Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République devant le Parlement libanais à Beyrouth

Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République devant le Parlement libanais à Beyrouth

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Beyrouth, Liban, le jeudi 4 avril 1996.


Monsieur le Président de la Chambre des Députés,

Monsieur le Président du Conseil des Ministres,

Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Députés,

C'est pour moi un grand honneur de m'exprimer devant le Parlement libanais, enceinte qui symbolise l'esprit des institutions de votre pays. Je vous remercie d'avoir bien voulu m'y convier.

En choisissant d'effectuer au Liban ma première visite officielle au Moyen-Orient, j'ai voulu marquer l'attachement et l'affection de la France pour votre pays. Le général de Gaulle, Chef de la France libre, trouvait, à Beyrouth, le 27 juillet 1941, les mots justes pour illustrer la permanence et la force de nos liens : " Si nous sommes heureux de prendre de nouveau contact avec le Liban ", déclarait-il alors, " c'est d'abord parce que dans tout coeur de Français, le nom seul du Liban fait remuer quelque chose de très particulier. Les Libanais, libres et fiers, ont été le seul peuple dans l'histoire du Monde qui, à travers les siècles, quels qu'aient été les péripéties, les malheurs, les bonheurs, les destins, le seul peuple dont jamais le coeur n'a cessé de battre au rythme du coeur de la France ".

Je n'oublie pas non plus que votre peuple a 6000 ans de longue histoire, qu'il pratique aujourd'hui avec aisance notre langue et partage avec nous des valeurs de civilisation et de culture.

Chacun sait que la solidité, la force de notre amitié reposent, d'abord, sur les liens du coeur et de l'esprit. Nos enseignants, nos universitaires, nos juristes, nos médecins n'ont cessé d'échanger avec vos élites, et celles-ci ont fait à la France l'honneur d'utiliser sa langue, de pénétrer son génie, d'accueillir son enseignement.

Ce lien puissant et ancien qui vous unit à la France et à l'Europe a donné à votre pays une ouverture exceptionnelle sur le monde occidental. Au carrefour de l'Orient et de l'Occident, de la Chrétienté et de l'Islam, à la croisée des mondes européen, méditerranéen et arabe, le Liban, sa richesse, son originalité, tiennent dans la rencontre des civilisations et des religions.

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Au lendemain de la Première Guerre mondiale, votre Etat et vos institutions voyaient le jour. Vos frontières étaient reconnues par l'ensemble de la communauté internationale. Comme par le passé, la France est profondément attachée à votre indépendance, à votre souveraineté, au respect de votre intégrité territoriale dans des frontières intangibles.

Sachez combien notre histoire partagée est un élément de fierté pour la France. Jamais elle ne s'est détournée de votre destin. Aux pires heures de vos épreuves, et jusqu'à une période récente, ses fils et ses soldats tombèrent pour que l'emportent le droit et la paix. Oui, la France est fidèle à son engagement historique pour l'indépendance et la souveraineté du Liban !

Ainsi, comment ne pas rappeler la solidarité exprimée par le général de Gaulle immédiatement après l'assaut de l'aéroport civil de Beyrouth ? Comment ne pas évoquer les efforts constants, parfois solitaires, de mon pays pour appeler les pays membres des Nations Unies au respect de toutes les résolutions du Conseil de sécurité et en premier lieu de la résolution 425 dont la mise en oeuvre permettra à votre pays de recouvrer son intégrité territoriale ?

Oui, Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Députés, je l'affirme solennellement ce soir devant vous : la France n'aura de cesse de militer pour une paix juste et globale dans la région. Une paix qui restaure votre pays dans toute sa souveraineté, sur tout son territoire. La France, je le répète, souhaite un Liban libre, indépendant et souverain.

Depuis l'accord de Taëf, depuis que le Liban, qui n'a jamais désespéré, a tourné la longue et terrible page de la guerre, le temps de la paix, de la réconciliation et de la reconstruction est enfin venu. La France s'engage résolument à vos côtés dans cette phase nouvelle de votre histoire.

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L'attachement de la France au Liban est profondément vivant car il repose sur la fidélité à une communauté de valeurs. Des valeurs qui forment la singularité, la spécificité de votre pays dans cette région du monde. Il faut veiller à les sauvegarder et à mieux les ancrer dans le coeur et dans l'esprit des nouvelles générations.

Vous avez vocation à être un Etat exemplaire où des citoyens de toutes origines, de toutes confessions vivent et gouvernent ensemble. Cette diversité, cette volonté de vivre ensemble, reposent sur un dialogue et un respect de tous les instants.

C'est dire qu'un régime démocratique et parlementaire, la garantie des libertés publiques et des droits de l'homme, le respect des croyances de chacun, constituent l'ambition propre de votre pays. Equilibre, écoute, tolérance, recherche du compromis font aussi partie de la vie quotidienne au Liban.

Cette conception de la vie publique va chez vous de pair avec un régime économique libéral, avec une liberté d'entreprise et de création qui doit permettre à tous les Libanais de donner libre cours à leur génie propre, à leurs talents, à leur sens de l'initiative.

Aujourd'hui, la sécurité et la paix civile sont de retour, la reconstruction économique est en route. Partout des chantiers sont ouverts. Les transformations que j'observe depuis mon dernier séjour sont considérables. Les infrastructures sont progressivement reconstruites. Les résultats enregistrés sont impressionnants, même si je mesure l'ampleur de la tâche qu'il reste à accomplir et aussi les lourdes contraintes que cet effort massif, et nécessaire, fait peser sur la population.

Et malgré tout, je sens chez nombre d'entre vous, toutes communautés confondues, planer des inquiétudes, des craintes pour l'avenir, une angoisse sur l'existence même du pays. Pourtant, les affrontements suicidaires des années passées ont cessé, le redressement économique est bien engagé. Pourtant, des négociations de paix devraient aboutir, dans un avenir que nous espérons proche, à la fin de l'occupation étrangère et des affrontements au Sud du pays.

L'avenir sera surtout ce que les Libanais en feront. C'est avant tout à eux-mêmes qu'il incombe de donner un contenu à la paix. La réconciliation politique doit être parachevée dans le respect des libertés publiques et des valeurs démocratiques auxquelles tous les Libanais, comme nous-mêmes, sont profondément attachés. C'est ainsi que le devoir civique impose à chaque citoyen de participer au choix de ses représentants et de s'impliquer personnellement dans le fonctionnement des institutions. Il appartient aux gouvernants de mettre en place les conditions objectives et les garanties qui assurent ce libre choix et la plus large représentativité de toutes les sensibilités politiques du pays.

Il n'y aura pas de reconstruction durable sans adhésion de tous et sans stabilité politique. La France souhaite pour l'avenir du Liban un rassemblement de toutes ses forces vives et la consolidation de ses institutions démocratiques.

Aujourd'hui, rappelons-nous ces mots prémonitoires du commandant Charles de Gaulle qui s'adressait le 13 juillet 1931 à la jeunesse libanaise : "Oui", disait-il, "le dévouement au bien commun, voilà qui est nécessaire puisque le moment est venu de rebâtir. Ce grand devoir prend un sens immédiat et impérieux car c'est une Patrie que vous avez à faire. Sur ce sol merveilleux et pétri d'Histoire, appuyés au rempart de vos montagnes, liés par la mer aux activités de l'Occident, il vous appartient de construire un Etat. Non point seulement d'en partager les fonctions, d'en exercer les attributs, mais bien de lui donner cette vie propre, cette force intérieure sans lesquelles il n'y a que des institutions vides".

Cette tâche ambitieuse, elle est à votre mesure et je sais que vous l'avez entreprise.

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Mesdames et Messieurs les Députés,

Le Liban n'est pas seul, dès lors que vous préservez votre unité, que vous êtes fidèles à vos valeurs et que vous croyez en votre destin. La France n'a jamais fait défaut au Liban. Elle entend se tenir à vos côtés à l'heure du redressement national.

Elle continuera d'apporter son appui à l'effort de reconstruction mené par vos autorités.

Depuis le début de mon septennat, j'ai souhaité intensifier notre engagement. Je l'avais annoncé au Président Hraoui, lorsqu'il est venu à Paris, il y a maintenant près d'un an. Je l'ai concrétisé à l'occasion de la visite officielle en France du Président du conseil des ministres, M. Rafic Hariri. Je lui ai alors proposé un accroissement de notre aide économique et financière et l'amélioration de nos conditions de crédit.

Monsieur le Président Nabih Berri,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Oui, la France participera à votre développement économique et vous aidera à refaire de Beyrouth, notamment dans la perspective d'un Moyen-Orient en paix, le coeur économique et financier de la région.

Dans son effort de redressement, le Liban peut aussi compter sur l'appui de la France au sein de l'Union européenne. Celle-ci a contribué au financement de votre reconstruction au cours des dernières années. Cet effort sera amplifié dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen décidé à la Conférence de Barcelone à laquelle votre pays a participé.

La France se fera aussi l'avocat du Liban pour que l'accord d'association avec l'Union européenne soit rapidement signé.

Au-delà, je souhaite renforcer et adapter nos liens culturels afin que Beyrouth, capitale où la francophonie est forte, redevienne le trait d'union entre la France, l'Europe et l'Orient.

En lançant après-demain la restauration de la résidence des Pins, symbole de l'histoire et de l'unité du Liban, en décidant de faire revenir l'Ambassade au coeur de Beyrouth, en ouvrant une nouvelle Ecole supérieure des affaires sur le campus "Clémenceau", la France témoigne de la permanence de son profond attachement au Liban.

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La France est aussi confiante dans le rayonnement du Liban au sein d'un Proche-Orient que nous souhaitons en paix.

Le Liban apporte au monde la démonstration que seize années d'affrontements et d'épreuves ne ferment pas la porte à l'espoir. En défrichant les chemins d'un avenir où chrétiens et musulmans s'organisent sans imposer ni subir, les Libanais accumulent un capital et une expérience qui serviront d'exemple. Où, mieux qu'au Liban, peuvent s'élaborer les voies de la nouvelle citoyenneté, libre et responsable, respectueuse d'autrui comme d'elle-même, dont la région du Proche-Orient aura besoin après la paix ?

La France est convaincue que la paix est proche. Elle espère que 1996 sera une année décisive marquée par la conclusion d'accords, entre Israël et la Syrie, entre Israël et le Liban. C'est par une paix juste et durable que votre pays recouvrera sa souveraineté sur tout son territoire, conformément aux résolutions des Nations Unies.

Je connais votre crainte qu'une paix élaborée ailleurs décide du sort du Liban et ne lui permette pas de recouvrer sa pleine souveraineté. Je n'ignore pas les raisons de cette crainte pour l'avenir. Toute paix à laquelle vous n'auriez pas librement adhéré et qui méconnaîtrait vos droits souverains serait une paix manquée. Mais n'oubliez pas pour autant que la paix n'est pas un droit acquis, et qu'elle suppose de votre part un engagement déterminé et permanent.

Sachez que la France se tiendra présente, à chaque pas, au cours des mois à venir, quand devront se négocier les contours d'une paix globale.

L'armée libanaise et les forces de sécurité intérieure doivent être les seuls garants, après un retrait israélien total, de l'autorité de l'Etat sur l'intégralité de votre territoire et faire ainsi en sorte que votre pays, comme Israël et les pays arabes de la région, se sente en pleine sécurité. Ce sera, dans le cadre d'un accord de paix, une responsabilité fondamentale que votre pays devra lui-même assumer. Cette nouvelle situation, je n'en doute pas, permettra aux forces syriennes, la paix pleinement rétablie, de se retirer.

La France est disposée, si les deux parties le lui demandent, à participer, à titre intérimaire, à la garantie de vos frontières. Sachez que mon pays n'approuvera jamais un règlement de paix dans lequel les intérêts légitimes du Liban, son existence même ou son indépendance, ne seraient pas totalement garantis.

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Mesdames et Messieurs les Députés,

Il n'y a point de nation qui soit prospère et grande si elle n'a d'abord foi en elle-même. Le Liban, comme la France, s'identifie à l'Histoire. Il a traversé trop d'épreuves et sacrifié trop de ses enfants pour ne pas vouloir aujourd'hui réussir la paix. Enfin, cette formidable vitalité, cet optimisme farouche en dépit des souffrances, cette foi dans l'avenir qui sont la marque de l'âme et du peuple libanais, sont autant de raisons d'espérer.

Ce soir, je souhaite aussi lancer un appel à tous les Libanais. Ayez confiance dans la grandeur de votre pays et dans sa vocation à redevenir un pôle d'attraction et de développement au Moyen-Orient. Mobilisez votre énergie et votre patriotisme au service de l'indépendance et de la prospérité du Liban. Unissez vos efforts pour participer à cette oeuvre collective et faire renaître votre pays. Sachez faire prévaloir l'intérêt général, l'intérêt de votre patrie sur les intérêts particuliers. Il y va de l'autorité de l'Etat, de la crédibilité des gouvernants, de la respectabilité des institutions. Dans les moments de doutes, rappelez-vous qu'il n'est point d'Etat sans sacrifice.

Jeunesse libanaise, peuple du Liban, retrouvez les traces et le génie de vos aînés. Vous êtes les bâtisseurs du Liban de demain. Libanais du Liban, ayez foi en vous-même, maintenez votre cohésion, investissez-vous et travaillez pour votre pays. Libanais de l'extérieur, de France, d'Europe et d'Afrique, d'Amérique et d'Asie, vous qui contribuez au rayonnement du Liban par le talent que vous avez su déployer au service de vos activités, interrogez-vous sur votre devoir à l'égard de votre pays. Mobilisez-vous, mobilisez vos ressources, vos amis, pour assurer l'avenir du Liban. Et vous qui avez quitté votre patrie, contraints par les événements, revenez vers cette terre pour préparer ses succès de demain. Le Liban a besoin de chacune et de chacun d'entre vous. Croyez en la paix, oeuvrez pour la paix !

Avec vous tous, réunis, l'avenir au Liban sera fécond et prometteur. A toutes et à tous, j'apporte l'amitié et le soutien de la France. Je transmets les voeux que le peuple de France forme pour le peuple du Liban. Je lui dis notre confiance en son avenir et notre espoir pour le succès de la paix.

Dans cette ambition que doit porter collectivement le peuple libanais, la France l'accompagnera avec toute l'énergie qu'autorisent notre longue amitié et notre histoire partagée.

Vive la France et vive le Liban.





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