Allocution du Président de la République. (Haut Conseil de la francophonie)

Allocution de M. Jacques CHIRAC Président de la République devant le Haut Conseil de la francophonie

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Palais de l'Elysée, Paris le 30 avril 1996


Monsieur le Ministre,

Madame le Ministre,

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux d'accueillir pour la première fois le Haut Conseil de la francophonie.

Votre institution tient en effet, dans le vaste mouvement francophone, une place éminente. Vous avez tous, avec vos talents respectifs, mais unis par une même passion, illustré et servi notre langue commune. Vous la faites vivre dans la littérature, dans le journalisme, dans la politique ou dans la science. Vous êtes aujourd'hui réunis pour réfléchir ensemble à son avenir en même temps qu'au renforcement des liens entre les peuples qui la partagent.

Je tiens à affirmer devant vous l'importance que j'attache à cette mission et ma volonté de donner à votre effort une impulsion renouvelée.

J'ai créé, il y a quelques mois, le poste de vice-président du Haut Conseil et je l'ai confié à Maurice Schumann. Il n'est pas utile de le présenter. Son dévouement, son ardeur - je dirai sa fougue - ne se sont jamais démentis depuis que, tout jeune, il s'est mis, dans les conditions que chacun sait, au service d'une certaine idée de la France. Il me soumettra bientôt des propositions qui permettront de donner un nouvel élan à votre institution.

Ce qui vous unit, ce qui vous réunit, ce sont l'amour et la pratique de la langue française, mais aussi l'exigence de l'excellence et la passion de la solidarité. Ces critères doivent présider à la composition de votre assemblée.

Les Etats et gouvernements francophones ont décidé, il y a cinq mois, à la conférence de Cotonou, de rénover les institutions de la francophonie en la dotant d'un secrétaire général qui sera nommé au prochain Sommet de Hanoï. Ainsi, la communauté francophone sera-t-elle enfin clairement identifiée sur la scène internationale. Elle gagnera dans le monde une autorité qui lui manquait en raison de l'excessive complexité de ses institutions. Le réseau des associations et organismes, dont je veux saluer la contribution essentielle à la construction francophone, trouvera dans le secrétaire général un porte-drapeau, un animateur et un arbitre.

Chacun a senti, à Cotonou, que la francophonie vivait un changement important.

Si nous avons tenu à donner davantage de cohérence à son édifice institutionnel, c'est que la francophonie est capable d'une réelle efficacité et d'une véritable valeur ajoutée dans le concert international. La force de notre communauté ne tient pas d'abord à sa puissance économique. Elle repose sur le trésor inestimable que décrivait Léopold Sedar Senghor et qui appartient à tous les francophones, quelles que soient leurs traditions et leur degré de prospérité.

La cause francophone ne menace la culture d'aucun pays. Elle souhaite l'épanouissement des langues nationales ou régionales. La langue française offre en fait à des peuples dispersés à travers le monde, un moyen de communication international dans une langue capable de transmettre les messages du coeur et les nuances de la pensée, le savoir scientifique aussi, tout en valorisant les identités. La francophonie se veut à la fois une et plurielle.

Le français a favorisé l'éclosion de l'humanisme de la Renaissance. Il atteint l'apogée de sa rigueur au siècle classique. C'est par son truchement que les Lumières ont bâti les fondements intellectuels du monde moderne. C'est en français que l'universalité des Droits de l'homme a été proclamée. Ce bien nous est commun. Les héritiers de Descartes, de Racine, de Voltaire se trouvent aujourd'hui dans tout le monde francophone. Ionesco, Cheikh Anta Diop, Georges Schémadé, Cioran, Simenon en ont été les continuateurs au même titre que Albert Camus ou Denis de Rougemont.

Cet héritage inestimable, nous devons le transmettre et le faire fructifier. C'est pourquoi le Sommet de Cotonou a placé au premier rang l'éducation, et tout particulièrement l'éducation de base. Dans nombre de pays francophones du Sud, la scolarisation a régressé de façon grave depuis une génération. Cette évolution dangereuse, qui interdit de culture et de toute participation au développement les jeunes qui en sont victimes, doit être enrayée. Si tel n'était pas le cas, nombre de pays du Sud, notamment africains, ne seraient bientôt plus en mesure de prendre leur part du patrimoine francophone commun.

Aussi est-il essentiel que la priorité reconnue par le Sommet soit traduite dans les faits, non seulement par la coopération francophone proprement dite, mais aussi par les politiques nationales de chaque Etat concerné, par les programmes bilatéraux d'assistance au développement et par les grands organismes multilatéraux, bailleurs de fonds. Le Haut Conseil avait, du reste, lors de sa précédente session, identifié et étudié le problème, là où il se pose avec le plus d'acuité : en Afrique. L'avenir de la langue française dépend pour une part non négligeable du redressement de ce continent.

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Au-delà de son patrimoine culturel, la francophonie est un espace de solidarité. Nous partageons des idéaux et des valeurs.

La liberté, naturellement, est la première des valeurs de la francophonie. Ce n'est pas un monopole des francophones d'Europe occidentale ou d'Amérique du Nord. La liberté était l'idéal de Toussaint-Louverture. C'est en son nom que les Roumains, en 1848 ou les Libanais depuis 1860 se sont tournés vers la culture française.

Aujourd'hui, la francophonie pérennise cette tradition et constitue plus que jamais un véhicule de la liberté. Ce n'est pas un hasard si, dans nombre de pays francophones, les courants hostiles aux libertés sont aussi ceux qui réclament la rupture avec la francophonie et le rejet de notre langue. A travers le français, les hommes et les femmes des pays où la liberté n'est pas une évidence peuvent trouver des motifs d'espérance en un avenir démocratique.

Le souci de promouvoir les libertés a été présent au Sommet de Cotonou. Les pays africains y ont manifesté leur volonté de poursuivre et d'encourager l'accession à l'Etat de droit. Deux mois plus tard, la Conférence ministérielle francophone de Bordeaux, que présidait Madame le ministre Margie Sudre, devait confirmer ce lien entre la francophonie et les libertés.

Autre valeur constitutive de l'idéal francophone : la solidarité. Dès leur origine, ces institutions ont rassemblé des pays qui n'étaient pas liés par la stricte défense d'intérêts matériels. Ils se sont néanmoins rassemblés autour d'une langue et d'une culture parce qu'ils ressentaient une complicité : leur destin serait commun.

Cette solidarité crée des devoirs particuliers aux pays francophones. Ils ne peuvent se désintéresser des crises surgies en leur sein, que ce soit en Afrique centrale, en Haïti ou au Liban pour ne citer que les plus graves des événements de ces dernières années. Certes, les pays francophones, même dotés d'institutions efficaces, ne pourront jamais substituer leur action à celle de la communauté internationale rassemblée au sein de l'organisation des Nations Unies ou des organisations régionales qui lui sont associées. Du moins sont-ils en mesure d'agir ensemble pour tenter de prévenir les crises, pour soutenir leurs membres dans l'épreuve et pour les aider ensuite à reconstruire leur Etat et leur société.

La solidarité francophone est aussi, bien entendu, une solidarité pour le développement. Depuis sa création en 1970, l'Agence de coopération culturelle et technique a mis en oeuvre des programmes d'aide aux pays francophones du Sud. Aujourd'hui, d'autres opérateurs, l'AUPELF-UREF, TV 5, l'Université Senghor d'Alexandrie et l'Association internationale des maires francophones, que j'ai fondée en 1979 et à laquelle m'attachent les liens du coeur, sont venus s'ajouter à l'Agence.

Les Sommets donnent une cohérence et définissent une priorité d'action à ces institutions en faveur des pays francophones démunis. Cette coopération est essentielle. Il faut que tous les Etats appartenant à la famille francophone se sentent en famille au sens plein du terme. C'est pourquoi, alors que la France est contrainte de restreindre la plupart de ses dépenses publiques, j'ai demandé au Gouvernement de ne pas amputer les crédits consacrés à la coopération francophone.

Mais la solidarité francophone ne s'arrête pas aux actions menées par les opérateurs de la francophonie en faveur du développement. Elle consiste aussi à tenir compte, dans les enceintes internationales comme dans les politiques nationales, des problèmes auxquels se heurtent les pays les plus défavorisés. En recevant bientôt à Lyon le Sommet du G7, je défendrai l'idée d'une concentration de l'aide au développement sur les secteurs et les pays qui en ont le plus besoin. Cette proposition a été soutenue par une résolution unanime du Sommet de Cotonou.

Enfin, l'universalité est également une valeur fondatrice de la francophonie. Le français est une langue de vaste diffusion internationale, mais nous savons qu'elle n'est plus, dans le monde contemporain, la langue prépondérante.

L'universalité de la francophonie est d'une autre nature. C'est la fraternité dans le respect des différences, la fraternité entre " toutes les races qui se réveillent à leur chaleur complémentaire ", comme l'écrivait magnifiquement le Président Senghor. Il faut refuser les uniformités et " faire éclore de l'harmonie sur le terreau de nos différences ".

De même qu'elle accepte en son sein la coexistence de peuples divers, dont chacun se réclame de la culture commune sans abandonner la sienne, de même la francophonie souhaite que le progrès scientifique et technique, le développement économique, la multiplication des contacts humains ne s'accompagnent pas d'un nivellement culturel.

Combattre pour notre langue c'est combattre aussi pour un mode de pensée humaniste qui se reflète dans la gestion de la cité et les relations entre les hommes. Faisons de la francophonie le laboratoire d'un nouvel art de vivre ensemble.

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Mesdames et Messieurs les Membres du Haut Conseil,

Vous allez consacrer votre XIIe session aux nouvelles technologies de la communication. Vos trois journées de travail vous permettront d'en aborder tous les aspects, avec le concours de spécialistes reconnus.

Aussi, limiterai-je mon propos à quelques remarques.

Mesurons d'abord l'importance du phénomène. L'Histoire a connu, il y a bien longtemps, la révolution agricole, puis, plus récemment, la révolution industrielle. Elle aborde aujourd'hui une troisième révolution, celle de l'information, qui abolit le temps et l'espace.

Nous en connaissons les effets : les liens sociaux, les relations professionnelles, les initiatives culturelles passent de plus en plus par des ordinateurs connectés.

En France même, le développement des autoroutes de l'information est spectaculaire. Tous les grands quotidiens y consacrent désormais d'importantes rubriques.

L'une des données les plus remarquables de cette révolution, en France comme à travers le monde, est la faible part qu'y prennent les autorités publiques, les Etats. Le développement spectaculaire des autoroutes de l'information est d'abord le fruit de millions d'initiatives.

Chacun sent bien que nous sommes engagés dans de profonds changements dans l'organisation de nos sociétés, dans nos façons d'agir, d'apprendre, de communiquer et de travailler. Mais personne ne dirige ni ne maîtrise cette véritable révolution.

Devant ce phénomène majeur de notre temps, la francophonie doit se mobiliser. Comprendre d'abord, agir ensuite. Car la révolution de l'information recèle deux dangers.

Premier danger : si rien ne vient corriger les lois du marché, le développement des autoroutes de l'information risque de creuser plus encore le fossé entre le Nord et le Sud.

La Conférence internationale qui se tiendra prochainement à Midrand, en Afrique du Sud, permettra de rechercher des réponses à ce risque réel et immédiat. La France et l'Union européenne comptent participer de façon active à la recherche de solutions efficaces. Le Gouvernement français s'efforce actuellement de sensibiliser les Etats francophones du Sud, notamment ceux d'Afrique, à l'importance des enjeux de cette conférence. Il les aidera à participer pleinement aux débats de Midrand.

Deuxième danger : le risque de l'uniformisation linguistique et culturelle. Aujourd'hui, 90 % des informations qui transitent par Internet sont émises en langue anglaise, parce que les outils et les serveurs sont dédiés à l'usage quasi exclusif de cette langue.

L'enjeu est clair : si, dans les nouveaux médias, notre langue, nos programmes, nos créations ne sont pas fortement présents, les jeunes générations de nos pays seront économiquement et culturellement marginalisées.

Nous devons ensemble exiger et obtenir que chaque utilisateur des nouveaux réseaux puisse s'exprimer dans sa langue et préserver ainsi son identité culturelle. Je salue, à cet égard, les actions engagées, avec succès, par nos partenaires Canadiens et Québécois. Ils ont vécu, avec quelques années d'avance, cette révolution de l'information qui a déferlé sur l'Amérique du Nord avant d'atteindre aujourd'hui l'Europe. Les francophones du Québec ou du Nouveau Brunswick ont très vite mesuré à la fois la menace qui pesait sur l'usage du français au Canada, mais aussi la chance que ces nouveaux réseaux représentaient pour la diffusion et l'enracinement de notre langue, pour peu que nous sachions en imposer l'usage.

Il faut produire et diffuser en français. Il faut unir nos efforts, multiplier les programmes, les informations, les échanges dans notre langue. Il faut valoriser la diversité et la richesse de nos patrimoines culturels, de nos littératures, de nos musées. Il faut imposer l'enseignement des sciences et des technologies en français sur les nouveaux réseaux.

Il faut aussi mobiliser tous ceux qui s'expriment dans les autres langues, en espagnol ou en arabe, en hindi ou en russe, en chinois ou en japonais. Car tous sont confrontés à la même menace. C'est pourquoi, lors du Sommet de Cotonou, le 2 décembre dernier, j'ai appelé la francophonie à prendre la tête d'une vaste campagne pour le pluralisme linguistique et la diversité culturelle sur les autoroutes de l'information.

Vous le voyez, le thème qui vous rassemble cette année représente un enjeu majeur pour l'avenir de notre langue, mais aussi pour la préservation de la diversité culturelle du monde, et donc pour la défense de l'humanisme, inséparable de cette langue française qui, depuis plusieurs siècles, en porte les valeurs.

Je souhaite plein succès à vos travaux, et je demande au secrétaire général du Haut Conseil de me tenir informé des conclusions qui ressortiront de ces trois journées.

Je vous remercie de votre présence à Paris, au Palais de l'Elysée, dans cette salle qui est aussi celle du Conseil des ministres de la République française.

Je vais maintenant donner la parole au vice-président de notre Haut Conseil, M. Maurice Schumann. Nous entendrons ensuite, un rapport de notre secrétaire général, M. Stélio Farandjis.





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