite de cet idéal demeure le fondement de notre action dans le monde.

La France est dans son rôle quand elle réagit aux tragédies que connaît l'humanité et appelle ses partenaires à répondre aux situations d'urgence.

Mais, au-delà de l'urgence, militer pour les Droits de l'homme dans le monde, c'est mener un travail de long terme. C'est faire progresser l'Etat de droit.

Mesdames et Messieurs, il y a bientôt dix ans, le 8 janvier 1987, votre Commission était rattachée au Premier ministre. J'avais eu l'honneur de l'installer. J'avais alors évoqué les nombreuses atteintes aux Droits de l'homme sur tous les continents. Que de chemin parcouru depuis !

Un monde nouveau se dessine, libéré de la logique des blocs, de ses affrontements et de ses luttes d'influence. Un monde où se réveillent parfois, c'est vrai, les vieux démons du nationalisme, du fanatisme et de la haine raciale, ethnique ou religieuse. Mais un monde aussi plein de promesses.

De nombreux pays font aujourd'hui l'apprentissage de la démocratie. Partout, les grandes libertés - les libertés d'opinion et d'expression, l'égalité devant la justice, le refus de l'arbitraire et la soumission du pouvoir aux règles constitutionnelles et au verdict des urnes -, partout ces principes démocratiques fondamentaux tendent petit à petit à s'imposer. Partout, de plus en plus de gouvernements veillent au mieux-être des hommes et des femmes dans leur pays.

Nous devons les aider, en leur apportant notamment le soutien politique et technique dont ils ont besoin. Dans cet esprit, j'ai proposé à Brazzaville, cet été, qu'un Observatoire de la démocratie guide, en Afrique, les gouvernements qui souhaitent s'engager dans cette voie et qui sont, depuis quelques années, de plus en plus nombreux.

C'est aussi le rôle de la Commission nationale consultative des Droits de l'homme que de lancer de telles coopérations. Ainsi, s'est-elle associée, l'année dernière, à l'organisation, à Paris, d'une première session de formation de ses institutions homologues d'Afrique. Je souhaite que cette expérience pilote soit étendue à d'autres régions du monde.

A l'égard des pays où les libertés sont encore ignorées, la France, respectueuse, bien sûr, de la souveraineté et de la culture de chacun, privilégie le dialogue pour convaincre. Il arrive qu'une condamnation sans équivoque s'impose, que des sanctions politiques soient prises quand toutes les autres voies ont été épuisées. Mais nous devons d'abord convaincre. Nous devons montrer combien le développement et la croissance sont liés aux progrès de la démocratie. Nous devons montrer que la famille démocratique est accueillante et que la solidarité y joue à plein.

La France est fidèle à sa mission historique lorsqu'elle plaide en faveur des Droits de l'homme dans les grandes instances de négociation. C'est le sens de notre engagement en Europe pour la préservation et le développement de notre modèle social. C'est le sens de notre participation continue et active aux travaux des organisations et commissions spécialisées des Nations Unies. Nous y défendons nos principes. Nous y faisons valoir l'égale dignité des hommes et des femmes. Nous plaidons aussi en faveur de l'enfance.

Nous savons aujourd'hui que 250 millions d'enfants sont au travail, et dans quelles conditions parfois dramatiques. Chez nous, l'interdiction du travail des enfants aurait été l'une de nos plus belles conquêtes. Nous devons tout faire pour qu'ailleurs dans le monde, cesse l'esclavage des enfants.

Nous devons également mettre un terme aux violences qui s'exercent sur les enfants. La récente Conférence de Stockholm a marqué une prise de conscience de la communauté internationale. L'Union européenne a entrepris une action commune dans ce domaine. La France vient d'élaborer un projet de texte réprimant sévèrement ces pratiques innommables. Votre Commission, Monsieur le Président, a été invitée à s'exprimer sur ce projet.

La France est fidèle à ses valeurs et à son histoire lorsqu'elle plaide en faveur de l'aide au développement et pour la dignité de l'homme au travail.

C'est aussi l'honneur de la France d'accueillir sur son sol les hommes et les femmes qui, en raison de leurs croyances, de leurs origines, de leurs convictions, sont inquiétés par leurs gouvernements. Notre pays, soucieux de maîtriser les flux migratoires, continuera néanmoins, en liaison avec ses partenaires européens, de jouer tout son rôle de terre d'asile.

Partout, la France se fait l'avocat des militants des Droits de l'homme. Partout, des combattants de la dignité exposent leur vie, leur liberté, celles de leurs familles et celles de leurs proches, pour que l'emporte une certaine vision de l'homme. Partout, des hommes, des femmes, des enfants parfois, sont emprisonnés, torturés, persécutés, privés d'emploi, interdits d'existence normale, obligés de s'exiler, quand ils le peuvent, ou bien tout simplement disparaissent.

Leur devenir et l'information de leurs familles sont au coeur du nécessaire dialogue que nous avons avec les Etats où les libertés sont bafouées. Nous menons en leur faveur des efforts forcément discrets mais obstinés, souvent couronnés de succès. Ces hommes et ces femmes, je tiens aujourd'hui, ici, à leur rendre hommage.

Mesdames et Messieurs, le prix des Droits de l'homme de la République française est un encouragement à poursuivre et à développer votre action. Mais au-delà, il s'adresse à tous les défenseurs des Droits de l'homme. Il témoigne de la reconnaissance et de l'admiration que nous leur portons.

Les projets récompensés cette année portent sur la promotion de la citoyenneté ou l'amélioration des conditions de détention. Des projets qui, tous, font progresser chaque jour, sur le terrain, la cause des Droits de l'homme, en faisant évoluer les mentalités, en enracinant la démocratie.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je salue votre courage, la force de vos convictions, la générosité qui vous anime. Au moment de remettre le prix des Droits de l'homme de la République française, laissez-moi vous dire notre profonde gratitude pour tout ce que vous faites en faveur de centaines de millions d'hommes et de femmes dans le monde qui ont besoin de vous, qui ont besoin de nous.

Je vous remercie.





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