Intervention de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la journée mondiale du refus de la misère.

Intervention de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la journée mondiale du refus de la misère.

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Trocadero, Paris le mardi 17 octobre 1995.


Madame la présidente,

Mesdames, Messieurs,

Ce soir, chère Geneviève Anthonioz-de Gaulle, grâce à vous, les pauvres retrouvent l'honneur. Ceux qu'on a tendance à laisser pour compte occupent ici dans nos esprits la première place. Les exclus de par votre volonté sont au centre de notre société.

Et nous qui ne sommes ni pauvres, ni laissés pour compte, ni exclus, nous sommes honorés d'être accueillis par eux, par vous, près de cette dalle, qu'en 1987 le Père Joseph Wresinski fit poser sur le parvis des Droits de l'Homme, mémorial dédié aux victimes de la misère.

A vous qui êtes confrontés chaque jour à des conditions de vie si difficiles, à vous qui connaissez d'expérience le froid, la solitude, la faim, je voudrais, du fond du coeur, adresser un message d'amitié. Souvent, j'ai eu l'occasion de vous rencontrer, de parler avec vous, d'échanger dans de nombreuses associations, dans des centres d'accueil, dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale, lors de tournées à Paris du SAMU social. Je sais que votre vie est un combat très difficile. Je sais que vous avez des choses à dire. Je sais que tous, nous avons à apprendre de vous, j'ai beaucoup appris dans ces contacts. Je sais que votre expérience est riche, oui riche c'est le mot, car elle ouvre des chemins que, sans vous, nous ne trouverions pas. Il n'y a pas de honte à être démuni, Soeur Emmanuelle aime citer le vers d'un poète arabe ancien : "Fends le coeur de l'homme et tu y trouveras un soleil". Oui, la seule honte, c'est d'oublier la fraternité. Aussi permettez-moi de vous remercier de votre accueil et de vous offrir un salut fraternel.

Je voudrais aussi adresser mon salut aux délégués du Quart-Monde et à tous les travailleurs sociaux, à toutes celles et à tous ceux qui chaque jour luttent contre la grande pauvreté. Leur travail est admirable et irremplaçable. Discret, sans doute, mais tout en profondeur et méritant un immense respect.

A vous tous, à vous toutes, je voudrais adresser un message qui est pour moi l'expression d'un refus, d'une conviction, et d'une volonté.

Mon refus, c'est celui de la fatalité de l'exclusion.

Pendant des années, j'ai écouté et entendu le Père Joseph Wresinski. La grande leçon qu'il nous a donnée, c'est celle d'un refus. Refus de la fatalité, refus de la misère, refus de l'exclusion. Le Père Wresinski a fondé son combat sur un refus, sur un non, mais sur un non donné par référence à un oui beaucoup plus grand encore : un oui à la solidarité. La vie du Père Joseph Wresinski fut un refus ouvert sur l'espérance, un combat tourné vers la paix des hommes et des coeurs, et son action n'a pas fini de nous éclairer.

C'est son rapport au Conseil économique et social qui, en 1987, a fait comprendre au monde le terrible engrenage de l'exclusion qui, en cumulant les précarités, broie les personnes. C'est son diagnostic et ses remèdes qui servent de référence aujourd'hui. C'est lui qui a permis à cette journée d'exister.

La France doit être la première dans la lutte pour la solidarité. Cette première place est la seule qui soit digne d'elle, la seule qui soit conforme à sa tradition et à son pacte républicain. Elle nous appelle à un effort, à une prise de conscience.

La France est à un tournant dans le combat contre la misère. Vingt ans après la loi en faveur de ces autres exclus que sont les handicapés, la loi d'orientation actuellement préparée, sous l'impulsion d'ATD Quart-Monde Madame la présidente, par le gouvernement scellera, je l'espère, l'engagement de la nation tout entière pour vaincre l'exclusion et la pauvreté. Il ne s'agit plus de traiter l'exclusion comme une plaie inévitable. Il s'agit de mettre la lutte contre l'exclusion au centre de toute politique, mais surtout au centre des préoccupations de l'ensemble de nos concitoyens, dont l'immense majorité est prête à le comprendre, pour autant qu'on veuille bien leur montrer le chemin. L'emploi, le logement, l'accès à l'école et aux soins, l'aide aux quartiers en difficultés : ces domaines et d'autres encore forment un tout. Ils doivent donner lieu à une seule politique, mise au service de l'homme, avec et pour les plus démunis.

Permettez-moi, Madame la présidente, ce soir d'insister sur un aspect de cette politique : celui de la solidarité à l'égard des jeunes, de plus en plus nombreux, qui cèdent sous le poids des difficultés et dont la détresse prend parfois un caractère désespéré.

Nous devons aller au devant d'eux. Ceux qui le font déjà, ceux et celles dont je salue ici le travail, nous rappellent que ces jeunes sont minés par le sentiment d'être les oubliés de notre contrat social, humiliés par l'absence d'avenir professionnel, au point parfois de refuser l'échange avec ceux qui viennent pour les aider. Rester sans réaction devant cet échec, ce serait, pour notre pays, accepter l'hérédité de la misère. Ce serait accepter que l'exclusion des parents devienne celle des enfants, que l'exclusion d'hier devienne celle de demain. Pour rendre à ces jeunes leur place dans la société, il est indispensable que se constitue un véritable service public de l'insertion des jeunes, investi par la loi d'une mission claire : élaborer pour et avec chacun d'entre eux, un projet fondé sur une formation et sur l'activité.

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"Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les Droits de l'Homme sont violés". Cette phrase inscrite sur la dalle résume bien, je crois votre combat, il doit être aujourd'hui celui de tous nos compatriotes. La lutte contre l'exclusion est, c'est vrai, une lutte pour les Droits de l'Homme.

En ce jour exceptionnel où la première place est offerte à ceux qui d'ordinaire sont les derniers, où la parole est donnée à celles et à ceux qui d'ordinaire restent sans voix, je voudrais simplement adresser à chacun, et notamment aux jeunes, un message de solidarité et un message d'espoir.





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