Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au Havre

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au Havre.

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Le Havre (Seine-Maritime) - 29 septembre 1995.

Monsieur le maire,

Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Il existe, c'est vrai, des villes de France où la conscience nationale s'exprime peut-être avec plus de force qu'ailleurs ; c'est ce qu'un jour m'a dit Antoine Ruffenacht et je l'avais cru. Le Havre, en effet, est de celles-là. Née au bord d'un estuaire, et donc à un carrefour, à la fois tournée vers le large et solidement adossée à la terre, construite et reconstruite inlassablement par l'ardente volonté des hommes, soumise aux épreuves et capable de renouveau, la ville du Havre résume bien le destin de la France.

Le Havre, ce sont des hommes et des femmes qui veulent lutter ensemble contre le déclin et la morosité. Ce sont des hommes et des femmes qui veulent lutter ensemble pour plus de prospérité, pour plus de solidarité. S'il existe une ville qui a su affronter les obstacles, qui a su ne pas céder devant les difficultés, qui même a su faire des épreuves une chance de renouveau, c'est bien la vôtre, Monsieur le maire, mes chers amis.

Je ne relaterai naturellement pas tous les malheurs subis par la ville depuis qu'en 1517 elle fut fondée. La deuxième guerre mondiale fut ici meurtrière. Elle laissa un champ de ruines et les Havrais, en quelques années, transformèrent les décombres en une cité moderne et dynamique.

Mais aujourd'hui, d'autres ruptures sont apparues. Ce sont autant de défis. Depuis vingt ans, le Havre affronte de nouvelles épreuves, peut-être plus insidieuses encore que celles du passé : le chômage, la fracture sociale, l'exclusion. La crise économique, qui peu à peu engendre, chez nous, une crise de civilisation, a durement frappé l'agglomération. Là aussi, la situation du Havre résume un peu celle de la France. Et c'est ce que disaient tout à l'heure à leur manière celles et ceux qui manifestaient à deux pas d'ici, et je veux leur dire que eux aussi je les ai entendus.

Cette cité laborieuse, populaire, industrieuse, à l'urbanisme bouleversé par les désordres de la guerre et les urgences de la reconstruction, est aujourd'hui frustrée dans son désir de travailler et de vivre ensemble. Le chômage de longue durée touche 10 000 personnes dans le bassin d'emploi de Basse Seine. Plusieurs grandes entreprises industrielles connaissent des difficultés. Les disparités sociales se sont aggravées. Sur les plateaux, des quartiers tout entiers se sont considérablement appauvris. De grands ensembles s'installent aux marges de l'exclusion.

C'est dans ce difficile contexte que les Havrais donnent à la France une leçon d'espérance. Sous votre impulsion, Monsieur le maire, car comment ne pas rendre hommage, mon Cher Antoine, à la volonté, à la ténacité, à la force de conviction dont vous avez fait preuve pour aboutir à l'exceptionnel témoignage de confiance que vous ont donné le 18 juin 1995 les Havraises et les Havrais. Car le Havre, aujourd'hui, c'est une ville mobilisée pour renaître. Contre la tentation de l'abandon et de la décadence, contre la tentation de la morosité, les Havrais, tous ensemble, veulent montrer le chemin.

Comment ne pas évoquer d'abord ce qui se fait ici, sur le terrain, pour réduire la fracture sociale. La municipalité, et avec elle tout un tissu associatif, ont compris que dans la lutte pour la cohésion sociale, il ne servait à rien de jouer les uns contre les autres, et pas davantage de jouer les uns sans les autres. Il faut que l'Etat, les collectivités territoriales, les associations, les familles, que tous les partenaires œuvrent ensemble pour reconstruire la solidarité. Car la solidarité ne se décrète pas, même si elle suppose plus que jamais un engagement de la nation tout entière, et donc de l'Etat.

La solidarité ne va pas sans un élan du cœur. Elle ne va pas non plus sans une volonté politique. Ici, au Havre, cet élan et cette volonté existent désormais. Tout à l'heure, je rencontrerai des associations dont le travail est exemplaire. Je sais que des progrès considérables sont engagés en matière de cadre de vie, de rattrapage scolaire, d'animation. Les services publics, la municipalité et les associations se mobilisent. Des quartiers peu à peu renouent avec une vie sociale normale, redeviennent des quartiers comme les autres, certes avec difficulté, mais en progrès sensible par rapport à un passé récent là où il y a peu de temps encore la peur s'installait.

Mais, il faut aller encore plus loin, encore plus vite. Sachez que la nation vous y aidera. C'est pour l'Etat une ardente obligation que de rendre à la République les espaces et les sites que, par négligence ou lassitude, on a laissé s'éloigner. Il y a une place pour chacun dans la maison républicaine et mon ambition est de ne laisser personne dehors. Je demanderai au gouvernement de veiller à ce que le Havre soit soutenu dans ses efforts, qu'elle devienne, avec d'autres, une ville pilote pour des expériences de reconstitution du tissu social.

Je voudrais évoquer aussi ce qui se fait ici pour rendre l'économie plus dynamique.

L'économie et la cohésion sociale, ce sont en réalité les deux faces d'une même réalité. Il faut dynamiser l'économie parce qu'au bout du compte, l'économie est au service de l'homme, doit l'être, et ici au Havre, vous l'avez compris. J'ai rencontré ce matin des hommes et des femmes, des chefs d'entreprise, des ouvriers, des techniciens, des cadres qui, par leur esprit d'entreprise, ont su créer de nouveaux emplois, de nouvelles activités.

L'avenir du Havre, j'en suis sûr, est bien orienté. Le Havre est aujourd'hui le premier port de France de la façade atlantique, bénéficiant de la meilleure situation pour les lignes internationales qui relient l'Europe à l'Amérique et à l'Asie. Son orientation claire et déterminée vers la conteneurisation en fait un outil économique de premier ordre, capable demain, si nous nous en donnons les moyens, de rivaliser victorieusement avec les plus grands ports du nord de l'Europe.

Les moyens de cette ambition sont triples :

D'abord la proximité de Rouen : les ports du Havre et de Rouen forment un complexe cohérent. Il convient de mieux les articuler, de les rapprocher, pour mieux jouer de leur complémentarité.

Second atout : l'arrière-pays. Il faut poursuivre le désenclavement des zones portuaires et créer un véritable nœud de transport intermodal reliant la voie maritime aux dessertes intérieures, qu'elles soient routières ou ferroviaires, comme l'indiquait tout à l'heure le maire du Havre.

C'est ainsi que l'on offrira à votre ville toutes les possibilités de développement, en particulier par le transport combiné. Au-delà des liaisons autoroutières déjà programmées qui donnent tout son rôle au Pont de Normandie, une étude des liaisons intermodales, en particulier ferroviaires, devrait donc être conduite rapidement pour renforcer les atouts de l'ensemble portuaire et industriel.

Car le troisième pilier du développement du Havre est celui des espaces industriels et des moyens logistiques, où les enjeux économiques vont de pair avec la qualité de l'environnement. C'est ce qu'illustre parfaitement le projet "Port 2000" que nous avons ce matin évoqué et qui pour moi est d'une importance économique nationale et d'un intérêt public majeur. Je souhaite que le gouvernement en accélère l'examen.

En vérité, le Havre a tous les atouts pour renaître : un site remarquable, un arrière pays actif, un esprit d'entreprise. Je suis sûr que vos projets seront couronnés de succès, dès lors que tous les acteurs concernés sauront se mobiliser et jouer pleinement leur rôle. Soyez assurés que l'Etat saura, pour sa part, répondre présent.

J'ai souvent parlé de l'impérieuse nécessité de rendre à la France une vraie politique maritime ambitieuse, et d'abord une marine marchande et des ports dignes de notre pays et de notre histoire. Nous le ferons. J'ai annoncé que la priorité absolue de toute l'action du gouvernement devait être de lutter pour l'emploi. Nous le ferons. J'ai dit que tout serait fait pour réduire la fracture sociale. Nous le ferons.

Nous le ferons, et nous le ferons tous ensemble, car l'exemple que nous donne le Havre, c'est une leçon pour la France. Nous le ferons, même si la route est difficile, même si nous vivons des jours tendus, même si nous devons impérieusement pour des raisons de sauvegarde de notre monnaie et d'assurance du développement de l'Europe réduire fortement les déficits et l'endettement qui tirent toute notre économie et notre société vers le bas. La cohésion sociale, l'emploi, les valeurs de la République, ce sont les grandes ambitions de mon septennat.

Je me suis présenté à vous pour mener ce combat, et c'est pour mener ce combat que j'ai été élu. Je ne me déroberai pas.

Mais j'ai besoin de vous. Ce à quoi je vous appelle, c'est à un sursaut national. Bien sûr, aucun redressement, aucune transformation ne se fait sans remous. Mais plutôt que les remous, et je le dis ici, près du grand large, ce qui compte, c'est le cap qu'on se fixe. Ce cap est le bon. Les remous n'y changeront rien, les engagements seront respectés ! Dès lors que la barre est solidement tenue, que chacun joue son rôle, il n'y a rien à craindre et tout à espérer.

Au long de son histoire, la France a connu des moments où l'évolution des choses requérait d'elle une sorte de dépassement, sous peine de déclin et d'effacement. Ce fut le cas aux heures troubles de la Fronde, quand il fallut choisir l'Etat contre les féodaux. Ce fut le cas quand la Révolution dut affronter les conservatismes ligués d'une Europe menaçant la liberté et la vie de la Patrie. Ce fut le cas en 1940, quand il fallut espérer et réagir contre toute évidence. C'est encore le cas aujourd'hui. L'exclusion, la rupture du lien social dans nos villes, la désertification d'un nombre croissant de notre territoire, la crise de nos valeurs républicaines appellent une fois encore la France à se dépasser.

La France est devenue une société urbaine. Et au moment où la France devenait plus urbaine, la ville française subissait plus qu'une crise, une profonde transformation. La société de naguère, faite d'un réseau complexe de solidarités et de proximité, n'existe plus. La société de demain, où naîtront des solidarités nouvelles, n'existe pas encore. En attendant, l'heure est à l'urgence. Il y a urgence dans certains quartiers de nos villes où les droits sont bafoués, à commencer par le droit à la dignité et à la sécurité. Voués à la marginalité parce qu'en situation d'échec scolaire, des jeunes sont soumis aux pires tentations. Dès lors tout s'enchaîne : une insécurité permanente menace les plus faibles, dissuade toute initiative économique, décourage même les services publics. L'exclusion entraîne l'exclusion, le chômage entraîne le chômage. L'économie productive, mais aussi le droit, abandonnent des morceaux de la France. Ce n'est pas acceptable.

Dans les quartiers en difficulté, il ne faut pas se demander ou demander à la République une sorte de service minimum, mais bien le maximum, le meilleur de ce qu'elle peut donner. La nation se doit de mettre au service des plus faibles ce qu'elle a de meilleur. La nation doit servir les quartiers difficiles avec ses meilleurs fonctionnaires, ses meilleurs policiers, ses meilleurs professeurs. Les collectivités font un travail remarquable, et c'est nécessaire. Les associations font un travail remarquable, et c'est nécessaire. Mais rien ne remplacera l'implication de l'Etat. Je veux le retour de la République, des valeurs de la République, partout sur notre territoire où elles ont été abandonnées. Les valeurs républicaines doivent reconquérir la France. Le chantier est immense, mais il est à la dimension d'un septennat.

J'ai demandé au gouvernement de mettre toute sa politique au service de l'emploi. Il était temps de remettre l'homme au centre des choix économiques et sociaux. Il était temps de changer l'école, de la rendre à sa vocation qui est liée à celle de la République, qui est une vocation de liberté, d'égalité et de fraternité, ce qui a fait la force et la grandeur de notre pays. Il était temps de créer des logements d'insertion. Il était temps de libérer l'esprit d'entreprise et les forces vives de la nation. Il était temps de renoncer à la résignation. C'est ce qui est engagé. C'est ce qui sera poursuivi et amplifié pendant toute la durée de mon septennat.

Il y a toujours eu en France, des époques où les réformes l'on emporté sur le conservatisme. Ce fut le cas en 1945 et en 1958. Ce doit être le cas aujourd'hui. Tel est le souhait que les Français ont exprimé au mois de mai dernier. Ce souhait sera honoré. Cette volonté ne sera pas déçue.

Je ne sous-estime pas, bien sûr, les délais qui sont nécessaires pour infléchir les tendances. Depuis trop d'années, trop de retards ont été accumulés, trop de réformes ont été différées pour que tout change comme par enchantement. Mais encore fallait-il s'atteler au changement, avec cœur et détermination et s'y atteler tout de suite !

L'avenir, mes chers amis, est entre nos mains. Il est affaire de volonté, de conviction, et de confiance. Il me plaît de le dire ici, dans cette ville du Havre qui fut -c'est un magnifique symbole- décidée par l'Etat, un jour de février 1517, et qui depuis cinq siècles a su traduire cet acte de volonté en vie, en progrès et en espérance.

Vive le Havre !

Vive la République !

Vive la France !





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